Patrice Lumumba a dâabord travaillĂ© comme employĂ© de bureau dâune sociĂ©tĂ© miniĂšre, oĂč il dĂ©couvre le pillage colonial des ressources congolaises, puis comme journaliste. Autodidacte, exception faite pour un an de formation professionnelle Ă lâEcole postale de Kinshasa (alors LĂ©opoldville), grand lecteur, il crĂ©e en 1955 lâAssociation du personnel indigĂšne de la colonie et se lie Ă la fraction de la bourgeoisie belge qui veut faire Ă©voluer le Congo belge, en dĂ©veloppant un enseignement public. Il croit alors Ă une Ă©volution pacifique du systĂšme colonial. En 1956, quelques mesures de libĂ©ralisation (autorisation des syndicats et partis politiques dans la colonie) lâencouragent en ce sens.
En 1958, lâimage mĂ©prisante et paternaliste fait aux Congolais Ă lâExposition universelle de Bruxelles le heurte. Il se rapproche des milieux anti-colonialistes et, dĂšs son retour au Congo, il crĂ©e le Mouvement National Congolais (MNC). Il participe Ă la ConfĂ©rence panafricaine des Peuples, Ă Accra oĂč il prononce un discours marquant : « MalgrĂ© les frontiĂšres qui nous sĂ©parent, malgrĂ© nos diffĂ©rences ethniques, nous avons la mĂȘme conscience, la mĂȘme Ăąme qui baigne jour et nuit dans lâangoisse, les mĂȘmes soucis de faire de ce continent africain un continent libre, heureux, dĂ©gagĂ© de toute domination colonialiste. Nous sommes particuliĂšrement heureux de constater que cette confĂ©rence sâest fixĂ© comme objectif: la lutte contre tous les facteurs internes et externes qui constituent un obstacle Ă lâĂ©mancipation de nos pays respectifs et Ă la rĂ©unification de lâAfrique. Parmi ces facteurs, on trouve notamment, le colonialisme, lâimpĂ©rialisme, le tribalisme et le sĂ©paratisme religieux qui, tous, constituent une entrave sĂ©rieuse Ă lâĂ©closion dâune sociĂ©tĂ© africaine harmonieuse et fraternelle. »
De retour au Congo, il organise une rĂ©union pour rendre compte de cette confĂ©rence et il y revendique lâindĂ©pendance devant plus de 10.000 personnes. En octobre 1959, le MNC et dâautres partis indĂ©pendantistes organisent une rĂ©union Ă Stanleyville (Kisangani). Les autoritĂ©s belges tentent de sâemparer de Lumumba, ce qui provoque une Ă©meute qui fait une trentaine de morts. Lumumba est arrĂȘtĂ© quelques jours plus tard, jugĂ© et condamnĂ© Ă 6 mois de prison.
En janvier 1960, une table ronde est organisĂ©e Ă Bruxelles rĂ©unissant les principaux reprĂ©sentants de lâopinion congolaise a lieu Ă Bruxelles, et Lumumba est libĂ©rĂ© pour y participer. ConfrontĂ© Ă un front uni des reprĂ©sentants congolais, le gouvernement accorde, Ă la surprise de ceux-ci dans la plus totale improvisation lâindĂ©pendance qui est fixĂ©e au 30 juin 1960.
Aux élections de mai 1960, le MNC remporte le plus de voix. Lumumba est nommé premier ministre, la présidence revenant au dirigeant des Bakongos, majoritaires dans la région de Léopoldville (Kinshasa), Joseph Kasavubu.
Le 30 juin, lors de la cĂ©rĂ©monie dâaccession Ă lâindĂ©pendance du pays, Baudouin prononce le discours paternaliste de circonstance et au lieu de lui rĂ©pondre sur le mode de la gratitude pour « lâoeuvre civilisatrice », Lumumba prononce un discours rĂ©quisitoire : « Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous Ă©tions des nĂšgres. Nous avons connu le travail harassant exigĂ© en Ă©change de salaires qui ne nous permettaient ni de manger Ă notre faim, ni de nous vĂȘtir ou de nous loger dĂ©cemment, ni dâĂ©lever nos enfants comme des ĂȘtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous Ă©tions des nĂšgres.
