Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues d’Istanbul, Ankara, Izmir, Trabzon et de nombreuses autres villes, ce mercredi et jeudi, pour exprimer leur colère face à l’interpellation à son domicile par une centaine de policiers ce mercredi 19 mars, d’Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul et principal rival du président Erdogan aux élections présidentielles de 2028, au motif de ses «liens présumés avec le PKK» (Parti des Travailleurs du Kurdistan).
Sur ordre du ministre de l’Intérieur, les rassemblements, les manifestations ont été interdits jusqu’au 23 mars, malgré cela, ils se sont multipliés. L’accès à plusieurs réseaux sociaux et messageries était toujours restreint ce jeudi à Istanbul. 37 internautes ont été arrêtés pour des «messages provocateurs». Tentant de bloquer un groupe de jeunes manifestants qui se dirigeaient vers la place Taksim, lieu emblématique de contestation, barricadé depuis deux jours, la police a fait usage de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes. Aucun blessé n’était immédiatement rapporté. Lors de la manifestation à Izmir Bornova, des manifestants ont poursuivi les forces de police, forçant les agents à quitter les lieux, quelques policiers ont été blessés lors de ces affrontements.
À de nombreuses reprises, la prison de Silivri n° 5 d’Istanbul a fait l’objet de révélations de violations des droits des prisonniers kurdes. Ces dernières sont à nouveau mises en avant, les détenus kurdes ont transmis leurs témoignages à l’Agence de Mésopotamie (MA) par l’intermédiaire de leurs avocats. Depuis l’appel d’Abdullah Öcalan à la « paix et à la société démocratique » ( voir notre article ), ils déclarent être victimes d’attaques directes, d’insultes, d’intimidations, de manquements et de pressions de la part des agents pénitentiaires. De multiples comptages sont effectués sous la présences de 30 à 40 agents, de nombreuses confiscations allant de leurs oreillers aux articles achetés à la cantine ont lieu lors des fouilles de cellules sous le motif « d’usage non prévu ». Des procès-verbaux ont été conservés en raison des objections lors de demandes, les prisonniers déclarent des falsifications de ceux-ci et font état d’enquêtes disciplinaires ouvertes pour les empêcher de bénéficier de leur droit à la probation. Actuellement, 12 prisonniers sur 30 n’ont pas été libérés. Certains prisonniers, résistants aux pressions ont été physiquement attaqués par les gardes de la « Team Ready Force » ( Force d’intervention rapide).
Les attaques turques contre les zones tenues par le PKK dans les régions montagneuses du Nord du Kurdisan irakiens se sont intensifiées depuis l’annonce du cessez-le-feu unilatéral par le PKK. Ce cessez-le-feu faisait suite à l’appel d’Abdullah Öcalan (voir notre article) et ne concernait pas les actions d’auto-défenses, et se voulait une ouverture vers une solution négociée. Mais depuis le début de ce cessez-le-feu, l’armée d’occupation turque a intensifié son action et bombardé les zones de guérilla 14 fois avec des avions de combat, 9 fois avec des hélicoptères d’attaque et 692 fois avec de l’artillerie. L’armée turque pilonne ainsi tout périmètre où elle croit déceler la présence d’une unité de guérilla, en fonction des informations recueillies par les drones, par des postes militaires, et par des caméras camouflées dans les montagnes et opérées à disstance.
La situation stratégique du Rojava a beaucoup évolué même si, paradoxalement, la ligne de front n’a pas bougé. Le Gouvernement de transition syrien (GTS), les islamistes d’Al-Nosra et leurs alliés, avait annoncé une « Conférence de dialogue national » qui excluait 35 partis politiques, dont les principaux partis syriaques, kurdes et druzes et l’Administration autonome du nord-Est syrien (AANES). Mais le GTS a sous-estimé la résistance des communautés non arabo-sunnites. Un soulèvement armé des Alaouites a fait des centaines de morts de part et d’autres parmi les combattants dans la région côtière. Ces combats ont été suivis par des massacres d’un millier de civils alaouites par les islamistes devenues « forces de sécurité » du GTS. Outres ces massacres, il y a eu des arrestations de masses, des mauvais traitements et des pillages (photo).
Les Druzes de la région de Souweïda (dans le Sud-Ouest, où ils sont majoritaires) ont rejetté l’autorité du GTS et leurs milices d’autodéfense ont refusé de rendre les armes aux « forces de sécurité » du GTS. Israël a tenté d’instrumentaliser cette résistance en se posant en défenseur (potentiel) des Druzes syriens, et a étendu son occupation du plateau du Golan. Ces difficultés ont contribué à ce qu’hier, le premier ministre du GTS signe avec le commandant en chef des FDS un accord de principe sur l’incorporation des organismes politiques (AANES) et des forces armées (FDS) du Rojava dans un état syrien démocratique et garantissant tous les droits à toutes ses communautés. Le flou extrême de ce texte (voir ici) permet toutes les interpétations, mais le spectre du conflit armé entre le GTS et le Rojava s’est éloigné pour cette année.
Dans le Nord, l’offensive de la Turquie contre le Rojava, via ses proxys de la prétendue « Armée Nationale Syrienne » (ANS), a commencé comme une promenade militaire (chute rapide de Manbij en décembre) et s’est terminée sur une défaite totale sur l’Euphrate. Les FDS n’ont pas simplement tenu la ligne du fleuve (ce qui est militairement relativement facile) mais aussi d’importantes têtes de pont sur la rive occidentale (ce qui, considérant le rapport de force, est militairement un exploit). L’ANS a subi de très lourdes pertes. Individuellement ou collectivement, les effectifs de l’ANS désertent celle-ci pour rallier le GTS de Damas.
