28/07/2005

Le Sel de la terre

Le Sel de la terre est un film américain de 1954 a été réalisé de manière totalement indépendante des studios (avec l’aide financière d’un syndicat) par des victimes de la répression maccartyste, le scénariste Michael Wilson et le réalisateur Herbert Biberman avaient fait de la prison (ce sont deux des « Dix de Hollywood » ) et avaient été mis sur la liste noire des studios, tout comme le producteur Paul Jarrico, le compositeur de la musique du film, Sol Kaplan, et le principal acteur, Will Geer).

La principale actrice du film, la grande actrice mexicaine Rosaura Revueltas, a été arrêtée durant le tournage, renvoyée au Mexique et placée sur la liste noire des studios américains pour sa participation au film. Le film, qui fut interdit de distribution, est aussi important pour la culture antirep parce qu’il traite avec force de la répression anti-ouvrière aux États-Unis par le moyen de la loi Taft-Hartley.

Les Dix de Hollywood

Début 1947, le Comité des activité anti-américaines du Congrès, la HUAC décida d’enquêter sur l’influence du communisme au sein de l’industrie du cinéma. Deux sénateurs commencèrent une série d’auditions à Los Angeles, qui ne déboucha sur rien de probant. Le FBI allait alors fournir à l’HUAC une liste de 19 communistes (ou anciens communistes) travaillant à Hollywood. Elle comprenait les scénaristes Alvah Bessie, Lester Cole, Richard Collins, Gordon Kahn, Howard Koch, Ring Lardner Jr, John Howard Lawson, Albert Maltz, Samuel Ornitz, Waldo Salt et Dalton Trumbo, les réalisateurs Edward Dmytryk, Lewis Milestone et Irving Pichel, les scénaristes et réalisateurs Herbert Biberman et Robert Rossen, le scénariste et producteur Robert Adrian Scott, le dramaturge Bertolt Brecht et un acteur, Larry Parks.

Le 20 octobre 1947, La HUAC commença une nouvelle série d’auditions à Washington. Les 19 d’Hollywood (à l’exception de Brecht, qui avait déjà décidé de quitter les États-Unis) décidèrent d’invoquer le 1er Amendement de la Constitution. Un comité de soutien se forma comprenant notamment John Huston, William Wyler, Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Groucho Marx et Frank Sinatra. Seuls onze des 19 furent finalement entendus par la commission ; ceux qui sont aujourd’hui connus comme les Dix de Hollywood et Bertolt Brecht qui allait quitter les USA. Aucun des Dix n’accepta de répondre à la question de la commission : « Êtes-vous ou avez-vous été membre du Parti communiste américain ? », et le 24 novembre, le Congrès procéda à l’inculpation des Dix pour outrage. Le jour même, 58 hauts dirigeants des studios de Hollywood se réunirent à New York pour décider que les Dix seraient licenciés et que désormais, plus aucun communiste ne serait employé par les studios.

Les procès des Dix commença au mois d’avril 1948 et prirent fin en juin 1950. John Howard Lawson, Dalton Trumbo, Alvah Bessie, Lester Cole, Ring Lardner Jr, Albert Maltz, Samuel Ornitz et Adrian Scott furent condamnés à un an de prison et 1000 dollars d‘amende. Herbert Biberman et Edward Dmytryk furent condamnés à six mois de prison et 500 dollars d‘amende. Les Dix purgèrent leur peine dans des prisons fédérales. Dmytryk fut le seul à craquer : il comparait à nouveau devant la HUAC en avril 1951, donna des noms de personnalités adhérant au parti ou « à l’idéologie » communiste, et put à nouveau tourner. Certains des Dix parvinrent quelquefois à travailler pour des réalisateurs complices en utilisant des prête-noms (Otto Preminger, Stanley Kubrick firent ainsi travailler Dalton Trumbo).

Les Dix de Hollywood

Les Dix de Hollywood

La loi Taft-Hartley

A l’époque du film, les luttes ouvrières sont réprimées au moyen du Taft-Hartley Act. Le Taft-Hartley Act est une loi anti-syndicale américaine de 1947 qui rend illégale les débrayages spontanés (un préavis de 60 jours est imposé), interdit la grève aux fonctionnaires (fédéraux, d’états et des collectivités locales), supprime le système du closed shop (contrôle de l’embauche par les syndicats), permet au gouvernement fédéral d’interdire et d’arrêter une grève qui met en danger la « sécurité nationale », et oblige les dirigeants syndicaux de prêter serment de non-communisme (cette disposition sera déclarée anticonstitutionnelle en 1965).

Le film

Le Sel de la terre présente l’histoire authentique de mineurs mexicano-américains de l’État du Nouveau-Mexique, luttant pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Le conflit social est racontée par Esperanza Quintero (Rosaura Revueltas), trente-cinq ans, enceinte de son troisième enfant et mariée à Ramon, employé à la mine depuis dix-huit années. Les deux revendications principales des grévistes sont l’égalité des salaires avec les ouvriers américains et la sauvegarde de la sécurité par la suppression du travail en solitaire. Les épouses des mineurs souhaiteraient, quant à elle, inscrire une revendication supplémentaire : la fourniture d’eau chaude courante dans les maisons louées par la Compagnie. Lorsque les mineurs se voient interdire de poursuivre la grève en raison du Taft-Hartley Act, leurs épouses et leurs filles décident, non sans quelques difficultés (la plupart des mineurs y sont initialement opposés), de tenir les piquets de grève à leur place, ce qui ajoute une dimension féministe à la dimension sociale du film.
Le Sel de la terre n’est pas simplement un film de résistance bourré de qualités humaines, sociales et politiques, c’est aussi un grand film par ses qualité cinématographique.
En 2000, un film assez plat, One of the Hollywood ten (Hollywood, liste rouge), raconte la persécution de Biberman et le tournage du Sel de la terre.

