Le 17 mai, Joël Charbit, Shaïn Morisse et Gwenola Ricordeau publient « Brique par brique, mur par mur, une histoire de l’abolitionnisme pénal » (chez Lux), une histoire transnationale en français de l’abolitionnisme pénal. À l’occasion de la sortie du livre et de leur venue à Toulouse le vendredi 24 mai pour une soirée de présentation, nous avons interviewé Shaïn et Gwenola.

Shaïn est doctorant au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales. Gwenola est professeure associée en justice criminelle à l’université de l’État de Californie, Chico. Elle est notamment l’autrice de Pour elles toutes. Femmes contre la prison (2019), Crimes et peines. Penser l’abolitionnisme pénal (2021) et 1312 raisons d’abolir la police (2023). Les rencontres que nous avions organisées en juin 2021 et janvier 2023 lors de la sortie de ses deux précédents ouvrages avaient été l’occasion de discuter des critiques radicales du système pénal et de l’abolitionnisme. Nous continuons et élargissons ici cette discussion nécessaire.

 

1- Vous retracez une histoire de l’abolitionnisme pénal à travers l’histoire et les différents continents. Pouvez-vous définir ce que c’est ?

 

Shaïn : L’abolitionnisme pénal est un courant de pensées et de luttes qui, en se développant de manière systématique dès la fin des années 1960, a voulu dépasser la critique réformiste de la prison, puis, plus tard, également celle du système pénal et d’autres systèmes de contrôle répressifs. La critique abolitionniste ne vise pas seulement le fonctionnement de ces institutions, mais aussi leur rationalité, leurs fonctions sociales et politiques, et finalement, leur légitimité même. Les abolitionnistes considèrent que ces institutions sont profondément inefficaces dans les fonctions qu’elles prétendent remplir (dissuasion, réinsertion, sécurité, etc.), inopérantes dans leur approche des situations, mais aussi destructrices, notamment parmi les groupes sociaux précarisés et racisés qu’elles visent en priorité. En bref, comme ces institutions créent plus de problèmes qu’elles ne permettent d’en résoudre, il s’agit de les abolir, selon différents types de stratégies. Simultanément, il s’agit de construire des approches, des solutions pratiques et des modes de régulation sociale alternatifs, qui impliquent non seulement une transformation des rapports sociaux mais aussi des structures sociales inégalitaires qui les sous-tendent.

2- Quel est votre projet avec ce livre ? Donner des ressources et des outils pour lutter contre le système pénal ?

 

Gwenola : D’abord, il faut souligner que nous avons fait le choix d’une écriture collective. Ce type d’écriture oblige à une modestie de point de vue, car elle fait apparaitre des désaccords, cela oblige à beaucoup discuter et à reconnaitre qu’on ne fait que proposer une interprétation qui devra être discutée par d’autres. Par ailleurs, nous nous appuyons sur nos travaux académiques respectifs, mais nous sommes également abolitionnistes. Donc nous avons essayé d’écrire « en abolitionnistes », c’est-à-dire en réfléchissant à ce que nos savoirs, ancrés dans des disciplines académiques, pouvaient apporter sur le terrain des luttes. À vrai dire, cette démarche de va-et-vient entre le terrain des luttes et de la recherche est typique de l’histoire abolitionniste et nous ne faisons qu’y contribuer.

Si notre livre ne fournit pas un bilan de l’histoire abolitionniste, il y a clairement une intention didactique dans notre démarche. On a voulu retracer une histoire des idées et luttes abolitionnistes qui soient informative et accessible, tout en étant un possible point de départ pour écrire ou écouter d’autres histoires de ces idées et de ces luttes. Cette accessibilité passe bien sûr par l’écriture, qu’on espère la moins jargonnante possible, mais aussi par de nombreux encarts sur certains mouvements ou ouvrages phares. Il y a également, en annexe, une FAQ dans laquelle on répond aux questions fréquemment posées aux abolitionnistes. On espère que le découpage du livre contribue aussi à sa lisibilité : plutôt qu’une approche chronologique qui oblige à lire les chapitre dans l’ordre, on a opté pour un découpage du livre autour de chapitres qui peuvent (presque) se lire séparément (l’histoire des idées, l’abolitionnisme en France, en Europe, aux USA et un bilan de la manière dont on peut « penser l’abolitionnisme »).

