Actualité de la répression et
de la résistance à la répression

Patrice Lumumba a d’abord travaillĂ© comme employĂ© de bureau d’une sociĂ©tĂ© miniĂšre, oĂč il dĂ©couvre le pillage colonial des ressources congolaises, puis comme journaliste. Autodidacte, exception faite pour un an de formation professionnelle Ă  l’Ecole postale de Kinshasa (alors LĂ©opoldville), grand lecteur, il crĂ©e en 1955 l’Association du personnel indigĂšne de la colonie et se lie Ă  la fraction de la bourgeoisie belge qui veut faire Ă©voluer le Congo belge, en dĂ©veloppant un enseignement public. Il croit alors Ă  une Ă©volution pacifique du systĂšme colonial. En 1956, quelques mesures de libĂ©ralisation (autorisation des syndicats et partis politiques dans la colonie) l’encouragent en ce sens.

En 1958, l’image mĂ©prisante et paternaliste fait aux Congolais Ă  l’Exposition universelle de Bruxelles le heurte. Il se rapproche des milieux anti-colonialistes et, dĂšs son retour au Congo, il crĂ©e le Mouvement National Congolais (MNC). Il participe Ă  la ConfĂ©rence panafricaine des Peuples, Ă  Accra oĂč il prononce un discours marquant : « MalgrĂ© les frontiĂšres qui nous sĂ©parent, malgrĂ© nos diffĂ©rences ethniques, nous avons la mĂȘme conscience, la mĂȘme Ăąme qui baigne jour et nuit dans l’angoisse, les mĂȘmes soucis de faire de ce continent africain un continent libre, heureux, dĂ©gagĂ© de toute domination colonialiste. Nous sommes particuliĂšrement heureux de constater que cette confĂ©rence s’est fixĂ© comme objectif: la lutte contre tous les facteurs internes et externes qui constituent un obstacle Ă  l’émancipation de nos pays respectifs et Ă  la rĂ©unification de l’Afrique. Parmi ces facteurs, on trouve notamment, le colonialisme, l’impĂ©rialisme, le tribalisme et le sĂ©paratisme religieux qui, tous, constituent une entrave sĂ©rieuse Ă  l’éclosion d’une sociĂ©tĂ© africaine harmonieuse et fraternelle. »

De retour au Congo, il organise une rĂ©union pour rendre compte de cette confĂ©rence et il y revendique l’indĂ©pendance devant plus de 10.000 personnes. En octobre 1959, le MNC et d’autres partis indĂ©pendantistes organisent une rĂ©union Ă  Stanleyville (Kisangani). Les autoritĂ©s belges tentent de s’emparer de Lumumba, ce qui provoque une Ă©meute qui fait une trentaine de morts. Lumumba est arrĂȘtĂ© quelques jours plus tard, jugĂ© et condamnĂ© Ă  6 mois de prison.
En janvier 1960, une table ronde est organisĂ©e Ă  Bruxelles rĂ©unissant les principaux reprĂ©sentants de l’opinion congolaise a lieu Ă  Bruxelles, et Lumumba est libĂ©rĂ© pour y participer. ConfrontĂ© Ă  un front uni des reprĂ©sentants congolais, le gouvernement accorde, Ă  la surprise de ceux-ci dans la plus totale improvisation l’indĂ©pendance qui est fixĂ©e au 30 juin 1960.

Aux élections de mai 1960, le MNC remporte le plus de voix. Lumumba est nommé premier ministre, la présidence revenant au dirigeant des Bakongos, majoritaires dans la région de Léopoldville (Kinshasa), Joseph Kasavubu.
Le 30 juin, lors de la cĂ©rĂ©monie d’accession Ă  l’indĂ©pendance du pays, Baudouin prononce le discours paternaliste de circonstance et au lieu de lui rĂ©pondre sur le mode de la gratitude pour « l’oeuvre civilisatrice Â», Lumumba prononce un discours rĂ©quisitoire : « Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous Ă©tions des nĂšgres. Nous avons connu le travail harassant exigĂ© en Ă©change de salaires qui ne nous permettaient ni de manger Ă  notre faim, ni de nous vĂȘtir ou de nous loger dĂ©cemment, ni d’élever nos enfants comme des ĂȘtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous Ă©tions des nĂšgres.
(
) Qui oubliera, enfin, les fusillades oĂč pĂ©rirent tant de nos frĂšres, ou les cachots oĂč furent brutalement jetĂ©s ceux qui ne voulaient plus se soumettre au rĂ©gime d’une justice d’oppression et d’exploitation ! Â»

Son discours a un profond Ă©cho dans les population congolaises, des mutineries Ă©clatent chez les soldats et des Ă©meutes visent les biens des colons et les colons eux-mĂȘmes. Et tandis que Lumumba dĂ©crĂšte l’expulsion des officiers belges de l’armĂ©e congolaise, la Belgique envoie, avec l’approbation et la logistique de l’OTAN, 11.000 militaires « pour rĂ©tablir l’ordre au Congo Â». Les milieux coloniaux, s’appuyant sur l’intervention belge, encouragent la sĂ©cession de la riche province du Katanga, fief de l’Union MiniĂšre. Le dirigeant local, TshombĂ©, reçoit l’assistance des sociĂ©tĂ©s coloniales, des militaires et des barbouzes belges. L’URSS et les pays du tiers-monde dĂ©noncent l’intervention belge et la sĂ©cession katangaise, et soutiennent le gouvernement Lumumba.

Le 4 septembre 1960, Kasavubu, sous la pression des occidentaux, révoque Lumumba. Mais le conseil des ministres et le Parlement votent une motion de maintien de Lumumba et celui-ci révoque Kasavubu pour haute-trahison.
Entre-temps, l’ONU vote l’intervention de troupes internationales d’interposition : c’est la naissance des « Casques Bleus Â». Mais devant la passivitĂ© de l’ONU, Lumumba a fait appel aux SoviĂ©tiques pour affronter la sĂ©cession du Katanga. Craignant une influence communiste, le CIA tente une premiĂšre fois d’assassiner Lumumba et surtout appuie (voire organise) un coup d’État qui met le colonel Mobutu au pouvoir.

Mobutu assigne Ă  rĂ©sidence Lumumba. Le 27 novembre, Lumumba s’échappe avec sa famille mais il est arrĂȘtĂ© Ă  Lodi, ramenĂ© Ă  LĂ©opoldville oĂč il est dĂ©tenu dans un camp militaire. Le 17 janvier 1961, Ă  l’instigation de responsables coloniaux et militaires belges, Lumumba et deux de ses partisans, Maurice Mpolo et Joseph Okito, sont conduits par avion au Katanga et livrĂ©s aux autoritĂ©s locales. Lumumba, Mpolo et Okito seront conduits dans une petite maison d’Elisabethville (Lubumbashi), oĂč ils seront torturĂ©s par des responsables katangais, dont TshombĂ© en personne, mais aussi des policiers et des officiers belges. C’est sous le commandement d’un officier belge que Lumumba et ses camarades sont abattus. Les barbouzes belges vont ensuite dissoudre les corps dans l’acide.

Plusieurs des partisans de Lumumba seront exĂ©cutĂ©s dans les jours qui vont suivre, avec la participation de militaires ou mercenaires belges. L’assassinat de Lumumba dĂ©clenche une insurrection qui se transforme en guerre populaire sous la direction d’un ancien ministre de Lumumba, Pierre Mulele, proche de la Chine populaire. Les maquis de Mulele contrĂŽleront prĂšs de 70 % du Congo avant d’ĂȘtre Ă©crasĂ©s par l’armĂ©e de Mobutu, soutenue par la Belgique et les USA. Mulele, qui a quittĂ© un moment le maquis pour rencontrer des lumumbistes au Congo-Brazzaville, se voit ordonnĂ© par le gouvernement de rentrer au Congo oĂč Mobutu a promis l’amnistie. Mais Mobutu le fait torturer Ă  mort: on lui arrache les yeux, les oreilles, le nez, les parties gĂ©nitales, puis on l’ampute de ses membres un Ă  un.

