De la prise de possession par la France de la Nouvelle-Calédonie en 1853 jusqu’à 1858, les attributions de terres aux colons étaient limitées. Mais à partir de 1858, l’administration française entame une politique de colonisation offensive, spoliant les autochtones. De 1862 à 1877, l’emprise foncière européenne passe de 27.000 à 150.000 ha. En assimilant les jachères à des terres vacantes qu’elle accapare l’administration déstabilise l’économie vivrière. Le bétail des colons dévaste les cultures autochtones. Les Canaques sont repoussés dans les hautes vallées de la chaîne sur des terrains pauvres, et sont décimés par les maladies importées par les colons (il y avait 32.000 Canaques en 1860, et 24.000 en 1878).
C’est pendant cette sombre période que Louise Michel arrive en Nouvelle-Calédonie. Communarde célèbre qui, circonstance aggravante pour les tribunaux d’exception, avait fait le coup de feu sur les barricades. D’abord détenue au fameux camp de Satory près de Versailles, elle assiste alors aux exécutions en masse des Communards, elle passe vingt mois en détention et se voit condamnée à la déportation. Créé par Napoléon III en 1864, le bagne néo-calédonien accueillera au total 40.000 prisonniers dont 5.000 communards. Embarquée en août 1873, Louise Michel arrive à Nouméa après quatre mois de voyage. Elle est assignée sur la presqu’île Ducos et prend vite la défense des Canaques contre la spoliation coloniale, tandis que la majorité des déportés épousaient les préjugés racistes coloniaux.
Elle se lie d’amitié avec un Canaque et ils deviennent ami : elle lui apprend à lire, à calculer. Lui, conte les légendes de sa tribu, les voyages aventureux, les épopées guerrières. Louise recueille et transcrit ces récits, et en étudiait les différents dialectes. Malgré les avertissements, elle part à la rencontre d’une tribu à laquelle elle se lie. Elle pu parler avec eux des misères et des luttes, et ils s’entendirent de telle manière que cette tribu prêta assistance à un communard évadé reconnu comme « ami des malheureux », alors que l’usage était d’être sans pitié avec bagnards évadés.
En 1878, un chef canaque de Komalé appelé Ataï, tente plusieurs fois pacifiquement d’obtenir des autorités françaises la fin des spoliations. Il déclare au gouverneur français, en déversant d’abord un sac de terre: « Voilà ce que nous avions », et ensuite déversant un sac de pierres: « Voici ce que tu nous laisses », et lorsque le gouverneur lui conseille de construire des barrières pour protéger les cultures du bétail des colons, il répond: « Quand mes légumes iront manger ton bétail, je construirai des barrières. »
La spoliation continuant, Ataï et d’autres chefs (Cavio chef de Nékou secondé par Dionnet chef de guerre à Bourail) se décident pour l’insurrection. Les préparatifs d’une offensive sur Nouméa sont conduits dans le plus grand secret. Plusieurs clans sont impliqués dont ceux de Houailou et Canala. Un événement imprévu va précipiter les événements. Le 19 juin 1878, un ancien forçat, gardien d’une propriété coloniale est assassinée par des Canaques. L’administration coloniale réagit en incarcérant 10 chefs de tribus. La préparation de l’attaque de Nouméa est abandonné et l’offensive est lancée de Poya à la Baie Saint Vincent. La veille de l’insurrection, un groupe de Canaques vint faire ses adieux à Louise. Louise leur donna son écharpe rouge de la Commune, conservée à travers mille difficultés, et leur apprit à couper les fils télégraphiques.
Le 25 juin les quatre gendarmes de La Foa sont assassinés et les canaques massacrent la plupart des colons, propriétaires et gérants, de la région. Au total 40 civils sont tués. L’insurrection, se répand comme une trainée de poudre. A Nouméa c’est la panique, on croît que l’avance des insurgés va se poursuivre vers le sud. Une vingtaine de Canaques sont exécutés à Dumbéa (les derniers Ouamous) suite au pillage d’un magasin. Tous les Canaques vivant à Nouméa sont internés à l’île Nou.
