Après la trahison des peshmergas du PUK (Union Patriotique du Kurdistan) hier à Kirkouk, les peshmergas du PDK (Parti Démocrate du Kurdistan) ont suivi le même chemin cette nuit en abandonnant les zones qu’ils contrôlaient dans le Mont Shengal (aussi connu sous son nom arabe ‘Sinjar’). Les positions ont été cédées aux Hachd al-Chaabi (Unités de Mobilisation Populaires, les milices chiites loyales au pouvoirs irakien et iranien dont certaines comprennent des combattants yézidis). La majorité du centre-ville de Shengal (la principale ville du mont éponyme) est désormais sous contrôle irakien.

Comme à Kirkouk, les peshmergas se sont retirés sans un coup de fusil. L’abandon de Shengal successif à celui de Kirkouk fait très clairement penser qu’il y a eu un accord entre le Gouvernement Régional Kurde indépendantiste et l’Irak de Baghdad pour une cession des « zones disputées ». Les zones disputées sont les villes kurdes qui ne sont pas comprises dans les limites de la région autonome kurde telle que reconnues dans la constitution irakienne, il s’agit principalement de Kirkouk, Makhmour, Shengal et Mossoul. Des zones militairement partagées entre Baghdad et Erbil (la capitale du Kurdistan irakien), et avec une forte influence du PKK dans les trois premiers cas.

Le Mont Shengal abrite le peuple Yézidi, un peuple kurdophone et zoroastriste plusieurs fois persécuté et génocidé à travers l’histoire par les islamistes. En 2014, les peshmergas avaient déjà déserté le Mont dans ce qui ressemble très fort à un accord passé avec Daesh. Les peshmergas étaient à l’époque garants de la protection des Yézidis, cette désertion a mené au bain de sang: 3.000 Yézidis massacrés, 7.000 autres capturés et réduits à l’esclavage par Daesh. Les Yézidis pourchassés avaient pris refuge dans les montagnes où des conditions climatiques épouvantables avaient achevé leur calvaire. Finalement, ce sont les guérillas du PKK et du PYD, les HPG, YJA-Star, YPG et YPJ qui sont venus à leur secours et ont empêché la poursuite du génocide. Depuis lors, les guérillas protègent la montagne et tiennent toujours position aujourd’hui pour protéger le Mont Shengal. Elles ont également formé des milices locales autonomes afin de protéger la montagne.

Depuis que le Mont Shengal a été libéré, le pouvoir kurde irakien a de très nombreuses fois demandé aux guérillas du PKK d’abandonner les zones sous leur contrôle, une demande toujours refusée. Aucun doute qu’une tentative de prise de contrôle de la part du pouvoir irakien mènera à des affrontements.

En orange, les zones disputées.

En orange, les zones disputées.

Suite au référendum pour l’indépendance du Kurdistan Sud (irakien), l’escalade des tensions mène à ce que le pouvoir irakien tente de s’emparer des « zones disputées ». C’est à dire les zones kurdes qui ne font pas officiellement partie de la région autonome du Kurdistan, donc principalement la ville de Kirkouk. L’escalade a basculé ces dernières heures dans les premiers affrontements entre Kurdes et Irakiens. L’objectif de l’armée irakienne est de prendre le contrôle de trois puits de pétrole et de deux bases militaires, et à l’heure de publier cet article, plusieurs cibles ont effectivement été prises. Le jeu des alliances est profondément bouleversé : on retrouve d’un côté les HPG (guérillas du PKK) et les Peshmerguas qui n’ont pour l’heure pas formé d’alliance militaire malgré les demandes des premiers. De l’autre côté : l’armée irakienne et les Unités de Mobilisation Populaires (plus connues comme « milices chiites ») et leurs alliés iranien, turc et syrien.