Le discours de Patrice Lumumba Ă  la cĂ©rĂ©monie d’indĂ©pendance :

Patrice Lumumba
Lumumba Ă  Bruxelles en 1960
Lumumba le 1er stepembre 1960 Ă  Stanleyville
Lumumba prisonnier

La Pinkerton National Detective Agency est une agence amĂ©ricaine privĂ©e de dĂ©tectives crĂ©Ă©e par Allan Pinkerton en 1850 qui fait rĂ©gner la loi, faute de police, au Far West. DĂšs 1877, elle se met au service du patronat pour briser le mouvement syndical naissant dans tout le pays. Ses agents sont payĂ©s pour infiltrer les syndicats et les usines, pour briser les piquets de grĂšve, pour faire entrer de force les jaunes dans les usines en grĂšve, etc. Les Pinkertons jouĂšrent un rĂŽle de provocateur en 1886 dans le massacre de Haymarket, Ă  Chicago, qui est Ă  l’origine de la journĂ©e de grĂšve internationale du 1er mai (voir ici l’épisode du feuilleton consacrĂ© Ă  cet Ă©pisode).

Pinkerton s’illustra lamentablement en 1892, dans la deuxiĂšme plus grande bataille de l’histoire du syndicalisme aux États-Unis (aprĂšs celle de Blair Mountain) : la grĂšve de Homestead. Cette lutte opposait la Amalgamated Association of Iron and Steel Workers (AA) Ă  la Carnegie Steel Company.
L’AA, forte de 25.000 membres, Ă©tait Ă  l’époque l’organisation syndicale la plus puissante du mouvement ouvrier amĂ©ricain. Au cours des annĂ©es 1880, l’AA s’implique dans les aciĂ©ries de Homestead. Le directeur de l’une d’elle, l’usine Carnegie Steel, Henry Clay Frick, s’était donnĂ© pour but de briser le syndicat.
Le 1er juillet 1889, l’échec des nĂ©gociations d’une nouvelle convention collective entraĂźne une grĂšve de l’AA. Les grĂ©vistes s’emparent de la ville et le 10 juillet, avec l’aide de milliers d’habitants, repoussent des briseurs de grĂšves engagĂ©s par la compagnie.
La convention collective nĂ©gociĂ©e suite Ă  cette grĂšve prit fin le 30 juin 1892. L’industrie de l’acier se portant bien, l’AA demande une augmentation de salaire pour ses membres. A l’inverse, Frick propose une baisse de salaire ainsi que la coupure de postes prĂ©vus par la convention prĂ©cĂ©dente.
Frick avait prĂ©parĂ© la lutte : il avait accumulĂ© des stocks de marchandises. DĂšs janvier, il avait fait construire autour de l’usine une clĂŽture surmontĂ©e de barbelĂ©s. Des tours de gardes avec des phares Ă©taient construites prĂšs de chaque bĂątiments. En avril, il charge l’agence Pinkerton d’assurer la sĂ©curitĂ© des installations.
Le 29 juin, Frick lock-oute toute l’usine.
Dans l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale tenue le lendemain 3000 ouvriers sur 3500 votent la grĂšve (alors que seuls 800 Ă©taient affiliĂ©s Ă  l’AA). Tandis que la compagnie publie des annonces pour trouver des briseurs de grĂšve dans les journaux, jusqu’à Boston, Saint-Louis et mĂȘme en Europe, les grĂ©vistes dĂ©cident de garder l’usine fermĂ©e. Il s’emparent de plusieurs embarcations afin de patrouiller sur la riviĂšre Monongahela qui longe les installations. Ils Ă©tablissent des piquets de grĂšve et effectuent des tours de garde 24 heures sur 24. Les ferry et trains sont surveillĂ©s pour prĂ©venir l’arrivĂ©e de jaunes. Les Ă©trangers sont interrogĂ©s sur leur prĂ©sence en ville et ceux qui n’étaient pas attendus sont escortĂ©s hors des limites de la ville.
Le 4 juillet, Frick demande formellement l’intervention du shĂ©rif, qui ordonne en vain aux lockoutĂ©s de laisser entrer les briseurs de grĂšve dans l’usine.
La nuit du 5 juillet, Ă  22h30, 300 Pinkertons armĂ©s de Winchester, recrutĂ©s par Frick avec l’aval du shĂ©rif, remontent la riviĂšre dans deux embarcations pour chasser les grĂ©vistes de l’usine. L’AA est mise au courant. Une petite flotte d’embarcations de grĂ©vistes descend la riviĂšre Ă  la rencontre des agents. Ils tirent quelques coups au hasards vers les embarcations des agents, puis alertent les autres. Les grĂ©vistes font hurler la sirĂšne de l’usine Ă  2h30. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants accourent sur les lieux.
Les agents, voulant bĂ©nĂ©ficier du couvert de l’obscuritĂ©, tentent de mettre pied Ă  terre aux environs de 4 heures du matin. Des coups de feu sont Ă©changĂ©s. Les deux premiers blessĂ©s sont le chef des Pinkerton et un travailleur. À ce moment, les Pinkertons ouvrent le feu sur la foule, tuant deux personnes et en blessant 11 autres. La foule riposte, tue Ă©galement 2 personnes et en blesse 12. Les grĂ©vistes se cachent derriĂšre des installations et les agents percent des trous Ă  travers les cĂŽtĂ©s des embarcations afin de pouvoir tirer sur tout ce qui peut les approcher. Les grĂ©vistes se mettent Ă  construire un rempart plus haut sur la rive Ă  l’aide de poutres d’acier. Les Pinkertons rembarquĂšrent mais, attaquĂ©s de tous cĂŽtĂ©s, ils durent se rendre. La foule furieuse les roua de coups, les ramena en ville et ils quittĂšrent la ville ignominieusement, par train spĂ©cial, le lendemain.


Les grĂ©vistes gardant le contrĂŽle des environs, l’Etat finit par s’en mĂȘler : le gouverneur (qui avait Ă©tĂ© Ă©lu avec l’appui de Carnegie) dĂ©pĂȘcha la milice : 6000 hommes Ă©quipĂ©s des armes les plus rĂ©centes. Les principaux responsables de la grĂšve furent accusĂ©s de meurtre. 160 autres grĂ©vistes furent jugĂ©s pour divers crimes. Tous furent acquittĂ©s par des jurys comprĂ©hensifs.
Cependant, les miliciens avaient permis l’entrĂ©e des jaunes dans l’usine. Ils y arrivaient souvent dans des wagons blindĂ©s en ignorant pour la plupart leur destination. L’usine produisait de l’acier tandis que les grĂ©vistes Ă©puisaient leurs ressources. AprĂšs quatre mois, ils acceptĂšrent de retourner au travail et les meneurs furent mis sur liste noire
 L’AA ne se remis jamais de cette dĂ©faite, le nombre de ses affiliĂ©s passa en un an de 25.000 Ă  8.000.
Au cours de la grĂšve, Alexander Berkman, un jeune anarchiste de New York dĂ©cida en accord avec quelques anarchistes, dont sa compagne Emma Goldman, de se rendre Ă  Pittsburgh pour abattre Henry Clay Frick. Il rĂ©ussit Ă  pĂ©nĂ©trer dans son bureau mais il ne fit que le blesser. Berkman fut capturĂ©, emprisonnĂ© et finalement jugĂ© pour tentative de meurtre. Il passa quatorze ans au pĂ©nitencier de l’Etat.

La dĂ©bacle des Pinkertons Ă  Homestead n’empĂȘcha pas l’agence de rester le fer de lance des luttes anti-syndicales. C’est ainsi que l’étĂ© 1917 Ă  Butte, dans le Montana, ils brisent la grĂšve des mineurs de l’Anaconda Copper Company. Il est probable que le commando qui enleva et assassinat (en le pendant Ă  un pont) le dirigeant de la grĂšve, Frank Little, Ă©tait composĂ© de Pinkertons. C’est d’ailleurs pour ne pas collaborer aux campagnes anti-grĂšves que Dashiell Hammett dĂ©missionna de l’agence Pinkerton. Aujourd’hui, l’agence Pinkerton emploie 48 000 dĂ©tectives. Elle a Ă©tĂ© rachetĂ©e en 2003 par la multinationale suĂ©doise de la sĂ©curitĂ© : le groupe Securitas AB (320.000 salariĂ©s).