Louis Auguste Blanqui naît dans les Alpes-Maritimes le 8 février 1805. Il monte à Paris à l’âge de treize ans pour étudié à l’école où enseignait son frère aîné. Il s’engagea très vite dans le républicanisme révolutionnaire opposé au pouvoir monarchique. A dix-sept ans, il milite contre le procès des quatre sergents de la Rochelle, condamnés à mort pour avoir adhéré à la société secrète révolutionnaire de la Charbonnerie. Blanqui est lui-même « carbonaro » depuis 1824. En 1827, il est blessé par trois fois lors des manifestations d’étudiants.

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En 1830, il est membre de l’association républicaine connue sous le nom de « Conspiration La Fayette », qui joue un grand rôle dans la préparation de la Révolution de 1830, à laquelle Blanqui participe activement. Après la révolution, il adhère à la « Société des amis du peuple ». En janvier 1831, alors qu’il est étudiant en droit, au nom du « Comité des Écoles », il rédige une proclamation menaçante et à la suite de manifestations, il est emprisonné pendant trois semaines. Il est de nouveau arrêté et inculpé de complot contre la sûreté de l’État. Après un nouveau séjour en prison, il reprend ses activités révolutionnaires à la « Société des familles », que continue en 1837 la « Société des saisons ». Il devait désormais passer une grande partie de sa vie -36 ans au total!- en prison, et on l’appela: L’Enfermé.

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Le 6 mars 1836, il est arrêté, fait huit mois de prison, puis est placé en liberté surveillée à Pontoise. Le 12 mai 1839, de retour à Paris, il participe avec Barbès à l’insurrection qui s’empare du Palais de justice, échoue à prendre la Préfecture de police, et occupe un instant l’Hôtel de ville. On comptera 50 tués et 190 blessés. Après l’échec de l’insurrection, il reste caché cinq mois, mais il est arrêté le 14 octobre. Le 14 janvier 1840, il est condamné à mort. Sa peine étant commuée en prison perpétuelle, il est enfermé au Mont-Saint-Michel. En 1844, son état de santé lui vaut d’être transféré à la prison-hôpital de Tours, où il reste jusqu’en avril 1847.

Une fois libéré, il s’associe à toutes les manifestations parisiennes de mars à mai pendant la Révolution de 1848. Le recours à la violence de la Société républicaine centrale, qu’il a fondée pour exiger un gouvernement populaire, le met en conflit avec la droite républicaine. Arrêté après le 26 mai 1848, il est enfermé à Vincennes et répond à une campagne de calomnie par un texte fameux : Réponse du citoyen Auguste Blanqui. La Haute Cour de justice de Bourges le condamne à dix ans de prison, et envoyé à Doullens. En octobre 1850, il est incarcéré à Belle-Île-en-Mer ; en décembre 1857, à Corte ; puis, en 1859, déporté à Mascara, en Algérie, jusqu’au 16 août 1859. Dès sa libération il reprend sa lutte contre l’Empire. Le 14 juin 1861, il est arrêté, condamné à quatre ans de prison, et enfermé à Sainte-Pélagie. Il s’évade en août 1865, et continue sa campagne de propagande contre le gouvernement depuis son exil en Belgique, jusqu’à ce que l’amnistie générale de 1869 lui permette de revenir en France.

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C’est au cours de ces années qu’un parti blanquiste naît et s’organise en sections. Blanqui rédige alors son Instruction pour une prise d’arme (1866) doctrine militaire révolutionnaire étudiant les conditions, tactiques et mesures nécessaires à une insurrection victorieuse. Les blanquistes initient deux insurrections: le 12 janvier, lors des funérailles de Victor Noir (journaliste tué par le prince Pierre Bonaparte, cousin de Napoléon III) et le 14 août, lorsqu’un groupe d’insurgés tente de s’emparer d’un dépôt d’armes.

Son action se poursuit jusqu’à la chute de Napoléon III et après la proclamation de la Troisième République, le 4 septembre 1870. Blanqui crée alors un club et un journal, La patrie en danger, qui soutient la résistance de Gambetta. Blanqui fait partie du groupe insurrectionnel qui occupe l’Hôtel de ville le 31 octobre 1870. Le 9 mars, il est condamné à mort par contumace. Thiers, chef du gouvernement, conscient de l’influence de Blanqui sur le peuple parisien, le fait arrêter le 17 mars 1871 alors que, malade, il se repose chez un ami médecin dans le Lot. Il emmené à Morlaix où il est emprisonné au château du Taureau. Lors de la Commune de Paris, Blanqui, emprisonné loin de la ville, est élu dans de nombreux quartiers. Conscient de l’importance, Thiers refuse de le libérer en échange de 74 prisonniers de la Commune, dont un archevêque.

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Une majorité de Communards se reconnaissaient en Blanqui. Blanqui incarne cette phase de transition où le prolétariat français s’affranchissait progressivement des tribuns et des théoriciens représentant la petite-bourgeoisie révolutionnaire républicaine – au mieux babouviste. Les ouvriers français étaient encore étroitement liés aux milieux des petits producteurs indépendants d’où ils étaient issus pour la plupart et qui, malgré l’essor de l’industrie, constituaient encore la majorité de la population laborieuse. Les théories marxistes, incarnant les intérêts de classe purement prolétariens, étaient alors marginales en France. Dans ce cadre et dans ces limites, Blanqui était hautement apprécié par Marx considéré par lui « comme la tête et le cœur du parti prolétaire en France »; Marx pensait que Blanqui était le dirigeant qui a fait défaut à la Commune.

