Près de 5 millions de Kurdes et d’habitants du Bashur étaient appelés ce 25 septembre à se prononcer pour ou contre l’indépendance du Kurdistan-Sud du reste de l’Irak. Les résultats sont connus d’avance, un référendum informel avait déjà donné près de 99% de voix au « Oui » il y a quelques années et les premiers résultats vont également dans le sens d’une victoire massive du « Oui ». Les bureaux de vote ont fermés aux alentours de 18h (heure belge). Au Kurdistan irakien même des célébrations ont lieu dans les deux grandes villes: Hewler (Erbil) et Soulemanyé, respectivement fiefs du Parti Démocrate du Kurdistan (droite, clan Barzani) et de l’Union Patriotique du Kurdistan (gauche, clan Talabani). Dans la ville plus au sud de Kirkouk, beaucoup plus ethniquement mixte que Hewler et Soulemanyé, les célébrations ont d’avance été interdites par les autorités kurdes les « convois » de voiture ornées de drapeaux kurdes qui défilent habituellement lors des célébrations et les tirs d’armes à feu en l’air sont « déconseillés ». Le pouvoir kurde irakien prévoyant d’avance des affrontements avec les factions turkmènes et arabes. Au front de Tuz Khurmatu (au sud de Kirkouk), un membre des Hashid al-Shaabi (Forces de Mobilisation Populaires, habituellement appelées dans les médias « Milices chiites ») a ouvert le feu sur un groupe de peshmergas (armée kurde irakienne) qui venaient d’aller voter à Kirkouk, tuant l’un d’entre eux. La chaîne de télévision NRT (proche du PUK, à gauche du PDK donc) a reçu une interdiction d’émettre pour la journée: même si le PUK a appelé à voter « Oui » au référendum, les positions sont plus nuancées sur l’avenir du Kurdistan.

Les trois voisins du Kurdistan irakien: l’Irak, l’Iran et la Turquie sont tous trois très opposés à la tenue du référendum et ont tenté jusqu’à la dernière minute de le faire annuler. Des avions de guerre iraniens ont d’ailleurs survolé la région kurde ces derniers jours, allant jusqu’à ouvrir le feu aux alentours d’Hewler. Côté turc, Erdogan a fait des déclarations très menaçantes vis à vis du Kurdistan irakien, habituellement allié diplomatique. Des chars d’assaut turcs ont été postés à la frontière et la chaîne de télévision Rudaw (la télé du PDK cette fois) a été retirée de l’offre de télévision satellite turque. Les opérations militaires turques avaient déjà été multipliées ces derniers jours en démonstration de force. Côté irakien, on craint des affrontements sporadiques avec des forces de guerre irakiennes ou alliées de l’Irak (comme Hashid al-Shaabi).

Dans les quatre parties du Kurdistan, des milliers de Kurdes sont descendus dans la rue pour célébrer d’avance les résultats de ce référendum au risque d’être lourdement réprimées dans le cas du Rojhilat (Kurdistan oriental, Iran) et du Bakûr (Kurdistan nord, Turquie). Comme cela a déjà été annoncé: les résultats du référendum ne déclencheront pas systématiquement une déclaration d’indépendance de la part du Kurdistan-Sud mais ils doivent servir de poids pour peser dans la balance de futures négociations avec l’Irak de Baghdad. Le Kurdistan-Sud était d’ailleurs totalement isolé diplomatiquement puisqu’aucun pays ne veut à priori reconnaître le nouvel état kurde, à l’exception notable d’Israel.

Un bulletin de vote

Alors que la ville de Raqqa n’est pas encore entièrement libérée (80% de la ville contrôlée par les Forces Démocratiques Syriennes), tous les enjeux de la Guerre de Syrie se sont désormais déplacés vers le l’est du pays, à Deir-Ezzor. Depuis le début de la guerre, cette ville a su résister à l’invasion de l’Etat Islamique au beau milieu de la zone d’influence du ‘Califat’. C’est l’Armée Syrienne Arabe (celle du régime donc) qui a mené cette résistance depuis le début de la guerre. La bataille de Raqqa avait déjà été l’enjeu d’une course entre les forces du régime et les Forces Démocratiques Syriennes (QSD), les premières ont ainsi libéré de Daesh le sud et une partie de l’est de la zone environnant la ville alors que les secondes ont pris la ville en elle-même. Le gros des troupes de Daesh avait déjà pris la fuite vers la région de Deir-Ezzor. Ainsi les enjeux autour de Deir-Ezzor sont multiples: le désenclavement de la ville pour le régime syrien, l’extension de la Fédération du Nord de la Syrie (nom administratif des zones libérées par les QSD) à toute la zone à l’est de l’Euphrate et jusqu’à la frontière irakienne (ce qui offrirait aux QSD une frontière avec l’Irak de Baghdad) et pour les deux forces: l’affaiblissement de Daesh en Syrie. La situation est tendue entre les forces du régime et les QSD, un bombardement russe (allié du régime) a touché le 16 septembre une position des QSD faisant plusieurs blessés.

