Présentation du dossier
Jeudi 4 mars, 22 personnes sont interpellées dans une vaste offensive visant la communauté kurde à travers toute la Belgique. Après auditions, la police fédérale a délivré huit mandats d’arrêts sous la qualification d’appartenance à un groupe terroriste: le PKK qui a été placé sur la liste noire des ‘organisations terroristes’ du gouvernement US et de l’UE.
Très vite, la communauté kurde s’est mobilisée contre l’attaque portée à ses organisations et associations représentatives. Des forces progressistes en Belgique (essentiellement turques et belges) se sont immédiatmement solidarisées avec les Kurdes. La question des nouvelles lois anti-terroristes et des ‘listes noires’ se trouve ainsi une nouvelle fois posée en Belgique. Tout comme se trouve une nouvelle fois posée la question de la collaboration judiciaire et policière entre les autorité belges et les tortionnaires d’Ankara/
Notre Secours Rouge a fait partie des forces qui ont immédiatement manifesté leur solidarité avec les militants kurdes arrêtés. Ce dossier servira d’appui documentaire à la campagne de solidarité avec ces militants.
L’affaire au jour le jour
3 avril: Deuxième grande manifestation à Bruxelles
Les Kurdes sont venus des quatre coins d’Europe à l’appel de la Fédération des associations kurdes, pour dénoncer notamment les opérations menées par la police belge il y a tout juste un mois à l’encontre de la télévision ROJ-TV. Il y a d’ailleurs eu un peu d’agitation avant le début de la manifestation, lorsque des organisateurs ont reconnu parmi les policiers en civils présents certains enquêteurs de la police fédérale qui avaient opéré la descente brutale et dévastatrice au siège de ROJ-TV. Les organisateurs ont menacé de ne pas lancer le cortège tant que ces personnes étaient présentes. La police fédérale s’est faite plus discrète et le cortège a démarré.
Les 5.000 manifestants présents au début de la manifestation se sont vite retrouvés 10.000 à la petite ceinture. Comme à la manifestation du 6 mars, notre Secours Rouge a participé à la constitution dans la manifestation d’un groupe de solidarité internationaliste (photo 1). Ce groupe était ouvert par une délégation du MLKP. La manifestation a débouché au Cinquantenaire, où un podium accueillait des orateurs et des musiciens kurdes. Les manifestants ont repris les slogans, chanté et dansé devant les caméras de ROJ-TV qui organisait une émission en direct (photo 2).
La manifestation au JT de la VRT
Manifestation kurde à Bruxelles
Manifestation kurde à Bruxelles
25 mars: Six libérations
Le 25 mars, la chambre des mises en accusation a ordonné la libération sous conditions de six des huit inculpés. L’un d’entre eux n’avais pas fait appel et restera donc en prison, tout comme le dernier, qui restera sous les verrous à Charleroi. Le parquet fédéral a affirmé qu’il ne se pourvoirait pas en Cassation.
18 mars: Visite de solidarité à Roj-TV
Une délégation de militants solidaires belges et turcs s’est rendue ce jeudi au siège de ROJ-TV, la télévision kurde qui a été une des cibles de la vaste opération policière du 4 mars. La délégation a pu visiter les locaux et studios de la chaîne.
Rassemblement devant Roj-TV en mars 2010.
9 mars: Six mandats d’arrêts confirmés
Six des huit Kurdes interpellés jeudi dans le cadre d’une vaste opération policière menée en différents endroits du pays, et soupçonnés d’appartenir à une organisation terroriste, ont vu leur mandat d’arrêt confirmé. Parmi ceux-ci figurent Remzi Kartal et Zubeyr Aydar, les deux parlementaires dirigeants du Kongra-Gel, successeur du PKK. La chambre du conseil de Bruxelles a confirmé les mandats d’arrêt de cinq inculpés, dont ces deux hommes. Quant à la chambre du conseil de Charleroi, elle a confirmé un mandat d’arrêt. Deux personnes, alors qu’elles ont été libérées sous condition par la chambre du conseil de Bruxelles, seront toutefois maintenues en détention, après appel du parquet fédéral. La chambre des mises en accusation examinera le cas de ces deux personnes dans les quinze jours.