Blanqui est un vrai socialiste, favorable à la collectivisation des moyens de production, comme l’indique son texte Qui fait la soupe doit la boire (Sa principale publication, Critique sociale, est posthume), mais il se soucie davantage de la révolution que du devenir de la société après elle. Il ne décrit pas la société socialiste à venir et diffère en cela des socialistes utopiques comme Proudhon ou Fourrier. S’il reconnait dans les ouvriers parisiens la principale force capable d’établir la République égalitaire, Blanqui diffère des marxistes en ne se repose pas sur un parti de classe mais sur une organisation clandestine révolutionnaires, déclenchant l’insurrection lorsque les conditions sont réunies (préparatifs militaires de la société secrète et dispositions subjectives du peuple à l’insurrection). Blanqui n’est donc pas non plus un anarchiste: son organisation de révolutionnaires déclenche et dirige la révolution, établit le nouveau régime qui remet ensuite seulement le pouvoir au peuple.

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Ramené à Paris après l’écrasement de la Commune, Blanqui est jugé le 15 février 1872, et condamné avec d’autres Communards, à la déportation, peine commuée en détention perpétuelle, eu égard à son état de santé. Il est interné à Clairvaux. En 1877, il est transféré au château d’If. Le 20 avril 1879, il est élu député de Bordeaux, mais son élection est invalidée. Bénéficiant d’une amnistie générale, Blanqui est libéré le 11. Il parcourt alors la France et fonde en 1880 un journal, Ni Dieu ni maître, qu’il dirige jusqu’à sa mort. Après avoir prononcé un discours au cours d’un meeting révolutionnaire, il meurt d’une crise d’apoplexie le 1er janvier 1881. Ses obsèques au cimetière du Père-Lachaise sont suivies par 100.000 personnes.

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Deux textes de Blanqui:

Qui fait la soupe doit la manger (1834)
Qui fait la soupe doit la manger (1834)

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28/07/2005

Z

Le film Z est un chef d’oeuvre de Costa-Gavras, un classique du cinéma politique et du cinéma en général. Le film, qui a été tourné en 1969 est un réquisitoire contre la dictature des colonels instaurée le 21 avril 1967 en Grèce. Ζ (zêta) est l’initiale du mot grec ζει/zi, qui signifie « il vit » ou « il est vivant ». Les opposants inscrivaient cette lettre sur les murs pour protester contre l’assassinat de Lambrakis. Le film adapte en effet le roman éponyme de Vassilis Vassilikos fondé sur un fait réel : l’assassinat du député grec Grigoris Lambrakis en 1963.

La Grèce des années ’50 est dans la continuité de l’écrasement de la Résistance (dont la force principale est le Parti Communiste) par la coalition des monarchistes, des anciens collaborateurs des nazis, et du corps expéditionnaire britannique : interdiction du Parti communiste, camps de concentration pour condamnés et « suspects » politiques, etc.

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Le Parti de la Gauche démocratique Unie (Eniaia Dimokratiki Aristera, EDA) créée en 1951, qui est au départ une émanation du PC interdit et clandestin, devient progressivement autonome par l’adhésion de nombreux non-communistes. En 1958, l’EDA atteint 25 % des suffrages, mais retombe à 14 % en 1961. Grigóris Lambrákis, un médecin qui avait participé à la Résistance et qui avait été un athlète célèbre, est élu député de l’EDA en 1961, dans la circonscription du Pirée.

Son mandat est marqué notamment par la marche de Marathon à Athènes le 21 avril 1963, au départ prévue comme manifestation en faveur de la paix ; mais le gouvernement l’ayant interdite (la campagne pour la paix, pour le désarmement atomique, était jugée pro-soviétique), la police intervient pour l’empêcher, arrêtant entre autres le jeune compositeur grec Mikis Théodorakis. Lambrakis, protégé par son immunité parlementaire, l’effectue seul.

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Le mercredi 22 mai 1963, à la sortie d’un meeting du mouvement pour la paix tenu à Thessalonique, Lambrákis est renversé par un triporteur sur lequel se trouvent deux hommes. Gravement touché à la tête, Lambrakis est hospitalisé dans le coma et meurt au bout de cinq jours, le lundi 27. Les funérailles ont lieu le 28. Le trajet de l’église au cimetière s’étend sur 6 km, le long desquels se presse une foule immense dans ce qui est une manifestation anti-gouvernementale de grande ampleur. Les participants ont proclamé Lambrakis « Immortel » en criant : Athanatos. Peu après, apparaîtront sur les murs les « Z », « Il est vivant ». L’instruction du juge Sartzetakis, établit la responsabilité du chef de la gendarmerie de Thessalonique et du commandant de la gendarmerie de la Grèce du Nord, provoquant un scandale politique. Les hommes de mains étaient des collaborateurs des nazis, amnistiés et remobilisés pendant la guerre civile, ils seront à nouveau amnistiés suite au coup d’état des colonels en 1967.

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Au tout début du film on peut lire : « Toute ressemblance avec des événements réels, des personnes mortes ou vivantes n’est pas le fait du hasard. Elle est VOLONTAIRE ». Même si le nom du pays n’est pas expressément mentionné, des références évidentes à la Grèce apparaissent dans le film, par exemple les panneaux publicitaires pour la compagnie aérienne Olympic ou la bière Fix.

Un député opposant au régime en place (Yves Montand) est gênant. Des hommes de mains déterminés perturbent sa réunion politique, puis l’agressent à la fin de celle-ci, dans l’indifférence des responsables de la police. Le coup porté est fatal. Un simple juge d’instruction intègre et motivé (Jean-Louis Trintignant) conduit une enquête minutieuse qui établit un vaste réseau de complicités ; il le démantèle en inculpant pour assassinat des cadres importants du régime. L’espace d’un moment plane un semblant de justice, mais se profile alors le coup d’état des colonels (1967).