Les Pinkertons escortent des briseurs de grĂšve Ă  Buchtel (1884)
Un des postes de tir des grévistes
Les Pinkertons aprĂšs leur reddition
Alexander Berkman tire sur Henry Clay Frick

DĂ©but 1912, la police enregistre ses premiers succĂšs contre la bande Ă  Bonnot. Le 30 mars 1912, Soudy est arrĂȘtĂ©, le 4 avril, Carouy, le 7 avril Callemin, et le 24 avril Monier. Ce mĂȘme 24 avril, Louis Jouin, sous-chef de la SĂ»retĂ© qui est chargĂ© de l’affaire, perquisitionne au domicile d’un anarchiste. Il tombe sur Bonnot qui le tue Ă  coup de revolver puis parvient Ă  s’enfuir. Mais le 27 avril, Bonnot est repĂ©rĂ© et encerclĂ© dans un pavillon de Choisy-le-Roi. Bonnot se barricade et fait le coup de feu, un long siĂšge commence, menĂ© en personne par le prĂ©fet de police, Louis LĂ©pine. De plus en plus de troupes diverses arrivent, jusqu’à un rĂ©giment de Zouaves avec sa mitrailleuse Hotchkiss dernier cri. Finalement, la police dĂ©cide de faire sauter la maison : progressant Ă  l’abri d’un charrette de paille, un militaire dĂ©pose et fait exploser une charge de dynamite. L’assaut est donnĂ©. Bonnot, blessĂ© dans l’explosion, parvient encore Ă  les accueillir Ă  coup de revolver avant d’ĂȘtre mortellement blessĂ©.


Les deux derniers membres du groupe, Valet et Garnier, sont localisĂ© le 14 mai 1912 dans un pavillon de Nogent-sur-Marne. Un nouveau siĂšge commence, pratiquement identique Ă  celui de Choisy. Pendant plus de 9 heures, Valet et Garnier tiennent en respect une petite armĂ©e. Du haut du viaduc, AndrĂ© Kling, le directeur du Laboratoire municipal de chimie, jette des paquets explosifs de mĂ©linite, en vain. Finalement, un rĂ©giment de dragons parvient Ă  faire sauter la villa. La police, ayant donnĂ© l’assaut, achĂšve les deux anarchistes.
À la suite de ces siĂšges, le prĂ©fet LĂ©pine institue le 26 mai 1912 une Commission SpĂ©ciale, qu’il prĂ©side, chargĂ©e de «proposer tout moyen propre Ă  rĂ©duire les bandits ou les fous dangereux». LĂ©pine Ă©tait du genre innovateur (il a fondĂ© le concours LĂ©pine primant les inventions): il avait mis en place la permanence dans les commissariats, crĂ©e la brigade fluviale ainsi que les brigades cyclistes, fait installer 500 avertisseurs tĂ©lĂ©phoniques, instaurĂ© les passages piĂ©tons, les sens uniques et les sens giratoires, encouragĂ© les premiers dĂ©veloppements de la police scientifique.

La commission fut composĂ©e d’un membre de l’Institut Pasteur, d’un membre de l’AcadĂ©mie de mĂ©decine, du fameux AndrĂ© Kling, directeur du laboratoire municipal de la ville de Paris, d’un officier de la section technique du gĂ©nie, et du chef du laboratoire municipal. La Commission propose de doter les forces d’une brigade spĂ©ciale de la Police Judiciaire d’une arme chimique contenant un gaz lacrymogĂšne dĂ©nuĂ© de propriĂ©tĂ©s « asphyxiantes ou dĂ©lĂ©tĂšres Â» ce sera l’origine de la la « Brigade des gaz Â».

La commission bĂ©nĂ©ficia des recherches militaires. Le ComitĂ© et de la Direction de l’artillerie avait crĂ©Ă© en novembre 1905 une commission secrĂšte pour l’étude de « gaz ne tombant pas sous le coup de la convention de La Haye, c’est Ă  dire ni asphyxiants, ni dĂ©lĂ©tĂšres, de gaz simplement puants mais qui devaient sentir tellement mauvais que toute position devrait devenir intenable ». Parmi toutes les substances sĂ©lectionnĂ©es, une trentaine furent essayĂ©es, et parmi celles recommandĂ©e, l’éther bromacĂ©tique connu depuis 1850 pour ses propriĂ©tĂ©s irritantes. Une Commission d’étude du GĂ©nie expĂ©rimenta Ă  partir de 1909 des dispositifs de diffusion de gaz susceptibles de rendre intenable une position fortifiĂ©e et d’en chasser ses occupants. Deux types de grenades et un pistolet lance-grenades furent Ă©tudiĂ©s.

La commission instaurĂ©e par LĂ©pine adopta l’éther bromacĂ©tique. La prĂ©fecture de police organisa Ă  partir de septembre 1913 des tests et des exercices, puis sa Brigade des gaz (qui exista jusqu’en 1939) l’utilisa avec succĂšs pour neutraliser les individus barricadĂ©s. Devant le succĂšs de cet Ă©quipement, l’Établissement central du matĂ©riel du GĂ©nie dĂ©cida le 8 juillet 1913 que l’armĂ©e française adopterait des grenades suffocantes (le terme lacrymogĂšne n’apparait qu’en 1915) sur le modĂšle en usage Ă  la police. Le corps Ă©tait toujours en laiton Ă©tamĂ© intĂ©rieurement et la projection de l’éther bromacĂ©tique Ă©tait assurĂ© soit par une lĂ©gĂšre charge de poudre soit par un dĂ©tonateur. Elle utilisa ces gaz en aoĂ»t 14 en Alsace contre l’armĂ©e allemande, sans grand succĂšs, faute d’atteindre des concentrations efficaces.

Si l’usage militaire des gaz lacrymogĂšnes fut rĂ©duit (Ă  la diffĂ©rence des gaz asphyxiants), leur usage policier se gĂ©nĂ©ralisa Ă  travers le monde Ă  partir des annĂ©es 1920. Ce n’est cependant qu’à partir des annĂ©es 1930 que les gaz lacrymogĂšnes commenceront Ă  ĂȘtre utilisĂ©s pour disperser les manifestations.

Le siĂšge de Choisy-le-Roi
Explosion de dynamite contre le refuge de Bonnot, retranché au premier étage
Louis LĂ©pine
Grenade suffocante française, adoptée par l'établissement central du matériel du génie, le 8 juillet 1913
1934: La police de Minneapolis use de gaz lacrymogÚne contre les grévistes des transports

C’est sur base des recherches dĂ©crite dans l’épisode prĂ©cĂ©dent de notre feuilleton que fut rĂ©digĂ© le manuel d’interrogatoire KUBARK. Parfois trĂšs dĂ©taillĂ©, parfois trĂšs allusif. C’est ainsi que la torture visant Ă  amollir et stresser le sujet n’est Ă©voquĂ© qu’incidemment, par exemple au dĂ©tour d’instruction sur l’installation Ă©lectrique requise. La CIA n’a jamais hĂ©sitĂ© Ă  recourir Ă  la torture, et avait mĂȘme un cours de torture Ă  Fort Bragg. Mais sous la torture la victime a tendance Ă  raconter n’importe quoi pour faire stopper la souffrance. KUBARK vise Ă  ce que le sujet donne volontairement toutes les informations espĂ©rĂ©es, et mĂȘmes celles dont l’interrogateur ne soupçonnait pas l’existence.

Pour provoquer le syndrome DDD, c’est la peur de la torture, la menace permanente d’ĂȘtre Ă  nouveau torturĂ© qui opĂšre. Un procĂ©dĂ© privilĂ©giĂ© est d’obliger le prisonnier Ă  rester dans des positions douloureuses. La dĂ©termination morale Ă  rĂ©sister et son dĂ©sir de s’effondrer afin que la douleur cesse, enferme le sujet dans un combat autodestructeur. La douleur auto-infligĂ©e permet d’éviter le mĂ©canisme par lequel le sujet entre en confrontation directe avec son tortionnaire, lui opposant sa rĂ©sistance. On enlĂšve au torturĂ© la possibilitĂ© de se confronter Ă  une volontĂ© adverse. C’est un technique que l’on a vu employer Ă  une grande Ă©chelle Ă  Abou Ghraib.