Quelques centaines de Kurdes étaient présents hier devant le palais de justice de Bruxelles pour manifester leur soutien aux inculpés. Notre Secours Rouge a assuré une présence solidaire.
7 mars 2010: Manifestation de protestation en France
Alors que des milliers de Kurdes s’étaient rassemblés la veille à Bruxelles afin de dénoncer les perquisitions et les arrestations visant le PKK en Belgique, quelques 600 personnes ont manifesté au même moment à Rennes. La manifestation, organisée par ‘La maison du peuple kurde de Rennes’ a rassemblé de nombreux militants de l’association ‘Amitiés kurdes de Bretagne’ ainsi que des personnes venant de différentes villes de l’ouest de la France. Le cortège s’est déroulé dans le calme, au son des slogans scandés par les manifestants ‘Le PKK n’est pas un parti terroriste’ et ‘Libérez nos camarades’.
6 mars 2010: Grande manifestation de protestation à Bruxelles
Entre cinq et huit mille Kurdes, venus des quatre coins de la Belgique mais aussi d’Allemagne et des Pays-Bas, ont défilé ce samedi dans les rues de Bruxelles afin de protester contre les perquisitions et les arrestations opérées jeudi dans des associations culturelles et politiques kurdes, dont la station de télévision Roj-TV, à Denderleeuw.
Huit personnes ont été inculpées pour ‘participation aux activités d’un groupe terroriste’ et placées en détention préventive. Un juge d’instruction bruxellois a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre de sept des douze personnes qui lui ont été présentées, sur les 18 qui avaient été interpellées lors des perquisitions menées par le parquet de Bruxelles. Un juge d’instruction de Charleroi, qui dirigeait une autre série de perquisitions qui se sont également déroulées jeudi, a pour sa part placé une personne sous mandat d’arrêt sur les quatre qui lui ont été présentées. Ces huit personnes comparaîtront mardi matin, à Bruxelles et à Charleroi, devant une chambre du conseil, une juridiction d’instruction qui décidera s’il y a lieu de prolonger leur maintien en détention préventive.
Les organisateurs ont dénoncé la vague de perquisitions menée jeudi par la justice belge qui soupçonnait des membres du PKK de financer les opérations de guérilla et d’entraîner de jeunes Kurdes dans des camps, notamment situés dans l’Est de la Belgique: ‘Nous dénonçons fermement les mises en garde à vue de personnalités politiques comme Remzi Kartal et Zubeyir Aydar (deux des personnes arrêtées et inculpées ‘d’appartenance à une organisation terroriste’) dont les activités en faveur du peuple kurde sont déployées au grand jour et connues de tous: la Belgique doit mettre fin à ces agressions et les personnes mises en garde à vue doivent être immédiatement libérées. (…) Nous dénonçons ces manœuvres télécommandées par l’Etat turc et par l’OTAN qui font du gouvernement belge le complice de l’Etat turc’.
Dans la manifestation figurait un groupe de militants turcs, belges et iraniens solidaires, parmi lesquels une délégation de notre Secours Rouge (photo du bas).
Manifestation en soutien aux kurdes à Bruxelles
Manifestation en soutien aux kurdes à Bruxelles
4 mars 2010: Opération policière en Belgique
Jeudi 4, 22 personnes sont interpellées dans une vaste offensive visant la communauté kurde à travers toute la Belgique. Après auditions, la police fédérale a délivré huit mandats d’arrêts sous la qualification d’appartenance à un groupe terroriste. Les 14 autres personnes ont été relaxées. A ce moment, seule l’identité des deux leaders présumés du Kongral-gel, successeur du PKK, a été rendue publique. Il s’agit de Zubeyir Aydar et de Remzi Karal. Il semblerait d’ailleurs que la Turquie ne va pas tarder à demander leur extradition.
Un rassemblement spontané s’est formé autour du bâtiment de la télévision kurde Roj-TV perquisitionnée à Denderleuw, entrainant des heurts entre les manifestants kurdes et les forces de l’ordre. Une policière a été blessée d’un jet de pierre devant le siège de la télévision kurde. 300 Kurdes avaient forcé le cordon de police autour du bâtiment et se sont affrontés aux policiers. Une cinquantaine de policiers de la police judiciaire fédérale de Bruxelles ont été appelés en renfort pour libérer leurs collègues. Ils ont fait usage d’un canon à eau.
