Les tribunaux tentent de faire face à l’afflux de centaines de pillards et d’émeutiers présumés interpellés lors des violences qui ont secoué plusieurs villes d’Angleterre. Dans le centre de Londres, des fourgons de police stationnaient en file indienne autour du tribunal de Westminster, théâtre d’une procession ininterrompue de prévenus appelés à comparaître.
La police londonienne a procédé à 922 arrestations en rapport avec les violences, les actes de pillage et autres troubles à l’ordre public. Sur les 922 personnes interpellées (compte arrêté à jeudi midi), 401 ont déjà été inculpées. Face à cet afflux inattendu de prévenus, les juges des tribunaux de la capitale et d’autres grandes villes anglaises ont siégé toute la nuit de jeudi à vendredi.

A l’instar de ce qui s’est passé durant le printemps arabe, les réseaux sociaux sont mis à contribution depuis le début des manifestations qui secouent la Grande-Bretagne. Hier, le premier ministre britannique a annoncé que les services de renseignements, la police et les industriels travaillaient de concert afin d’éventuellement empêcher les gens de communiquer via Twitter, Facebook ou encore BlackBerry Messenger. Ce dernier est particulièrement visé par les autorités car contrairement aux autres moyens de communications, il permet l’envoi de messages instantanés, cryptés et sécurisés. Le filtrage ou la coupure pure et simple de certains réseaux sociaux serait un acte sans précédent en Europe. On se souvient que pareille démarche avait été effectué par le gouvernement égyptien. Les manifestants avaient été prompts à trouver le moyen de contourner cette manifeste atteinte à leurs libertés civiles.

David Cameron a également annoncé des pouvoirs supplémentaires pour les policiers, notamment celui d’enlever les foulards, masques et cagoules des manifestants. Enfin, après de nombreux renforts de police et le recours accordé aux canons à eau, il a annoncé qu’il pourrait, dans les jours qui viennent, faire appel à l’armée. Depuis mercredi, la police a procédé à plus de 1200 arrestations. Jeudi, à Londres, elle a mené des perquisitions en application de cent mandats d’arrêt. Et aujourd’hui, les autorités continuent à interpeller toute personne soupçonnée d’avoir pris part aux rassemblements de ces derniers jours.

Depuis aujourd’hui à Birmingham, la police diffuse les photos des personnes recherchées sur un écran géant installé sur une camionnette. Après la publication de photos recueillies à partir des caméras de surveillance par les médias et sur le site internet de la police, les autorités britanniques poursuivent leurs innovations dans les appels à la délation. La camionnette sillonnera la ville et s’arrêtera dans tous ses principaux points de 7h à 19h jusqu’à samedi.

Les émeutes ont éclaté à nouveau la nuit dernière lorsque cinq postes de police ont été attaqués avec des engins incendiaires artisanaux à Nottingham. Les postes de police Canning Circus, The Meadows, Oxclose Lane, Bulwell et St Ann’s ont été pris pour cible. Une voiture de police devant le poste des Meadows a également été incendiée.

La police de Nottingham a déclaré avoir arrêté plus de 80 personnes en lien avec les troubles et ils s’attendent à ce que ce chiffre dépasse 100. Dix personnes ont été arrêtées lors d’un incident impliquant des jeunes grimpant sur le toit de la Nottingham High School près de Forest.
La Nottingham High School, est un symbole de la richesses et des opporunités des élites : une école payante avec des grands bâtiments et un terrain énorme, à deux pas des quartiers ouvriers d’Arboretum, de Radford et de Forest Fields.