KUBARK a fondĂ© la torture psychologique contemporaine en dĂ©taillant ses treize Ă©lĂ©ments de base : 1) l’isolement ; 2) la dĂ©bilitation psychologique ; 3) la dĂ©sorientation spatiale ; 4) la dĂ©sorientation temporelle ; 5) la dĂ©sorientation sensorielle ; 6) la privation sensorielle ; 7) le dĂ©sespoir provoquĂ© ; 8) l’assaut sensoriel (par exemple par sur-stimulation, comme dans le cas de la torture par le son) ; 9) les menaces (dont les simulacres d’exĂ©cution) ; 10) les traitements bestiaux (oĂč le sujet est ramenĂ© au rang d’animal) ; 11) les humiliations sexuelles et les viols ; 12) les profanations (forcer les victimes Ă  assister ou Ă  accomplir des dĂ©gradations de ce qu’elles considĂšrent comme sacrĂ©) ; 13) la manipulation pharmacologique. Ces Ă©lĂ©ments permettent l’application de trois principes.

Premier principe : la dĂ©sorientation ou la confusion, bouleverser les attentes et les rĂ©actions conditionnĂ©es de la personne interrogĂ©e. Elle est habituĂ©e Ă  un monde qui fait sens, prĂ©visible et s’y ancre pour prĂ©server son identitĂ© et sa capacitĂ© de rĂ©sistance. Dans l’espace clos de la dĂ©tention, l’entreprise de dĂ©stabilisation passe d’abord par une perturbation systĂ©matique des rĂ©gularitĂ©s temporelles : horloges trafiquĂ©es, qui avancent puis retardent, horaires irrĂ©guliers, nuits Ă  gĂ©omĂ©trie variable
 La texture mĂȘme du rĂ©el est attaquĂ©e, les rythmes habituels sont dĂ©traquĂ©s pour plonger le sujet dans un Ă©tat de dĂ©sorientation.
Cette stratĂ©gie de dissolution des cadres se prolonge aussi dans la sphĂšre sociales. La cible est privĂ©e de ses repĂšres logiques et sĂ©mantiques ordinaires : la bombarder de questions absurdes et incohĂ©rentes, lui faire des demandes contradictoires et farfelues, prendre un ton de voix qui dĂ©ment la teneur des propos tenus
 Le sujet va s’ingĂ©nier Ă  donner du sens Ă  une situation devenue mentalement insupportable. Il s’épuisera dans une tĂąche d’interprĂ©tation sans fin.

DeuxiĂšme principe : celle du rĂ©trĂ©cissement du monde. La mise Ă  l’isolement commence par la confiscation de tous les effets personnels (les symboles de la vie passĂ©e peuvent ĂȘtre une source de force morale). Le sentiment de cette sĂ©paration doit ĂȘtre intensifiĂ©, par tous les moyens, de sorte que le prisonnier en vienne Ă  se persuader qu’il est coupĂ© de toutes forces amies capables de le soutenir. Mais on ne veut pas seulement le couper du monde. On lui en recrĂ©e aussi un autre Ă  la place. À mesure que l’ambiance et les repĂšres du monde extĂ©rieur se font plus lointains, leur importance pour la personne interrogĂ©e se rĂ©duit. Ce monde est alors remplacĂ© par la salle d’interrogatoire, ses deux occupants et leur relation. Le sujet se fonde de plus en plus sur les valeurs du monde de l’interrogatoire, plutĂŽt que sur celles du monde extĂ©rieur.
Priver le sujet de monde ne signifie pas seulement le couper de son univers familier et de ses proches, mais aussi de tout horizon de conscience plus vaste, gĂ©ographique et historique, affectif et politique. Fabriquer des individus esseulĂ©s ou recroquevillĂ©s dans de petits mondes aux prĂ©occupations Ă  la fois vitales et mesquines ; faire s’enfermer mentalement les sujets dans des univers Ă  quelques personnages, dont les micro-drames Ă©clipsent ceux du monde.

TroisiĂšme principe : l’autoprĂ©dation, qui correspond au procĂ©dĂ©, dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©, de l’autodouleur. Il faut que le sujet se fasse le bourreau de soi-mĂȘme, et les effets en seront dĂ©multipliĂ© par la culpabilisation: On lui demandera au sujet, sur un ton plein de sollicitude : « Mais pourquoi donc te fais-tu ça ? »

Lorsque les AmĂ©ricains entendirent tester in vivo, en 1971, au Vietnam, l’efficacitĂ© de KUBARK sur un rĂ©sistant communiste, Nguyen Van Tai, qui avait rĂ©sistĂ© aux tortures physiques les plus extrĂȘmes. ils lui firent construire une cellule particuliĂšre et une chambre d’interrogatoire, toutes les deux complĂštement blanches, un espace totalement nu, hormis une table, une chaise, un trou percĂ© pour les toilettes, avec des camĂ©ras de surveillance et des micros omniprĂ©sents pour pouvoir enregistrer tous ses faits et gestes.
EnfermĂ© et torturĂ© trois ans dans ce cube sans fenĂȘtres, Tai parvint Ă  tenir bon en organisant, de façon mĂ©thodique et obstinĂ©e, un rituel de petits contre-poisons quotidiens. Il se rĂ©veillait automatiquement tous les jours Ă  6 heures du matin, rĂ©citait alors en silence les paroles de l’hymne nord-vietnamien, effectuait des exercices physiques, composait des poĂšmes et des chansons dans sa tĂȘte, et saluait une Ă©toile qu’il avait grattĂ©e sur son mur pour reprĂ©senter le drapeau nord-vietnamien.
Entretenir le souvenir de la conscience du monde Ă©tait indispensable pour ne pas se laisser enfermer, mentalement aussi, dans le cube blanc que les interrogateurs avaient assignĂ© Ă  son existence. Il rĂ©pĂ©tait cette routine toute la journĂ©e, puis Ă  10 heures, tous les soirs, il se mettait au lit. On peut interprĂ©ter les rituels de cette discipline personnelle comme autant de techniques de contre-conditionnement, mises en Ɠuvre par le sujet lui-mĂȘme, en rĂ©ponse au conditionnement externe que l’on essayait de lui faire subir.

Pour en savoir plus:

Éditions ZONE
Paru le 7 juillet 2012
192, pages, 16 euros
ISBN : 2-355-22045-X

Le sous-officier Charles Graner, de la police militaire, considéré comme le responsable des sévices à Abou Ghraib, affirmait avoir obéir aux ordres qui lui demandaient d'
Ulrike Meinhof subit une programme voisin de KUBARK: isolement total, anesthĂ©sies de force, une cellule insonorisĂ©e et sans fenĂȘtre, lumiĂšre artificielle s’allume de telle maniĂšre Ă  briser le cycle du sommeil.
Nguyen Van Tai, qui a survécu à la guerre et a pu décrire son expérience dans les mains de la CIA
Le manuel d’interrogatoire de la CIA – Seconde partie

En 1954, les autoritĂ©s de Washington furent choquĂ©s quand des soldats amĂ©ricains faits prisonniers lors de la guerre de CorĂ©e dĂ©clarĂšrent vouloir rester en zone communiste, reniant publiquement les USA. Pour les AmĂ©ricains, la dĂ©nonciation de la guerre impĂ©rialiste par ces soldats ne pouvait ĂȘtre sincĂšre. Les communistes pouvaient donc « laver les cerveaux Â», modeler les personnalitĂ©s et les consciences. Les USA ne pouvaient continuer Ă  se laisser distancer dans ce nouveau domaine de la course aux armement: la Brain Warfare, la guerre du cerveau Ă©tait lancĂ©e.
Il allait aboutir au « Kubark Counterintelligence Interrogation Â» (KUBARK est le nom de code que la CIA s’était donnĂ© pendant la guerre froide), un manuel exposant la maniĂšre de briser la volontĂ© d’un prisonnier. RĂ©digĂ© en 1963, il fut dĂ©classifiĂ© 1997 (en partie seulement, la CIA censurant de nombreux passages) suite Ă  une dĂ©marche de journalistes invoquant la loi sur la libertĂ© de l’information.