Les informations sont floues pour l’instant et les différents médias kurdes distribuent des informations très différentes selon leurs couleurs politiques. Il semblerait dans tous les cas que certains peshmerguas (du PUK, Union Patriotique du Kurdistan) aient fuit la ville (des milliers d’habitants ont déjà pris la route vers l’intérieur du Kurdistan). Les HPG ont clairement pris les armes et appelé à former une force « entre les guérillas, les peshmerguas et la population ». Des manifestations ont défilé avec des drapeaux du PKK dans la ville. Des villageois furieux (ce n’est pas la première fois dans cette guerre que les peshmerguas fuient sans combattre) ont tiré sur des convois qui quittaient la ville en pensant qu’il s’agissait de déserteurs. La situation est donc pour l’heure très confuse.

La tension est palpable à Kirkouk. Crédit @jenanmoussa

La tension est palpable à Kirkouk. Crédit @jenanmoussa

Suite à la tenue d’un référendum pour l’indépendance du Kurdistan, une guerre froide a commencé entre la région autonome du Kurdistan Sud (dans le nord de l’Irak) et ses quatre voisins, Syrie, Turquie, Iran et Irak. La Turquie continue à augmenter le nombre de ses opérations militaires dans plusieurs zones du nord de l’Irak, des zones tenues par le PKK. Après plusieurs tentatives d’incursions terrestres, plus ou moins repoussées par la guérilla du PKK, des drones et des avions de chasse ont bombardé les montagnes du PKK.

Un petit résumé de la situation dans cette zone complexe (voyez notre page spéciale pour une explication plus profonde): le KRG (aussi dénommé Bashur ou Kurdistan Sud) est la région kurde quasi-autonome du nord de l’Irak. Il est largement administré par deux partis, le PDK (Clan Barzani, droite) et le PUK (Clan Talabani, gauche) au travers de ses forces armées, les Peshmergas. Plusieurs zones kurdes irakiennes sont toutefois sous le contrôle du PKK ou de guérillas qui lui sont affiliées, notamment la zone de Qandil frontalière de la Turquie (la « Zone de Défense Mède » où sont installés les QG du PKK depuis des décennies) et le Mont Shengal qui avait été abandonné à Daesh par les peshmergas et les forces irakiennes avant d’être secouru par le PKK qui a développé une force de guérilla indépendante, les YBS (Unités de Protection du Shengal). Le Mont Shengal est habité par les Yézidis, un peuple kurdophone que les islamistes ont régulièrement tenté de génocider à travers l’histoire. La ville de Kirkouk est à la frontière entre le KRG et l’Irak et ethniquement plus mixte (avec de fortes communautés turkmènes, arabes, chrétiennes). Le PKK a également une présence relative dans cette ville qu’il n’a pas dans les grandes villes du KRG.

Suite à des attaques de la part des « milices chiites » (Hachd al-Chaabi, Unités de Mobilisation Populaire, milices qui combattent au côté de l’armée irakienne) contre le Mont Shengal, le PKK a réaffirmé qu’il continuerait à protéger la zone et qu’il soutiendrait son autonomie.

Pour ce qui est de l’actualité des réactions frontalières au référendum pour l’indépendance du Kurdistan Sud: une interdiction de vols internationaux vient d’entrer en vigueur ce soir aux deux aéroports kurdes (Erbil et Soulemanyé). Ce qui veut dire qu’un étranger qui voudrait se rendre au Kurdistan en avion devrait faire escale à Baghdad et reprendre un avion de là. L’Irak serait également en train de planifier une prise de contrôle militaire des frontières du Kurdistan avec l’Iran, la Turquie et la Syrie. Côté iranien, des dizaines d’arrestations ont été rapportées, 27 selon Komala, contre des manifestants qui fêtaient la victoire du « Oui » au référendum.

