Neom est un projet de construction démesuré en plein désert saoudien, dans le nord-ouest de l’Arabie saoudite, lancé en grande pompe en octobre 2017 par le prince héritier Mohammed ben Salmane. Le projet Neom brille par sa démesure : la ville pourrait inclure une énorme lune artificielle, des plages phosphorescentes, des taxis volants propulsés par des drones ou encore une attraction de type Jurassic Park avec des lézards animés. Cette ville, déjà choisie pour accueillir les Jeux d’hiver asiatiques 2029, est au coeur d’une gigantesque zone de développement économique, avec des investissements projetés à plus de 500 milliards de dollars, sur une surface grande comme la Belgique. Mais il ne fait pas bon de s’opposer aux projet du prince. Trois membres de la tribu Howeitat ont été condamnés à mort, début octobre, par des tribunaux d’exception saoudiens, pour avoir protesté contre l’expulsion de leur groupe de la province de Tabuk, là où doit être construite la future Neom. Les Howeitat sont présents depuis plusieurs siècles en Arabie saoudite, en Jordanie et dans la péninsule du Sinaï

Les trois condamnés à mort sont Ibrahim al-Howeiti a fait partie d’une délégation de résidents locaux qui a rencontré, en 2020, la commission officielle chargée d’obtenir du gouvernement les titres de propriété des terres nécessaires au projet Neom. Ataullah al-Howeiti avait, quant à lui, été vu dans plusieurs vidéos où il parle de la misère à laquelle sa famille et tous les autres résidents déplacés étaient confrontés après la décision des autorités de les expulser. Shadli al-Howeiti a lui aussi contesté l’expulsion de sa tribu. Il est par ailleurs le frère d’Abdou Rahim al-Howeiti, figure martyre des opposants à l’expulsion de leur territoire ancestral. Abdou Rahim al-Howeiti a été abattu par les forces de l’ordre le 13 avril 2020 pour avoir critiqué l’expulsion forcée de sa tribu et avoir refusé de quitter sa maison. Par ailleurs, deux Howeitat ont aussi été arrêtés et condamnés chacun à 50 ans de prison en août dernier pour s’être opposés, là encore, à une expulsion dans le cadre du projet Neom. Et les persécutions de la tribu semblent s’accentuer depuis des mois, : depuis décembre (2021), les membres de la tribu des Howeitat signalent l’escalade de la campagne des autorités saoudiennes pour les chasser de leurs terres. Parmi les nouvelles mesures figurent les coupures d’eau et d’électricité et le survol par des drones de surveillance.

Mercredi, 27e jour du soulèvement, a aussi été émaillé de grèves de commerçants, de manifestations d’étudiants, de lycéens et d’avocats, et dans les heures qui ont suivi, de manifestations et d’affrontements entre jeunes et forces répressives dans des dizaines d’endroits à Téhéran et dans le pays. Mercredi matin, la grève des commerçants et des bazaris s’est largement poursuivie à Sanandaj, Kermanchah, Baneh, Marivan, Sarpol Zahab, Boukan, Dehgolan, Saqqez, etc. Des parties des bazars de Téhéran et Machad ont rejoint la grève. Malgré les menaces et l’arrestation de commerçants, les forces de sécurité n’ont pas pu les contraindre à briser la grève. À Téhéran, les gens se sont rassemblés dans différents points et ils ont manifestés en scandant « à bas le dictateur ». Des accrochages ont éclaté avec les forces de sécurité et les agents en civil. Dans certains endroits comme la place Azadi, les agents ont tiré sur la foule.  Téhéran, un groupe d’avocats s’est rassemblé devant le bâtiment de l’Association du barreau et a scandé « libérez les prisonniers politiques ». Les forces répressives les ont chargés à coups de gaz lacrymogènes. D’autres manifestations ont eu lieu à Saqqez, Chiraz, Ispahan, Babol, Shahinshahr, Machad et Abadeh.

