La Pinkerton National Detective Agency est une agence américaine privée de détectives créée par Allan Pinkerton en 1850 qui fait régner la loi, faute de police, au Far West. Dès 1877, elle se met au service du patronat pour briser le mouvement syndical naissant dans tout le pays. Ses agents sont payés pour infiltrer les syndicats et les usines, pour briser les piquets de grève, pour faire entrer de force les jaunes dans les usines en grève, etc. Les Pinkertons jouèrent un rôle de provocateur en 1886 dans le massacre de Haymarket, à Chicago, qui est à l’origine de la journée de grève internationale du 1er mai (voir ici l’épisode du feuilleton consacré à cet épisode).

Les Pinkertons escortent des briseurs de grève à Buchtel (1884)

Les Pinkertons escortent des briseurs de grève à Buchtel (1884)

Pinkerton s’illustra lamentablement en 1892, dans la deuxième plus grande bataille de l’histoire du syndicalisme aux États-Unis (après celle de Blair Mountain) : la grève de Homestead. Cette lutte opposait la Amalgamated Association of Iron and Steel Workers (AA) à la Carnegie Steel Company.
L’AA, forte de 25.000 membres, était à l’époque l’organisation syndicale la plus puissante du mouvement ouvrier américain. Au cours des années 1880, l’AA s’implique dans les aciéries de Homestead. Le directeur de l’une d’elle, l’usine Carnegie Steel, Henry Clay Frick, s’était donné pour but de briser le syndicat.
Le 1er juillet 1889, l’échec des négociations d’une nouvelle convention collective entraîne une grève de l’AA. Les grévistes s’emparent de la ville et le 10 juillet, avec l’aide de milliers d’habitants, repoussent des briseurs de grèves engagés par la compagnie.
La convention collective négociée suite à cette grève prit fin le 30 juin 1892. L’industrie de l’acier se portant bien, l’AA demande une augmentation de salaire pour ses membres. A l’inverse, Frick propose une baisse de salaire ainsi que la coupure de postes prévus par la convention précédente.
Frick avait préparé la lutte : il avait accumulé des stocks de marchandises. Dès janvier, il avait fait construire autour de l’usine une clôture surmontée de barbelés. Des tours de gardes avec des phares étaient construites près de chaque bâtiments. En avril, il charge l’agence Pinkerton d’assurer la sécurité des installations.
Le 29 juin, Frick lock-oute toute l’usine.
Dans l’assemblée générale tenue le lendemain 3000 ouvriers sur 3500 votent la grève (alors que seuls 800 étaient affiliés à l’AA). Tandis que la compagnie publie des annonces pour trouver des briseurs de grève dans les journaux, jusqu’à Boston, Saint-Louis et même en Europe, les grévistes décident de garder l’usine fermée. Il s’emparent de plusieurs embarcations afin de patrouiller sur la rivière Monongahela qui longe les installations. Ils établissent des piquets de grève et effectuent des tours de garde 24 heures sur 24. Les ferry et trains sont surveillés pour prévenir l’arrivée de jaunes. Les étrangers sont interrogés sur leur présence en ville et ceux qui n’étaient pas attendus sont escortés hors des limites de la ville.
Le 4 juillet, Frick demande formellement l’intervention du shérif, qui ordonne en vain aux lockoutés de laisser entrer les briseurs de grève dans l’usine.
La nuit du 5 juillet, à 22h30, 300 Pinkertons armés de Winchester, recrutés par Frick avec l’aval du shérif, remontent la rivière dans deux embarcations pour chasser les grévistes de l’usine. L’AA est mise au courant. Une petite flotte d’embarcations de grévistes descend la rivière à la rencontre des agents. Ils tirent quelques coups au hasards vers les embarcations des agents, puis alertent les autres. Les grévistes font hurler la sirène de l’usine à 2h30. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants accourent sur les lieux.
Les agents, voulant bénéficier du couvert de l’obscurité, tentent de mettre pied à terre aux environs de 4 heures du matin. Des coups de feu sont échangés. Les deux premiers blessés sont le chef des Pinkerton et un travailleur. À ce moment, les Pinkertons ouvrent le feu sur la foule, tuant deux personnes et en blessant 11 autres. La foule riposte, tue également 2 personnes et en blesse 12. Les grévistes se cachent derrière des installations et les agents percent des trous à travers les côtés des embarcations afin de pouvoir tirer sur tout ce qui peut les approcher. Les grévistes se mettent à construire un rempart plus haut sur la rive à l’aide de poutres d’acier. Les Pinkertons rembarquèrent mais, attaqués de tous côtés, ils durent se rendre. La foule furieuse les roua de coups, les ramena en ville et ils quittèrent la ville ignominieusement, par train spécial, le lendemain.

Un des postes de tir des grévistes

Un des postes de tir des grévistes


Les Pinkertons après leur reddition

Les Pinkertons après leur reddition

Les grévistes gardant le contrôle des environs, l’Etat finit par s’en mêler : le gouverneur (qui avait été élu avec l’appui de Carnegie) dépêcha la milice : 6000 hommes équipés des armes les plus récentes. Les principaux responsables de la grève furent accusés de meurtre. 160 autres grévistes furent jugés pour divers crimes. Tous furent acquittés par des jurys compréhensifs.
Cependant, les miliciens avaient permis l’entrée des jaunes dans l’usine. Ils y arrivaient souvent dans des wagons blindés en ignorant pour la plupart leur destination. L’usine produisait de l’acier tandis que les grévistes épuisaient leurs ressources. Après quatre mois, ils acceptèrent de retourner au travail et les meneurs furent mis sur liste noire… L’AA ne se remis jamais de cette défaite, le nombre de ses affiliés passa en un an de 25.000 à 8.000.
Au cours de la grève, Alexander Berkman, un jeune anarchiste de New York décida en accord avec quelques anarchistes, dont sa compagne Emma Goldman, de se rendre à Pittsburgh pour abattre Henry Clay Frick. Il réussit à pénétrer dans son bureau mais il ne fit que le blesser. Berkman fut capturé, emprisonné et finalement jugé pour tentative de meurtre. Il passa quatorze ans au pénitencier de l’Etat.

Alexander Berkman tire sur Henry Clay Frick

Alexander Berkman tire sur Henry Clay Frick

La débacle des Pinkertons à Homestead n’empêcha pas l’agence de rester le fer de lance des luttes anti-syndicales. C’est ainsi que l’été 1917 à Butte, dans le Montana, ils brisent la grève des mineurs de l’Anaconda Copper Company. Il est probable que le commando qui enleva et assassinat (en le pendant à un pont) le dirigeant de la grève, Frank Little, était composé de Pinkertons. C’est d’ailleurs pour ne pas collaborer aux campagnes anti-grèves que Dashiell Hammett démissionna de l’agence Pinkerton. Aujourd’hui, l’agence Pinkerton emploie 48 000 détectives. Elle a été rachetée en 2003 par la multinationale suédoise de la sécurité : le groupe Securitas AB (320.000 salariés).