Lors des perquisitions, les enquêteurs auraient saisi de faux documents et d’importantes sommes d’argent. La justice belge soupçonne plusieurs personnes de diriger des ‘réseaux terroristes’, de former des jeunes d’origine kurde dans des camps en Belgique ainsi que le financement occulte de plusieurs cercles kurdes.
A Roj-TV plus de 200 ordinateurs ont été saisis par la police, ainsi qu’un grand nombre de clés USB, de Flash Disk et jusqu’à la machine à faire des sous-titres… La police a également saisi toutes les archives digitales de la télévision. Seule une partie a pu être sauvée à l’aide de back-ups – mais c’est l’équivalent de quatre années de travail de digitalisation d’archives qui a disparu.
Lors de la perquisition, les policiers se sont d’abord rendus dans le local technique pour arracher les câbles qui permettaient à la télévision d’émettre. Puis, ils ont envahi le bâtiment de la télévision, les studios de Radio Mésopotamie et ceux de Sterk Production. Roj-TV a perdu pour environ un million deux cent mille d’euros de matériel dans cette attaque. Les bénévoles qui l’animent ont pu recommencer rapidement les émissions au moyen d’ordinateurs portables, mais la télévision travaille bien en deçà de son niveau normal.
Roj-TV avait déjà été la cible de le justice allemande en juin 2008 (on sait les liens politico-économiques étroits entre la RFA et la Turquie). Mais l’interdiction de Roj-TV par le Ministère de l’Intérieur allemand a été levée par la Cour de grande instance de la RFA en février 2010. Les pressions turques s’expliquent par la grande influence de Roj-TV chez les Kurdes. Ses émissions retransmises par satellites sont les plus écoutées au Kurdistan. Elles contribuent à faire vivre la langue kurde qui reste interdite d’enseignement.
Descente policière à Roj TV
28 février: Opération policière en Italie, manifestation en France
En plus des onze personnes interpellées par la Sous-direction antiterroriste dans le sud de la France dans le cadre d’une enquête préliminaire du parquet de Paris visant le PKK, la police italienne a interpellé 69 personnes dont six Français dans la région de Pise, dans la même affaire.
Suite aux arrestations survenues en France, un millier de Kurdes ont manifesté dans les rues de Marseille pour protester contre la répression policière (photo). Les manifestants ont défilé derrière une grande banderole rouge et noire barrée de la mention ‘Solidarité internationale: libérez nos camarades kurdes’. Ils ont entonné ‘L’Internationale’ et scandé des slogans, tels que ‘Solidarité politique pour le Kurdistan’ ou encore ‘Le peuple kurde n’est pas un peuple terroriste’.
Manifestation en soutien aux kurdes en France
26 février: Opération anti-PKK en France
Une série de perquisitions se sont déroulées dans quatre villes du sud de la France dans le cadre d’une enquête sur le PKK. Les recherches portaient sur les activités de recrutement et la formation de jeunes militants du PKK. Un ‘camp d’entraînement’ aurait été localisé près de Millau, dans le courant de l’année dernière. L’enquête aurait également mis en évidence des contacts entre les membres du PKK en France avec des militants en Allemagne, en Belgique et en Italie notamment. Onze personnes ont été arrêtées, de nationalité turque pour la plupart mais également française, ont été interpellés à Marseille, Draguignan, Montpellier, Grenoble et dans une ferme sur le plateau du Larzac qui aurait servi de camp d’entraînement aux jeunes Kurdes voulant se rendre dans la guérilla au Kurdistan. Ils ont été placés en garde à vue dans ces différentes villes.
Des perquisitions ont eu lieu dans des sièges d’associations à Marseille et à Montpellier. Trois armes de poing, un fusil à pompe, de la documentation et du matériel informatique auraient été saisis. Les onze personnes devaient être transférées en région parisienne dans les locaux de la SDAT ce week-end avant une éventuelle mise en examen mardi.