Costa-Gavras avait proposé le livre de Vassilis Vassilikos à United Artists et obtenu une avance, mais United Artists se retire à la lecture du scénario, qu’elle juge trop politique. Pour le financement, il s’adresse à Eric Schlumberger et à Jacques Perrin qui utilisent leurs contacts en Algérie. En pleine dictature des colonels, il était impossible de tourner le film en Grèce. C’est donc en Algérie, durant l’été 1968, que Costa-Gavras tourna Z, car la ville d’Alger, par son architecture, ressemble beaucoup à Athènes. Par amitié et solidarité, Jean-Louis Trintignant accepte un cachet faible, Yves Montand accepte de jouer en participation, et Mikis Theodorakis, alors emprisonné par le régime des colonels, à qui Costa-Gavras demande d’écrire la musique du film, lui fait passer ce mot : « Prends ce que tu veux dans mon œuvre. » La distribution est remarquable, qui compte aussi Irène Papas, Charles Denner, Jacques Perrin, Julien Guiomar et quelques autres.

Le film rencontre en France un énorme succès. La critique unanime le salue comme le premier grand film politique français. Le film a été récompensé par le Grand Prix de l’Académie du Cinéma, par le Prix du Jury pour Costa-Gavras (à l’unanimité) et le prix d’interprétation masculine (pour Jean-Louis Trintignant) au Festival de Cannes, par l’Anthony Asquith Award de la meilleure musique de film pour Mikis Theodorakis, par le Golden Globe du meilleur film étranger et d’autres prix encore. C’est le premier volet de la trilogie politique de Costa-Gavras, avant L’Aveu (1970) et État de siège (1973).

De vastes soulèvements anti-britanniques avaient été écrasés en Irlande au 18e siècle, et l’Irlande avait ensuite été dépeuplée par la famine (un million de mort) et par une émigration massive. En 1905, l’organisation Sinn Féin, indépendantiste, est fondé, tandis que James Connolly jette les bases théoriques et organisationnelles du mouvement socialiste de libération de l’Irlande.

Durant la guerre mondiale, en 1916, les Volontaires de l’Irish Republican Brotherhood (du Sinn Féin) et de l’Irish Citizen Army (de James Connolly) déclenchent l’insurrection de Pâques. Le soulèvement fut limité à Dublin, fit 400 morts et fut écrasé en moins d’une semaine. La férocité de la répression (exécution des meneurs de l’insurrection, des milliers d’arrestations) apporte au Sinn Féin une popularité accrue.

La bibliothèque de Dublin au moment de l'insurrection de Pâques

La bibliothèque de Dublin au moment de l’insurrection de Pâques


La même après la répression du soulèvement

La même après la répression du soulèvement

En janvier 1918, des Volontaires décidèrent de libérer deux prisonniers, James Duffy de Meenbanad et James Ward de Cloughlass. Ces derniers avaient déserté l’armée britannique mais été arrêté par la gendarmerie à Kincasslagh et ils enfermés dans la caserne locale. Le 4 janvier, quatre membres de la Royal Irish Constabulary (Gendarmerie royale irlandaise), un sergent et trois agents, étaient venu de Derry pour emmener les prisonniers dans le train de l’après-midi.

La gare de Meenbanad était noire d’une foule qui revenait de la foire de Dungloe. Soudainement, quatre volontaires montent à bord et se ruent sur les gendarmes, les boxent, arrachent au sergent son fusil et sa baïonnette et libèrent les prisonniers. Volontaires et prisonniers ont traversés la foule, et se sont engouffrés dans une voiture qui les attendait. Duffy, qui avait prit part à l’insurrection de Pâques en 1916, rejoignit l’armée de libération tandis que Ward émigra en Amérique où il fut tué dans un accident de circulation.

Volontaires de l'armée de libération irlandaise

Volontaires de l’armée de libération irlandaise

L’embuscade de la gare de Meenbanad est célébrée comme l’action inaugurale du soulèvement qui allait durer trois ans et déboucher sur les accords de Londres en 1921 qui consacrait la partition de l’Irlande en accordant l’indépendance aux comtés du Sud en laissant les six comtés du Nord sous la domination de la Grande-Bretagne.

La gare de Meenbanad aujourd'hui, désaffectée, elle est devenue un lieu de mémoire

La gare de Meenbanad aujourd’hui, désaffectée, elle est devenue un lieu de mémoire


A la gare de Meenbanad en 1968, trois des anciens participants de l'embuscade (de droite à gauche) Dim Bonner, Fergus Ward and Neil Boyle

A la gare de Meenbanad en 1968, trois des anciens participants de l’embuscade (de droite à gauche) Dim Bonner, Fergus Ward and Neil Boyle

Des commissariats-forteresses ne présentant que du béton et des volets d’acier à l’extérieur, des bases hérissées de caméras, de périscope, de senseurs, de grilles anti-roquettes, ravitailiables par hélicoptères, d’immenses miradors bétonnés surveillant les villes et les campagnes, les forces britanniques en Irlande ont dû, sous la menace des actions de l’IRA, développer les plus formidables dispositifs défensifs contre-insurrectionnels.

 Golf Five Zero watchtower Crossmaglen, South Armagh

Golf Five Zero watchtower Crossmaglen, South Armagh

L’attaque des bases des forces de sécurité a toujours été un objectif du mouvement républicain: police, armée britannique, et surtout l’exécrée Royal Ulster Constabulary (RUC), la police militarisée anti-guérilla levée en Irlande parmi les loyalistes. Jets de cocktails molotov par les manifestants et, surtout, attaques armées de l’IRA, ont commandé des progrès dans la fortification des bases et des commissariats.