Au Kurdistan iranien, des manifestants ont affronté les forces de sécurité dans dix villes la nuit de mercredi 12 à jeudi 13. Quatre membres des forces de sécurité et trois manifestants ont été tuées à Sanandaj, chef-lieu de la province du Kurdistan iranien, Kermanshah et Mahabad. A Sanandaj, des Bassidji avaient attaqué des manifestants aux côtés d’unités de la police anti-émeutes. Des centaines de policiers anti-émeutes et de miliciens bassidji avaient été transférés d’autres provinces iraniennes pour affronter les protestataires. À Saqez, les Bassidji tirent sur les gens, les maisons, même si ce ne sont pas des manifestants. Les Bassidji, des volontaires qui constituent une force paramilitaire dépendant du corps d’élite des Gardiens de la révolution, pourraient se compter en millions, avec un million environ de membres actifs. À Sanandaj,des centaines de policiers ont été déployés et des unités anti-émeutes ont fouillé des habitations et arrêté des jeunes  en masse. À Kermanshah, deux personnes ont été tuées par des tirs à balles réelles des forces de l’ordre. Trois membres des forces de sécurité ont également été tués dans la ville, et une quarantaine d’autres blessées. Un quatrième membre des forces de sécurité a également été tué à Mahabad, et un manifestant a péri sous les balles des policiers à Sanandaj.

Rassemblement de solidarité avec les insurgés iraniens ce samedi à 14H30 place du Trône, à 1000 Bruxelles

 

Un Palestinien a ouvert le feu à un poste de contrôle près du camp de réfugiés de Shuafat, à Jérusalem-Est, dans la nuit de samedi à dimanche, tuant une sous-officier de la police militaire, et blessant gravement un garde civil. Le garde avait été hospitalisé dans un état grave. Quatre personnes soupçonnées de complicité ont été arrêtées dans la nuit de samedi à dimanche. La mère, le père et le frère du suspect ont également été appréhendés, selon l’habituelle politique de représailles collectives de l’occupant.
Un grand nombre de policiers, de soldats et d’agents du service de sécurité du Shin Bet ont lancé une chasse à l’homme pour retrouver le tireur qui semble s’être échappé dans le camp de réfugiés de Shuafat. Un hélicoptère a été utilisé pour balayer des airs cette zone surpeuplée de Jérusalem-Est, et des forces spéciales ont également été déployées pour renforcer les recherches. L’accès au camp de réfugiés a été fortement restreint et les forces d’occupation qui sont entrées dans le camp de Shuafat se sont heurtées à des dizaines de manifestants Palestiniens, qui leur ont lancé des pierres et des pétards.

Les forces d’occupation bloquant le camp de réfugiés de Shuafat

 

Il y a eu une augmentation significative des manifestations samedi (qui est le premier jour ouvrable de la semaine iranienne). Dans la ville de Sanandaj, la population s’est emparée d’un commissariat de police avant d’y mettre le feu. La jeunesse insurgée a incendié la base des pasdaran de la ville et la mairie du village voisin de Naysar. Toujours à Sanandaj, dans la soirée, la jeunesse a pris le contrôle de rues en y allumant des feux, en détruisant les caméras de sécurité et en incendiant de nombreux centres répressifs, comme celui de la « Promotion de la vertu et de la prohibition du vice ». Les pasdaran ont fouillé chaque immeuble et maison de la rue Jam-e-Jam à la recherche de manifestants et ont tiré des salves de balles sur plusieurs portes d’entrée. Plusieurs jeunes manifestants ont été tués. Des agents ont tiré sur le conducteur d’une voiture qui klaxonnait en signe de solidarité avec les manifestants et l’ont tué.

A Machad les gens ont incendié un véhicule des forces répressives et passé à tabac un milicien (bassidj). Sur la place Pajouhech les manifestants scandaient : « Miliciens qui touchez vos rations, mangez bien, c’est la dernière ». Des agents ont lancé des lacrymogènes et tiré des chevrotines, en faisant des blessés, et les jeunes ont répliqué avec des cocktails Molotov. A Javanroud, au Kurdistan, un grand portrait de Khamenei a été incendié et des accrochages ont éclaté toute la nuit, la jeunesse tenant de certaines parties de la ville. À Kamiyaran, les manifestants ont bloqué les rues et se sont heurtés aux forces de répression. Les jeunes de Boukan ont pris le contrôle de quartiers de la ville en barricadant les rues. A Karadj, quatre voitures et deux motos des forces répressives et un grand portrait de Qassem Soleimani ont été incendiés. Les habitants de Hamadan ont fermé le pont stratégique de Qeshlaq. A Kerman, les agents ont ouvert le feu sur la foule.