Les inculpés
Zubeyir Aydar, parlementaire, membre de la direction du Congrès du Peuple du Kurdistan (Kongra-Gel), successeur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Remzi Kartal, parlementaire, membre de la direction du Congrès du Peuple du Kurdistan (Kongra-Gel), successeur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Les noms des autres inculpés ne nous sont pas encore connus.
Background 1: Brève histoire du Kurdistan
L’histoire du peuple kurde en tant que groupe ethnolinguiste débute dans le sud du Caucase. L’aire géographique dénommée Kurdistan est connue par plusieurs termes apparentés au mot Kurde au cours de l’Antiquité. Les Sumériens l’appelaient Kur-a, Gutium ou encore le pays de Karda; les Élamites, Kurdasu; les Akkadiens, Kurtei; les Assyriens, Kurti; les Babyloniens, Qardu; les Grecs, Carduchoi et les Romains, Corduene. La terminaison en -stan signifie dans les langues iraniennes ‘pays de’.
Les plus anciennes dynasties kurdes connues sous autorité musulmane (du Xe au XIIe siècle) sont les Hasanwayhides, les Marwanides et les Shaddadides. Les principautés kurdes sont annexées par les peuples d’Asie centrale au cours de leurs conquêtes, et intégrées aux territoires contrôlés par les seldjoukides. En 1171, Saladin, issu de la dynastie kurde des Ayyoubides, renverse les califes fatimides et prend le pouvoir avec le titre de Sultan. Le Kurdistan perd alors toute particularité et est intégré au califat, englobant l’Égypte, la Syrie, le Kurdistan et le Yémen. Après les invasions turco-mongoles, le Kurdistan retrouve une partie de son autonomie, mais est morcelé en une série de petits états appelés émirats. La bataille de Chaldiran en 1514 est une date importante dans l’histoire kurde, marquant l’alliance des Kurdes avec les Turcs. Le Sharafnameh de 1597 est le premier récit de l’histoire kurde.
À partir du XXe siècle, l’histoire kurde est marquée par une montée de la prise de conscience d’une identité nationale se centrant sur le but d’un Kurdistan indépendant tel que prévu dans le Traité de Sèvres en 1920 sur les restes de l’Empire ottoman détruit, comme pour les autres peuples de la région. Mais par le traité de Lausanne de 1923, le Moyen-Orient est divisé en plusieurs pays qui ne prennent pas en compte le droit des Kurdes à disposer de leurs terres. En effet, d’une grande importance géopolitique dans la région, le Kurdistan est également riche en pétrole et en eau. Le Royaume-Uni et la France se voient confier des mandats sur les nouveaux États: sur l’Irak pour la première, la Syrie et le Liban pour la seconde. Les populations, notamment kurdes, ne tarderont pas à se révolter contre la nouvelle domination européenne. La Royal Air Force rase différents villes et villages kurdes. En 1925, une arme chimique, l’ypérite, est utilisée sur la ville kurde de Souleimaniye. Les deux tiers de la population sont atteints par les effets du gaz.
Cinquante ans plus tard, le 11 mars 1974, Saddam Hussein accorde une autonomie relative au Kurdistan, avec la ‘Loi pour l’autonomie dans l’aire du Kurdistan’ qui stipule notamment que ‘la langue kurde doit être la langue officielle pour l’éducation des Kurdes’. Les relations avec les Kurdes d’Irak se dégradent considérablement par la suite, débouchant sur le massacre de dizaines de milliers de kurdes.
La situation en Turquie
À la création de la République turque en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk, les autorités interdisent la langue et les noms de famille kurdes. Parler la langue kurde est un acte interdit. Le mot ‘kurde’ lui-même est interdit et les Kurdes sont désignés par l’expression ‘Turcs des montagnes’. Face à cette négation du fait kurde et de l’identité kurde, les Kurdes se sont soulevés à plusieurs reprises. Les soulèvements ont été violemment réprimés par l’armée turque.