British Army Security force base. Bishops Gate, Derry City Walls, Londonderry

British Army Security force base. Bishops Gate, Derry City Walls, Londonderry

Pour donner une idée du niveau militaire de l’affrontement, l’IRA a conçu et produit au début des années 80 un lance-roquette pouvant tirer d’un lieu clos (pièce d’habitation, voiture…): c’était la première armée au monde à disposer d’un tel engin, aujourd’hui universellement répandu: les lances-roquettes de l’OTAN ou de l’URSS dégageaient à l’époque un tel jet de gaz brûlant vers l’arrière que l’utilisateur aurait été gravement blessé en l’actionnant dos à un mur. L’IRA a aussi mis en oeuvre des batteries de mortiers artisanaux, qui ont amené les britannique à installer des grillages devant faire exploser les projectiles avant l’impact sur les murs.

Newtownhamilton Barracks. Newtownhamilton, South Armagh

Newtownhamilton Barracks. Newtownhamilton, South Armagh

Bases et commissariats se sont trouvé toujours plus coupés des populations: leurs occupants n’en sortant que sous forme de patrouilles fortement armées et sur le qui-vive, exposées aux IED et aux tirs de sniper. La plupart de ces fortifications ont été démantelées suite aux accords de paix. Le gouvernement britannique a entrepris de les démolir, effaçant ainsi les preuves évidentes du caractère de forces d’occupation qu’avaient ses troupes en Irlande du Nord. Ces photos ont été prises par Jonathan Olley de 1997 (elles ont été publiées par le Laboratoire d’Urbanisme insurrectionnel).

Magilligan Ranges, Magilligan Point, County Londonderry

Magilligan Ranges, Magilligan Point, County Londonderry


Forkhill Security force base Forkhill, South Armagh

Forkhill Security force base Forkhill, South Armagh


Mountpottinger Road RUC station, Belfast,Co.Down

Mountpottinger Road RUC station, Belfast,Co.Down

Assunta Modotti est née le 17 août 1896 à Udine, en Italie, au sein d’une famille pauvre. Son père, Giuseppe, fut un ouvrier mécanicien, militant d’un groupe socialiste interdit. Tina abandonna très tôt ses études afin de gagner sa vie comme ouvrière avec sa mère dans une manufacture de soie. Son père émigre aux USA et elle est initiée à la photographie par son oncle qui possédait un studio de photographie à Udine. En 1913, elle rejoint son père et sa sœur aux États-Unis et s’installe à San Francisco. Elle y rencontre Roubaix de l’Abrie Richey, peintre et poète, avec qui elle découvre le milieu bohème de San Francisco. Tina fait du théâtre, devient starlette de cinéma et rencontre le grand photographe Edward Weston avec qui elle se lie. Avec lui elle sera modèle mais aussi et de plus en plus photographe.

Tina Modotti

Tina Modotti

Elle fait un court séjour au Mexique en 1922, et, profondément marquée par ce séjour y entraine Weston l’année suivante. Ils ouvrent un studio de photographies à Mexico et reçoivent les muralistes qui ne vont pas tarder à former un syndicat des artistes proche de l’Internationale communiste. Tina pose à l’occasion pour Diégo Rivera qui la représentera souvent sur ses fresques murales. Profondément choquée par l’extrême pauvreté du peuple mexicain, Tina fréquente assidument les milieux révolutionnaire et devient l’amie de Frida Kahlo.

Frida Khalo (photo de Tina Modotti)

Frida Khalo (photo de Tina Modotti)


Photo de Tina Modotti

Photo de Tina Modotti


Photo de Tina Modotti

Photo de Tina Modotti

Elle photographie et expose avec Edward Weston (qui retourne à Los Angeles), puis seule. C’est l’époque des magnifiques portraits réalisés avec un Graflex au cœur des rues des villes, le long des chemins campagnards, dans les rencontres des conditions misérables de tout un peuple. Son oeuvre prend un caractère de plus en plus politique. Elle collabore à la fondation de la section mexicaine du Secours rouge et participe dans ce cadre à la défense de Sacco et Vanzetti et adhère en 1927 au jeune Parti Communiste Mexicain. Elle publie parallèlement dans diverses revues internationales telles l’Arbeiter Illustrierte Zeitung et New Masses. Elle vit un grande histoire d’amour avec un révolutionnaire cubain, Julio Antonio Mella qui est assassiné à ses côté à Mexico, probablement par des tueurs à la solde du dictateur cubain Gerardo Machado.

Réunion du Secours rouge à Mexico (photo de Tina Modotti)

Réunion du Secours rouge à Mexico (photo de Tina Modotti)


Photo de Tina Modotti

Photo de Tina Modotti


Photo de Tina Modotti

Photo de Tina Modotti

Tina est jetée en prison pour tentative d’attentat contre Ortiz Rubio, le Président de la République nouvellement élu. Après 13 jours d’une grève de la faim, Tina est libérée mais une expulsion du Mexique sous 48 heures est ordonnée. Placée sur un bateau à destination de la Hollande, les services secrets italiens (l’OVRA) l’attendent mais avec l’aide Secours Rouge International hollandais, elle peut se réfugier à Berlin où elle réalise ses dernières photos. Elle part pour Moscou et travaille à plein temps pour le Secours rouge international. Elle parle 6 langues et est précieuse comme traductrice et lectrice de la presse étrangère. Elle accueille des délégations étrangères. Elle écrit des articles. Elle entreprend des voyages clandestins dans toute l’Europe, afin d’agir probablement en faveur des prisonniers politiques. Elle travaille en 1934 au bureau européen du Secours rouge à Paris, se lie avec Aragon et Elsa Triolet, avec Clara et André Malraux, Walter benjamin. Elle est en 1935 en Asturies où s’est déroulée une répression de l’éphémère république socialiste asturienne (voir cet épisode de notre feuilleton). En 1936 elle quitte l’URSS pour l’Espagne et travaille pour le Secours rouge espagnol. Elle est rédactrice en chef de l’Ayuda Semanario de Solidaridad del Socorro Rojo Internacional, participe aux services médicaux du Secours rouge mais également aux activités des services secrets de l’Internationale communiste. A la défaite de la République, elle passe en France avec un faux passeport puis retourne aux Mexique où elle décède d’une crise cardiaque le 5 janvier 1942

Après la défaite du Corps expéditionnaire français en Indochine, les militaires français, à l’instar du colonel Lacheroy élaborent une nouvelle théorie, celle de la « guerre révolutionnaire » ou « guerre subversive »: l’ennemi est au coeur de la population civile, il faut l’identifier et l’éliminer. Cette théorie séduit l’état-major français pendant la guerre d’Algérie et il la met en application pendant la « bataille d’Alger ».

