Abdülkadir Aygan, un ancien fonctionnaire civil anti-terroriste (engagé en septembre 1991 avec le matricule J27299 et réfugié en Suède) a témoigné sur les séances de torture et les exécutions sommaires de militants soupçonnés de soutenir la cause kurde, dont il fut le témoin. Des centaines de meurtres et d’enlèvements, non élucidés, auraient été commis dans le sud-est de la Turquie entre 1987 et 2001. Il y a près de 1.500 dossiers connus de disparus dans la région; 5.000 en comptant les meurtres inexpliqués.
En Turquie, les aveux d’Abdülkadir Aygan ont totalement relancé l’enquête sur ces disparitions et rendu espoir aux familles des victimes. Le corps de Murat Aslan, un jeune de 25 ans volatilisé en 1994, a ainsi été retrouvé dix ans après, brûlé et enterré au bord d’une route. ‘Nous l’avons enlevé dans un café après une dénonciation et amené au local du Jitem, se souvient M. Aygan. Un caporal expert en torture l’a accroché au plafond par les mains, avec des poids aux pieds. Il le battait. Il est resté trois ou quatre jours sans nourriture. Moi, j’évaluais ses informations.‘ Selon Abdülkadir Aygan, Murat Aslan a finalement été envoyé à Silopi, puis amené au bord du Tigre. ‘On lui a mis un bandeau sur les yeux et des menottes. Le sous-officier Yüksel Ugur a tiré et Cindi Saluci l’a arrosé d’essence et a mis le feu. C’est grâce à mon témoignage que son corps a pu être retrouvé par sa famille et identifié grâce à un test ADN.‘
Le repenti décrit également les ‘puits de la mort’, tels que les a baptisés la presse turque: des cuves de la compagnie pétrolière d’Etat Botas, dans lesquelles sept corps auraient été jetés en 1994 après avoir été dissous dans l’acide ou brûlés. Il précise aussi que trois syndicalistes, arrêtés la même année et remis par le procureur au chef du Jitem à Diyarbakir, le colonel Abdukerim Kirca, ont été exécutés par ce dernier d’une balle dans la tête près de Silvan.
Depuis le 9 mars, l’enquête sur les disparitions a pris une nouvelle dimension. Sur requête des avocats qui s’appuient sur les déclarations de M. Aygan, la justice a finalement ordonné des fouilles autour de Silopi, dernière ville avant la frontière irakienne, et dans la région de Diyarbakir. Les ‘puits de la mort’, situés à proximité de la principale caserne militaire de Silopi, et sur le site de l’entreprise Botas, ont été explorés. Ainsi que des charniers présumés dans plusieurs villages, où des dizaines de fragments d’os, un gant vert, des cordelettes nouées, des débris de vêtements, un crâne humain ont été découverts. ‘Ces crimes étaient connus de la population depuis des années. Chaque famille a une histoire de disparu‘, précise le bâtonnier Elçi. Rien qu’à Silopi, 15.000 habitants, au moins 300 personnes seraient portées disparues.
Les langues se délient depuis le lancement, en 2007, d’une enquête sur le réseau Ergenekon, une puissante nébuleuse militaro-fasciste incrustée dans l’appareil d’Etat turc et soupçonnée d’avoir fomenté putschs et assassinats. Depuis octobre 2008, 86 personnes – militaires, académiciens, journalistes, politiciens et mafieux – sont jugées devant un tribunal spécial, dans la banlieue d’Istanbul, pour un complot présumé contre le gouvernement. A partir de juillet, 56 autres suspects seront traduits devant la justice.