Le Chant des marais a pour titre original Moorsoldatenlied (Chant des soldats du marécage), ou Börgermoorlied (chant de Börgermoor). Le camp de Börgermoor, officiellement l’Emslandlager, était un camp de concentration nazi situé dans le Pays de l’Ems en Basse-Saxe. Ouvert dès le début de la répression politique en 1933, il fait office de camp de travail et est rattaché au camp principal de Papenburg. Les détenus du camp étaient pour la plupart des communistes, détenus à la suite des lois spéciales promulguées le lendemain de l’incendie du Reichstag. Le titre de la chanson évoque les travaux forcés à l’aide d’outils rudimentaires.

Le camp de Börgermoor

Le camp de Börgermoor

Les SA, puis SS qui reprirent la gestion du camp, exigeaient des prisonniers qu’ils chantent pour se rendre au travail. Le Moorsoldatenlied est né en août 1933 de la tradition concentrationnaire de faire chanter les détenus, et de la volonté de ceux-ci de rendre compte de leur condition, mais aussi de leur conviction de voir le régime nazi abattu. Ses auteurs, trois déportés communistes, l’apprirent à d’autres internés qui l’interprétèrent un jour devant les quelques 1000 prisonniers du camp, qui en reprirent le refrain… Le chant fut immédiatement interdit. Mais, au gré des transferts vers d’autres camps, des libérations d’internés allemands il se répandit dans tout le monde concentrationnaire. Les paroles de cette chanson ont été écrites par Johann Esser et Wolfgang Langhoff, la mélodie a été composée par Rudi Goguel.

Rudolf Oskar Goguel, né le 21 avril 1908 à Strasbourg. Employé dans le service publicité d’un fabricant de machines de Düsseldorf, il entre au parti communiste et à l’opposition syndicale révolutionnaire en 1930. Il est licencié en 1932 à cause de son engagement politique. Il est arrêté à l’arrivée au pouvoir des nazis et immédiatement déporté dans le camp de Börgermoor. Libéré en 1934, il entre dans la résistance clandestine communiste. Le 27 septembre 1934, il est arrêté pour la deuxième fois et condamné à dix ans de prison pour haute trahison. Il purge sa peine de 1934 à 1944 dans divers pénitenciers. A la fin de sa peine, le 27 septembre 1944, il est à nouveau déporté au camp de Neuengamme. Ce camp fut évacué début mai 1945 devant l’arrivée des forces alliées. Les déportés furent embarqués sur des bateaux dans la Baie de Lübeck. Goguel était à bord du bateau-prison Cap Arcona coulé par l’aviation britannique. Plusieurs milliers de déportés mourront noyés, Goguel est un des survivants. Après la guerre, Goguel milite pour le Parti communiste en Allemagne du sud. En 1949, il est candidat à l’élection du Bundestag pour le KPD, en 1952 il travaille à Berlin-est à l’Institut allemand pour l’Histoire contemporaine puis à l’Université Humboldt. Il meurt le 6 octobre 1976 à l’âge de 68 ans.

Rudolf

Rudolf

Johann Esser est né le 10 avril 1896 à Wickrath. Il a grandi dans un orphelinat et travaillé comme ouvrier textile. Après la Première Guerre mondiale qu’il a fait comme fantassin, il a travaillé comme mineur en basse Rhénanie. Membre du syndicat et du Parti communiste, il commence à écrire des poèmes et des récits sur le monde du travail. En 1933, il est enfermé par les nazis pour trahison au camp de Börgermoor. Dans les années suivantes, il a vécu avec sa famille, à cause des arrestations répétées et l’incapacité de trouver un emploi, une grande détresse économique. C’est vraisemblablement pour échapper aux persécution qu’il publiera des poèmes patriotiques. Après la guerre mondiale, il reprend son activité syndicale en Allemagne de l’ouest mais rompt avec le Parti communiste. Esser prend prend sa retraite en1960e et continue à publier des poèmes dans les journaux. Il meurt en 1971 à Moers.

