En 1938, Ho Chi Minh, futur président du Vietnam, est envoyé par l’Internationale Communiste en Chine en 1938 où il sert comme commissaire politique à la 8° armée communiste basée dans le Guanxi. En février 1941, après la défaite française face à l’Allemagne, il rejoint le Vietnam et fonde, en juin, la « Ligue pour l’Indépendance du Viêt Nam », le Viêt Minh qui combat à la fois les occupants japonais et les colonisateurs français.
Le 27 août 1942, lors d’un passage à Zurong (Tienpao, province chinoise du Guangxi), Hô Chi Minh est arrêté faute de papiers en règle. Il est emprisonné durant plus d’une année dans plus de 30 prisons de 13 districts du Guangxi, souffrant des mauvais traitements, des conditions de détention déplorables, et de maladies. Il est libéré en 1943.
Il en sort avec un petit calepin, avec une couverture bleue sur laquelle figurent 4 idéogrammes chinois signifiant Carnet de prison, agrémentés de 4 vers et d’un dessin montrant deux poignets enchaînés… Dedans, 133 poèmes en chinois composés entre le 29 août 1942 et le 10 septembre 1943, plus quelques notes : le témoignage de son emprisonnement.
La couverture du
Cette autobiographie en vers, Ho Chi Minh en est à la fois l’auteur et le principal protagoniste. En préface, il a écrit: «La poésie, ce n’est pas ma passion; mais que faire en prison? Je compose des vers pour passer les longues journées; en attendant le jour de la liberté».
Le Carnet de prison de Ho Chi Minh est un auto-portrait sincère, sensible et profonds. De poème en poème, Ho Chi Minh apparaît sous plusieurs facettes: le révolutionnaire, le prisonnier qui souffre, l’homme compatissant envers les plus vulnérables, le poète sensible à la nature :
Dans la prison, il n’y a ni alcool ni fleurs;
mais la beauté de la nuit ne peut laisser indifférent;
l’homme contemple la lune à la fenêtre;
la lune s’immisce à travers l’interstice pour admirer le poète
De l’humour aussi, caustique. Dans Gale ulcéreuse, il décrit ainsi l’épidémie dont souffre les prisonniers:
Nos corps sont pourpres comme s’ils étaient vêtus de brocart;
Nos mains grattent sans cesse comme sur une cithare;
Vêtus de brocart, tous les prisonniers sont des invités distingués;
Jouant de la cithare, tous sont des amis mélomanes.
En 1960, le Carnet de prison a été traduit en vietnamien. Aujourd’hui, il est accessible en plus de 25 langues. Une édition en français, partielle (72 poèmes et 3 illustrations), a été publiée en 1983 par les Éditions en langues étrangères à Hanoï.
Une édition disponible du
Je descends vers Yong Ming par la route des eaux
Les pieds pendus au toit, supplicié d’un autre âge
Sur les rives, partout, denses sont les villages
Et légers, les sampans des pêcheurs sur les flots
Jusqu’au fleuve jadis vous m’accompagniez
A bientôt, vous disais-je, à la moisson prochaine
De nouveau la charrue a passé sur la plaine
Et moi, loin du pays, je suis un prisonnier
Ho Chi Minh en 1932, au moment de son emprisonnement par les Anglais à Hong Kong)
Vaste est la région, mais ingrate la terre
L’homme aime le labeur comme l’économie.
Ce printemps, parait-il, n’a pas reçu de pluie ;
Deux, trois gerbes rentrées sur les dix qu’on espère.
La rose s’ouvre et la rose se fâne
Sans savoir ce que la rose fait.
Il suffit qu’un parfum de rose
S’égare dans une maison d’arrêt
Pour que hurlent au coeur de l’enfermé
Toutes les injustices du monde.
Sous le choc du pilon souffre le grain de riz
Mais l’épreuve passée, admirez sa blancheur
Pareils sont les humains dans le siècle où l’on vit
Pour être homme, il faut subir le pilon du malheur.
Une veille…
une veille…
une troisième veille…
Pas moyen de dormir…
Je me tourne, angoissé…
Quatre, cinquième veille…
Est-ce un rêve ?
Est-ce une veille ?
Cinq branches d’une étoile enroulent mes pensées.
Livres neufs, bouquins anciens, grossièrement assemblés…
Couverture de papier vaut mieux que sans couverture,
Dormeurs des beaux lits princiers, à l’abri de la froidure,
Beaucoup d’hommes en prison passent la nuit éveillés !
L’équilibre au départ rend l’issue incertaine ;
La victoire finit par pencher d’un côté.
Bien préparer tes coups, garde ton plan secret
Et tu mériteras d’être un grand capitaine.
Je suis un homme honnête et mon âme est tranquille.
On me soupçonne d’être un chinois ténébreux !
Le chemin de la vie est toujours dangereux,
Mais vivre sa vie est moins que jamais facile.
Dix heures. La Grande Ourse effleure les sommets.
C’est l’automne. Un grillon chante son allégresse.
Qu’importe au prisonnier l’automne et ses ivresses ?
Le seul chant de son coeur : Revoir sa liberté.