3- L’histoire est riche des combats menés par les prisonniers pour dénoncer le système pénal, en France, en Europe occidentale et aux USA, une histoire occultée par la bourgeoisie et peu connue dans le milieu militant. C’était important pour vous de faire vivre cette histoire ?

 

Shaïn : Oui, notre livre témoigne de la richesse de l’histoire de l’abolitionnisme pénal, dans ses forces et ses écueils, et montre la réflexivité critique du mouvement, qui, depuis plus d’un demi-siècle, n’a cessé de réévaluer ses théories, ses stratégies, ses cibles et ses pratiques. Indirectement, il entend rendre des coups au récit réformiste de l’humanisation et de la modernisation que les institutions pénitentiaires livrent d’elle-même, et montre l’importance, souvent occultée, des luttes abolitionnistes, et plus généralement des mouvements de prisonnier.es, dans ces processus. Il vise aussi à rendre justice à cette tradition née de part et d’autre de l’Atlantique, en réfutant les discours souvent ignorants qui l’envisagent simplement comme une importation des « campus américains », et qui l’attaquent sans la comprendre véritablement. Après des décennies de durcissement pénal, durant lesquelles la plupart des forces « progressistes » ont fini par céder au cadrage sécuritaire conservateur et réactionnaire, on espère que ce premier essai d’histoire générale de l’abolitionnisme pénal contribuera à alimenter l’imagination abolitionniste et à donner envie de réinvestir des stratégies plus offensives, qui, à partir de la reproblématisation théorique et politique des notions de crime, de justice, de sécurité et de responsabilité, visent la transformation de la société.

4- L’abolitionnisme pénal naît à la fois de l’organisation des prisonniers et de recherches théoriques et universitaires. Pouvez-vous nous expliquer ce double mouvement ?

 

Shaïn : L’émergence du courant abolitionniste trouve son origine directe dans la longue décennie de mouvements de prisonnier.e.s et de luttes autours des pirsons qui débute à la fin des années 1960 dans de nombreux pays occidentaux. On assiste à des mobilisations autonomes de prisonniers d’une durée et d’une intensité exceptionnelles, notamment grâce au soutien durable de groupes extérieurs. Avec les prisonniers, une variété d’individus issus de divers milieux (intellectuel, militant, étudiant, religieux et artistique) ou corps professionnels (pénitentiaire, journalistique, juridique et médico-social) cherchent à politiser et médiatiser la question carcérale. A la faveur des luttes, de leur radicalisation politique et des négociations déçues avec les autorités, beaucoup de groupes développent progressivement une stratégie abolitionniste. On relate ainsi les débuts du groupe KROM en Norvège, analysés par l’un de ses fondateurs, le sociologue Thomas Mathiesen, dans The Politics of Abolition (1974), dont la stratégie a influencé de nombreux autres mouvements à l’étranger. Par la suite, les réflexions abolitionnistes s’autonomisent quelque peu des luttes de prisonniers, à mesure que la critique s’étend à l’ensemble du système pénal, et que la volonté de construire des formes de justice et de régulation sociale alternatives se fait plus systématique.

5- De ce point de vue, les USA semblent un des pays ou la question de l’abolitionnisme pénal (prison et police) semblent le plus avancé. Pouvez-vous nous en dire plus ?

 

Gwenola : Il est vrai que, surtout ces dernières années, notamment avec les luttes portées par Black Lives Matter et celles à la suite du meurtre de George Floyd qui ont popularisé le slogan « Defund the police » (Définancez la police), l’abolitionnisme semble plus avancé aux USA. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a une longue histoire d’une critique radicale du système pénal et de la prison, qu’on trouve par exemple chez les Black Panthers et plus largement dans le mouvement de libération africain-américain. Ce n’est pas un hasard : les prisons ont été des « universités pour les révolutionnaires », selon l’expression souvent utilisée. Au gré de la criminalisation des militant.es, il y a eu la production de réflexions critiques, mais aussi le développement de pratiques de solidarités. Par ailleurs, dans les années 1970, des textes pionniers de l’abolitionnisme ont été produits aux USA.