Le 8 janvier 1957, la loi martiale est proclamée à Alger, le général Massu a les pleins pouvoirs. Ses 10.000 parachutistes patrouillent en ville, fouillent à l’entrée des lieux publics. Les quartiers musulmans sont entourés de barbelés; ceux qui y entrent ou en sortent sont fouillés. Le colonel Trinquier fait ficher systématiquement tous les habitants de chaque immeuble, et désigner un responsable de cet îlot. Le responsable doit avertir de tout mouvement, départ ou arrivée. Les arrivants sont systématiquement interrogés pour chercher à détecter des clandestins. Le couvre-feu permet d’arrêter les suspects à domicile, en dehors de toute légalité. Interrogées dans des centres de torture, ces prisonniers « extra-judiciaires » sont ensuite soit exécutés, soit « retournés », soit, dans de rares cas, remis à l’autorité judiciaire puis relâchés pour absence de preuves Les exécutions sont dissimulées d’abord des prétendues tentatives d’évasion, afin de leur donner un aspect légal, puis pratiquées de manière clandestine, les détenus étant jetés à la mer par hélicoptère. Le général Aussaresses, dont l’unité est appelée « l’escadron de la mort » arrête 24.000 personnes en six mois. La torture est massivement utilisée. 3.000 ont disparu

Les méthodes utilisées en Algérie deviennent un modèle de lutte contre les mouvements révolutionnaires. ès la fin des années 1950, les méthodes de la « Bataille d’Alger » sont enseignées à l’École supérieure de guerre de Paris, puis en Argentine, où s’installe une « mission militaire permanente française » constituée d’anciens d’Algérie. Elles sont exportées dès la fin des années 1960 en Argentine, au Brésil, au Centre d’instruction de la guerre dans la jungle de Manaus (où se formaient à la contre-insurrection des officiers brésiliens, mais aussi chiliens, argentins et vénézuéliens) et sur tout le continent américain. Des officiers français participent à la formation, au sein de l’école des Amériques de Panama, de 60.000 officiers des diverses dictatures sud-américaines.

De plus, le général Aussares , ainsi que d’autres gradés, sont accueillis aux États-Unis dès 1961 dans les écoles militaires qui forment les forces spéciales. On retrouve même certains de ces instructeurs à Fort Bragg. Ils auront un rôle majeur dans la conception de l’opération Phoenix lors de la guerre du Vietnam. Ce programme visait à démanteler l’organisation politique civile clandestine de la résistance. Des unités spéciales de 10 ou 20 hommes, commandées par des instructeurs américains, menaient des opérations de renseignements, de capture, de torture et d’assassinat des cadres politiques, des propagandistes et des collecteurs d’impôts. Le nombre de victimes de l’opération Phoenix serait selon les sources, de 20.000 à 40.000 personnes. Lorsqu’en Argentine, en mars 1976, la répression s’abat sur le pays après le coup d’État du général Videla, la plupart des généraux ont été élèves des officiers français. Ces derniers étaient même présents lors du coup d’État comme Servant. Au total, 30.000 personnes jugées « subversives » seront arrêtées, torturées et assassinées entre 1976 et 1982.

La Gauche prolétarienne (GP) est née de la convergence des militants libertaires du « Mouvement du 22-Mars » et de militants issus de l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes. « Spontanéiste », elle appelle à dépasser les organisations ouvrières existantes pour construire un authentique parti communiste à partir des luttes des peuples. Les militants de la GP interviennent dans de nombreux mouvements sociaux en France (grèves ouvrières, occupation de maison pour les mal-logés, lutte des immigrés, etc.). La GP édite un journal, La Cause du peuple, et joue un rôle central dans la refondation du Secours Rouge en France.

La GP montre une grande combattivité, n’hésitant pas à affronter les fascistes, la police ou les vigiles. Cependant, la direction de la GP veille à ce que la violence ne dépasse jamais un niveau « symbolique »: même sa « branche armée », la Nouvelle Résistance Populaire (NRP), ne vise pas la construction d’un rapport de force, mais plutôt à diffuser une violence révolutionnaire diffuse dans l’ensemble des luttes

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Le 17 juin 1969, 200 militants prennent d’assaut l’usine Renault de Flins, ce qui termine en bagarre générale avec les contremaitres, les vigiles et avec les militants PCF/CGT qui veulent expulser de l’usine ces « provocateurs ». Officiellement interdite en mai 1970, la GP continue de se développer et dispose de « Comité de lutte » à l’intérieur des usines Renault (au Mans, à Billancourt et à Flins) Citroën (à Choisy), Peugeot (à Sochaux), Vitho (à Saint-Ouen), Girosteel (au Bourget), et autres. Les affrontements sont nombreux. Les ouvriers militants sont licenciés, les ouvriers sympathisants sont fouillés au corps tous les jours, à l’entrée de l’usine, pour qu’ils ne rentrent pas de tracts.

Lorsque le « Comité de lutte Renault » décide, le 25 février 1972, de distribuer des tracts qui appelaient à une manifestation au métro Charonne (pour commémorer le massacre de février 1962) à la sortie de l’usine de Billancourt, il sait que des échauffourées sont possibles.
Une dizaine de « maos » participent à cette distribution de tracts. Parmi eux, Pierre Overney, fils d’ouvriers agricoles, jeune ouvrier de chez Renault licencié peu avant pour à ses activités militantes dans le « Comité de lutte ».

