Harry John Salem, devenu Henri Alleg, est né dans une famille juive polonaise installée en Angleterre. Il vient à Paris au début des années 1920 puis se rend à Alger où il devient communiste au début des années ’40. En 1949, Henri Alleg siége au bureau politique du PCA. Il devient éditorialiste puis, en 1951, directeur d’Alger républicain, journal anticolonialiste auquel collaborait également Albert Camus. Avec la guerre d’Algérie, Alger républicain est interdit et les cadres du PCA passent dans la clandestinité.

Henri Alleg

Henri Alleg


Alger républicain

Alger républicain

Pendant la guerre d’Algérie, la torture, les détentions et les exécutions extra-légales n’étaient pas de bavures mais un système. L’impunité était assurée aux militaires par un texte signé du ministre de la Défense et du Ministre de la justice (Robert Schuman, le « grand européen »), qui indique que les plaintes faisant suite à « de prétendues infractions » des forces de l’ordre : « devront faire l’objet d’un classement sans suite, dès lors qu’il apparaîtra incontestable que ces faits sont justifiés par les circonstances, la nécessité, ou l’ordre de la loi. »

guerre d'Algérie

guerre d’Algérie

Henri Alleg est arrêté le 12 juin 1957 par les parachutistes au domicile de Maurice Audin, son ami, jeune mathématicien, arrêté la veille et qui sera lui torturé à mort. Alleg est séquestré un mois à El-Biar, où il est torturé lors de plusieurs séances: coups, décharges électriques, suffocation dans l’eau, brûlures, pendaisons. Il a su résister à ses bourreaux et le scandale provoqué par la mort de Maurice Audin lui sauva sans doute la vie: il est transféré au camp de Lodi, puis à Barberousse, la prison civile d’Alger. En prison, il écrit son témoignage que son avocat transmettra à l’extérieur. Une version condensée en est d’abord publié dans l’Humanité du 30 juillet 1957, qui sera saisie.

Le 12 février 1958, les Éditions de Minuit, fondée clandestinement sous l’occupation par la Résistance, publient, avec une préface Jean-Paul Sartre, La Question, la version la plus complète du témoignage d’Alleg. La « question » est le nom que l’on donnait à la torture dans l’Ancien Régime. Les rares journaux qui parlent du livre (L’Humanité, France observateur, l’Express) sont aussitôt censurés et, dès mars 1958, le livre est saisi en France. Un éditeur suisse le réimprime et fait passer clandestinement 150.000 exemplaires en France.

La Question d'Henri Alleg

La Question d’Henri Alleg

L’interdiction assurera la notoriété du livre, les langues se délient et d’autres témoignages sont publiés, comme La Gangrène de Bachir Boumaza qui dénonce la torture d’étudiants algériens dans les locaux de la DST à Paris (l’ouvrage est immédiatement saisi). Comme l’écrivait Alleg: «Mon affaire est exceptionnelle par le retentissement qu’elle a eu. Elle n’est en rien unique. Ce que j’ai dit dans ma plainte, ce que je dirai ici illustre d’un seul exemple ce qui est la pratique courante dans cette guerre atroce et sanglante»

Trois ans après son arrestation, Alleg est inculpé d’« atteinte à la sûreté extérieure de l’État » et condamné à 10 ans de prison. Transféré en France, il est incarcéré à la prison de Rennes. Profitant d’un séjour dans un hôpital, il s’évade et se réfugie en Tchécoslovaquie. Il revient en France après les accords de paix et l’amnistie qui les accompagne (les « accords d’Évian »), puis en Algérie qu’il quitte après le coup d’État de Boumédiène en 1965.

Henri Alleg

Henri Alleg

De retour en France, il devient membre du Pôle de renaissance communiste en France. Déclarant en 1998 regretter « la dérive social-démocrate du PCF, qui abandonne son authenticité communiste », il s’engagera dans le Comité Honecker de solidarité internationaliste, qui soutient l’ancien dirigeant de la RDA poursuivi par la justice allemande, et il participera à la campagne pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, présidant des réunions publiques en 2005 et 2006.

Henri Alleg est décédé ce 17 juillet 2013. La Question reste une référence et un grand classique sur l’usage de la torture par la contre-insurrection. En 1977, le témoignage a été adapté en film par Laurent Heynemann, avec Jacques Denis dans le rôle d’Henri Alleg, Nicole Garcia dans celui de sa femme. Le film ne reprend pas à l’écran les plus éprouvantes descriptions du livre, mais était néanmoins interdit aux moins de 18 ans.