(âŠ) Qui oubliera, enfin, les fusillades oĂč pĂ©rirent tant de nos frĂšres, ou les cachots oĂč furent brutalement jetĂ©s ceux qui ne voulaient plus se soumettre au rĂ©gime dâune justice dâoppression et dâexploitation ! »
Son discours a un profond Ă©cho dans les population congolaises, des mutineries Ă©clatent chez les soldats et des Ă©meutes visent les biens des colons et les colons eux-mĂȘmes. Et tandis que Lumumba dĂ©crĂšte lâexpulsion des officiers belges de lâarmĂ©e congolaise, la Belgique envoie, avec lâapprobation et la logistique de lâOTAN, 11.000 militaires « pour rĂ©tablir lâordre au Congo ». Les milieux coloniaux, sâappuyant sur lâintervention belge, encouragent la sĂ©cession de la riche province du Katanga, fief de lâUnion MiniĂšre. Le dirigeant local, TshombĂ©, reçoit lâassistance des sociĂ©tĂ©s coloniales, des militaires et des barbouzes belges. LâURSS et les pays du tiers-monde dĂ©noncent lâintervention belge et la sĂ©cession katangaise, et soutiennent le gouvernement Lumumba.
Le 4 septembre 1960, Kasavubu, sous la pression des occidentaux, révoque Lumumba. Mais le conseil des ministres et le Parlement votent une motion de maintien de Lumumba et celui-ci révoque Kasavubu pour haute-trahison.
Entre-temps, lâONU vote lâintervention de troupes internationales dâinterposition : câest la naissance des « Casques Bleus ». Mais devant la passivitĂ© de lâONU, Lumumba a fait appel aux SoviĂ©tiques pour affronter la sĂ©cession du Katanga. Craignant une influence communiste, le CIA tente une premiĂšre fois dâassassiner Lumumba et surtout appuie (voire organise) un coup dâĂtat qui met le colonel Mobutu au pouvoir.
Mobutu assigne Ă rĂ©sidence Lumumba. Le 27 novembre, Lumumba sâĂ©chappe avec sa famille mais il est arrĂȘtĂ© Ă Lodi, ramenĂ© Ă LĂ©opoldville oĂč il est dĂ©tenu dans un camp militaire. Le 17 janvier 1961, Ă lâinstigation de responsables coloniaux et militaires belges, Lumumba et deux de ses partisans, Maurice Mpolo et Joseph Okito, sont conduits par avion au Katanga et livrĂ©s aux autoritĂ©s locales. Lumumba, Mpolo et Okito seront conduits dans une petite maison dâElisabethville (Lubumbashi), oĂč ils seront torturĂ©s par des responsables katangais, dont TshombĂ© en personne, mais aussi des policiers et des officiers belges. Câest sous le commandement dâun officier belge que Lumumba et ses camarades sont abattus. Les barbouzes belges vont ensuite dissoudre les corps dans lâacide.
Plusieurs des partisans de Lumumba seront exĂ©cutĂ©s dans les jours qui vont suivre, avec la participation de militaires ou mercenaires belges. Lâassassinat de Lumumba dĂ©clenche une insurrection qui se transforme en guerre populaire sous la direction dâun ancien ministre de Lumumba, Pierre Mulele, proche de la Chine populaire. Les maquis de Mulele contrĂŽleront prĂšs de 70 % du Congo avant dâĂȘtre Ă©crasĂ©s par lâarmĂ©e de Mobutu, soutenue par la Belgique et les USA. Mulele, qui a quittĂ© un moment le maquis pour rencontrer des lumumbistes au Congo-Brazzaville, se voit ordonnĂ© par le gouvernement de rentrer au Congo oĂč Mobutu a promis lâamnistie. Mais Mobutu le fait torturer Ă mort: on lui arrache les yeux, les oreilles, le nez, les parties gĂ©nitales, puis on lâampute de ses membres un Ă un.
Le discours de Patrice Lumumba Ă la cĂ©rĂ©monie dâindĂ©pendance :
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