Des manifestations ont eu lieu dans d’autres villes. Une vidéo d’une femme qui est apparemment dans ses derniers instants après avoir été abattue par les forces de sécurité iraniennes lors d’une manifestation dans la ville de Mashhad samedi est devenue virale sur les réseaux sociaux en Iran. Des centaines de personnes sont mortes depuis le début des émeutes à la mi-septembre – 192 sont identifiées. Des milliers ont été arrêtés. Parmi les personnes tuées lors de la manifestation figuraient deux jeunes femmes âgées de 16 et 17 ans qui, selon le régime, sont tombées des toits lors d’une manifestation, mais selon leurs familles, elles ont été assassinées par le régime avec des passages à tabac brutaux, et cela a même été confirmé par des examens pathologiques selon des rapports obtenus par la BBC. Un célèbre tiktoker encourageait les femmes à s’habiller librement, Hadis Najafi, a également été assassiné par le régime.

Les Palestiniens de la ville voisine de Kafr Qaddum organisent depuis des années des manifestations quasi hebdomadaires pour protester contre l’expropriation des terres qui appartenaient historiquement à leur ville, au profit de la colonie sioniste de Kedumim. Des affrontements ont éclaté vendredi entre l’armée israélienne et les manifestants Palestiniens. L’armée d’occupation a ouvert le feu, tuant un jeune manifestant de 15 ans, Adel Daoud. Un autre jeune manifestant, Mahdi Ladadweh, 17 ans, a été tué par un tir de militaires israéliens dans un village proche de Ramallah. Cinquante autres Palestiniens ont été blessés dans la répression des manifestations de ce vendredi.

Alaa Zaghal, 21 ans, est mort d’une blessure par balle à la tête tirée par des militaires israélien à Deir al-Hatab, à l’est de Naplouse. Des jeunes palestiniens ont manifestés et caillassés des militaires qui procédaient à un raid contre domicile d’un Palestinien nommé Salman Omran qu’ils voulaient arrêter pour une raison encore inconnue. Omran s’est rendu après qu’un bulldozer israélien se soit approché de sa maison. Outre le jeune manifestant tué, sept personnes ont été blessées  par les forces d’occupation, dont trois journalistes. Les raids israéliens ont tué une centaine de Palestiniens, faisant de cette année la plus meurtrière depuis 2015.

L’arrestation de Salman Omran

Dans le prolongement des manifestations des universités durant toute la journée du lundi 3 octobre, pour la 18e nuit du soulèvement, des affrontements et des manifestations nocturnes ont eu lieu dans de nombreux quartiers de Téhéran, notamment à Pounak, Amirabad Chomali, Ashrafi Isfahani, Tajrish, Shahrara et Shahryar. Des accrochages ont éclaté entre les forces répressives et la jeunesse insurgée qui manifestait de nuit en scandant « à bas Khamenei » et « à bas le dictateur ». À Tajrish, les gens ont répondu aux menaces et aux propos de Khamenei sur le soulèvement le jour-même avec le slogan « ce dingue de guide est une honte ». À Sanandaj, des manifestants ont mis le feu aux banderoles du régime au carrefour Sharif Abad et du 6-Bahman. Des manifestants et des jeunes rebelles ont manifesté dans le quartier de Nayssar où ils ont affronté des agents à moto. A Chiraz, rue Chamran, les gens ont manifesté de nuit soutenus par un concert de klaxons contre le déploiement massif des forces répressives. Hier, en plus des manifestations de grande ampleur dans des dizaines d’universités, des étudiants ont brûlé l’exposition des miliciens du Bassidj à l’entrée de l’Université d’Ispahan. La cérémonie funéraire d’une jeune insurgée nommée Nika Shakarami, dans la ville de Khorramabad, a tourné à la manifestation. Les forces répressives ont tenté d’y mettre fin en tirant sur les gens et en lançant des gaz lacrymogènes.

Les manifestations contre la mort de Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans décédée peu après son arrestation par la police des moeurs, constituent la plus importante expression de rejet des autorités religieuses iraniennes depuis 2019. L’université Sharif, traditionnel foyer de dissidence, est encerclée par des dizaines de policiers anti-émeutes. Une des vidéos diffusée sur les réseaux sociaux montre les forces de sécurité tirant des gaz lacrymogènes pour chasser les étudiants du campus et le son de ce qui semblait être des tirs à distance pouvait être entendu. Une autre vidéo montre les forces de sécurité poursuivant des dizaines d’étudiants coincés dans le parking souterrain de l’université. Dimanche, des étudiants ont manifesté dans de nombreuses universités et des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes telles que Téhéran, Yazd, Kermanshah, Sanandaj, Shiraz et Mashhad, les participants scandant « indépendance, liberté, mort à Khamenei ».