Le dernier soulèvement en date contre la Turquie est le fait du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ce soulèvement qui prend la forme d’une guérilla débute en 1984. Au total, l’insurrection et la répression de l’insurrection a fait plus de 37.000 morts dans la région. Bien que l’état d’urgence ait été levé au Kurdistan, la situation des Kurdes n’a pas beaucoup évolué. De nombreux dirigeants kurdes sont en prison et les milliers de déplacés lors de la répression des années 1990 ne sont pas autorisés à regagner leurs villages. Les assassinats politiques et les exécutions sommaires de militants ou de civils kurdes se poursuivent. Depuis 1984, 3.000 villages auraient été détruits par l’armée turque. L’existence du peuple kurde et de sa culture ne sont toujours pas reconnues par la Constitution turque. Le 11 décembre dernier, la Cour constitutionnelle turque a décidé à l’unanimité la fermeture du parti pro-kurde, le DTP, considéré comme un ‘foyer d’activités préjudiciables à l’indépendance de l’Etat et à son unité indivisible’. Des dizaines de parlementaires, de maires, de conseillers communaux ont été arrêtés. Les élus de l’ex-DTP ont également confirmé, vendredi, leur décision de rallier le parti désigné pour la succession: le Parti pour la paix et la démocratie (BDP). Pour la sixième fois en vingt ans, le mouvement de la gauche légale kurde renaît sous un nouveau sigle.
La situation en Irak
Le régime de Saddam Hussein a commis de nombreux massacres contre les Kurdes d’Irak. En 1988, Hussein utilise des armes chimiques contre la ville d’Halabja dont beaucoup de victimes étaient des femmes et des enfants. Les Kurdes obtiennent une autonomie de fait lors de la Guerre du Golfe de 1991 sur une faible partie de leur territoire. En mars 1991, une insurrection renverse le régime baasiste. Deux régions autonomes se constituent en un état fédéré en août 1992 grâce à la protection des États-Unis. La première autour d’Erbil est dirigée par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK). La seconde autour de Souleimaniye, est sous la direction de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK). L’Union est dirigée par Jalal Talabani. Les élections suivant le renversement du régime de Saddam Hussein donneront, dans le nord de l’Irak plus de 95% des votes à la coalition formée par les deux partis kurdes. Jalal Talabani est devenu le premier président de l’Irak post-Hussein. Un accord d’unification entre les deux administrations est signé le 16 janvier 2006. Ensuite, le 7 mai 2006 un Gouvernement régional du Kurdistan est inauguré. Il a pour Premier ministre Nechirvan Idris Barzani. En vertu de la constitution irakienne, ce gouvernement a une autonomie législative sur son territoire au niveau de certaines compétences qui lui sont accordées au sein d’un Irak fédéral. Les deux plus grandes villes du Kurdistan irakien de Mossoul et Kirkouk, à forte population kurde, sont cependant laissées en dehors de cet ‘État fédéré’, jusqu’à ce qu’un recensement et des élections soient organisés par le gouvernement Irakien.
La situation en Iran
Juste après la seconde guerre mondiale, les kurdes d’Iran proclament une république kurde indépendante à Mahabad entre 1946 et 1947. En Iran, les régions kurdes de l’Ouest et du Nord-est sont surveillées par l’armée et des Kurdes sont en prison pour des raisons politiques. Cependant, la langue kurde est officiellement reconnue et au Parlement siègent des députés kurdes. Une opposition spécifiquement kurde au régime islamiste est très active. Ses principales organisations sont le Komalah et le PJAK, très proches du PKK, qui mènent une guerre de guérilla.
La situation en Syrie
La population kurde de Syrie représente 6% de la population totale; elle est en partie issue de l’exode des Kurdes de la Turquie entre 1924 et 1938 suite à la répression kemaliste. Elle est regroupée au nord-est du pays, dans la province d’Alep, le Jazirah et la banlieue de Damas. La partie syrienne du Kurdistan est sous contrôle de l’armée depuis les soulèvements qui se sont produits en 2004 et 2005.
La situation en exil et en émigration
Il y a un million de Kurdes émigrés et exilés en Europe. Depuis 1995 un parlement en exil a été mis en place.
Manifestation kurde en France
Background 2: Brève histoire du PKK
Le 27 novembre 1978, Abdullah Öcalan et une quinzaine de personnes participent à une réunion qui entérine la création officielle du Parti des travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkerên Kurdistan). À sa création, il visait l’indépendance des territoires à population majoritairement kurde se situant dans le sud-est de la Turquie, région constituant une partie du Kurdistan. Le PKK entame la lutte armée en 1984. Face à la politique oppressive turque et son refus de reconnaître aux Kurdes la légitimité d’une identité culturelle à part entière et d’une autonomie administrative, nombre de jeunes s’engagent dans le combat et la guérilla s’intensifie dès le début des années 1990.