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A l’arrivée du groupe devant les portes de l’usine, Jean-Antoine Tramoni, vigile de Renault (un ancien des parachutistes tortionnaires du général Massu lors de la guerre d’Algérie) s’approche des militants prêt au pugilat. Mais Tramoni a un pistolet à la main: à trois mètres de Pierre Overney, Tramoni, suivi d’autres vigiles, et qui n’est pas physiquement menacé, abat de sang-froid le jeune ouvrier d’une balle en plein cœur.

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Les manifestations qui suivent tournent à l’émeute et dans la nuit du mardi 1er au 2 mars 1972, des véhicules sont incendiés au dépôt de Renault de Caen. Le samedi 4 mars 1972, jour de ses obsèques, 200. 000 personnes défilent à travers Paris jusqu’au cimetière du Père-Lachaise, dans un cortège de sept kilomètres. D’autres manifestations ont lieu en province, par exemple à Nantes à laquelle participent un bon nombre des jeunes ouvriers de l’agglomération.

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Les funérailles de Pierre Overney

Les funérailles de Pierre Overney


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Le mot d’ordre est à la vengeance, mais la direction de la GP est déjà sur la voie de la trahison et de la liquidation. Ne pouvant pas ne pas réagir, elle fait enlever le 8 mars 1972, par son groupe de choc la NRP (Nouvelle Résistance populaire), Robert Nogrette, chef-adjoint chargé des relations sociales à Billancourt… et le libère unilatéralement deux jours plus tard. Un an plus tard, la Gauche Prolétarienne s’autodissout et ses dirigeants, en majorité des intellectuels de bonne famille, rejoignent le giron de la bourgeoisie et feront de belles carrières.

De nombreux militants refusent cette dissolution. Certains continuent à publier La Cause du peuple jusqu’en 1976, puis fondent le collectif « Offensive et autonomie » puis « Autonomie prolétaire » (c’est une caractéristique de l’autonomie française d’être issu de l’expérience mao spontex). D »autres rejoignent l’OCML Voie Prolétarienne, d’autres encore fondent deux organisations armée: les Brigades internationales et les Noyaux Armés Pour l’Autonomie Populaire (NAPAP). Le 23 mars 1977, Jean-Antoine Tramoni, l’assassin de Pierre Overney, est exécuté par les NAPAP. Certains membres de la mouvance des NAPAP participeront à la fondation d’Action Directe. Le 17 novembre 1986, le directeur de la Régie Renault Georges Besse est abattu par le « commando Pierre Overney » d’Action directe.

La guerre civile entre Rouges et Blancs déchira la Finlande dans la foulée de la Révolution russe. Le 28 janvier 1918, le Sénat bourgeois finlandais (institué sous le tsarisme) se regroupa à Vaasa, tandis que le Conseil des Commissaires du Peuple fondé par les révolutionnaires et présidé par Kullervo Manner, se basait à Helsinki. Les relations entre la Russie et la Finlande rouge furent formalisée le 1er mars par un accord qui vit la fondation de la République socialiste de Finlande, dont l’indépendance nationale était respectée. La Finlande était alors coupée en deux par une ligne de front ouest-est passant au nord de Pori, Tampere, Heinola et Lappeenranta et penchant en direction du sud-est vers l’isthme carélien et les rives du Ladoga à proximité de la frontière finno-russe.

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Du côté Blancs, les 40.000 miliciens (bourgeois, paysans riches, nobles, militaires professionnels et mercennaires) se transformèrent en une armée commandée par le général Mannerheim. Ils avaient en renfort un corps de volontaires suédois et surtout un corps expéditionnaire allemand de 12.500 hommes.

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Ils vainquirent les gardes rouges (30.000 hommes, essentiellement des ouvriers et des métayers) d’abord dans la région de Tampere, en mars-avril, et immédiatement les massacres commencèrent : sur 11000 gardes rouges fait prisonniers à Tampere, la moitié est fusillée , le reste va être dirigé vers les camps de concentration.

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Fin mai, l’armée blanche et ses renforts allemands avaient avaient conquis la Finlande. La guerre était finie mais la terreur blanche s’amplifiait. Après la reddition des armées rouges au tournant d’avril-mai, les Rouges furent regroupés dans des camps de concentrations, les premiers camps de concentration en Europe. Les plus grands de ces camps furent ceux de Hämeenlinna, Viipuri, Helsinki, Tampere, Riihimäki. Kotka et Lahti, le plus connu par la suite étant celui de Tammisaari.

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En mai 1918, à l’issue de la guerre, les Blancs gardèrent ainsi entre 80.000 et 90.000 prisonniers (6 % de la population adulte finlandaise). Au printemps 1919, 12.500 d’entre eux étaient morts du fait de leurs conditions de détention. 68.000 travailleurs furent condamnés par des tribunaux d’exception à un total de 300.000 années de travaux forcés.
La bourgeoisie finlandaise avait triomphé du bolchevisme et se vantait d’avoir détruit le mouvement ouvrier « pour 25 ans au moins ». En 18 mois, un Finlandais adultes sur 13 (un ouvrier sur 5) avait été tué d’une manière ou d’une autre par les gardes blancs, et seulement 3.400 pendant les combats.

Rédigé en 1965 au Mexique et publié deux ans plus tard, en Argentine, en rencontrant un succès immédiat et durable (vendus à trente millions d’exemplaires, traduits en 35 langues, il reste dans la liste des 100 meilleurs livres de tous les temps), Cent ans de solitude (Cien años de soledad) raconte la destinée de la famille Buendía sur sept générations et du village imaginaire de Macondo qu’elle habite. Les lecteurs du chef d’oeuvre de Gabriel García Márquez, se souviendront de l’épisode de la grève de la bananeraie, – en tout cas de sa répression et de l’effaçage de toute trace du massacre avec la noria de train allant jeter les cadavres à la mer. L’épisode est historique.