Johann Esser

Johann Esser

Wolfgang Langhoff est né le 6 octobre 1901 à Berlin. De 1915 à 1917 il travailla comme marin. Puis après la Première Guerre mondiale il trouva des emplois de figurant au théâtre de Königsberg où il eut rapidement des petits rôles. À partir de 1923 il était acteur à Hambourg, Wiesbaden et Düsseldorf. Membre du parti communiste, acteur dans une compagnie de théâtre militant, il est arrêté par la Gestapo le 28 février 1933 et déporté en juillet à Börgermoor. Il sera libéré le 31 mars 1934. Il s’exila en Suisse le 28 juin 1934, et trouva un emploi à l’Opéra de Zürich. Il publia Die Moorsoldaten, un des premiers livres sur les camps de concentration nazis. Après la guerre, il rentre à Berlin Est en 1945. Il prend la direction du Deutsches Theater à Berlin de 1946 à 1963.

Wolfgang Langhoff

Wolfgang Langhoff

tandis que le chant il se répandait en Allemagne, d’un camp de concentration à l’autre,
quelques déportés libérés à l’issue de leur condamnation, choisirent de s’exiler et le firent connaître en Angleterre ; c’est là qu’en 1936, le compositeur Hanns Eisler, collaborateur musical de Bertolt Brecht, en fit une adaptation pour le chanteur Ernst Busch. Celui-ci rejoignit en 1937 les Brigades internationales en Espagne, de sorte que le Moorsoldatenlied, chanté par les volontaires allemands des Brigades, acquit rapidement une grande notoriété.

Wohin auch das Auge blickt.
Moor und Heide nur ringsum.
Vogelsang uns nicht erquickt,
Eichen stehn kahl und krumm.
Wir sind die Moorsoldaten und ziehen mit dem Spaten ins Moor!

Hier in dieser öden Heide
ist das Lager aufgebaut,
wo wir fern von jeder Freude
hinter Stacheldraht verstaut.
Wir sind die Moorsoldaten und ziehen mit dem Spaten ins Moor!

Morgens ziehen die Kolonnen
in das Moor zur Arbeit hin,
graben bei dem Brand der Sonne,
doch zur Heimat steht der Sinn.
Wir sind die Moorsoldaten und ziehen mit dem Spaten ins Moor!

Heimwärts, heimwärts! Jeder sehnet
sich nach Eltern, Weib und Kind.
Manche Brust ein Seufzer dehnet,
weil wir hier gefangen sind.
Wir sind die Moorsoldaten und ziehen mit dem Spaten ins Moor!

Auf und nieder geh´n die Posten,
keiner, keiner kann hindurch,
Flucht wird nur das Leben kosten,
vierfach ist umzäunt die Burg.
Wir sind die Moorsoldaten und ziehen mit dem Spaten ins Moor!

Doch für uns gibt es kein Klagen,
ewig kann´s nicht Winter sein.
Einmal werden froh wir sagen: Heimat,
Du bist wieder mein!
Dann ziehn die Moorsoldaten nicht mehr mit dem Spaten in´s Moor!
Dann ziehn die Moorsoldaten nicht mehr mit dem Spaten in´s Moor!

Pierre commémorative sur le site du camp de Börgermoor, portant la première strophe du

Pierre commémorative sur le site du camp de Börgermoor, portant la première strophe du

La version française (qui connait quelques variantes, est davantage une adaptation qu’une traduction). Voici la plus fréquente :

Loin dans l’infini s’étendent
Les grands prés marécageux,
Pas un seul oiseau ne chante
Dans les arbres secs et creux.
Ô terre de détresse
Où nous devons sans cesse
Piocher, piocher.

Dans ce camp morne et sauvage
Entouré de fils de fer,
Il nous semble vivre en cage
Au milieu d’un grand désert.
Ô terre de détresse
Où nous devons sans cesse
Piocher, piocher.

Bruits de pas et bruits des armes
Sentinelles jour et nuit
Et du sang, des cris, des larmes,
La mort pour celui qui fuit.
Ô terre de détresse
Où nous devons sans cesse
Piocher, piocher.

Mais un jour dans notre vie,
Le printemps refleurira,
Liberté, liberté chérie
Je dirai :« Tu es à moi ! »
Ô terre d’allégresse
Où nous pourrons sans cesse,
Aimer, aimer.