L’influence du PKK est allé croissante et, en 1991, il contrôlait une large portion du sud-est anatolien. C’est à cette époque que se déchaîne la répression de l’armée turque qui vide quelque 4.000 villages de leurs habitants pour couper le PKK de ses soutiens dans la population et, par la même occasion, de ses circuits de ravitaillement clandestins. L’armée utilisera aussi des milices locales, des organisations fascistes et des réseaux mafieux comme escadrons de la mort. On estime à 37.000 le nombre des victimes de la guerre.
Seul le président turc Turgut Özal a entamé une rupture avec la politique kémaliste de son pays et proposé des solutions politiques, notamment une meilleure représentation des Kurdes en politique, l’amnistie des membres du PKK et une certaine autonomie du Kurdistan. Öcalan, en relation directe avec Özal, proposera un premier cessez-le-feu en mars 1993. Un mois plus tard, le président turc meurt en emportant avec lui ses projets et le pouvoir qui prend la relève ne respecte pas la trêve: la guerre reprend.
En mai 1990, lors de son deuxième congrès, le PKK décide de resserrer les liens avec Dev-Sol. Les relations avec les Kurdes irakiens sont ambigües: si des bases du PKK ont pu être installées dans le Nord de l’Irak au bénéfice d’une autonomie de fait depuis la Première guerre du Golfe (1991), les partis kurdes irakiens ont toujours cherché à garder leurs distances avec le PKK, sans doute pour éviter de devenir les cibles du feu turc. Cette réserve relative de l’UPK et du PDK n’a cependant pas empêché l’armée turque d’envisager sérieusement d’envahir le Nord de l’Irak sous couvert de l’opération américaine en 2003 et en 2007, initiative qui n’a été stoppée qu’au dernier moment par Washington.
Des cessez-le-feu ont été décrétés par le PKK de 1995, 1998, 1999 et 2006 toujours dans le but d’aboutir à la résolution du problème kurde par la voix du dialogue. Le cessez-le-feu de 1999 intervient après l’enlèvement d’Öcalan dans une opération conjointe des services secrets américain, israélien et turc. Ce dernier avait alors dans l’idée que certains groupes de combattants basés en Irak traversent la frontière pour se rendre aux autorités turques. Mais après l’arrestation le 1er septembre 1999 des sept membres du premier groupe et la condamnation de son chef Ali Sapan à dix-huit ans de prison, le conseil présidentiel met fin à ce projet.
En 2001, suite à son renoncement à la lutte armée, le PKK se renomme Congrès du Kurdistan pour la Démocratie et la Liberté (Kongreya Azad z Demokrasiya Kurdistan ou KADEK). En 2003, renonçant au léninisme, il change de nouveau son nom en Congrès du Peuple du Kurdistan (Kongra-GEL ou KGK). Le 1er juin 2004, Zübeyr Aydar proclame la fin du cessez-le-feu.
En novembre 2008, les gouvernements irakien, turc et américain ont crées conjointement le comité ‘anti-PKK’ afin de contrecarrer leurs activités supposées. La rencontre s’est déroulée à Bagdad en présence du ministre turc de l’Intérieur Beşir Atalay, du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki et de l’ambassadeur des États-Unis à Bagdad, Ryan Crocker. Le comité est dirigé par le ministre d’État pour la sécurité nationale, Shirwan al-Waïli, en collaboration avec le ministre de l’Intérieur de la région autonome du Kurdistan, Karim Sinjari.
En octobre 2009, un nouveau ‘groupe de paix’ de guérilleros se présente sans armes à la frontière entre l’Irak et la Turquie. C’est une nouvelle initiative du PKK pour favoriser une solution négociée. Quelques temps après, les autorités turques font une nouvelle fois avorter le processus de paix en procédant à l’arrestation de deux de ces guérilleros sont arrêtés pour ‘propagande séparatiste’.