Pour ce qui est de la période récente, on peut dire que la question de l’abolition de la police a été une contribution majeure des USA à l’abolitionnisme, qui pensaient assez peu cette question avant les années 2010. C’est une avancée importante, qui nourrit l’imagination abolitionniste et inspire de nouvelles pratiques.

 

6- Vous expliquez aussi qu’il y a de nouveaux fronts d’alliance qui renouvellent l’abolitionnisme pénal, quels sont-ils ?

 

Gwenola : Quand on regarde la période récente, on peut en effet dire qu’il y a un renouvellement de l’abolitionnisme, notamment parce que les questions environnementales, de genre et de validisme prennent une place croissante. « Renouvellement », car la critique de l’enfermement psychiatrique a par exemple toujours été importante dans l’abolitionnisme, mais aujourd’hui, il ne s’y limite plus et il réfléchit notamment en termes de « disability justice », c’est-à-dire à une remise en cause de l’articulation qui existe entre validisme et d’autres formes d’oppression. Sur le terrain des luttes, on voit également une prise en compte croissante de la contribution de la prison à la destruction de l’environnement et du fait que la criminalisation des « pollueurs » n’est pas une réponse satisfaisante face au désastre en cours. Par ailleurs, si le féminisme « carcéral » ou « punitif » est encore dominant, les critiques qui le visent sont de plus en plus puissantes.

 

7- Les premières critiques faites à l’abolitionnisme concernent souvent la place des victimes. Vous y répondez à plusieurs reprises dans le livre, pouvez-vous nous en dire plus ?

 

Gwenola : Effectivement, c’est une critique à laquelle les abolitionnistes sont souvent confrontées, mais elle est formulée par des personnes qui ignorent tout de l’histoire et des théories abolitionnistes. Lorsqu’on s’intéresse à l’histoire de l’abolitionnisme, on voit l’importance de la préoccupation pour les victimes et du constat que le système pénal ne répond pas à leurs besoins. Aujourd’hui, cette préoccupation est au cœur des démarches de type « justice transformative » que j’ai évoquées. On peut ajouter que beaucoup d’abolitionnistes sont abolitionnistes car justement leur expérience de la justice pénale, en tant que victimes, leur a fait prendre conscience qu’elle n’a pas grand-chose à leur offrir et que la punition d’un auteur, si elle peut constituer une forme de reconnaissance du tort subi, ne comble pas les besoins fort complexes que peuvent avoir les victimes.

8-L’abolitionnisme est aussi souvent accusé d’être « utopiste »…

 

Shaïn : Comme tout courant qui cherche à transformer radicalement les structures sociales. Cette critique ignore la réalité du système pénal, historiquement très récent, et de son action extrêmement résiduelle (ne « traitant » qu’une infime partie des situations criminalisables), généralement inefficace et néfaste. Elle oublie aussi sa vision réductrice, désincarnée, abstraite et normative des situations et des actions humaines préjudiciables, qui ne permet pas de comprendre pourquoi elles se produisent et comment les prévenir durablement. A l’inverse, l’abolitionnisme promeut une perspective qui considère empiriquement les conflits interpersonnels et les relie aux injustices structurelles, pour pouvoir ensuite formuler un éventail de solutions stratégiques et pratiques de court, moyen et long terme – toujours à réévaluer. Il se conçoit aussi comme une « utopie réelle », ancrée dans une vision réaliste de l’humanité et de ses potentiels, et imaginant un projet global émancipateur. Partant de la question des préjudices, il cherche à inventer une nouvelle société désirable, porteuse d’autres rapports sociaux, qui ne reposent pas sur la répression et l’infliction institutionnelle de la souffrance.

8- Et pour finir, on vous pose souvent les mêmes questions, est-ce qu’il y a une question qu’on aimerait qu’on vous pose ?

 

Gwenola : Pour ma part, j’aimerais parler de la Palestine. Aujourd’hui, en Amérique du Nord, pour les abolitionnistes, il y a une évidence du lien entre luttes abolitionnistes et celles pour la libération de la Palestine. Je ne suis pas sûre que cela soit aussi évident en Europe. C’est donc important de le redire : pour les abolitionnistes, lorsqu’il est question de la Palestine, il n’est pas seulement question de la criminalisation de masse du peuple palestinien, de la condition des prisonnier.es palestinien.nes ou de la criminalisation de la solidarité avec la Palestine. Ces questions sont importantes, mais l’abolitionnisme est foncièrement anticolonial et on ne peut pas penser l’abolition de la prison sans penser, entre autres, une Palestine libre.