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A l’aube du XXe siècle, les gisements de pétrole, d’or, de platine et d’autres métaux précieux sont quasiment offerts à des entreprises américaines ou anglaises. On leur cède de vastes territoires pour l’exploitation de la banane, du cacao, du tabac et du caoutchouc, sur lesquels elles constituaient de véritables états dans l’état. C’est ainsi que l’United Fruit Company (les fameuses « Chiquita »…) s’installa dans la région caribéenne de Santa Marta.

Dans une plantation colombienne de l'United Fruit

Dans une plantation colombienne de l’United Fruit

Le développement d’un vaste prolétariat minier et agricole surexploité, et l’influence de la Révolution soviétique, vont engendrer les premières organisations politiques et syndicales dans les années 1920, comme l’USTM (Union Syndicale des Travailleurs du Magdalena) ou le Parti socialiste révolutionnaire, (devenu en 1930 le Parti communiste colombien). Mobilisations et grèves arrachent des premiers droits. Confronté au mécontentement social et à la « menace communiste », le gouvernement conservateur, l’oligarchie et la hiérarchie ecclésiastique (au sein de laquelle on trouve les plus grands propriétaires terriens), firent promulguer en octobre 1928 la Loi de défense sociale, qui loi définissait comme « subversive » l’action revendicatrice, politique et sociale des syndicats et des organisations populaires.

En 1927, tandis que les USA consomment approximativement 16 millions de régimes de bananes par an, 25.000 personnes travaillaient dans les plantations de United Fruit, avec des journées de douze heures minimum. Elles ne percevaient pas de salaire en argent : on leur donnait des bons qui ne pouvaient être utilisés que dans les boutiques de l’entreprise, en échange de produits importés depuis les Etats-Unis par les bateaux qui avaient transportés les bananes. Les travailleurs dormaient entassés dans des cabanes insalubres et n’avaient pas accès aux soins médicaux. Le syndicat présenta un cahier de doléances: augmentation salariale, amélioration des conditions de travail, reconnaissance des droits syndicaux, paiement du salaire en argent.

L'empire caribéeen de l'United Fruit

L’empire caribéeen de l’United Fruit

Les négociations, qui n’avançaient pas, furent suspendues lorsque la Loi de défense sociale fut approuvée. L’United Fruit refusa le cahier de doléances, le qualifiant de « subversif ». Les travailleurs se mirent en grève le 12 novembre 1928. L’United Fruit exigeant la présence de l’armée, le président Abadía Méndez déclara l’état de siège dans la zone, et chargea le général Carlos Cortés Vargas d’en finir avec la subversion.

Le 5 décembre, on convoqua les grévistes au village de Ciénaga sous prétexte d’y recevoir le gouverneur qui allait probablement participer aux négociations. A sa place vint le général Cortés Vargas qui ordonna la dissolution de toute réunion de plus de trois individus et menaça de tir,er sur la foule si nécessaire. Deux heures plus tard, alors que 1.500 grévistes, souvent accompagnés de leurs femmes et enfants, refusaient de vider les lieux, le général donna l’ordre aux soldats placés sur les toits et armés de mitrailleuses d’ouvrir le feu. Ceux qui ne moururent pas sur le coup furent achevés à la baïonnette ou enterrés vivants dans des fosses communes. On embarqua dans les trains de l’entreprise des centaines de cadavres qui furent jetés à la mer comme les bananes de mauvaise qualité.

Ouvriers massacrés de l'United Fruit

Ouvriers massacrés de l’United Fruit

Les survivants furent poursuivis. Par centaines, ils furent battus et emprisonnés, tandis que des tribunaux militaires jugeaient rapidement les leaders ouvriers. La tuerie dura plusieurs jours, jusqu’à ce que, malgré la censure de la presse, la nouvelle se répande à travers le pays et que des manifestations éclatent. Le général Cortés Vargas reconnut neuf morts. Le gouvernement, treize. En fait, le nombre dépassait 1.500 (deux ans plus tard, une commission d’enquête du Congrès découvrit des fosses communes), mais l’United Fruit et le gouvernement firent comme s’il ne s’était rien passé : le général Cortés Vargas signa pour les travailleurs un « accord professionnel » (qui prévoyait la réduction des salaires…) et fut promu directeur de la Police nationale. Il fut finalement destitué, non pas pour le massacre des bananeraies mais pour l’assassinat d’un jeune manifestant, le 8 juin 1929 à Bogota. Il s’agissait d’un étudiant issu de l’élite de Bogota, fils d’un ami du président Abadía Méndez.

Retour de chasse (à gauche le président Abadía Méndez, à droite le général Cortés Vargas), caricature de 1930).

Retour de chasse (à gauche le président Abadía Méndez, à droite le général Cortés Vargas), caricature de 1930).

L’United Fruit n’a jamais changé une formule qui gagne: elle perpétue de sa politique de corruption des « élites » (un de ses représentants disait qu’au Honduras, un député coûtait moins cher qu’une mule) et de massacre des forces syndicales et progressistes. Son pire fait d’arme est le putsch militaire au Guatemala en 1954. Un gouvernement élu proposait une réforme agraire nuisible aux intérêts de l’United fruit (qui possédait 70% des terres privées du pays et y employait 100.000 ouvriers) Suite à une enquête du Département de la Justice des USA Chiquita Brands (nouveau nom d’United Fruit) a versé en 2007 25 millions de dollars aux groupes paramilitaires responsables, selon l’ONU, de 80% des morts du conflit armé colombien.

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