Ce mardi, la police londonienne a mis en oeuvre un plan d’action intitulé ‘London rioters wanted’ (‘Emeutiers recherchés’). L’objectif avoué de ce dernier est de retrouver et d’identifier toutes les personnes qui ont pris part aux actions qui secouent le pays depuis quatre jours. Le pays étant littéralement quadrillé de caméras de surveillance, les autorités judiciaires disposent de nombreuses photos de manifestants. Celles-ci ont été mises en ligne sur un compte Flickr dédié. Le chef de la police britannique a clairement lancé cet appel hier soir ‘Nous avons les images et nous demandons aux Londoniens d’identifier les personnes qui sont impliquées dans les activités criminelles de la nuit passée’.

Bien qu’il ne s’agisse pas officiellement d’un avis de recherche émis par la police, les médias britanniques lui ont emboité le pas. Un tabloïd a fait sa Une avec les photos de certains responsables présumés et d’un numéro de call-center.

Enfin, le fabricant de Blackberry (RIM) s’est pour sa part engagé à collaborer pleinement avec les autorités. Très populaire en Grande-Bretagne, les appareils permettent aux usages de s’échanger des messages instantanés sans passer par le réseau téléphonique, dans une sorte de ‘chat’. Cette technologie rend l’interception des messages par la police très compliqué. RIM s’est donc mis à sa disposition. Cette nuit, RIM s’est fait piraté par un groupe de hackers nommé ‘Team Poison’. Ceux-ci ont exigé que la société n’aide pas la police sous peine de révéler nombre de données confidentielles.

Samedi après-midi s’est déroulé à Tottenham une marche en protestation contre la mort d’un homme tué jeudi par les forces de l’ordre. Des centaines de personnes s’étaient rassemblées dans la banlieue de Londres pour dénoncer le meurtre qui a eu lieu dans le cadre d’une opération policière dans la communauté noire de la localité. A la dislocation de la manifestation, de violents affrontements ont opposé 200 manifestants aux forces de l’ordre. Celles-ci ont été la cible de jets de pierres et de cocktails Molotov. Deux voitures de police, un autobus et plusieurs camionnettes ont été incendiées. Les affrontements ont duré toute la nuit et ont fait 29 blessés. Les autorités ont annoncé avoir procédé à 42 arrestations.

Manifestation à Tottenham

Depuis la semaine dernière circule à Londres une note émanant de la police de la capitale, et plus précisément de son ‘bureau de lutte contre le terrorisme’. Celle-ci a été transmise aux managers, aux agents de sécurité et aux employés de grandes organisations du secteur privé et public de la ville. La note est un appel, sous forme de recommandation formelle, aux dénonciateurs anti-anarchistes. Aux côtés d’un logo anarchiste, ce texte: ‘L’anarchisme est une philosophie politique qui considère l’état comme indésirable, inutile et nuisible, et promeut plutôt une société apatride, ou l’anarchie. Toute information relative à des anarchistes doit être signalée à votre police locale’. Cette injonction fait partie d’un projet plus large mis en place par la police de Londres dans le but de conseiller et de familiariser la population sur les questions de sécurité, de contre-terrorisme et de prévention d’actes délictueux.

La police britannique a annoncé mercredi soir avoir interpellé un jeune homme de 19 ans soupçonné d’être le numéro 2 de LulzSec, ce collectif de hackers qui a semé la pagaille au printemps dernier en attaquant notamment Sony, Nintendo, le site du Sénat américain et celui de la CIA.
Il opérait en ligne sous le nom de Topiary a 19 ans et était basé dans les îles Shetland, au nord de l’Ecosse.

Mercredi soir, il était en route pour un commissariat de Londres. Un peu plus tôt, LulzSec avait appelé à boycotter PayPal pour protester contre la collaboration du site avec les forces de l’ordre dans l’enquête sur les attaques informatiques dont le site avait été victime. Topiary avait d’abord officié comme porte-parole du groupe Anonymous, et s’était rendu célèbre pour avoir, avec ses camarades, piraté en direct le site de l’Eglise de Westboro lors d’un talk-show radio.