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Vendredi 24 mai à 19h à Toulouse (salle San Subra – métro Saint Cyprien), le Secours Rouge Toulouse organise une rencontre avec Shain Morisse et Gwenola Ricordeau à l’occasion de la parution de « Brique par brique, mur par mur. Une histoire de l’abolitionnisme pénal » (Lux Editeur).

« Il y a d’abord une évidence: les services que les prisons sont censées rendre ne compenseront jamais les torts qu’elles causent. Depuis les années 1960, ce constat d’un immense gâchis a amené un vaste mouvement à œuvrer à l’abolitionnisme pénal: en finir avec toutes les prisons, mais aussi avec les autres institutions qui forment le système pénal, comme la police et les tribunaux. Ce projet politique poursuit ainsi un objectif ambitieux : rendre vraiment justice aux victimes et répondre à leurs besoins, en plus de prévenir les violences systémiques et interpersonnelles.

En prenant appui sur les trajectoires transnationales des mouvements politiques qui ont mis au cœur de leur démarche la critique radicale du système carcéral et judiciaire, cet ouvrage, le premier du genre en langue française, offre une documentation indispensable pour inspirer les luttes contemporaines. »

Les sections francophones du Secours Rouge International (Belgique, Genève, Toulouse) lancent une campagne de solidarité avec le Parti Démocratique du Peuple (PDP) au Liban. Fondé en 1972, ce parti communiste et révolutionnaire est issu de l’unification de diverses organisations révolutionnaires. Il s’agit d’un des derniers partis de gauche au Liban qui continue à participer à la résistance sous toutes ses formes contre Israël et qui regroupe autant des militant.e.s d’origine libanaise que palestinienne. A Saïda, ville côtière au sud de Beyrouth, le PDP a mis en place depuis 1985 une clinique populaire qui fonctionne sans aucune aide d’ONG. Des médecins partageant des idéaux socialistes viennent six jours sur sept traiter plus d’une dizaine de patient.e.s par jour. Un cabinet de dentiste et un de consultation générale permettent de couvrir une large variété de soins, de la gynécologie à l’orthopédie en passant par la pneumologie. En plus de la clinique, une cantine populaire est aussi organisée par le PDP. La cantine a été créée durant le covid a pris tellement d’ampleur qu’il continue jusqu’à ce jour, avec plus de 350 repas servis par jour.

La délégation qui en 2023 s’est rendu au Liban pour rencontrer différentes factions de la résistance palestinienne, présentera sa visite ce dimanche 21 avril à 16H, au Local Sacco & Vanzetti. Cette présentation marquera le lancement de la campagne de solidarité internationale avec le PDP.

L’association des Mutilé.e.s pour l’Exemple organise une manifestation dimanche 9 avril dès 14H au départ du métro Jean Jaurès pour dénoncer les violences policières. Dans leur communiqué, ils affirment « Nous avons été amputé.e.s, éborgné.e.s, mutilé.e.s ou blessé.e.s par les Forces de l’Ordre lors de différentes manifestations dans le contexte des Gilets Jaunes. […] Nous sommes à un moment historique où la question des violences policières est plus forte que jamais. Les rapports de force policiers et la violence s’intensifient et se multiplient, il est de notre devoir de s’écouter, de s’organiser et d’agir ensemble pour mettre fin à cette brutalité policière et étatique ! »