Dans un Irak en pleine impasse politique, des milliers de manifestants se sont rassemblés samedi 1er octobre à Bagdad pour marquer le troisième anniversaire d’un soulèvement contre le pouvoir, lancé contre la corruption des élites et la gabegie des services publics. La contestation inédite, déclenchée en octobre 2019, s’était propagée jusqu’au sud pauvre majoritairement chiite. Dans cet Irak riche en pétrole, des mois durant, des centaines de milliers de manifestants étaient descendus dans la rue, dénonçant chômage des jeunes, infrastructures en déliquescence et absence de démocratie. Le mouvement s’était essoufflé avec une répression qui avait fait près de 600 morts et 30 000 blessés, mais aussi le confinement lié au coronavirus. Trois ans plus tard, la situation n’a pas changé. Les mêmes partis monopolisent la vie politique et, un an après les législatives d’octobre 2021, ils ne peuvent s’accorder sur le choix d’un premier ministre et d’un président.

En soirée, la mobilisation se poursuivait à Bagdad avec des effectifs moins importants, mais aussi dans les grandes villes du Sud, Nassiriya et Bassora, où les contestataires ont lancé des pierres sur les forces de l’ordre, qui ont répliqué avec des grenades de gaz lacrymogène. « Le peuple exige la chute du régime », ont scandé, samedi dans la journée, les milliers de manifestants, très jeunes pour la plupart, brandissant drapeaux irakiens et portraits des « martyrs » de 2019 sur la place Tahrir de Bagdad. Les forces de l’ordre ont tiré plusieurs salves de gaz lacrymogène pour empêcher les contestataires de franchir un pont, où des murs en béton barraient l’accès à la Zone verte, quartier abritant ambassades occidentales et institutions étatiques. Les accrochages à Bagdad ont fait 36 blessés chez les manifestants, souffrant principalement de troubles respiratoires. Après des décennies de conflits, en l’absence de réformes économiques et de grands projets d’infrastructures dans ce pays frappé par une corruption endémique, le chômage touche par ailleurs quatre jeunes sur dix. Et la vie des 42 millions d’Irakiens est impactée par les conséquences du changement climatique, sécheresses et pénuries d’eau ne faisant qu’empirer.

Une vingtaine de personnes, notamment des membres des forces de l’ordre, ont été tuées dans des affrontements armés à Zahedan, vendredi 30 septembre. Dans un premier temps, des manifestants ont lancé des pierres contre un commissariat mais ensuite, des hommes armés ont tenté de prendre d’assaut les trois centres des forces de l’ordre. Plusieurs policiers ont été tués ainsi que le numéro deux des services des renseignements des Gardiens de la révolution. Des banques et des centres commerciaux ont été attaqués par les manifestants en colère et la répression des manifestations a été meurtrières (58 morts dénombrés jusqu’à présent). Zahedan est la capitale provinciale du Sistan-Balouchistan est une région déshéritée frontalière du Pakistan et de l’Afghanistan.

Des manifestations ont eu lieu samedi dans plusieurs universités en Iran pour dénoncer la répression meurtrière du mouvement de contestation. Des rassemblements »ont aussi été organisés sur la place Enghelab près de l’Université de Téhéran, dans le centre de la capitale, où des heurts ont éclaté entre la police et les manifestants dont certains ont été arrêtés. La police iranienne a arrêté plusieurs personnalités qui avaient exprimé sur les réseaux sociaux en faveur des manifestants, dont l’ancien footballeur international Hossein Manahi ou le chanteur Shervin Hajipour, dont la chanson « Baraye » (« Pour »), composée de tweets sur les manifestations, est devenue virale sur Instagram. La police a également arrêté une femme qui avait mangé au restaurant à Téhéran sans foulard dans une image devenue virale sur les médias sociaux. Au moins 29 journalistes ont été arrêtés, dont Nilufar Hamedi et Elahe Mohammadi, des femmes reporters qui ont contribué à exposer le cas d’Amini. A l’étranger, des rassemblements de solidarité, auxquels a participé la diaspora iranienne, se sont tenus samedi dans plus de 150 villes, dont Berlin, Bruxelles, Rome, Madrid, Athènes, Bucarest, Londres, Lisbonne, Varsovie et Tokyo.