Les députés turcs ont adopté hier jeudi sans surprise, par 346 votes pour contre 115, l’état d’urgence décrété la veille par le président Erdogan, après le putsch militaire raté du 15 juillet. L’opposition est venue du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et du Parti démocratique des peuples (HDP, un parti représentant les Kurdes et la gauche turque). L’AKP d’Erdogan, qui dispose d’une majorité absolue (317 élus sur 550), et le parti d’action nationaliste (MHP, droite, 40 élus) ont voté l’état d’urgence. Lorsque l’état d’urgence a été décrété en 1987 en Turquie, il a été prolongé 46 fois…

Par ailleurs, tandis que le PKK continue sa résistance armée au Kurdistan, la gauche révolutionnaire turque poursuit ses opérations dans d’autres régions. Le HBDH, qui regroupe des combattants de dix organisations (dont le TKP/ML, le PKK et le MLKP) a revendiqué deux attaques à l’IED contre la police le 11 juillet dans le district de Giresun, (région de la Mer Noire). Selon le HBDH, deux policiers ont été tués et trois autres blessés, alors que les autorités ne reconnaissent que trois blessés. De son côté, la HKO, bras armé du MKP maoïste, a revendiqué l’attaque de la base de Cevizlidere, près d’Ovacik (région du Dersim), où un militaire aurait été tué.

Le théâtre de l’attaque de Dereli, une des deux actions menées par le HBDH dans la région de Giresun

Le théâtre de l'attaque de Dereli, une des deux actions menées par le HBDH dans la région de Giresun

Difficile de suivre l’immense vague répressive qui secoue toute l’opposition turque depuis la tentative de coup d’état qui a eu lieu il y a quelques jours. L’AKP qui prétendait au départ viser des putschistes gülenistes a licencié des dizaines de milliers de personnes dans tous les secteurs (armée, fonctionnaires, secteur privé, éducation), emprisonné, exécuté sommairement (certains soldats ont été décapités en pleine rue) et torturé des centaines d’autres. Les militants galvanisés d’AKP attaquent des quartiers kurdes et alévis qui ne se laissent pas faire. Dans certains cas, les villageois qui se défendaient ont simplement été qualifiés de « putschistes » et emprisonnés.

A présent, l’état turc veut empêcher les putschistes « cachés » dans les milieux universitaires de s’échapper. Le haut conseil de l’éducation a donc interdit aux enseignants de quitter le pays et a demandé à ceux qui se trouvent à l’étranger de revenir au plus vite. Selon la police (pro-erdogan), certains profs seraient selon l’AKP, en contact avec des cellules putschistes endormies. Les purges dans l’enseignement ont déjà eu lieu: la totalité des 1.577 doyens ont été suspendus, les licences de 21.000 enseignants privés ont été révoquées. Les purges sont tellement massives qu’il est difficile de donner des chiffres précis, mais au moins 70.000 personnes ont été relevées de leur fonction en à peine quatre jours. La répression pourrait encore s’intensifier puisque l’état turc souhaite rétablir la peine de mort contre les « putschistes ».

Ce mercredi, l’armée de l’air turque a également repris ses bombardements contre les bases du PKK dans le nord de l’Irak.

Une estimation de l’étendue des purges (20 juillet 2016)

Suite au coup d’état raté contre le régime turc, Wikileaks vient de publier 294.548 e-mails liés à l’AKP, le parti d’Erdogan. Malheureusement, à l’heure actuelle, une attaque informatique massive -probablement orchestrée par l’AKP ou l’un de ses alliés- rend la consultation de ces documents impossible. En guise d’apéritif, quelques ‘chanceux’ ont pu accéder brièvement aux documents avant l’attaque et en parler sur Twitter, on y parle notamment du trafic de pétrole avec l’Etat Islamique. Plus d’informations dans les prochaines heures donc.

Vous pouvez tenter votre chance sur wikileaks.org/akp-emails/

Wikileaks publie 300.000 e-mails d’AKP

Wikileaks publie 300.000 e-mails d'AKP

La tentative de coup d’état a déclenché une immense offensive de la part de l’AKP contre toute l’opposition. Mis à part les purges géantes qui ont lieu dans l’armée et le système judiciaire et les manifestations pro-Erdogan qui défilent en scandant « Allah Akbar », des affrontements ont éclaté dans plusieurs villes du pays entre pro et anti-AKP.

Dans cette vidéo, on peut voir les habitants d’Armutlu (Province de Yalova) qui mettent en fuite les militants islamistes:

A Gazi, le quartier rouge d’Istanbul, massivement habité par des Alévis et des Kurdes, les militants d’AKP ont été escortés par la police, ses blindés et ses autopompes, lors d’une manifestation pro-Erdogan. Les manifestants islamistes ont rapidement été chassés par les habitants et des émeutes ont suivi durant la nuit.