Jeudi 5 janvier, plus de 200 personnes ont participé à la soirée-rencontre avec Gwenola Ricordeau, professeure de criminologie et militante abolitionniste pénale, à l’occasion de la sortie du livre « 1312 raisons d’abolir la police » (éd. Lux) organisée par le Secours Rouge Toulouse avec le soutien d’Enquête Critique. La soirée a été introduite par des messages de solidarité à Mathieu Rigouste, victime de violences policières, ainsi qu’à deux prisonniers anarchistes qui mènent actuellement des grèves de la faim contre leur régime de détention en Italie et en Grèce : Alfredo Cospito et Thanos Chatziangelou. Des images à propos de ces prisonniers étaient également projetées afin de souligner notre solidarité. Par ailleurs, de nombreuses organisations de la gauche révolutionnaire tenaient des tables d’infos durant la soirée. Merci à elles ! La présentation et la discussion autour du livre ont porté sur les différentes stratégies abolitionnistes (et leurs limites ou leur récupération réformiste, comme le développement d’« alternatives » à la police), les débats qui traversent les mouvements abolitionnistes et les bilans qu’on peut faire des luttes menées ces dernières années en Amérique du Nord. Gwenola Ricordeau défend une perspective abolitionniste qui souligne l’antagonisme entre la police et les luttes progressistes et elle appelle à « défliquer » celles-ci. Comme elle l’écrit dans son livre, « pas d’abolitionnisme sans projet révolutionnaire » !
Une partie de la salle lors de la soirée "1312 raisons d'abolir la police" à Toulouse

Une partie de la salle lors de la soirée « 1312 raisons d’abolir la police » à Toulouse

Le Comité Vérité et Justice 31 appelle à un rassemblement de soutien à Mathieu Rigouste, militant et chercheur indépendant en sciences sociales. Passé à tabac par la police en 2013, il est aujourd’hui poursuivi pour « outrage, violences et rébellion ». Le jour de son procès le 05 janvier 2023, rassemblement de soutien devant le Tribunal de Grande Instance de Toulouse dès 13h (l’audience commence à 14h00) ce sera l’occasion de dénoncer toutes les violences d’État.

Lire l’appel

D’où vient l’idée d’abolir la police et que recouvre-t-elle au juste ? Si la police ne nous protège pas, à quoi sert-elle ? Comment dépasser la simple critique de la police pour enfin en finir avec elle ? 1312 raisons d’abolir la police tente de répondre à ces questions, et propose de riches réflexions critiques sur les liens entre l’abolitionnisme pénal et la race, le handicap ou le travail sexuel notamment. Avec le soutien d’Enquête Critique, le Secours Rouge Toulouse organise une soirée-rencontre avec Gwenola Ricordeau le jeudi 5 janvier 2023 autour de son dernier livre ainsi qu’autour de l’abolitionnisme pénal dès 19h salle San Subra (4, rue San Subra – Métro Saint Cyprien).
Salle accessible aux personnes à mobilité réduite. Pour rendre l’évènement accessible à tou.te.s, port du masque obligatoire. L’événement Facebook

13.12: ACAB Day

13.12: ACAB Day

A l’occasion du 13 décembre (le ACAB Day), nous publions une interview de Gwenola Ricordeau, au sujet de la sortie du livre dont elle signe la direction 1312 raisons d’abolir la police (ed. Lux).

Nous avons eu la chance de pouvoir lire le livre avant sa sortie le 6 janvier prochain. Celui-ci contient une quinzaine de contributions sous la coordination de Gwenola qui en fait une introduction et présente les textes.

Gwenola Ricordeau est enseignante de criminologie (professeure associée en criminologie à la California State University, Chico), militante abolitionniste (pour l’abolition du système pénal), elle a précédemment publié Pour elles toutes. Femmes contre la prison en 2019 [sur le féminisme et l’abolitionnisme pénal] et en 2021 Crimes et Peines. Penser l’abolitionnisme pénal qui regroupe des textes classiques de l’abolitionnisme.

Nous l’avions interviewée y a deux ans sur l’abolition de la police a l’occasion des mobilisations contre la loi sécurité globale. Gwenola Ricordeau sera à Toulouse le 5 janvier prochain pour une soirée de présentation de son livre : à partir de 19h, salle San Subra (4 rue San Subra – 31300 Toulouse – Métro Saint cyprien). L’événement sera accessible aux personnes à mobilité réduite et nous demanderons le port du masque afin de rendre celui-ci accessible à tou·te·s.

 

 

Tu publies un ouvrage collectif sur l’abolition de la police, qui est une partie de l’abolitionnisme pénal. Pourquoi as-tu voulu publier ce livre et quel est son objectif ?