La proposition de « paix démocratique » faite par Ocalan à la Turquie, qui impliquerait la dissolution du PKK et l’arrêt de la lutte armée (voir notre article), est en attente d’une réponse de la Turquie. Le PKK a simplement annoncé un cessez-le-feu (sauf en cas d’attaque) et une demande de liberté de mouvement pour Öcalan pour qu’il puisse mener les discussions (y compris dans le PKK). Pour les Kurdes, ces négociations n’impliquent que la Turquie et l’Irak, alors que les Turcs en parlent comme si le Rojava était inclus dans la discussion. L’éventualité de négociations n’a pas stoppé ni même réduit les bombardements quotidiens du Rojava par l’aviation, l’artillerie et les drones turcs.
Samedi 8 mars, en soirée, malgré les interdictions de manifester ordonnées par les autorités, une marée féministe d’environ 200 000 personnes a déferlé sur Istanbul. La police avait monté des barrages pour empêcher la marche nocturne qui a lieu depuis 23 ans. Les participant.e.s se sont rassemblé.e.s derrière une banderole mentionnant : «Notre lutte féministe change nos vies et le monde». Tout au long du parcours, des slogans tels que « Jin, jiyan, azadî (slogan féministe kurde) »,« Nous ne nous tairons pas, nous n’avons pas peur, nous n’obéirons pas » et « Vive notre lutte féministe » ont résonné dans les rues. Durant la marche, les participantes ont déployé un drapeau « Rébellion féministe » devant le Feminist Mekan, un lieu de rassemblement féministe bien connu des militantes. Après la marche, plus de 200 personnes ont été arrêtées par les forces de l’ordre.
Ce jeudi 27 février, une délégation du parti turc pro-kurde DEM (Parti de l’égalité des peuples et de la démocratie) a pu s’entretenir avec Abdullah Öcalan à la prison d’Imrali où il est emprisonné à l’solement depuis 26 ans. Le jour même, la délégation a tenu une conférence de presse à Istanbul et y ont lu la déclaration d’Abdullah Öcalan dans laquelle il appelle tous les groupes à déposer les armes et à la dissolution du PKK.
Plusieurs interprétations étant possibles de cette déclaration, de « pas vers la capitulation » à « ouverture nécessaire pour dépasser une impasse », la réaction de l’état turc, mais plus encore la réaction du PKK à cette réaction, pourront seules nous éclairer. Mais les précédents péruvien et colombien n’incitent pas à l’optimisme. Lire la Déclaration d’Abdullah Öcalan 25 février 2025
Lundi 17 février, la députée du Parti DEM, Newroz Uysal, a été victime de violences policières lors d’une manifestation contre la confiscation de la municipalité kurde de Van. Les forces de l’ordre l’ont roué de coups devant les caméras. L’Assemblée des femmes du DEM Parti a publié un communiqué qui déclare que des dizaines de personnes ont été violemment arrêtées par la police lors de manifestations et dénonce les attaques contre les citoyens et les élus qui exercent leur droit démocratique de manifester.
Ces 5 derniers jours, près de 300 personnes ont été arrêtées. Les autorités d’Ankara livrent ce bilan ce mardi 18 février. Parmi ces personnes, des « membres présumés d’organisations terroristes », en particulier du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ces arrestations ont eu lieu au moment où la Turquienégocie avec Abdullah Öcalan, leader du PKK emprisonné depuis 26 ans pour qu’il appelle ses combattants à renoncer aux armes. Aux yeux du parti pro-kurde DEM (Parti de l’égalité des peuples et de la démocratie) ces arrestations, tout comme la destitution récente de plusieurs de ses maires, sont le signe d’un manque de sincérité du pouvoir dans ces efforts de paix.
Il y a quelques jours, les comptes X puis Instagram du réseau Serhildan ont été successivement suspendus après avoir reçu un rappel de leurs règles: l’interdiction de soutien à des « attaques, à des organisations terroristes ainsi que de relayer leur propagande ». Serhildan rejette ces accusations et soutient que la lutte du peuple kurde pour sa libération est une lutte juste et légitime. Cette censure est différente des précédentes, en moins d’une semaine, le compte X a été définitivement supprimé, le compte Instagram suspendu ainsi que d’autres comptes qui y seraient liés et certains comptes d’organisations qui relaient des informations sur le Kurdistan. Le réseau Serhildan a décidé après cette censure de ne plus retourner sur X.
Depuis 2015, les citoyens turcs peuvent contacter la présidence de la République via la plateforme CIMER ( Cumhurbaskanligi lletisim Merkezi / Centre de communication de la présidence ). En 2024, écrivains, journalistes, militants, opposants, majoritairement kurdes, se sont retrouvés face à la justice sous le chef d’accusations de « propagande terroriste » à la suite d’un signalement sur la plateforme officielle. Il permet aux citoyens turcs de donner leurs opinions, faire des suggestions ou écrire des plaintes à la présidence de la République turque via une plateforme en ligne ou par téléphone. Toutes les demandes doivent être adressées et certaines peuvent mener à l’ouverture d’enquêtes. En 2024, plus de 4,5 millions de demandes ont été déposées. Présenté comme un exemple de démocratie participative, le CIMER permet de relever les problèmes mais le CIMER est aussi devenu un outil au service de la répression orchestrée par les autorités turques. Écrivains, journalistes, médecins, ou encore professeurs d’université, y sont souvent signalés pour des motifs politiques.