La CIA ne partait pas de zĂ©ro. En 1950, avec le programme Bluebird, elle avait administrĂ© des milliers de doses de LSD, une substance qui venait d’ĂȘtre dĂ©couverte Ă  des cobayes. Le programme fut rebaptisĂ© Artichoke puis MK-Ultra. La CIA tua plusieurs de ses cobaye, en rendit fou ou handicapĂ© de nombreux autres, mais dĂ» finalement admettre que le LSD n’était pas l’outil adĂ©quat pour « retourner Â» un prisonnier ou lui faire rĂ©vĂ©ler ses secrets.
En avril 1956, deux professeurs de mĂ©decine de l’universitĂ© Cornell, Harold Wolff et Lawrence Hinkle, remirent Ă  la CIA un rapport sur les « mĂ©thodes de contrĂŽle communistes Â». Selon eux, la clĂ© des mĂ©thodes communistes Ă©taient un hĂ©ritage des techniques tsaristes. L’isolement, combinĂ© avec le stress des interrogatoires, plongeait les prisonniers dans le syndrome « DDD Â», pour Debility, Dependency and Dread: faiblesse (physique et psychique), dĂ©pendance et dĂ©tresse. Des sujets affectĂ©s du syndrome DDD sont dĂ©sespĂ©rĂ©ment dĂ©pendants de leurs geĂŽliers pour la satisfaction de leurs besoins de base, ils Ă©prouvent des rĂ©actions de peur et d’anxiĂ©tĂ© intenses. Selon le rapport, les communistes n’appliquaient ces techniques que de maniĂšre routiniĂšre et empirique. Il Ă©tait possible de faire mieux en les refondant sur une base scientifique.

En 1955, la CIA avait crĂ©Ă© une fondation Ă©cran, la Society for the Investigation of Human Ecology, qui injecta dans les universitĂ©s des millions de dollars pour financer les recherches. Le docteur Donald Hebb, de l’universitĂ© McGill, Ă©tudia les effets de l’isolement radical. AprĂšs quelques heures passĂ©es Ă  porter un casque isolant sur les oreilles, confinĂ©s dans une sorte de caisson fermĂ©, les yeux obstruĂ©s, le corps recouvert de mousse, les sujets Ă©prouvaient des difficultĂ©s de concentration, des troubles des facultĂ©s cognitives, des hallucinations visuelles, l’impression d’ĂȘtre dĂ©tachĂ©s de leur corps – l’identitĂ© mĂȘme du sujet avait commencĂ© Ă  se dĂ©sintĂ©grer.

Ces expĂ©riences furent reprises et radicalisĂ©es par le docteur Ewen Cameron, directeur de l’Allan Memorial Institute of Psychiatry Ă  MontrĂ©al. En 1957, son Ă©tude sur les « effets de la rĂ©pĂ©tition de signaux verbaux sur le comportement humain » fut financĂ©e par la Society for the Investigation of Human Ecology et intĂ©grĂ© au projet MK-Ultra. Cameron testa pendant des annĂ©es sur des patients non consentants sa mĂ©thode visant Ă  effacer leur personnalitĂ©. Les individus Ă©taient plongĂ©s dans des comas artificiels, soumis Ă  des sĂ©ances d’électrochocs Ă  rĂ©pĂ©tition, enfermĂ©s pendant des jours dans des boĂźtes de privation sensorielle et exposĂ©s Ă  des messages audio diffusĂ©s en boucle du type « Ma mĂšre me hait Â». Les cobaye de Cameron ont souffert toute leur vie des effets de ses expĂ©riences.

L’essentiel pour la CIA Ă©tait la preuve que l’isolement radical et la privation sensorielle dĂ©sorientaient et affaiblissaient les sujets, provoquaient une rĂ©gression psychique rendant rĂ©ceptif Ă  la suggestion. Et Ă  ce stade, les techniques de l’entretien psychiatrique Ă©taient les plus efficaces pour prendre le relais. En rĂ©sumĂ©: il fallait provoquer le dĂ©sĂ©quilibre psychiatrique, en rĂ©duisant le sujet Ă  un noeud d’angoisses, de stress et de dĂ©pendance, puis le « rĂ©Ă©quilibrer Â» dans le sens voulu. RĂ©pondre aux questions de l’interrogateur apportant le soulagement.

(Ă  suivre)

En 1954, 31 prisonniers de guerre US firent le choix de rester en zone communiste; certains y fondÚrent un famille, d'autres rentrÚrent ultérieurement aux USA
Air du temps: dans The Manchurian Candidate (roman de 1959, film de 1962), les communistes lavent le cerveaux de prisonniers de guerre américains pour en faire leurs créatures.
Expérience de privation sensorielle
Donald Ewen Cameron, ancien président de l'American Psychiatric Association, de la Canadian Psychiatric Association et de la World Psychiatric Association - qui fit pour la CIA des expériences cruelles sur ses patients à leur insu

01/01/2000

Le boycott

Charles Cunningham Boycott (1832-1897) est un britannique du XIXe siĂšcle qui fut d’abord capitaine dans l’armĂ©e puis propriĂ©taire terrien en Irlande, sur l’üle d’Achill puis Ă  Lough Mask dans le comtĂ© de Mayo. Durant l’étĂ© 1879, Ă  l’appel de Charles Stewart Parnell, dirigeant de la ligue agraire, les fermiers se coordonnĂšrent afin d’obtenir de Charles Boycott, leur riche propriĂ©taire terrien qui les traitait mal, de meilleures conditions de travail. Charles Boycott subit un blocus de leur part qui alla jusqu’à sacrifier une rĂ©colte, les mercenaires moissonneurs, protĂ©gĂ©s par l’armĂ©e britannique, Ă©tant arrivĂ©s trop tard. Cette action entraĂźna sa ruine. Le mot « boycott Â» se rĂ©pandit en Angleterre par voie de presse et celui de « boycottage Â» apparaĂźt en France dĂšs 1881 oĂč il redeviendra simplement « boycott Â».

Le boycott a existĂ© avant que le nom lui soit donnĂ©. Pendant la RĂ©volution amĂ©ricaine, Ă  la fin du XVIIIe siĂšcle, le boycott des marchandises anglaises, et notamment le thĂ©, Ă©tait un moyen utilisĂ© par les colons pour faire pression sur la mĂ©tropole. Les premiers anti-esclavagistes anglais lancĂšrent en 1790 un boycott du sucre provenant des Antilles car produit par des esclaves. Parmi les boycott cĂ©lĂšbres, il y a celui lancĂ© en Inde en 1930, par le Mahatma Gandhi sur les impĂŽts liĂ©s au sel, contre l’Empire britannique et celui des bus de Montgomery en 1955 Ă  l’appel de Martin Luther King pour obtenir la fin de la discrimination raciale. Le premier grand boycott politique international fut celui de l’Afrique du Sud pour mettre fin Ă  l’apartheid, Ă  partir des annĂ©es 1970.

Le phĂ©nomĂšne du boycott augmente du fait des nouvelles facilitĂ©s de communication et parce qu’il constitue un mode de protestation adaptĂ© Ă  quelques tendances actuelles : individualiste mais solidaire, non-violent et sans risque. Les « consom’acteurs Â» utilisent leur pouvoir d’achat comme une sorte de droit de vote pour compenser leur impuissance en tant qu’électeurs face au pouvoir des multinationales (le slogan du boycott contre Kraft Ă©tait: « Vote with your dollars Â»). Le dĂ©veloppement du mouvement altermondialiste en France et ailleurs a Ă©tĂ© s’accompagnant d’une multiplication des boycotts, Ă  commencer par celui de Danone dĂ©clenchĂ© suite de l’annonce de son plan social, en mars 2001. Le groupe restructurait sa branche biscuits: six fermetures d’usines, dont deux en France, et 1816 suppressions d’emplois, dont 570 dans l’Hexagone. ChoquĂ©e par cette vague de licenciements de la part d’une entreprise en bonne santĂ©, une partie des salariĂ©s a lancĂ© un appel au boycott des produits Danone. Paradoxalement, l’image de Danone comme entreprise plutĂŽt sociale a servi de levier Ă  ce mouvement. Cet appel fut trĂšs vite relayĂ©, avec la crĂ©ation de sites Internet, et a eu un impact visible sur les rĂ©sultats du groupe: sur les neuf premiers mois de l’annĂ©e, la croissance des ventes dans le pĂŽle biscuits n’a Ă©tĂ© que de 0,4%, contre 6,4% sur la mĂȘme pĂ©riode en 2000.

