« Je suis ici pour accuser, non pour me défendre ! »
Karl Liebknecht à son procès (Berlin, 1916)

Lors d’un procès, une « défense de rupture » (appelée aussi « stratégie de rupture ») implique que l’accusé se fait accusateur, considère que le tribunal n’a pas la légitimité, prend l’opinion à témoin ou s’adresse à la société par dessus la tête du tribunal. La « défense de rupture » s’oppose à la « défense de connivence », qui est classiquement plaidée, et qui suppose une reconnaissance de la justesse et de la validité des lois, de la légitimité des tribunaux.

La défense de rutpure est aussi ancienne que le procès politique. C’était déjà la position adoptée par Socrate. Lors du débat sur la peine, les juges devaient, non pas déterminer leur propre sentence, mais choisir parmi les propositions des deux parties du procès. L’accusateur Mélétos demanda la mort. Socrate aurait pu proposer une peine qui pût être acceptée par les juges, par exemple une forte amende. Mais il déclara qu’avec ce qu’il avait fait pour la Cité, il méritait d’être hébergé et nourri à ses frais pour le reste de ses jours …

La mort de Socrate, par David

La mort de Socrate, par David

Le procès de rupture le plus célèbre fut celui de l’incendie du Reichstag, siège du parlement allemand à Berlin, qui brûla la nuit du 27 au 28 février 1933. Immédiatement exploité par les nazis, il est suivi par la proclamation d’état d’exception et des dizaines de milliers d’arrestations (principalement de communistes allemands), le nazi Hermann Göring (alors ministre de la justice de la Prusse), le présentant que le signal du début de l’insurrection communiste.
Le principal accusé Dimitrov, un des dirigeants de l’insurrection communiste bulgare de 1923 et condamné à mort par contumace, quitte la Bulgarie pour l’Union soviétique où il devient responsable de l’internationale Communiste. Le 9 mars 1933, il est arrêté en Allemagne alors qu’il voyageait clandestinement, sous le prétexte de complicité dans l’incendie du Reichstag. Devant la presse internationale, Dimitrov tient tête à Goebbels et à Göring à qui il fait perdre son calme en pleine audience, il accuse les nazis d’avoir eux-mêmes fait incendier le Reichstag, fait voler en éclat la thèse officielle et transforme le procès en tribune antinazie. Ce procès lui vaudra une renommée mondiale et dissuadera les nazis de faire d’autres grands procès publics contre des dirigeants communistes. Acquitté après une année d’incarcération, il est expulsé en URSS qui lui a conféré la citoyenneté soviétique.

Une première théorisation avait été faite par Marcel Willard, un avocat communiste, dans son livre La Défense accuse (Editions sociales, 1938, réédité en 1951). Lénine, rapporte-t-il, avait fixé cette ligne de conduite dès 1905, à tous les Bolcheviks traduits en justice : « Défendre sa cause et non sa personne, assurer soi-même sa défense politique, attaquer le régime accusateur, s’adresser aux masses par dessus la tête du juge… »

Dès son premier dossier que Jacques Vergès a géré en tant qu’avocat (celui de la société qui logeait les travailleurs imigreés), Vergès s’engage dans une « défense de rupture ». Vergès milite ensuite pour le FLN et défend leurs combattants. Il est notamment l’avocat de Djamila Bouhired, militante du FLN capturée par les paras français, torturée puis jugée pour attentat à la bombe durant la bataille d’Alger, notamment au Milk-Bar (cinq morts et 60 blessés). Cette défense lui vaut un an de suspension du barreau, en 1961.

Djamila Bouhired

Djamila Bouhired

Ce n’est qu’après l’avoir ainsi pratiquée que Jacques Vergès la théorisa, dans son fameux De la stratégie judiciaire (Éditions de Minuit, 1968, réédité en 1981) qui expose que « Le but de la défense n’est pas tant de faire acquitter l’accusé que de mettre en lumière ses idées ». Ce livre-culte inspira des générations d’avocats,
Selon lui (et en cela consiste son apport théorique par rapport à Marcel Willard), dans les situations de confrontations extrêmes, la stratégie de la rupture est en définitive la plus efficace pénalement. Alors que précédemment dans les procès politique, la défense de connivence sauvait les têtes et les procès de rupture gagnaient la cause. Vergès faisait remarquer que si ses clients, qui étaient devenu des symboles par leurs positions de rupture, par le fait qu’ils incarnaient leur cause, avaient été condamnés à mort (à commencer Djamila Bouhired), les autorités françaises n’avaient oser exécuter aucun d’entre eux (à la différence d’autres militants, défendus classiquement).

De la stratégie judiciaire

De la stratégie judiciaire

Le procès de rupture se distingue du procès de « présence offensive » ou d’autres tactiques de procès politiques. Le Secours Rouge International a publié en novembre 2010 une brochure sur ces différentes tactiques et stratégies intitulée : Le procès politique théorie et pratique, principes et tactiques.

Le procès politique : théorie et pratique, principes et tactiques

Le contenu de ce numéro