Ce dimanche 19 janvier à Bagdad et dans plusieurs villes du sud de l’Irak, de nouvelles manifestations ont éclaté. Une dizaine de personnes, dont des policiers ont été blessés dans les affrontements. Les protestataires demandent le renouvellement d’une classe politique corrompue et menacent d’intensifier encore leur mouvement si leurs revendications n’aboutissent pas. Ce mouvement de contestation inédit en Irak avait été éclipsé ces dernières semaines par la flambée des tensions entre l’Iran et les États-Unis, les deux principaux parrains du pouvoir à Bagdad. Des rassemblements ont aussi eu lieu dans les villes de Diwaniya, Kout, Amara, dans le sud du pays, où la plupart des bureaux gouvernementaux, des écoles et des universités sont fermés depuis des mois. Dans la ville sainte de Najaf, au sud de Bagdad, des jeunes arborant des drapeaux irakiens ont brûlé des pneus et entamé un sit-in sur une route principale menant à la capitale. Plus au sud, à Bassora, les étudiants ont participé à un mouvement de grève. Depuis octobre, la contestation a été émaillée par des violences et réprimée par les forces de l’ordre. Il y a eu environ 460 morts – quasiment tous des manifestants – et plus de 25 000 blessés. Si les violences ont légèrement diminué lors des manifestations, les militants disent être confrontés à une vaste campagne d’intimidation, d’assassinats et d’enlèvements.

A Bagdad ce 19 janvier

Dimanche 15 décembre, Mohammed al-Doujaïli, un militant engagé dans le mouvement de contestation contre le pouvoir irakien a été assassiné à Bagdad. Il a été abattu d’une balle dans le dos non loin de la place Tahrir, épicentre du mouvement social, et a succombé à ses blessures dimanche matin. Un de ses amis, qui se trouvait avec lui, a également été blessé. Il est encore hospitalisé. Mohammed al-Doujaïli distribuait des repas aux manifestant·es sur Tahrir, tout comme Zahra Ali, retrouvée morte avec des marques de torture le 2 décembre. Il s’agit donc du quatrième militant à subir un tel sort (voir notre article).

Par ailleurs, deux militants actifs sur la place Tahrir, ont été blessés dans l’explosion de leur voiture à Diwaniya où ils étaient venus rencontrer les manifestant·es de cette ville dans le sud du pays. L’un d’eux a été grièvement touché par cette explosion apparemment provoquée par un engin explosif placé sous le véhicule. Le bilan total de la répression atteint désormais quelques 460 mort·es et 25.000 blessé·es.

Des activistes du mouvement social en cours en Irak (archive)

Des activistes du mouvement social en cours en Irak (archive)

Dans la nuit du mardi 10 au mercredi 11 décembre, Ali al-Lami, un militant engagé dans le mouvement de contestation contre le pouvoir, a été retrouvé à Bagdad abattu de trois balles dans la tête. Les balles auraient été tirées depuis l’arrière par des pistolets munis de silencieux. Le même jour, Zahra Ali, une militante qui distribuait des repas sur la place Tahrir (épicentre du mouvement à Bagdad), a été enlevée et retrouvée morte, torturée, quelques heures plus tard. Dimanche, c’était au tour de Fahem al-Taï, un autre militant qui a été abattu par deux personnes à moto (probablement à l’aide d’un pistolet muni d’un silencieux) alors qu’il rentrait chez lui à Kerbala. En moins de dix jours ce sont donc trois militant·es qui ont été assassiné·es dans des conditions obscures dans le pays. Avant cela, depuis début octobre, plusieurs autres militant·es avaient été retrouvé·es mort·es dans différentes villes du pays. En outre, des dizaines de manifestant·es et de militant·es ont été enlevé·es et retenu·es plus ou moins brièvement par des hommes armés et en uniformes.

Vendredi soir, des hommes lourdement armés non identifiés et voyageant en SUV  (dont certains été équipés de mitrailleuses) ont investi un parking à étages près de la place Tahrir pour en écartant les contestataires qui occupaient la place depuis plusieurs semaines. Vingt protestataires ont été tué·es à l’arme à feu ou au poignard. Une centaine de personnes ont également été blessées. Au total, le bilan de la répression du mouvement de contestation, qui dure depuis début octobre (voir notre article), atteint désormais plus de 450 mort·es et 20 000 blessé·es.