Un boycott est d’autant plus efficace que l’entreprise a de grands frais fixes, et qu’une baisse d’à peine 5 % de la demande pourrait par exemple faire baisser son bĂ©nĂ©fice de plus de moitiĂ©. L’appel au boycott peut donc avoir un Ă©norme impact, voire mettre une entreprise fragile en difficultĂ©. Le lĂ©gislateur a dĂ©jĂ  mis en place dans certains pays des lois anti-boycott. C’est ainsi qu’en France, le boycott peut ĂȘtre considĂ©rĂ© en France comme une discrimination envers une personne physique s’il est effectuĂ© « en fonction de l’origine, du sexe, de la situation de famille, de l’apparence physique, du patronyme, de l’état de santĂ©, du handicap, des caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©tiques, des mƓurs, de l’orientation ou identitĂ© sexuelle, de l’ñge, des opinions politiques, des activitĂ©s syndicales, de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposĂ©e, Ă  une ethnie, une nation, une race ou une religion dĂ©terminĂ©e des membres ou de certains membres de ces personnes morales ».

Depuis juillet 2005, la sociĂ©tĂ© civile palestinienne appelle aux boycott, dĂ©sinvestissement et sanctions (BDS) contre IsraĂ«l. Des organisations pro-israĂ©liennes ont poursuivi en justice des membres français de BDS. Ces organisations firent jouer leurs relais politiques: en fĂ©vrier 2010, la Ministre Alliot-Marie, alors Garde des Sceaux, demandait par une circulaire aux Parquets d’engager des poursuites contre les personnes appelant ou participant Ă  des actions de boycott des produits israĂ©liens, ces actions Ă©tant assimilĂ©es Ă  de la discrimination antisĂ©mite et de la haine raciale. Plusieurs poursuites ont Ă©tĂ© engagĂ©es, mais dĂ©bouchĂšrent sur des fiasco juridiques. Le 20 novembre 2014, la Cour de cassation a rejetĂ© les pourvois des diffĂ©rentes officines pro-israĂ©liennes en France contre une militante de BDS. Cela cloture une saga juridique (cet arrĂȘt fait suite Ă  un arrĂȘt de la Cour d’appel de Paris en 2012, faisant lui-mĂȘme suite Ă  un premier jugement de 2011, tous en faveur de BDS).

Le capitaine e.r. Charles Cunningham Boycott
Le boycott
Le boycott
Le boycott
Le boycott

01/01/2000

La prison de Khiam

Khiam est un village situĂ© au sud du Liban, prĂšs de la ville de Nabatieh, Ă  une distance d’environ 100 kilomĂštres de Beyrouth. Pendant le mandat français sur le Liban et la Syrie (qui ne faisaient qu’un jusqu’à ce que les Français les divisent), aprĂšs la dĂ©faite de l’empire Ottoman dans la premiĂšre guerre mondiale, les Français y construisirent un fort. Le fort de Khiam, situĂ© sur un promontoire qui domine le Sud-Liban, est transformĂ© en une base de l’armĂ©e libanaise, avant d’ĂȘtre occupĂ© par les IsraĂ©liens lors de l’invasion du Liban de 1982. Ces derniers le transforment en une prison clandestine et un centre de torture sous le commandement des officiers de l’ArmĂ©e du Liban Sud.


L’ALS, Ă©tait une milice fasciste libanaise Ă  qui IsraĂ«l avait confiĂ© la garde d’une bande de terre libanaise longeant la frontiĂšre avec la Palestine. L’ALS Ă©tait armĂ©e, financĂ©e et encadrĂ©e par IsraĂ«l. De 1985 Ă  2000, plusieurs milliers de prisonniers libanais et rĂ©fugiĂ©s palestiniens ont Ă©tĂ© dĂ©tenus dans la prison sans jugement et certains d’entre eux y ont trouvĂ© la mort. Des mineurs, ĂągĂ©s de 12 Ă  16 ans, y ont Ă©tĂ© enfermĂ©s.
Khiam Ă©tait une zone de non-droit absolu : torture systĂ©matique, conditions inhumaines de dĂ©tention, isolement total, privation de lumiĂšre, pas de visite, pas d’avocat, pas de juge, pas de correspondance
 Si pour certains le sĂ©jour Ă©tait court, car il fallait intimider, la plupart des dĂ©tenus l’ont Ă©tĂ© pour de longues pĂ©riodes, souvent plus de dix ans
 et sans aucun jugement. Un ordre militaire, restĂ© secret, suffisait.
L’isolement Ă©tait tel qu’une dĂ©tenue, sortie en 1992, n’était au courant ni de la guerre du Golfe (1991) ni de la fin de la guerre civile au Liban (1990). La cellule d’isolement des femmes mesurait 1,80 m de long sur 80 cm de large. Soha Bechara avait passĂ© dix ans Ă  Khiam. Cette jeune militante communiste, devenue un symbole de la rĂ©sistance dans son pays, avait tentĂ© d’assassiner le gĂ©nĂ©ral Antoine Lahad, chef de l’ALS, le 7 novembre 1988 d’abattre Antoine Lahad, ce gĂ©nĂ©ral dĂ©voyĂ© qui dirigeait l’ALS. Elle a Ă©tĂ© dĂ©tenue dix ans, dont six ans Ă  l’isolement, dans une cellule d’isolement mesurant 1,80 m de long sur 80 cm de large, avec d’incessants interrogatoires sous la torture : « L’électricitĂ©, les tuyaux, l’eau
 des dĂ©charges Ă©lectriques durant quatre heures d’affilĂ©e. On ne peut que crier dans ces moments-lĂ  Â». Un jour, ils ont amenĂ© sa mĂšre pour qu’elle assiste aux tortures de la fille.



Pendant des annĂ©es, IsraĂ«l a niĂ© l’existence de la prison, ne reconnaissant qu’un centre de l’ALS pour gĂ©rer les arrestations. Ce n’est qu’à partir de 1995 que le ComitĂ© international de la Croix-Rouge (CICR) a obtenu un droit de visite. Les associations de dĂ©fense des droits de l’homme ont toujours considĂ©rĂ© IsraĂ«l comme responsable de l’existence et du fonctionnement de cette prison. Les tĂ©moignages d’anciens dĂ©tenus attestent de la prĂ©sences d’officiers et de fonctionnaires israĂ©liens, et les officiers des services de renseignements israĂ©liens y passaient tous les jours relever les rĂ©sultats des interrogatoires des membres de la rĂ©sistance. IsraĂ«l avait crĂ©Ă© un nouvel instrument de rĂ©pression que les États-Unis, vingt ans aprĂšs, allaient reprendre : la dĂ©localisation et la sous-traitance de la torture pour contourner ses propres lois et obligations internationales.

En mai 2000, avec le dĂ©part prĂ©cipitĂ© de l’armĂ©e israĂ©lienne a entraĂźnĂ© la dĂ©bacle des collaborateurs de l’ALS qui ont pris la fuite vers IsraĂ«l. La population s’est prĂ©cipitĂ© vers la prison et a libĂ©rĂ© les 145 derniers prisonniers.
Khiam Ă©tait devenu un musĂ©e. Une dizaine d’anciens dĂ©tenus animaient les visites guidĂ©es. Ils faisaient visiter les cellules, montraient les inscriptions gravĂ©es sur les murs
 Le tour se terminait par une petite exposition d’objets fabriquĂ©s en secret par les prisonniers. La nuit du 19 au 20 juillet 2006, lors de la «guerre de 34 jours» entre IsraĂ«l et la rĂ©sistance au Sud-Liban, un bombardement israĂ©lien a totalement rasĂ© le musĂ©e. IsraĂ«l, qui passe son temps Ă  invoquer la mĂ©moire, sait s’employer Ă  dĂ©truire celle des autres.