Manifestation au Kurdistan Oriental (Iran)

Manifestation au Kurdistan Oriental (Iran)

Il y a environ un mois, deux agents des services de renseignements turcs ont été arrêtés par le PKK près de la ville kurde irakienne de Souleimaniye (au Barrage de Kudan, entre Qandil -région contrôlée par le PKK- et Souleimaniye -région contrôlée par le PUK). Les agents du MIT étaient présents au Bashur pour tenter d’assassiner des membres de la guérilla du PKK dont Cemil Bayik, un des trois dirigeants exécutifs du PKK. Le dossier est très sensible et à la source de tensions entre le régime d’Erdogan, le PUK (Union Patriotique du Kurdistan, parti de centre gauche relativement favorable au PKK et relativement hostile envers la Turquie) qui se serait bien passé de cette histoire sur une région qu’il administre officiellement, et le PKK, clandestinement actif dans le Kurdistan irakien et particulièrement dans la région de Qandil. Vu cette tension, les informations apparaissent au compte-goutte. Les deux agents du MIT voyageaient avec des passeports diplomatiques, ils ont convaincu leur hiérarchie qu’ils avaient des opportunités d’enlèvements et d’assassinats contre des cadres du PKK au Bashur, mais leur opération a échoué, peut-être à cause d’une fuite dans leur organisation. Des membres des staffs des deux agents ont également été arrêtés.

L’opération était potentiellement importante pour le régime d’Erdogan. Le soir de l’opération, plutôt que d’apprendre le succès de l’opération, ils ont appris la capture de leurs agents. Une rencontre a aussitôt été provoquée à Ankara entre des responsables du MIT et du PUK, les premiers demandant aux seconds de retrouver leurs agents. Le PUK a à son tour demandé une rencontre au KCK (le parapluie politique du PKK), rencontre qui a eue lieu rapidement à Souleimaniye. Le PKK a refusé de remettre les deux agents au PUK et a argumenté qu’ils pourraient être liés au meurtre de Sakine Cansiz, et que la seule raison pour laquelle les agents n’avaient pas déjà été liquidés étaient précisément pour éviter une crise entre le PKK et le PUK.

Lorsque l’administration d’Erdogan a compris qu’elle ne récupérerait pas ses agents, elle a tenté de faire pression sur le PUK: tenant des réunions parallèles avec le PDK (parti de droite au Kurdistan irakien qui administre la région d’Erbil), fermant les bureaux du PUK à Ankara et expulsant le représentant de ce parti, Bahroz Galali, hors du territoire turc. Ce diplomate a déjà fait la médiation lors de nombreux conflits entre la Turquie et la guérilla du PUK ou entre la Turquie et la guérilla du PKK. De son côté, le PDK a indiqué qu’il était impuissant puisque les faits ne se déroulent pas dans la partie du Bashur qu’il administre.

Médiatiquement, la Turquie est tout à fait silencieuse sur le sujet, puisqu’elle s’attend à ce que des photos, vidéos, et déclarations des deux agents soient publiées et se prépare à les réfuter aussitôt. Côté PUK: même si une certaine branche du parti préférerait que les agents soient rendus à la Turquie, la base militante et les habitants de la ville de Souleimaniye sont généralement heureux d’apprendre qu’une opération du MIT dans leur région a échoué. De son côté, le PKK a annoncé que les deux agents ne seraient pas libérés.

Cemil Bayik, cible du complot du MIT.

Cemil Bayik, cible du complot du MIT.

Gabar Tolhildan (nom de guerre), un montréalais arrêté le 27 juillet par les forces du PDK (voir notre article), a été libéré ce matin. Il avait combattu avec les YPG et blessé à la jambe il y a environ deux mois lors de la campagne de Raqqa. Gabar Tolhildan avait été évacué et avait décidé de rentrer au Canada en passant par le Kurdistan irakien. Il aurait été arrêté en passant la frontière pour des raisons de problèmes de passeport et de visa. Les combattants volontaires qui franchissent la frontière pour quitter le Rojava sont soumis à des arrestations pour violation de visa.

Gabar Tolhildan

Gabar Tolhildan

Le PDK, qui au pouvoir au Kurdistan irakien, a arrêté un autre groupe de volontaires internationalistes des YPG. Jusqu’ici, nous avons seulement le nom d’un combattant canadien dont le nom de guerre est Gabar Tolhildan. Ils auraient été arrêtés jeudi dernier mais aucune autre information n’a pu être obtenue jusqu’à présent. Le PDK, expression du clan féodal Barzani au pouvoir au Kurdistan irakien, étroitement lié à la Turquie d’Erdogan, arrête régulièrement des combattants internationalistes qui passent par le Kurdistan irakien pour rejoindre le Rojava ou rentrer chez eux.