 

J’avais, avec mon éditrice Marie-Eve Lamy, plusieurs objectifs en travaillant à ce livre. D’abord donner accès au lectorat francophone à des textes nord-américains contemporains, mais aussi à des auteurs et autrices souvent peu ou jamais traduits en français comme Alex Vitale, Kristian Williams ou Dylan Rodriguez. J’espère donc que le livre participera à la circulation des réflexions abolitionnistes, aux côtés de livres comme Abolir la police ou  Défaire la police.

Mais il y a, avec 1312 raisons d’abolir la police, aussi la volonté de contribuer à un bilan critique des mouvements abolitionnistes de la police qui se sont développés avec les mobilisations qui ont suivi le meurtre de George Floyd au printemps 2020. En ce sens, le livre doit permettre aux abolitionnistes de mieux s’outiller, sur le terrain théorique comme militant, et de mieux comprendre les obstacles rencontrés pour abolir la police.

C’est pourquoi ce livre s’adresse à la fois à un public militant, déjà critique voire abolitionniste de la police, mais aussi plus largement à ceux et celles qui s’intéressent aux réflexions et mouvements abolitionnistes de la police.

Dans l’introduction, tu retraces les origines des théories de l’abolition de la police et sa construction jusqu’à récemment. Peux-tu revenir sur ce sujet ?

Les textes réunis dans le livre sont contemporains, mais dans l’introduction, je reviens sur la généalogie des mouvements pour l’abolition de la police et les réflexions qui les ont nourris. Le Black Panthers Party tient une place importante dans la généalogie des mouvements abolitionnistes car ses apports sont énormes, tant sur le plan de l’analyse que de la stratégie. Par exemple en définissant la police comme une force d’occupation des quartiers noirs et en appelant à l’autodéfense et à l’organisation communautaire pour se protéger et se passer de la police.

Les mouvements récents pour l’abolition de la police puisent aussi leurs racines dans l’abolitionnisme pénal et les luttes pour l’abolition des prisons, avec la reprise de leurs analyses et de leurs stratégies. Ceci dit, il y a une diversité dans les analyses et les stratégies abolitionnistes : il serait faux de les réduire aux appels au « définancement » (réduction des budgets, « defund » en anglais) de la police.

 

Le livre collectif s’appuie sur des expériences particulières. En quoi sont-elles un point d’appui pour construire une réflexion générale et une théorie de l’abolition de la police ?

 

Le livre est fortement ancré en Amérique du Nord, mais aussi dans des expériences politiques et personnelles diverses, comme le racisme, le travail du sexe ou le validisme. Évidemment, le but n’était pas d’épuiser toutes les analyses situées qu’on peut faire de la police dans une perspective abolitionniste. Mais il était important à mes yeux de restituer comment les réflexions et les mouvements pour l’abolition de la police trouvent leurs racines dans le traitement subi par certains groupes, et dans les analyses et les formes de résistance qu’ils développent. Cela permet d’indiquer clairement qui est la cible de la police et qui souffre de son existence – et donc, en creux, qui en tire profit. Cela permet aussi de souligner que la lutte pour l’abolition de la police est aussi une lutte contre le suprématisme blanc, contre le patriarcat, le capitalisme et le validisme notamment.

 

La première partie du livre regroupe cinq textes sous le titre « Rompre avec le réformisme ». Peux-tu expliquer pourquoi c’est important pour penser l’abolitionnisme ?

 

Il n’y a pas, entre le réformisme et l’abolitionnisme, une différence de degrés (entre des approches plus ou moins radicales), mais une différence de nature. Dans le sens où l’abolitionnisme est en désaccord avec les analyses et les stratégies réformistes – même si certains courants de l’abolitionnisme revendiquent en faveur d’un certain type de reformes, les reformes dites « non réformistes ». Ceci étant dit, il y a avec l’abolitionnisme une rupture d’avec ce que j’appelle le « régime ordinaire de la critique de la police », c’est-à-dire l’idée que la police fonctionnerait mal. Cette idée alimente un cycle politico-médiatique qui se répète à l’infini : scandale et indignation publique, mobilisations politiques, contre-offensive de la police et de ses apologistes (discrédit de la victime, défense des policiers, etc.) et, selon l’ampleur de l’indignation publique et des mobilisations politiques, mise en place de réformes.