Manifestant·es à Bagdad (archive)

Jeudi 28 novembre, plusieurs manifestations pour la chute du régime se tenaient en Irak notamment à Bagdad, Najaf et Nassiriya. Dans les rues de Nassiriya, à 300 km au sud de Bagdad, des centaines de personnes ont défié le couvre-feu pour former un cortège funéraire en hommage aux manifestant·es tué·es. Au moins 25 personnes ont été tuées en quelques heures et on recense au moins 250 blessé·es lorsque les forces de sécurité ont tenté de reprendre le contrôle des ponts bloqués par les manifestant·es depuis trois jours. Des manifestant·es armé·es auraient alors bloqué l’autoroute venant de Bagdad pour empêcher l’arrivée de plus de renforts policiers ou militaires et auraient également incendié un QG de la police puis encerclé le commandement militaire de la province. La veille au soir, le consulat iranien avait été brûlé à Najaf car le mouvement accuse le gouvernement iranien de tirer les ficelles chez eux. À Bagdad, le mouvement se poursuit de jour comme de nuit. Au total, la journée de jeudi a fait 44 mort·es et plusieurs centaines de blessé·es. En deux mois, la contestation a fait près de 400 mort·es et quelques 15 000 blessé·es dans l’ensemble du pays.

Irak - 44 manifestant·es tué·es et plusieurs centaines de blessé·es

Irak – 44 manifestant·es tué·es et plusieurs centaines de blessé·es

Deux manifestants ont été tués dans le coeur historique et commerçant de Bagdad et dans la ville sainte chiite de Kerbala, à 100 km plus au sud. Dans l’un des pays les plus riches en pétrole du monde -mais aussi l’un des plus corrompus-, les protestataires réclament la refonte du système politique et le renouvellement total de leur classe dirigeante. Ils s’en prennent également au voisin iranien qu’ils accusent de tirer les ficelles chez eux.  A Bagdad, dans un nuage de lacrymogène, alors qu’il tentait de se protéger avec un maigre bouclier de tôle, un jeune a été mortellement blessé par les balles en caoutchouc des forces de l’ordre. Une vingtaine d’autres ont été blessés. Aux abords du pont al-Ahrar, près de la place Tahrir, épicentre du mouvement de contestation, protégés par des murs de béton montés en travers des rues, les forces tirent, parfois à balles réelles sur les jeunes manifestants.

Mardi semble marquer un tournant: les violences qui ont déjà fait plus de 350 morts en deux mois ont gagné des villes du sud.  Les manifestants brûlent des pneus pour barrer les principaux axes, comme à Kerbala. Là, les violences sont habituellement nocturnes mais mardi des policiers casqués et brandissant des boucliers antiémeutes ont tiré en plein jour sur les manifestants qui jetaient des pierres. Un manifestant a été touché d’une balle à la tête et les médecins ont fait état d’un mort. Dans la province de Zi Qar, les protestataires essayent de frapper le pouvoir au seul endroit qui peut lui faire mal, ses ressources en pétrole, unique source de devises du pays. Ils bloquent les accès à trois champs pétroliers –Garraf, Nassiriya et Soubba. A Diwaniya, des milliers de manifestants bloquent le centre-ville, des ponts, une des trois centrales électriques de la province et les autoroutes menant vers le nord, le sud et l’ouest. Al-Hilla, où la contestation était jusque là pacifique, a été aussi gagnée par les violences, avec une soixantaine de manifestants blessés par des tirs de grenades lacrymogènes.

Manifestant lundi à Bagdad

Au cours du week-end, les forces de sécurité irakiennes ont lancé une nouvelle vague de répression contre les manifestant·e·s, faisant au moins neuf mort·e·s et une centaine de blessé·e·s. Depuis le début des manifestations en octobre, la répression exercée par le gouvernement a fait au moins 300 mort·e·s et 15 000 blessé·e·s. Les forces de sécurité utilisent à nouveau des balles réelles contre les manifestant·e·s ainsi que des grenades étourdissantes souvent létales (voir notre article) et du gaz lacrymogène 10 fois plus puissant que celui couramment utilisé.

La plupart des affrontements de ce week-end entre les forces de sécurité et les manifestant·e·s avaient pour enjeu le contrôle de plusieurs ponts qui traversent le Tigre, reliant le cœur de Bagdad à la Green Zone, une zone fortement sécurisée dans laquelle se trouvent notamment le parlement, les services du gouvernement irakien et l’ambassade des États-Unis. La nouvelle offensive gouvernementale a été lancée pour reprendre ces ponts ainsi que plusieurs routes importantes bloquées par les manifestant·e·s. Les manifestant·e·s ont cependant pu défendre avec succès la place Tahrir (qui constitue l’épicentre du mouvement) ainsi que le pont Al-Jumhuriyah.

Au moins 300 manifestant·e·s tué·e·s depuis le début du mouvement en Irak

Au moins 300 manifestant·e·s tué·e·s depuis le début du mouvement en Irak

En Irak, les manifestants, qui réclament la chute du régime, redoutent que la coupure d’internet, inaccessible depuis ce lundi 4 novembre, ne soit un signe précurseur d’un retour au pire, les forces de sécurité tirant de nouveau à balles réelles dans la capitale. Depuis le 1er octobre, début d’un mouvement spontané de contestation, près de 280 personnes – en majorité des manifestants – ont été tuées, selon un bilan provisoire. Les autorités ont proposé des réformes sociales et amendements constitutionnels, mais les manifestants continuent de réclamer le départ de tous les responsables qu’ils jugent corrompus et incompétents ainsi qu’une refonte totale du système politique mis en place après la chute de Saddam Hussein.