Gabar (à droite)

Gabar (à droite)

Neuf internationalistes qui ont combattus Daesh dans les rangs des YPG ont été arrêtés par la police du PDK alors qu’ils rentraient du Rojava pour retourner chez eux. Les internationalistes états-uniens, italiens et espagnols Callum Ross, Ozgan Ozdil, Anthonî Degatto, Justin Schnepp, Mirko Bruna, Paola Andolina, Damien Rodriguez, Fernando Sanches Grassa ont été arrêtés à un checkpoint à 1,5km de Erbil (Hewler en kurde). Il arrive fréquemment que des combattants rentrant par l’Irak soient arrêtés par les Peshmergas du PDK (Parti Démocrate du Kurdistan). Les étrangers sont rapidement repérés par le visa expiré (maximum 1 mois) qui figure dans leur passeport.

La frontière de Semalka, entre le Kurdistan irakien et le Kurdistan syrien

La frontière de Semalka, entre le Kurdistan irakien et le Kurdistan syrien

L’armée turque mène une opération contre les forces du PKK, dans la région frontalière de Zap, au Kurdistan irakien. Des bombardements aériens appuient cette opération. Dans le Kurdistan turc, d’autres opérations ont lieu. Certaines zones ont été proclamées « zone de sécurité spéciale » en raison des opérations qui sont en cours dans les districts de Cukurca, Semdinli et Yuksekova à Hakkari. Un couvre-feu a été décrété pour huit villages rattachés à Diyarbakir, suite auquel une opération a été lancée dans la zone rurale des districts de Lice, Hani et Kocakoy.

L’opération de l’armée turque

L'opération de l'armée turque

Les forces armées du Gouvernement Régional du Kurdistan (les Peshmerguas irakiens donc) et celles de l’état irakien ont fraichement annoncé que les préparatifs visant à la libération de Mossoul, la place forte de Daesh en Irak, étaient terminés. Le PKK (dont la guérilla tient plusieurs endroits en Irak, notamment l’ouest du Mont Shengal, Qandil et Camp Makhmour) a plusieurs fois réitéré sa volonté de participer à la libération de cette ville, en envoyant un nombre important de combattants (par le passé, ce nombre avait tourné autour de 1,000 à 1,500 combattants). Vu l’apparente imminence de la libération de Mossoul, un journaliste a demandé à un porte-parole du pentagone qu’elle serait l’attitude américaine face à la participation du PKK: le porte-parole est resté vague en annonçant que les USA « s’opposeraient bien sûr » sans préciser le genre d’opposition qui serait manifestée, mais en précisant que les USA faisaient une distinction claire entre le PKK et son homologue syrien le PYD. Un porte-parole des HPG (guérillas du PKK) dans le district de Shengal a annoncé que le PKK participerait à la libération de Mossoul malgré l’opposition de la Turquie et du Gouvernement Régional Kurde. Mossoul est occupée depuis juin 2014 par Daesh à la suite d’une campagne éclair d’une semaine, c’était avant la guerre une ville de plus de 2 millions d’habitants.

Les YBS, milices affiliées au PKK dans le Mont Shengal

Les YBS, milices affiliées au PKK dans le Mont Shengal

Une combattante YJA-Star (la guérilla des femmes du PKK) est décédée en défendant le Camp Makhmour contre une attaque de l’Etat Islamique. Le Camp Makhmour est un camps de réfugiés défendu et administré par le PKK et situé à mi-chemin entre Mossoul et Kirkouk. Le camp avait été créé pour accueillir les Yézidis chassés du Mont Shengal. A l’aube ce matin, deux djihadistes se sont infiltrés dans le camp avec des ceintures d’explosifs, l’un d’eux a réussi à se faire sauter alors que l’autre a pu être abattu par les guérilleros avant de faire sauter sa charge. Deux réfugiés ont été blessés, et une combattante Deniz Binevs a été tuée.

Deniz Binevs

Deniz Binevs