Topiary était également la voix de LulzSec. Il s’occupait notamment du compte Twitter du groupe et de ses communiqués, maniant avec talent un humour geek et provocateur. Narguant le FBI et Scotland Yard à coup de déclarations dans les médias façon «Catch me if you can», LulzSec avait pris sa retraite anticipée après avoir lancé l’opération #AntiSec, appelant la communauté des hackers à lutter contre la censure en publiant du matériel sensible, à la mode WikiLeaks. La police de l’Arizona en avait notamment fait les frais fin juin.

Le FBI et le département US de la Justice ont annoncé l’interpellation aux États-Unis de seize individus, âgés de 21 à 42 ans, qui auraient joué un rôle dans des cyberattaques. Cinq autres personnes ont été arrêtées au Royaume-Uni et aux Pays-Bas pour des attaques similaires. Aux USA, quatorze personnes ont été arrêtées pour leur implication présumée dans une attaque informatique qui a ciblé le site de PayPal. Une cyberattaque par déni de service distribué pour rendre indisponible le site avait eu lieu en décembre 2010, et par les Anonymous comme de représailles suite à la décision de PayPal de geler le compte de WikiLeaks.

Parmi les quatorze interpellés, un homme de 21 ans est accusé d’accès non autorisé au site de InfraGard (et de la mise en ligne de trois fichiers), un prestataire qui travaille avec le FBI. Également âgé de 21 ans, le dernier des seize interpellés aux USA est accusé du vol et de la divulgation d’informations confidentielles appartenant à l’opérateur AT&T. Une attaque qui serait liée non pas à Anonymous mais LulzSec.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle vague d’arrestations a lieu et des enquêtes sont toujours en cours. Des arrestations liées à Anonymous ont déjà été médiatisées en Espagne, Turquie ou encore en Italie avec aucun impact sur les actions d’Anonymous qui ne se définit d’ailleurs pas tant comme un groupe.

La police britannique a annoncé hier jeudi l’arrestation à Cambridge d’un membre présumé d’ETA, Eneko Gogeaskoetxea Arronategui, recherché par l’Espagne dans le cadre de l’enquête sur une tentative d’assassinat du roi d’Espagne en 1997. Le militant présumé est recherché pour « participation à un gang armé, terrorisme, détention d’armes, vol et faux et usage de faux ». Eneko Gogeaskoetxea Arronategui, 44 ans, devait être présenté jeudi devant un tribunal à Londres en vue de son extradition vers l’Espagne.

Eneko Gogeaskoetxea Arronategui

Le groupe de pirates informatiques Lulz Security a revendiqué, le 17 juin, dans un communiqué, des attaques contre la chaîne de télévision PBS, Sony, et Fox, des sites porno, le FBI, la CIA, le gouvernement américain. Submergé de requêtes, le site public de la CIA a été mis hors d’usage pendant deux heures la semaine dernière. Le groupe s’est également attaqué aux sites du Sénat américain et du bureau des affaires criminelles britannique. LulzSec pourrait être une émanation d’un autre groupe de pirates, Anonymous, connu pour avoir attaqué les sites de cartes de crédit américaines Visa et MasterCard en réponse à leur décision de bloquer les versements au site WikiLeaks.

Le jeune Britannique de 19 ans interpellé lundi et soupçonné d’appartenir à Lulz Security (« LulzSec » en abrégé) a été placé en détention provisoire, jeudi 23 juin, à l’issue d’une première audition devant un juge londonien. Ryan Cleary, qui a été arrêté lundi à son domicile, n’a contesté aucun des cinq chefs d’inculpation retenus contre lui, dans le cadre de la législation sur le piratage informatique. Sur le compte Twitter où il a déjà annoncé dans le passé des attaques informatiques qui se sont révélées vraies, le groupe a, lui, minimisé cette arrestation : « On dit que le leader de LulzSec a été arrêté, que tout est fini maintenant… mais attendez : nous sommes toujours là ! Qui est le pauvre mec qu’ils ont pris ? »