On situe la naissance de Pieter Breughel l’Ancien entre 1525 et 1530, il serait né dans un des deux villages ayant porté le nom de Brueghel (ou Brogel), l’un situé dans le Brabant hollandais, l’autre dans le Limbourg belge. En 1552, il fait un voyage en Italie, poussant jusqu’à Rome et Naples; entre 1555 et 1563, il est établi à Anvers. Il fréquente un cercle d’artistes et d’érudits humanistes mais aussi les milieux populaires ruraux de la Campine proche. Il s’invite aux noces paysannes en se faisant passer pour un parent, apportant des cadeaux et participant à la fête. Dans ses tableaux dominés par la vie populaire, le peintre montre des paysans tels qu’ils sont dans leurs activités et divertissements. Pour la première fois dans l’histoire de la peinture, la classe rurale est humanisée.

La danse de la mariée

La danse de la mariée

C’est en 1562, qu’il s’installe à Bruxelles dans le quartier des Marolles. En 1564 naît le premier de ses fils, Pieter Breughel le Jeune, dit Breughel d’Enfer. La situation politique et religieuse se dégrade. La naissance de Charles-Quint a mis sous la tutelle espagnole les riches 17 provinces formant alors les Pays-bas (soit les Pays-Bas actuels et la Belgique, moins la principauté de Liège, plus le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie). Le carcan de la monarchie espagnole, ultra-réactionnaire, féodale, était pesante pour des Pays-Bas qui avaient une des activités industrielles et marchandes les plus développées au monde. L’imbrication du trône, des grands féodaux et de l’église catholique fit que la bourgeoisie et les milieux populaires trouvèrent dans le protestantisme une expression idéologique adéquate à leur position antagonique. Les empiétements des Espagnols sur les vieilles libertés conquises du temps des Bourguignons provoquèrent des mécontentements, puis des troubles.

Autoportrait de Breughel

Autoportrait de Breughel

Si Charles-Quint, né à Gand, parlant flamand, connaissait et aimait les Pays-Bas, son fils Philippe II, n’y voyait que terre d’hérésie et de rébellion. Philippe II nomme le duc d’Albe vice-roi des Pays-Bas, l’investi d’un pouvoir absolu pour supprimer les libertés, faire tomber les têtes, remplacer les fonctionnaires locaux, annuler les droits des États. En 1567, année de la naissance du deuxième fils de Breughel, Jan Brueghel l’Ancien, dit Breughel de Velours, Albe son entrée dans Bruxelles à la tête de 17.000 soldats espagnols. Il établit et préside, sous le titre de Conseil des troubles, un tribunal tellement sévère qu’on ne le désigne plus que sous le nom de Conseil de sang.

L’année suivante Philippe II ordonne l’exécution des comtes d’Egmont et de Hornes. Ils avaient pris la tête de centaines de nobles qui, à Bruxelles, avaient signé une protestation contre les empiétements du pouvoir espagnol sur des chartes et libertés. Ils s’étaient décerné le titre de « gueux », par défi à l’égard du conseiller de la régente, qui les avait ainsi qualifiés avec mépris. Ils seront décapités sur la Grand-Place le 5 juin 1568. C’est le point de départ de la guerre de Quatre-Vingts Ans. Les soldats et mercenaires espagnols vivent sur le pays, multipliant les exactions tandis que, bataille après bataille, les armées dévastent villes et campagnes.

Breughel, né dans un pays prospère et pacifique, meurt en 1569 dans un pays dévasté par la guerre, pillé par les mercenaires espagnols, terrorisé par l’Inquisition. Et s’il semble s’être bien gardé de se positionner ouvertement contre l’autorité espagnole (en fait, le gouverneur de Bruxelles était son mécène et son protecteur), sa peinture fustige, pour qui sait la lire, l’oppression espagnole. C’était l’usage de peindre les scènes bibliques et antiques avec les costumes contemporains. Mais Breughel va plus loin : Le Dénombrement de Bethléem (1566) est une critique à peine voilée des contraintes administratives imposées par le pouvoir espagnol (on y voit même un Espagnol, représenté avec un grand chapeau, voler des légumes). Dans le Portement de croix (1565) Marie pleure au pied de la roue où l’on mettait à mort les condamnés en leur rompant les os et la Prédication de Saint Jean-Baptiste (1566) évoque les prêcheurs itinérants protestants, réunissant les paysans dans la forêt.

Le Dénombrement de Bethléem

Le Dénombrement de Bethléem

L’œuvre gravée de Breughel l’Ancien est importante. Il dessine des planches satiriques comme Les gros poissons mangent les petits. En 1557 sort la série des Sept Péchés capitaux suivie en 1558 des Sept Vertus – dont la Justice. La liste des sept péchés capitaux, influencée par Thomas d’Aquin, est assez connue : l’orgueil, l’avarice, l’envie, la colère, la luxure, la gourmandise et la paresse. Les péchés capitaux sont des péchés de « tête » (capita), ils ne sont pas plus graves que d’autres, mais susceptibles d’en entraîner d’autres. Pour équilibrer, il existe sept vertus catholiques (chasteté, tempérance, prodigalité, charité, modestie, courage et humilité) et aussi les vertus théologales (d’origine divine), que sont la foi, l’espérance et la charité, sont complétées par les vertus cardinales (d’origine humaine), que sont la justice, la prudence, la tempérance et la force d’âme.

Comme à son habitude, Breughel illustre péchés capitaux et vertus cardinales par des scènes de la vie réelle : la Foi est l’accomplissement des cérémonies de l’Église, l’Espérance soutient le naufragé et console le prisonnier, la Charité habille les nus et nourrit les affamés, etc. Mais lorsqu’il en vient à la justice, il change de registre et s’il représente au milieu de l’image l’allégorie habituelle de la justice : une femme aux yeux bandés (impartialité) tenant la balance du jugement et le glaive de la sanction, il la place au centre de tout l’appareil barbare de l’organisation judiciaire son temps : la torture par l’eau et le feu, l’estrapade, la roue, le gibet, le bûcher, la hart (corde d’étranglement) et le glaive. Sous prétexte d’illustrer une vertu, Breughel grave un terrible réquisitoire contre un appareil qui broie et martyrise les hommes.

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Quelques détails:
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