Les ‘listes noires’
Dans la foulée des attentats du 11 septembre et à l’image des décisions prises par les USA, le Conseil de l’Union, par son règlement n° (CE) n° 2580/2001, a organisé l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Le règlement n’est que la traduction d’une résolution 1373 (2001) du 27/12/01 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, lui-même clone du règlement américain. Le jour de l’adoption du règlement, le Conseil a adopté une première ‘liste noire’ pour son exécution.
Le 27 décembre 2001, les représentants de 15 Etats réunis au sein du Conseil de l’Europe dressaient une liste de personnes, groupes et entités qu’ils accusent de terrorisme. Dans les premières listes de décembre 2001, annexées à la position commune et établie par le Conseil en exécution du règlement, apparaissent essentiellement des noms d’organisations et de personnes liés au conflit au Moyen Orient (Hezbollah, Jihad, Hamas), au conflit dans le Pays-Basque et en Irlande. Les organisation basques ayant une activité légale étaient particulièrement nombreuses sur cette liste, l’Europe cautionnant ainsi conformément à la nouvelle politique répressive de l’Etat espagnol qui entend traiter comme ‘bras légal’ d’ETA toute organisation politique revendiquant l’autodétermination du Pays-Basque.
Le 2 mai 2002, le Conseil de l’Union a inclus dans les listes établies sur base du règlement des mouvements de libération nationale et sociale qui mènent dans leur pays d’origine une lutte armée. Sont apparus sur la liste notamment: les Forces Armées révolutionnaires de Colombie (FARC), le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), les Brigades des martyrs Al-Aqsa (liées au Fatah), le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le Parti/Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP/C), les Mujahedin-e Khalq iraniens, la New People’s Army (NPA) des Philippines et le fondateur de Parti Communiste des Philippines, le Professeur Jose Maria Sison.
Ces mouvements ne mènent des actions violentes en Europe. Plusieurs d’entre eux ont de représentants et même des bureaux de représentation officiels dans des pays de l’Union. Il ont néanmoins en commun qu’ils estiment que le régime qui règne dans leur pays ne peut être combattu que par la force. Tous ces mouvements argumentent que leurs activités se situent dans le cadre d’une lutte légitime pour la libération nationale ou sociale. Pour ce qui concerne les organisations palestiniennes, le droit international (à travers les résolutions de l’ONU) a même établi indiscutablement que le peuple palestinien est confronté à une occupation. Le même droit international reconnaît le droit de s’opposer à l’occupation, y compris par la force.
Ce genre de décision se prend sur base de dossiers secrets. Mais il est clair que la prise de position de ces organisations, en Turquie, constitue la raison de leur interdiction en Europe. Tant le PKK que le DHKP-C se sont assignés en tout premier lieu, en Europe, des tâches parfaitement légales, telles la diffusion d’informations sur la répression en Turquie, ou des manifs et des conférences de presse, la collecte de cotisations, la quête de solidarité et de soutien politique à leur lutte en Turquie. Elles usent en Europe de leurs droits constitutionnels et démocratiques tels le droit à la libre expression ou celui de s’organiser, qui leur sont refusés en Turquie. En Europe, ils n’ont pas mené d’action armée. On peut comparer leur façon d’agir avec celle, il y a 25 ou 30 ans, de l’ANC, le mouvement sud-africain de libération de Nelson Mandela. Toute la lutte armée s’était menée en Afrique du Sud, tandis qu’en Europe, toutes les activités s’étaient déroulées dans un cadre strictement légal. Si ces lois anti-terroristes avaient existé à l’époque, il y a de fortes chances qu’on les aurait appliquées contre l’ANC.
Le PKK figurait déjà sur la liste noire des Etats-Unis. Il figure aujourd’hui sur les ‘listes noires’ du Canada, des Etats-Unis d’Amérique, de l’Union européenne, de l’Australie, de la Turquie, de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni. Le 3 avril 2008, le Tribunal de première instance des communautés européennes a annulé une décision du Conseil de l’Union européenne de 2002 d’inscrire le PKK sur sa liste d’organisations terroristes, estimant que le Conseil n’avait pas suffisamment motivé sa décision, mais le 15 juillet 2008, le Conseil de l’Union Européenne réintègre le PKK dans la liste des entités qu’il considère comme terroristes et adopte des mesures restrictives.