L’abolitionnisme a pour projet de sortir de ce cycle politico-médiatique et il critique donc les forces qui contribuent à l’alimenter. De ce fait, Dylan Rodriguez dénonce les organisations réformistes en matière de police comme participant de fait d’une « contre-insurrection libérale et progressiste ». Ainsi, la rhétorique selon laquelle « La police doit rendre des comptes ! », comme Yannick Marshall l’explique, est une de ces « platitudes utiles du jargon libéral » qui laisse intacte la légitimité de la police.

 

En France, notamment autour des présidentielles, on a beaucoup entendu des mots d’ordre comme « dissolution de la BAC », « désarmons la police »… Peux-tu nous donner ton avis sur ces revendications ?

 

Le désarmement et la dissolution de la police sont des revendications qu’on retrouve dans les mouvements abolitionnistes qui s’appuient sur la stratégie en trois temps : « Disempower, disarm, disband », c’est-à-dire « affaiblir, désarmer, dissoudre [les forces de l’ordre] ». Mais il faut souligner plusieurs choses. D’abord, cette stratégie n’est pas l’unique stratégie abolitionniste, même si c’est celle qui a été la plus commentée ces dernières années car le mouvement pour le définancement de la police s’inscrit justement dans la tactique d’affaiblissement de la police. Par ailleurs, appeler à la dissolution de la police n’est pas pareil qu’appeler à la dissolution d’une force de police en particulier. Ce type de revendication risque d’alimenter la rhétorique good cop/bad cop (bon flic/mauvais flic) qui, en suggérant qu’il existe des forces de police meilleures que d’autres, renforce la légitimité de la police. L’abolitionnisme ne vise pas la dissolution d’une force de police en particulier. Les exemples de la suppression de la police des mœurs en Iran ou de celle des « voltigeurs » qui ont tué Malik Oussekine en France montrent que l’enjeu n’est pas telle ou telle force de police, mais la police elle-même. Plus généralement, ce que visent les abolitionnistes n’est pas seulement la police, mais ce qu’on appelle en anglais le « policing », c’est-à-dire le maintien de l’ordre, la surveillance. Or le policing n’a pas forcément besoin d’un corps policier en tant que tel, notamment si on pense au développement des nouvelles technologies.

Ceci étant dit, ce type de revendications qui visent une force de police en particulier ou le désarmement de la police peuvent évidemment avoir un intérêt tactique si cela permet de faire avancer une ligne abolitionniste et je laisse aux personnes qui luttent en France contre la police juger de leur intérêt dans le contexte actuel.

 

Dans la conclusion, intitulée « Vivre libre, c’est vivre sans police », tu écris « Pas d’abolitionnisme sans projet révolutionnaire ». Qu’est-ce que cela implique ?

 

Cette formule est une réponse a plusieurs mythes. Le mythe d’une police qui pourrait protéger des violences racistes, patriarcales ou LGBTQphobes, alors qu’elle-même cause couramment ce type de violences, qu’elle participe aux systèmes qui les produisent et qu’elle réprime ceux et celles qui s’attaquent précisément à ces systèmes. Ou encore le mythe d’une police antiraciste ou féministe, ou d’une police qui ne soit pas au service du capitalisme.

Dire « Pas d’abolitionnisme sans projet révolutionnaire », ça implique de situer le projet politique pour ce qu’il est et d’assumer la conflictualité qui en découle.

 

Tu appelles aussi à « dé-fliquer les luttes progressistes ». Peux-tu nous expliquer ce que tu entends par là ?

 

Cet appel a pour point de départ une « critique de la critique » de la police à gauche. Celle-ci se limite souvent à la dénonciation des « violences policières », mais elle se risque rarement à des analyses de son rôle, notamment sous l’angle de la race et de la classe. Comment peut-on vouloir changer la société tout en adhérant au mythe selon lequel la police serait une force progressiste ?