Une des premiĂšres photos de la prison de Khiam
Le plan de la prison
Le couloir des cellules
Libération de Souha Bechara
La prison devenue musée, aprÚs le bombardement israélien

NetchaĂŻev naquit en 1847 dans une famille ouvriĂšre de la province russe. Autodidacte, il devint instituteur en 1868 Ă  Saint-PĂ©tersbourg, oĂč il frĂ©quentait les milieux anarchistes. RecherchĂ©, il se rĂ©fugie Ă  GenĂšve en mars 1869; il y rencontre Bakounine, avec qui il se lie puis se brouille, et rĂ©dige son cĂ©lĂšbre CatĂ©chisme rĂ©volutionnaire (lire ce CatĂ©chisme).

En 1869, NetchaĂŻev retourne clandestinement Ă  Moscou oĂč il fonde (grĂące Ă  un mandat de Bakounine) une organisation rĂ©volutionnaire conspirative, extrĂȘmement centralisĂ©e: la « Vengeance du Peuple Â» (Narodnaya Rasprava). Peu aprĂšs, il organise l’assassinat de l’étudiant Ivanov qui voulait quitter l’organisation. NetchaĂŻev l’accusera de trahison. L’étau de la police se resserre trĂšs vite contre NetchaĂŻev qui se rĂ©fugie Ă  Londres, puis Ă  Paris; et enfin Ă  Zurich. Le procĂšs de ses complices dans l’assassinat d’Ivanov, Ă  Saint-PĂ©tersbourg, eu un grand retentissement.
NetchaĂŻev est arrĂȘtĂ© Ă  Zurich en 1872. Le gouvernement russe demanda son extradition comme un criminel de droit commun. A cause de l’assassinat d’Ivanov, l’opinion Ă©tait dĂ©favorable Ă  NetchaĂŻev. Ceux qui tentĂšrent d’empĂȘcher l’extradition sur base du fait que NetchaĂŻev Ă©tait un politique et non un droit commun reçurent une fin de non recevoir des principales organisations d’émigrĂ©s politiques qui dĂ©clarĂšrent ne pas vouloir dĂ©fendre un tel assassin.
Un groupe d’étudiants rĂ©volutionnaires voulut tenter de le libĂ©rer de force sur le trajet de la prison Ă  la gare, mais ils n’étaient pas assez nombreux au moment prĂ©vu. Un tentative d’évasion aurait quand mĂȘme eu lieu mais les policiers suisses auraient aussitĂŽt rattrapĂ© NetchaĂŻev. Deux rĂ©volutionnaires Ă©taient dans le train, guettant l’occasion, mais ils ne purent rien faire.
En Russie, NetchaĂŻev fut jugĂ© comme droit commun et condamnĂ© Ă  vingt ans de travaux forcĂ©s. Mais au lieu d’ĂȘtre dĂ©portĂ© en SibĂ©rie comme droit commun, il fut enfermĂ© au ravelin Alexis, Ă©lĂ©ment de fortification de la forteresse Pierre-et-Paul, situĂ© sur une Ăźle de la Neva, qui servait de prison d’État depuis le dĂ©but du XVIIIe siĂšcle. Cette dĂ©tention fut gardĂ©e secrĂšte: personne ne savait oĂč NetchaĂŻev avait disparu.

Le ravelin Alexis Ă©tait entiĂšrement isolĂ© du reste de la forteresse, il recevait les prisonniers politiques ou les hĂ©rĂ©tiques les plus redoutĂ©s. Le rĂ©gime y Ă©tait d’une sĂ©vĂ©ritĂ© impitoyable, sans lumiĂšre, sans air, l’isolement perpĂ©tuel. Les prisonniers Ă©taient Ă©puisĂ©s par les privations, l’humiditĂ© ou le froid glacial, ils souffraient du scorbut, de plaies infectĂ©es aux poignets et aux chevilles en raison des fers qui les enchaĂźnaient. Ceux qui rĂ©sistaient Ă©taient battus et se voyaient passer la camisole de force (NetchaĂŻev la porte sept jours d’affilĂ©e).

Des hommes y avaient passĂ© des dizaines d’annĂ©es et plusieurs d’entre eux craquĂšrent, se suicidant, perdant la raison, ou abandonnant le combat rĂ©volutionnaire comme DostoĂŻevski. Dans son roman dirigĂ© contre les rĂ©volutionnaires, Les PossĂ©dĂ©s, DostoĂŻevski s’inspira de l’assassinat d’Ivanov et NetchaĂŻev y apparait sous le nom de Verkhovensky. C’est au ravelin Alexis que Bakounine, qui y passa trois ans, avait craquĂ© et Ă©crit sa supplique au tsar oĂč il mettait son engagement rĂ©volutionnaire sur le compte d’un « manque de maturitĂ© intellectuelle Â». Quand NetchaĂŻev fut invitĂ© Ă  Ă©crire une semblable supplique, il Ă©crivit Ă  l’inverse un texte plein de dĂ©termination et de dignitĂ©. Un gĂ©nĂ©ral de gendarmerie vint alors en cellule lui expliquer ce qu’on attendait de lui: NetchaĂŻev l’envoya au diable, et quand le gĂ©nĂ©ral le menaça du fouet, NetchaĂŻev rĂ©pliquera par une telle gifle que le gĂ©nĂ©ral en aura la lĂšvre fendue.
Quand NetchaĂŻev arriva au ravelin Alexis, il ne s’y trouvait qu’un seul autre prisonnier, MikaĂŻl Beideman, un officier soupçonnĂ© d’avoir voulu assassiner le tsar. ArrĂȘtĂ© et enfermĂ© sans jugement, il avait passĂ© vingt ans dans le ravelin et Ă©tait devenu fou. Un autre prisonnier arriva, Mirski, mais c’était un rĂ©volutionnaire qui avait craquĂ© et qui informait la police pour adoucir ses conditions de dĂ©tention. PrivĂ© de tout contact, NetchaĂŻev commença Ă  « travailler Â» ses geĂŽliers qui avaient pourtant ordre de ne pas lui parler. Jour aprĂšs jour, aprĂšs avoir observĂ© le caractĂšre de chacun des gendarmes, il commença Ă  miner leur discipline, discrĂ©diter leurs supĂ©rieurs. AprĂšs deux ans de travail de sape, il s’était attachĂ© la complicitĂ© plus ou moins prononcĂ©e de quarante gendarmes! Ceux-ci passĂšrent ses messages Ă  l’organisation « La VolontĂ© du Peuple Â» avec un plan d’évasion. Ce plan extraordinairement dĂ©taillĂ©, qui avait pu ĂȘtre mis au point grĂące aux information des gendarmes qui sympathisaient avec NetchaĂŻev, ne put ĂȘtre exĂ©cutĂ© car l’organisation dut concentrer ses moyens Ă  une tentative d’assassinat du tsar.

C’est le mouton Mirski qui comprit que NetchaĂŻev avait construit un rĂ©seau de complices parmi ses gardiens. Il les dĂ©nonça. Dix-huit sous-officiers de gendarmerie et 35 gendarmes composant la garde du ravelin Alexis furent jugĂ©s en 1882. Deux furent condamnĂ©s aux travaux forcĂ©s, tous les autres dĂ©portĂ©s en SibĂ©rie avec interdiction de prononcer jusqu’au nom de NetchaĂŻev. NetchaĂŻev mourut le 21 novembre 1882 dans un isolement si complet qu’aucun des vingt membres de la « VolontĂ© du Peuple Â» enfermĂ©s en mars 1882 dans le ravelin n’avait perçu le moindre signe de sa prĂ©sence.

NetchaĂŻev
La forteresse PĂŻerre-et-Paul
Le ravelin Alexis
La cellule de DostoĂŻevsky au ravelin Alexis

Le 31 mai 1974 Ă  la Grugahalle de Essen, a lieu un immense concert de solidaritĂ© avec le peuple chilien suite au coup d’Etat du gĂ©nĂ©ral Pinochet le 11 septembre 1973. Le concert est donnĂ© par quelques artistes allemands et par les plus cĂ©lĂšbres musiciens du Chili qui avaient Ă©chappĂ©s aux militaires.

