Dans le cadre de la poursuite du mouvement contre les lois dites sécurité globale et séparatismes, le Secours Rouge Toulouse a interviewé Mathieu Rigouste, chercheur en sciences sociales depuis les luttes. Il est notamment l’auteur de « La domination policière » en 2012 et plus récemment du livre et du documentaire « Un seul héros le peuple ».

 

Comment analyses-tu la dynamique dans laquelle s’inscrit la loi sur la sécurité globale ?

 

Je crois que cette loi s’inscrit dans un processus long de restructuration néo-libérale et sécuritaire du capitalisme. Les grandes puissances impérialistes ont engagé leurs économies et leurs systèmes politiques à la fois dans les guerres néocoloniales à l’extérieur et dans des grandes opérations de renforcement sécuritaire à l’intérieur. Les marchés de la guerre intérieure, le marché de la sécurité, du contrôle, de la surveillance, de la répression sont vraiment des dynamiques fondamentales en termes de restructuration du capital, en termes de sauvegarde du capitalisme. Cette loi permet aussi de durcir la répression des mouvements sociaux et d’empêcher préventivement la formation de mouvements révolutionnaires.

Dans la même période, deux lois ont été proposées : sur la sécurité globale et contre « les séparatismes ». Quel lien fais-tu entre les deux ?

 

En effet, la loi sécurité globale et la loi « séparatismes » vont ensemble. Elles ont été dissociées pour faire semblant, mais on le voit avec les interventions de différents cadres du gouvernement ; la question du séparatisme, comme ils disent, c’est-à-dire la question raciale et identitaire, est complètement articulée, conjuguée à la dynamique sécuritaire. Cela s’inscrit dans un processus long. Toute la dynamique de restructuration sécuritaire a avancé depuis les années 70 en s’articulant avec les politiques racistes d’État et à une montée en puissance de l’extrême droite, notamment à travers ce qu’était la nouvelle droite, c’est-à-dire à travers le mouvement identitaire. L’appropriation par l’État, la normalisation des idées et des agendas politiques issus de l’extrême droite favorisent un renforcement des systèmes de domination raciste, patriarcaux et autoritaires. Donc l’un des enjeux fondamentaux de cette conjugaison, c’est à la fois de diviser les classes populaires, même si elles le sont déjà bien divisées, notamment par les questions d’oppression raciale et de ségrégation. Il s’agit à la fois de diviser, mais aussi de déployer un système de sur-violence, de sur-contrôle, de bannissement et d’écrasement à l’égard des strates les plus pauvres du prolétariat qui sont les strates racisées, et de reproduire la ségrégation et le système de socio-apartheid autour duquel le capitalisme en France et l’ensemble de la société française sont organisés.

En juin dernier, il y a eu de grandes manifestations contre les crimes policiers et le racisme d’État. Dans les mobilisations de l’automne, les collectifs et acteurs de ces luttes ont pas été invisibilisé par les organisateurs. Comment tu l’expliques ?

 

Le package de lois sécurité globale / loi « séparatismes » est une réaction du bloc au pouvoir et du système de domination et d’exploitation aux alliances et aux solidarités, à la montée en puissance des luttes des quartiers, des immigrations et à leurs convergences avec les autres mouvements sociaux du printemps. Il faut également noter qu’une autre gauche, de gouvernement, navigue autour de ces mouvements sociaux et fait tout pour avoir accès au pouvoir. Quand elle sera au pouvoir, elle sera celle qui dirigera la police, les prisons, l’armée. D’une certaine manière, elle se prépare à ça, prépare une communication sur une police réformée, une police de gauche, une police du peuple. Bien entendu, elle va essayer de chercher des cadres du côté des quartiers et des immigrations à affilier pour tenir un discours de gauche de gouvernement, de gauche étatique. Et tout ce qui sort du cadre, c’est-à-dire les luttes autonomes des quartiers, des immigrations, sera forcément invisibilisé et l’est déjà. On l’a vu régulièrement, comme lorsque le rapport de force a obligé les organisations politiques à se positionner sur la question des armes intermédiaires comme le Flash-ball et les grenades de désencerclement. Ce qui a été proposé par la gauche de gouvernement, c’était de les interdire dans ce qu’ils appelaient les manifestations de centre-ville. Bien entendu, ne pas du tout toucher à leur usage systématique, historique et quotidien dans les quartiers populaires. Bien sur, cette gauche de gouvernement a complètement collaboré à toute cette histoire des politiques racistes et xénophobes du racisme d’État. Et on peut imaginer qu’elle a fait aussi ce travail d’invisibilisation dans le mouvement social et elle le continuera quand elle sera au pouvoir.

 

Tu as autre chose à ajouter ?

 

S’il faut ajouter quelque chose, j’ai l’impression que ça démontre, un peu comme les différentes séquences historiques des luttes des quartiers, des immigrations, que c’est fondamental de construire des solidarités, des alliances avec d’autres groupes dominés, exploités et opprimés. Mais que les convergences avec les organisations politiques qui ont des stratégies de prise du pouvoir par en haut sont vouées à être trahies par ces dernières parce qu’elles s’organisent aussi pour pouvoir gérer le système lorsqu’elles auront le pouvoir. Comme elles le font à chaque fois qu’elles l’obtiennent. Elles entrent forcément, à un moment où à un autre, en conflit avec les luttes qui s’inscrivent dans des stratégies d’émancipation collective. Je crois qu’il nous faut réussir à la fois à consolider l’autonomie des résistances populaires et à construire des solidarités de base, locales et internationales, pour protéger les vies des classes populaires, améliorer nos conditions de vie collective dès maintenant, renverser les rapports de force en chemin et remplacer cette société par une autre qui permette d’en finir avec toutes les formes de domination.