La faiblesse de ces analyses se reflète dans les revendications de mouvements qui se veulent progressistes et qui demandent souvent davantage d’intervention du système pénal, avec plus de police ou une meilleure police. Les luttes féministes sont un bon exemple. Même si on peut observer une montée en puissance de la critique du système pénal et de la police dans les mouvements féministes, ceux-ci ont encore trop souvent pour horizon politique la police. Par exemple, ils ont rarement une réflexion critique sur l’usage des plaintes à la police, or celles-ci sont souvent décrites comme un outil tactique, censé contribuer à faire avancer la cause des femmes. À ce titre, le texte d’Adore Goldman et Melina May, deux militantes du Comité autonome du travail du sexe (CATS) au Canada, pose bien les termes du débat en dénonçant la police comme une institution patriarcale – entre autres.

Appeler à dé-fliquer les luttes progressistes, c’est appeler à rompre avec les positions réformistes et à prendre clairement position contre la police. En effet, comme je l’écris, « détester la police est une opinion politique ». Il faut assumer cet antagonisme et cette conflictualité quand on se situe dans le camp du progrès social.

 

Enfin, est-ce qu’il y a une question qu’on ne t’a pas posée et à laquelle tu penses qu’il serait intéressant de répondre ?

 

J’aurais aimé une question sur l’abolition de la police et l’autodéfense sanitaire ! En effet, je vais bientôt entamer une série de présentations de 1312 raisons d’abolir la police en France. Elles se feront dans des lieux accessibles aux personnes à mobilité réduite et qui promeuvent l’autodéfense sanitaire, c’est-à-dire le port du masque et une aération suffisante des lieux. Cela me semble logique de s’organiser pour se protéger et prendre soin les un-e-s des autres plutôt que de s’en remettre à l’État qui a bien montré depuis le début de la pandémie que nos vies ne valent rien. En tant qu’abolitionniste, l’autodéfense sanitaire me semble même une exigence, au même titre que la critique des manières dont la pandémie a servi de prétexte au développement de dispositifs de surveillance et la dénonciation de la répression qui s’est abattue sur les habitant-e-s des quartiers populaires au nom de la santé publique. Nous ne sommes pas égaux devant la pandémie : c’est pour cela que la solidarité est cruciale. Comme disent les abolitionnistes aux États-Unis, « Care, not cops ».

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Mardi 6 décembre au café L’Itinéraire Bis, une trentaine de personnes ont participé à la troisième projection toulousaine du film « Rien à déclarer » organisée avec la présence de militant-e-s du Secours Rouge Toulouse et d’Extinction Rebellion. À la suite de la diffusion de ce film, de nombreux échanges ont eu lieu sur la nature de la police, le rôle des avocat-e-s, l’importance de se préparer à la répression et de construire la solidarité face à elle. Chacun a pu témoigner de ses expériences en garde à vue et corroborer les propos tenus dans le documentaire qui démontrent que la seule réponse viable durant un interrogatoire est de dire « rien à déclarer ». La soirée s’est terminée avec la distribution à chaque personne d’un Petit guide légal des manifestant-e-s.

N’hésitez pas à nous contacter si vous voulez organiser une projection.

Nous étions une trentaine vendredi 16 septembre au local du Chat Noir à Toulouse pour assister à la projection de « Rien à déclarer » organisée par le Secours Rouge Toulouse. Le film, réalisé par le Secours Rouge de Belgique et le Collectif des Stagiaires de Bruxelles, a reçu un bel accueil. Lors de la discussion suivant la projection, il a été rappelé l’importance de s’armer avec, entre autres, des outils comme celui-ci contre la répression. Comme le rappelle le film, connaître son adversaire permet de ne pas faire l’erreur de le surestimer ou de le sous-estimer. Chacun et chacune a pu partager son ou ses expériences de garde à vue ou d’interrogatoire rendant encore plus concrètes les différentes thématiques abordées dans le film. D’autres sujets ont également été discutés comme le rôle des avocats, des médecins ou tout autre intervenant-e lors d’une garde à vue. Il a été rappelé et démontré que le mot d’ordre « rien à déclarer » face à la police n’était pas une question de morale ou de posture, mais bien la seule voie possible et viable pour notre défense individuelle et collective. Nous remercions encore une fois le Chat Noir pour leur accueil.
Mercredi 28 septembre, une projection de « Rien à déclarer » est organisée à Strasbourg par l’AIM, la BRIF et la CNT-STP 67.  Par ailleurs, n’hésitez pas à nous contacter si vous voulez organiser une projection.