Dans le sud, chiite et tribal, la désobéissance civile continue de paralyser écoles, administrations et gagne les infrastructures portuaires et pétrolières vitales pour l’Irak – deuxième producteur de l’Opep -, pays dont les habitants étranglés par le chômage et la pauvreté réclament leur « part du pétrole ». À Bagdad, les protestataires ont été une nouvelle fois pris mercredi sous les tirs à balles réelles des forces de sécurité sur le pont al-Chouhada. Les policiers anti-émeutes ont d’abord tabassé des manifestants à coups de matraques, les manifestants ont répondu avec des jets de pierre et ensuite les forces ont tiré. Depuis lundi soir, Internet est de nouveau aux abonnés absents. Les campagnes d’arrestations de militants vont bon train, selon des sources de sécurité et activistes. Des sources médicales s’inquiètent aussi de la disparition de plusieurs médecins, alors que de nombreuses voix en Irak dénoncent des opérations d’enlèvement organisées.

Manifestant blessé à Bagdad

Demonstrators scuffle with members of Iraqi security forces during one of the ongoing anti-government protests in Baghdad, Iraq November 6, 2019. REUTERS/Thaier al-Sudani TPX IMAGES OF THE DAY

 

L’organisation Amnesty International a récemment dénoncé l’utilisation de grenades lacrymogènes «brise-crâne» contre les manifestant·e·s irakien·ne·es qui  seraient jusqu’à dix fois plus lourdes que la normale. Ces cinq derniers jours, plusieurs manifestant·e·s ont été tué·e·s à Bagdad par ce type de grenade et on recense tous les jours plusieurs blessé·e·s suite à l’utilisation de ces engins à tir tendu. Ces grenades de type militaires de 40 millimètre, d’origine serbe et bulgare seraient utilisées pour la première fois dans le monde.

Des analyses par imagerie médicale authentifiées par Amnesty montrent des grenades entièrement encastrées dans le crâne de manifestant·e·s tué·e·s. Les grenades lacrymogènes de 37 millimètres habituellement utilisées par la police à travers le monde « pèsent entre 25 et 50 grammes », d’après Amnesty, mais celles utilisées à Bagdad « pèsent entre 220 et 250 grammes » et leur force est « multipliée par dix » lorsqu’elles sont tirées. De plus, les grenades généralement utilisées sont constituées de plusieurs cartouches plus petites qui se séparent et s’étendent sur une zone donnée. En revanche, les grenades « brise-crâne » à Bagdad consistent en une seule cartouche lourde.

Lors du premier épisode de manifestations, du 1er au 6 octobre, 70% des personnes décédées avaient été touchées à la tête ou au torse par des tirs de snipers que l’état irakien affirme toujours ne pas pouvoir identifier. Depuis la reprise le 24 octobre du mouvement, aucun tir à balle réelle des forces de l’ordre n’a été recensé dans la capitale, mais une quarantaine de manifestant·e·s y ont été tué·e·s. Au total, au moins 250 personnes ont été tuées depuis le début du mouvement il y a un mois.

Plus d’infos ici.

Imagerie médicale d'un patient décédé suite à l'utilisation d'une grenade brise crâne

Imagerie médicale d’un patient décédé suite à l’utilisation d’une grenade brise crâne

Aujourd’hui, l’armée irakienne a décrété un couvre-feu nocturne à Bagdad de minuit à six heures du matin pour les personnes et les véhicules jusqu’à nouvel ordre. Cette annonce fait redouter une dispersion dans la nuit de la place Tahrir, épicentre de la contestation et désormais occupé jour et nuit où cinq manifestants ont déjà été tués au cours de la journée de lundi. Au total, depuis le début du mouvement le 1er octobre, 239 personnes ont été tuées et plus de 8.000 blessées, selon un bilan officiel (les chiffres réels étant donc probablement plus élevés).

des manifestations en Irak contre le gouvernement sont réprimés dans le sang

des manifestations en Irak contre le gouvernement sont réprimés dans le sang

 

Un mouvement de révolte a commencé début octobre en Irak contre le chômage et la corruption dans le pays (voir notre article). Cette semaine, un rapport officiel, faisant le bilan de la répression, a été rendu public. Au moins 149 manifestant·es ont été tué en grande majorité à Bagdad.  La majorité des mort·es (70) ont été touché.e·s à balles réelles «à la tête et au torse». Il a notamment été établi que des snipers embusqués sur des toits dans le centre de Bagdad ont tiré sur la foule.

des manifestations en Irak contre le gouvernement sont réprimés dans le sang

Des manifestations  contre le gouvernement irakien réprimées dans le sang