L’auto-défense armée à Gazi

L'auto-défense armée à Gazi

Six membres des forces armées turques ont été tués aujourd’hui dimanche dans deux attaques menées par les combattants du PKK. Quatre soldats ont été tués dans l’explosion d’un IED au bord de la route et activé par les guérilleos au passage du véhicule dans lequel ils circulaient entre Semdinli et Aktutun dans la province de Hakkari, le long de la frontière irakienne. Un soldat a également été blessé dans cette attaque qui s’est produite à 12h05.

L’explosion d’une voiture piégée a tué un militaire et un paramilitaire anti-guérilla, et fait dix blessés dans les rangs de l’armée, aux abords d’un poste militaire du district d’Ercis, dans la province de Van. Ces attaques interviennent après l’annonce de la mort de Fehman Huseyin (accusé par la Turquie d’être le chef des TAK), un important chef militaire du PKK, qui aurait été victime d’une attaque à la bombe contre la voiture dans laquelle il circulait dans le nord-est de la Syrie vendredi. Le PKK a depuis nié ce décès.

Le lieu de l’embuscade sur la route Semdinli-Aktutun

Le lieu de l'embuscade sur la route Semdinli-Aktutun

Deux militaires turcs et un civil ont été tués, dans l’attaque par la guérilla kurde d’un poste de gendarmerie de Cevizlik, village de la province de Mardin proche de la frontière syrienne. Les combattants du PKK ont d’abord fait exploser une voiture piégée, avant de mitrailler le poste. L’attaque a également blessé 12 militaires, dont un est dans un état critique. Hier, l’armée turque aurait tué 19 combattants kurdes à Semdinli, dans la province de Hakkari et deux autres à Baskale, dans celle de Van.

L’attaque du poste de gendarmerie de Cevizlik

L'attaque du poste de gendarmerie de Cevizlik

Des combattants du PKK ont tué vendredi six soldats turcs lors de deux attaques distinctes. C’est lors d’une opération militaro-policière faite vendredi matin à 6h20 (heure locale) pour capturer des membres du PKK dans le quartier Bayir de la commune Derik (province de Mardin), que deux soldats ont été mortellement blessés dans une fusillade. Moins d’une heure plus tard, quatre soldats turcs ont été tués par l’explosion d’IED sur la route Hakkari-Çukurca, près du village Çimenli, dans la province de Hakkarin, dans l’extrême sud-est.

Le lieu de l’embuscade, sur la route Hakkari-Çukurca

Le lieu de l'embuscade, sur la route Hakkari-Çukurca

La police a dispersé samedi soir une manifestation de protestation dans le centre d’Istanbul après une attaque menée la veille par des islamistes contre des fans de Radiohead réunis pour écouter le dernier disque du groupe, en plein ramadan. La police a fait usage de canons à eau et a tiré des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes, dispersant quelque 500 manifestants dans le quartier de Cihangir. Les manifestants, qui s’étaient retrouvés en début de soirée, ont crié des slogans tels « tous ensemble contre le fascisme » ou qualifiant le président Erdogan de « voleur » et de « meurtrier ». Ils se sont dispersés après moins d’une heure dans des petites rues du quartier, suffoquant sous l’effet des gaz lacrymogènes.

Les incidents hier à Istanbul

Les incidents hier à Istanbul

Aujourd’hui s’ouvrait le procès de 10 membres de l’organisation ATIK (Confédération des Travailleurs de Turquie en Europe), les 10 ont été arrêtés en Allemagne, France, Grèce et Suisse sous les ordres des autorités turques. Les 10 sont détenus dans des conditions de détention dures avec isolement et contacts limités avec leurs avocats et leurs proches. Ils sont accusés d’être membre du TKM/ML (Parti Communiste de Turquie / Marxiste-Léniniste). Le TKP/ML n’est pas une organisation illégale en Allemagne, mais bien en Turquie. Les lois 129a et 129b permettent à l’état allemand de poursuivre des personnes si elles sont membres d’une organisation qui est illégale ailleurs, ces lois sont essentiellement utilisées pour réprimer l’immigration politique turque et kurde.

Manifestation solidaire pour ATIK

Manifestation solidaire pour ATIK

Au moins cinq personnes ont été blessées lundi dans une attaque à la voiture piégée visant le palais de justice de la petite ville kurde d’Ovacik. Une violente explosion s’est produite devant le complexe qui abrite aussi les logements des magistrats et d’autre personnels. L’attaque n’a pas été revendiquée dans l’immédiat mais elle est attribuée au PKK.

Le théâtre de l’explosion

EDIT: L’action, qui visait non pas directement le palais de justice mais les logements de fonction de son personnel, a été revendiquée par le HBDH (Mouvement Révolutionnaire d’Unité Populaire), qui l’a dédiée au commandant HPG Baran Dersin et ses camarades, tués dans un bombardement le 17 septembre à Ovacik. Le HBDH regroupe le PKK et 9 organisations de la gauche révolutionnaire de Turquie et du Kurdistan (voir notre article).

Funérailles du commandant Baran Dersin

Le théâtre de l'explosion
Funérailles du commandant Baran Dersin