La réaction militaire est inadaptée aux tactiques de la guérilla des Canaques. Les forces coloniales tombent dans des embuscades et leur chef, le commandant Gally Passeboc, est tué le 3 juillet. Il est remplacé par son second Rivière qui va former des colonnes de contre-guérilla associant aux gendarmes et troupes coloniales, des déportés politiques et de droit commun, des colons français et arabes, et des auxiliaires canaques. Toutefois, en juillet et en août les colonnes tendent à s’enliser dans une guérillas peut productive, brûlant les villages et détruisant les récoltes mais n’arrivant pas à cerner les insurgés. Un fort est construit à La Foa pour servir de base à la contre-insurrection. Il est attaqué en vain par 500 guerriers canaques.
Mais un officier de marine réussit à retourner et rallier le grand chef des Canala, Gélina et surtout son chef de guerre Nondo. Les Canaques sont désormais divisés. Les troupes française cernent le périmètre des insurgés et attaquent par surprise le1er septembre à Fonimoulou, en progressant hors des sentiers canaques. Ataï est surpris dans son campement par la colonne Le Golleur-Gallet formée de Canalas et de déportés dirigés un surveillant du bagne. Dans un passage fameux de ses Mémoires, Louise Michel a raconté la mort d’Ataï:
« Ataï lui-même fut frappé par un traître. Que partout les traîtres soient maudits ! Suivant la loi canaque, un chef ne peut être frappé que par un chef ou par procuration. Nondo, chef vendu aux blancs, donna sa procuration à Segou, en lui remettant les armes qui devaient frapper Ataï. Entre les cases nègres et Amboa, Ataï, avec quelques-uns des siens, regagnait son campement, quand, se détachant des colonnes des blancs, Segou indiqua le grand chef, reconnaissable à la blancheur de neige de ses cheveux. Sa fronde roulée autour de sa tête, tenant de la main droite un sabre de gendarmerie, de la gauche un tomahawk, ayant autour de lui ses trois fils et le barde Andja, qui se servait d’une sagaie comme d’une lance, Ataï fit face à la colonne des blancs. Il aperçut Segou. Ah ! dit-il, te voilà ! Le traître chancela un instant sous le regard du vieux chef ; mais, voulant en finir, il lui lance une sagaie qui lui traverse le bras droit. Ataï, alors, lève le tomahawk qu’il tenait du bras gauche ; ses fils tombent, l’un mort, les autres blessés ; Andja s’élance, criant : tango ! tango ! (maudit ! maudit !) et tombe frappé à mort. Alors, à coups de hache, comme on abat un arbre, Segou frappe Ataï ; il porte la main à sa tête à demi détachée et ce n’est qu’après plusieurs coups encore qu’Ataï est mort. Le cri de mort fut alors poussé par les Canaques, allant comme un écho par les montagnes. »
Le chef insurégé canaque Ataï
L’insurrection continue mais les insurgés sont déstabilisés. Des renforts arrivent d’Indochine et, à partir de septembre les insurgés sont sur la défensive. ils seront définitivement écrasés avec la chute de la forteresse canaque d’Adio en décembre 1878. Près de 5% des Canaques auront été tués (un millier sur une population totale de 24.000) au combat ou par la répression qui fut féroce : tous les chefs (sauf un) furent exécutés sans jugement. 200 européens (sur 16.000) avaient été tués. L’administration confisqua les terres des clans rebelles qui furent déplacés et cantonnés dans le Sud et à l’île des Pins. Déstabilisée par cette saignée, le cantonnement et la destruction de ses structures coutumières, et l’accaparement des terres, la population canaque va décroître jusqu’en 1921 où elle tombera à 16.000 individus, la moitié de ce qu’elle était soixante ans plus tôt.
La tête d’Ataï qui avait été mise à prix est conservée dans du formol, montrée à Nouméa puis emportée en métropole. Quant à Louise Michel, elle obtient l’année suivante l’autorisation de s’installer à Nouméa et de reprendre son métier d’enseignante, d’abord auprès des enfants de déportés (notamment des Algériens), puis dans les écoles de filles. Louise Michel restera sept années au total en Nouvelle-Calédonie, où elle aura créé le journal Petites Affiches de la Nouvelle-Calédonie. Elle est de retour à Paris le 9 novembre 1880 (suite à l’amnistie générale) où elle est chaleureusement accueillie par la foule. Elle reprend ses activités politiques, sans oublier la tragédie calédonienne, puisqu’elle publie à Paris, en 1885 les Légendes et chansons de gestes canaques transcrites douze ans plus tôt.
permis de Louise Michel de s’établir à Noumea