Le règlement européen prévoit le gel de tous les fonds, avoirs financiers et autres ressources économiques détenus par les entités incluses dans la liste et interdit la mise à la disposition de ces entités de telles ressources. En outre, le règlement interdit de fournir des séries de services financiers aux entités sur la liste.
Le règlement énumère dans son article 2.3 les personnes qui peuvent être inclues sur la liste établie en exécution du règlement par le Conseil:
‘i) les personnes physiques commettant ou tentant de commettre un acte de terrorisme, participant à un tel acte ou facilitant sa réalisation;
ii) les personnes morales, groupes ou entités commettant ou tentant de commettre un acte de terrorisme, participant à un tel acte ou facilitant sa réalisation;
iii) les personnes morales, groupes ou entités détenus ou contrôlés par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, groupes ou entités visés aux points i) et ii) ou
iv) les personnes physiques ou morales, groupes ou entités agissant pour le compte ou sous les ordres d’une ou de plusieurs personnes physiques ou morales, groupes ou entités visés aux points i) et ii)’
Ne sont donc pas seulement visées les personnes qui participent au sens du droit pénal (comme complice ou coauteur) à des actes de terrorisme, mais les personnes qui ‘facilitent’ de tels actes, des personnes physiques ou morales qui agissent ‘pour le compte ou sous les ordres d’une ou de plusieurs personnes’ reprises sur la liste. La notion de ‘faciliter’ n’est définie nulle part et est une notion étrangère au droit. Les notions ‘d’agir pour le compte ou sous les ordres de’ ne sont d’ailleurs pas plus précises. Elles ouvrent évidemment la porte à l’arbitraire le plus total.
En outre, l’article 9 du règlement impose l’obligation aux pays membres de l’Union d’instaurer des sanctions ‘efficaces, proportionnelles et dissuasives’ à l’encontre de toute personne qui aurait violé le règlement; par exemple en fournissant des services interdits ou en mettant des fonds à la disposition d’une organisation ou d’une personne dont le nom est repris sur la liste.
Les représentations en Europe des mouvements de libération nationale et sociale incluses dans la liste peuvent donc être accusées de ‘faciliter’ les activités de l’organisation dans le pays d’origine.
Aucune des personnes ou organisations reprises sur la liste n’ont préalablement été informées de l’intention du Conseil de les insérer à la liste. Aucun des mouvements ou personnes n’a eu la possibilité d’être entendu. Pire même, quand ils demandent accès au dossier qui a été à la base de leur inclusion sur la liste, il leur est répondu que les notules de la réunion du COREPER qui en a discuté sont secrets et que les documents produits à cette réunion par des pays membres ont été restitués. Le COREPER (Comité des représentants permanents), est un groupe de fonctionnaires délégués par les États membres pour assister les ministres dans la préparation des Conseils européens.
Les personnes et organisations incluses dans la liste se voient taxer de ‘terroristes’ et sont privées de tout droit sans la moindre contradiction possible. Elles sont ainsi privées de leur droit à la présomption d’innocence, d’un procès équitable avant d’être soumises à des sanctions d’une extrême gravité, de leur droit d’être entendues et d’apporter la contradiction aux éléments ‘à charge’.
En ratifiant le Traité d’Amsterdam, les quinze Etats membres ont décidé que les décisions prises dans le cadre de la PESC, par exemple l’inscription d’une personne ou d’une organisation sur la liste des organisations terroristes, ne seraient pas susceptibles d’être contrôlées par la Cour de Justice de Luxembourg, donc de faire l’objet d’un recours légal.
Certaines organisations inscrites sur la liste n’était même pas tenues pour illégales par l’Etat qu’elles contestaient. L’organisation de jeunesse basque SEGI était légale en Espagne. L’Etat espagnol l’a fait inscrire sur la liste européenne des organisations terroristes, et puis s’est prévalu de la présence de SEGI sur la liste européenne pour l’interdire et pour procéder à des arrestations massives de ses militants. L’échelon européen a permis à l’Etat espagnol de court-circuiter ses propres procédures légales de criminalisation.