Le groupe Quilapayun, trĂšs populaire avec son mĂ©lange d’instruments traditionnels andins et ses chansons engagĂ©es, avait Ă©tĂ© nommĂ© en 1972 « ambassadeur culturel Â» du Chili par Salvador Allende. Fin aoĂ»t 73, le groupe Ă©tait en tournĂ©e en France et devait rentrer Ă  Santiago le 24 septembre 73. Il restera 15 ans en exil en France. La situation du groupe Inti Illimani, emblĂ©matique de la nouvelle chanson chilienne, Ă©tait identique: Ă©galement en tournĂ©e europĂ©enne au moment du coup d’Etat, il restera 15 ans en exil en Italie. Quant Ă  Isabel Parra, elle avait Ă©chappĂ© aux militaires lors du coup d’Etat en se rĂ©fugiant Ă  l’ambassade du Venezuela, sous cette protection, elle avait pu quitter le Chili en 1974.


En introduction au concert, passe la voix enregistrĂ©e de Victor Jara, interprĂ©tant Herminda de la Victoria. Victor Jara Ă©tait un chanteur communiste d’une immense popularitĂ© au Chili et ses chansons avaient rythmĂ© le mouvement de l’UnitĂ© Populaire et du prĂ©sident Salvador Allende. Il avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© par les militaires lors du coup d’État, emprisonnĂ© et torturĂ© au stade de Santiago avec de nombreuses autres victimes de la rĂ©pression. Il y Ă©crit le poĂšme Estadio de Chile qui dĂ©nonce le fascisme, et qui est restĂ© inachevĂ©: VĂ­ctor Jara est isolĂ© des autres prisonniers: les militaires lui coupent les doigts Ă  la hache et finissent par l’assassiner le 15 septembre.


Suit alors Quilapayun qui interpĂšte trois chanson de Victor Jara: Plegaria a un labrador, Que lindas son las obreras et Con el alma llena de banderas.


SuccĂšdent:
– deux autres chansons de Jara, Lo unico que tengo interprĂštĂ©e par Isabel Parra, et Te recuerdo Amanda par Patricio Castillo (du groupe Quilapayun).
–Donde esta la patria, par Isabel Parra et Patricio Castillo
– Marsch der mumien III, et Des volkes fesseln, par Floh de Cologne
– Ya parte el galgo terrible (sur un poùme de Pablo Neruda), Chile herido, El aparecido (une chanson de Victor Jara), La segunda independencia, par Inti-Illimani.
– Dieser chilenische sommer war sĂŒss, par Dieter SĂŒverkrĂŒp
– Station Chile, par Franz Josef Degenhardt
– Wir sind fĂŒnftausend (une chanson de Victor Jara), par Reinhold Ohngemach
– Allende lebt, par Dietrich Kittner

En final Inti-Illimani et Quilapayun reprennent ensemble El pueblo unido jamas serĂ  vencido, puis tous les artistes reprennent le Venceremos, qui fut l’hymne de l’UnitĂ© Populaire d’Allende, et sont relayĂ© par la foule assistant au concert qui scande sa solidaritĂ©.

Ecouter ici le concert

La Grugahalle de Essen
Konzert fĂŒr Chile – Essen 1974
Konzert fĂŒr Chile – Essen 1974
Konzert fĂŒr Chile – Essen 1974
Konzert fĂŒr Chile – Essen 1974

Le 3 aoĂ»t 1981, les 13.000 contrĂŽleurs aĂ©riens affiliĂ©s au syndicat PATCO (la Professional Air Traffic Controllers Organization) entreprenaient une grĂšve contre l’agence fĂ©dĂ©rale de l’aviation pour demander une rĂ©duction des heures de travail, le recrutement de nouveaux employĂ©s et des augmentations de salaire.

Le jour mĂȘme , le prĂ©sident Ronald Reagan passait Ă  la tĂ©lĂ©vision pour dĂ©noncer les grĂ©vistes, Ă©voquer un pĂ©ril pour la « sĂ©curitĂ© nationale Â» et lancer un ultimatum : oĂč bien ils reprenaient le travail dans les 48 heures, oĂč ils Ă©taient licenciĂ©s et interdits de façon permanente de tout emploi fĂ©dĂ©ral. Reagan invoquait la Taft-Hartley de 1947. il s’agissait d’une lĂ©gislation anti-syndicale qui rendait illĂ©gaux les dĂ©brayages spontanĂ©s et obligatoire des prĂ©avis de grĂšve de 60 jours, qui retirait le droit de grĂšve aux fonctionnaires fĂ©dĂ©raux, aux fonctionnaires d’états et aux fonctionnaires des collectivitĂ©s locales, qui donnait le droit au gouvernement fĂ©dĂ©ral d’interdire une grĂšve mettant en danger la sĂ©curitĂ© nationale, et qui obligeait les responsables syndicaux Ă  prĂȘter serment de non-communisme (cette derniĂšre disposition sera dĂ©crĂ©tĂ©e inconstitutionnelle en 1965).

Le 5 aoĂ»t, Reagan licenciait les 11.359 contrĂŽleurs qui avaient dĂ©fiĂ© l’ordre de retour au travail et les faisait remplacer en partie par des militaires. Commença alors une opĂ©ration antisyndicale radicale, qui se termina par la crĂ©ation d’une liste noire et le licenciement permanent des travailleurs, la saisie des finances de la PATCO et la rĂ©vocation de l’accrĂ©ditation syndicale du syndicat. Des agents du FBI sont intervenus contre les piquets de grĂšve. Des dirigeants de la PATCO furent arrĂȘtĂ©s et emmenĂ©s en prison avec les fers aux pieds, entourĂ©s d’agents du FBI l’arme au poing. Quatre membres de la PATCO ont Ă©tĂ© emprisonnĂ©s par le gouvernement fĂ©dĂ©ral au printemps et Ă  l’étĂ© 1983. Ron May, Gary Greene, Lee Grant et Dick Hoover avaient Ă©tĂ© ciblĂ©s pour leur militantisme lors de la grĂšve. AccusĂ©s de dĂ©lit majeur de grĂšve contre le gouvernement, ils seront emprisonnĂ©s, frappĂ©s d’amende et privĂ©s de façon permanente de leurs droits civiques.

Les attaques de Reagan contre les grĂ©vistes de la PATCO ont provoquĂ© une opposition massive des travailleurs tant aux Etats-Unis qu’ailleurs dans le monde. Un mois aprĂšs que Reagan eut congĂ©diĂ© les grĂ©vistes de la PATCO, plus de 500 000 travailleurs ont convergĂ© sur Washington, DC, lors d’une « journĂ©e de solidaritĂ© » — la plus grande manifestation jamais organisĂ©e aux Etats-Unis.


Mais les grandes centrales syndicales — l’AFL-CIO, les Travailleurs unis de l’automobile, les Teamsters, etc.— n’ont pas soutenu la PATCO. Suite Ă  l’ultimatum de Reagan adressĂ© aux grĂ©vistes de la PATCO, l’AFL-CIO a ordonnĂ© Ă  ses affiliĂ©s (pilotes, machinistes et agents de bord) de franchir les piquets de grĂšve pour se rendre au travail.
La dĂ©faite de la PATCO a Ă©tĂ© le signal d’une vague antisyndicale, de compressions salariales et de licenciement de masse menĂ©e par les grandes entreprises dans tous les secteurs de l’économie amĂ©ricaine. Le modĂšle Ă©tait posĂ©: Thatcher allait Ăątre la premiĂšre Ă  le suivre en Angleterre, les autres gouvernements europĂ©ens suivant rapidement. La fin de la grĂšve des contrĂŽleurs aĂ©riens a marquĂ© la fin des politiques du rĂ©formisme et des compromis de classe qui ont prĂ©dominĂ© dans la pĂ©riode de l’aprĂšs-guerre et le dĂ©clenchement de l’offensive nĂ©o-libĂ©rale qui se poursuit toujours aujourd’hui.

Manifestation des contrÎleurs grévistes
Reagan, flanqué du ministre des transports, annonce le 5 août le licenciement des grévistes
1983: Les syndicalistes Lee Grant, Ron May et Gary Greene devant un tribunal fédéral
19 septembre 1981: Journée de solidarité avec les grévistes de PATCO
Reagan licencie 11.359 contrÎleurs aériens