Le Secours Rouge Toulouse regroupe des militant·es de différents courants de la gauche révolutionnaire (anarchistes, communistes, etc.). Notre groupe participe également au Secours Rouge International qui réunit des organisations aux traditions et réalités diverses de Bruxelles, Genève, Zurich, Stuttgart, Hambourg, Turin, Milan et Rome. Comment travaillons-nous toustes ensemble ?

 

L’unité différenciée est une méthode centrale pour le projet de construction du Secours Rouge. Pour la résumer, on pourrait dire qu’il s’agit de faire valoir l’unité partout où cela est possible, sans abdiquer ses principes ni renoncer à ses spécificités.

Cela signifie donc admettre que le mouvement révolutionnaire est composé de plusieurs courants légitimes quoique différents. Cela signifie aussi travailler à leur meilleure compréhension mutuelle, à faire en sorte que les expériences des un·es nourrissent la réflexion des autres, et à travailler ensemble quand c’est possible pour obtenir un effet de démultiplication des forces.

Mais tout cela passe par une compréhension claire des différences qui traversent le mouvement révolutionnaire, et donc de bien distinguer trois grandes catégories de différences :

1. Les différences d’orientation politique

Autrement dit, les différents choix conscients en matière de théorie, d’idéologie et de stratégie politique. Il est clair qu’un·e communiste et un·e anarchiste abordent les problèmes sous un angle différent. Iels peuvent bien entendu arriver à une décision identique, mais cette conclusion gardera son originalité, car les modes d’analyses, les échelles de priorité, les références historiques, etc. sont différentes.

Par exemple, les anarchistes et communistes partagent un but commun : une société sans classe, sans exploitation et sans État. Mais les moyens pour y parvenir ne sont pas les mêmes (notamment l’étape du socialisme pour les communistes).

2. Les différences de culture politique

Les différences entre les courants s’amplifient par le fait que chaque courant politique n’a pas seulement sa propre histoire, mais aussi sa propre Histoire avec un grand H.

Un·e communiste et un·e anarchiste n’ont pas lu les mêmes livres sur la guerre d’Espagne – ou alors, il s’agit d’un point d’intersection entre deux bibliothèques qui sont pour l’essentiel bien différentes. Ici, les conseils entre camarades et aussi des mécanismes comme le biais de confirmation (c’est-à-dire un mécanisme cognitif qui consiste à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues ou ses hypothèses) jouent le rôle de l’algorithme sur les réseaux sociaux : ils enfonceront chacun dans sa sphère politique, dans sa doxa, dans son histoire et dans sa mythologie.

Orientations et cultures politiques se combinent pour donner de nombreuses identités politiques différentes, identités qui deviennent d’autant plus spécifiques qu’un point de leur définition est la distanciation d’avec les autres.

3. Les différences de culture nationale

Prenons l’exemple des procès politiques, il est d’usage en France de refuser le dialogue avec le/la juge et/ou le/la procureur·e. En Grèce, il est d’usage d’accepter le dialogue et l’enjeu est alors de faire valoir les idées de la révolution. Il n’y a pas dans l’absolu, politiquement, une manière « juste » ou « erronée » : les révolutionnaires ont à tenir compte de la manière dont leurs gestes seront perçus, et ainsi, il serait aussi erroné d’entamer le dialogue à Paris que de le refuser à Athènes.

Toutes ces différences se combinent à l’infini dans un écheveau ou, lorsque l’on n’y prend garde, on peut méconnaître la nature réelle des divergences.

 

A la complexité du jeu des différences entre les révolutionnaires s’ajoute la complexité des situations qui appellent au positionnement.

L’Europe est restée tellement longtemps en dehors de véritable expérience révolutionnaire que les problèmes y sont souvent plus appréhendés, par tous les courants (tous !), avec un purisme de principe à la fois arrogant et puéril. De là, des positions extrêmement tranchées, « définitives », qui provoquent des oppositions féroces entre révolutionnaires, des scissions dans les forces ou des luttes entre les forces.

Le Secours Rouge International n’est pas une organisation qui s’exprime à tout bout de champ, qui donne son opinion sur chaque événement. Si nous avons une opinion sur de nombreux sujets, nous ne prétendons pas donner LA ligne juste : nous le faisons seulement lorsque nous pensons qu’une chose importante n’a pas été exprimée. Nous remarquons, souvent, que ces interventions puisent leur nécessité et leur originalité dans l’application des principes de l’unité différenciée à des situations complexes qui jetaient une partie du mouvement révolutionnaire contre une autre.

Ainsi, ces deux exemples : les documents Pour la résistance palestinienne d’octobre 2023 et La guerre en Ukraine et l’unité des révolutionnaires de février 2022.

Dans chacun des cas abordés par ces documents, le mouvement révolutionnaire européen était face à des situations complexes et déstabilisantes.

– Dans le cas de l’Ukraine, la collaboration involontaire, mais effective, avec l’OTAN et l’État ukrainien (pour ceux qui choisissaient de soutenir l’Ukraine) ou la collaboration involontaire, mais effective, avec un régime dictatorial et agressif (pour ceux qui choisissaient de soutenir la Russie)

– Dans le cas de la Palestine, la collaboration involontaire, mais effective, avec le Hamas et le régime réactionnaire iranien.

Le propos du Secours Rouge International est alors double :

Primo : essayer de distinguer l’essentiel de l’accessoire, et de dénouer l’embrouillamini d’enjeux et d’intérêts divers pour discerner le fil rouge servant à faire progresser le processus de libération des peuples.

Secundo : lorsque les différences amenaient les révolutionnaires à faire des choix opposés (comme en Ukraine), comprendre que ces choix pouvaient être respectés, et qu’une divergence totale sur l’Ukraine ne devait pas amener à une cassure entre les forces révolutionnaires.

Il ne s’agit pas de relativisme ou d’éclectisme. L’unité différenciée, ce n’est pas embrassons-nous, Folleville. Dans l’absolu, il y a toujours une position plus correcte qu’une autre, et il est sain que chacun défende la sienne et même critique les lignes qui lui paraissent erronées. Mais il s’agit de ne pas disqualifier celui qui a une position autre.

Ainsi sur la guerre en Ukraine, tel courant dont la culture politique qui priorise la lutte contre l’état dictatorial va prioriser la lutte contre Poutine, tandis que tel autre courant qui priorise la lutte contre l’impérialisme va prioriser la lutte contre l’OTAN.

Et nous simplifions beaucoup, car interviennent aussi les différences mémorielles relatives à l’URSS, à l’antifascisme, etc. Mais, en tout état de cause, cela ne veut pas dire que les premiers aiment l’OTAN et les seconds Poutine.

L’unité différenciée part de l’idée que certaines de ces contradictions ne peuvent être résolues, mais qu’elles doivent être circonscrites au maximum. Un désaccord radical sur l’Ukraine ne doit pas empêcher deux forces de travailler ensemble sur la Palestine (ou vice-versa).

Naturellement, certains terrains de lutte se prêtent davantage que d’autres à l’unité. La lutte anti-répression est par exemple un de ces terrains où les divergences doivent le moins influer, où le principe d’unité est le plus facile à faire valoir.

Ainsi, l’unité que nous visons est celle du camp révolutionnaire. L’unité différenciée est un outil qui nous permet :

  • De mieux comprendre les contradictions qui traversent notre camp
  • D’approfondir sans cesse notre compréhension du monde
  • De développer des positions plus justes et plus fines sur des situations complexes

Secours Rouge Toulouse, août 2025