De l’autre côté de la frontière, le référendum pour l’indépendance du Kurdistan irakien qui aura lieu le 25 septembre va également influencer le nouveau jeu d’alliance qui se dessine dans la région: Daesh est virtuellement battu en Syrie et à présent plus faible qu’Al Qaeda, les relations diplomatiques du Kurdistan Irakien de Barzani avec la Turquie sont amochées par le référendum et la multiplication des opérations militaires turques dans la région kurde irakienne, les USA pourraient également lever le pied après la reprise totale de Raqqa, la relation entre l’Irak de Baghdad et le Kurdistan irakien va probablement s’envenimer alors qu’une frontière entre le Rojava et l’Irak de Baghdad pourrait exister dans un avenir proche.

Cliquer sur la carte pour aller sur la carte interactive.

Situation en Syrie au 17 septembre 2017

Des combats ont éclatés lors d’une opération de contre-guérilla dans la zone rurale du district d’Adakli, dans la province kurde de Bingol. Dans la vallée de Maltepe, deux militaires ont été blessés. Héliportés à l’hôpital universitaire de Firat à Elazig, l’un des blessés a succombé à ses blessures. Les autorités turques revendiquent la mort de quatre guérilleros kurdes à Lice dans la province de Diyarbakir, et à Kagizman dans la province de Kars. 3 fusils d’assaut AK-47 et des munitions et des équipements auraient été récupérés lors de l’opération. Enfin, l’aviation turque a effectué des bombardements sur le Kurdistan irakien, ciblant la région d’Avasin-Basyan.

L'aviation turque a encore bombardé le Kurdistan (archive)

9.400 CV envoyés à la firme américaine de sécurité privée TigerSwan ont été exposés en ligne. Il ne s’agit pas d’un piratage, mais d’une erreur de la part d’une firme de recrutement externe, UpGard, qui les a exposé sur un compte Amazon Web Services (AWS), via l’outil TalentPen. Upgard était chargée jusqu’en février dernier de fournir un service de tri à TigerSwan en évaluant les CV qu’elle recevait. Les aspirants mercenaires font état dans leurs CV de leur participation à la Guerre d’Irak, à la sécurité des Jeux Olympiques de Sochi ou plus récemment à contrer les manifestations autour du Pipeline dans le Dakota du Nord, à Standing Rock. Les documents contiennent la plupart du temps l’adresse postale, les numéros de téléphone, les adresses e-mail, numéros de permis de conduire, de passeport et de sécurité sociale. De très nombreux CV se vantent également de bénéficier d’autorisations d’accès à des informations top secrètes via leurs anciens employeurs dans la défense ou dans les renseignements. La très grande majorité sont Américains, mais on retrouve également des citoyens irakiens et afghans qui retrouvent ainsi leur collaboration avec l’armée américaine exposée aux yeux de tous. On retrouve également des profils très hauts gradés, comme un ancien ambassadeur américain en Indonésie ou un ancien directeur des opérations clandestines de la CIA. Les CV sont restés accessibles au moins un mois et n’ont été supprimés que le 24 août.

TigerSwan est une firme de sécurité privée, une organisation paramilitaire, dans le même genre que Black Water.

Il y a environ un mois, deux agents des services de renseignements turcs ont été arrêtés par le PKK près de la ville kurde irakienne de Souleimaniye (au Barrage de Kudan, entre Qandil -région contrôlée par le PKK- et Souleimaniye -région contrôlée par le PUK). Les agents du MIT étaient présents au Bashur pour tenter d’assassiner des membres de la guérilla du PKK dont Cemil Bayik, un des trois dirigeants exécutifs du PKK. Le dossier est très sensible et à la source de tensions entre le régime d’Erdogan, le PUK (Union Patriotique du Kurdistan, parti de centre gauche relativement favorable au PKK et relativement hostile envers la Turquie) qui se serait bien passé de cette histoire sur une région qu’il administre officiellement, et le PKK, clandestinement actif dans le Kurdistan irakien et particulièrement dans la région de Qandil. Vu cette tension, les informations apparaissent au compte-goutte. Les deux agents du MIT voyageaient avec des passeports diplomatiques, ils ont convaincu leur hiérarchie qu’ils avaient des opportunités d’enlèvements et d’assassinats contre des cadres du PKK au Bashur, mais leur opération a échoué, peut-être à cause d’une fuite dans leur organisation. Des membres des staffs des deux agents ont également été arrêtés.

L’opération était potentiellement importante pour le régime d’Erdogan. Le soir de l’opération, plutôt que d’apprendre le succès de l’opération, ils ont appris la capture de leurs agents. Une rencontre a aussitôt été provoquée à Ankara entre des responsables du MIT et du PUK, les premiers demandant aux seconds de retrouver leurs agents. Le PUK a à son tour demandé une rencontre au KCK (le parapluie politique du PKK), rencontre qui a eue lieu rapidement à Souleimaniye. Le PKK a refusé de remettre les deux agents au PUK et a argumenté qu’ils pourraient être liés au meurtre de Sakine Cansiz, et que la seule raison pour laquelle les agents n’avaient pas déjà été liquidés étaient précisément pour éviter une crise entre le PKK et le PUK.

Lorsque l’administration d’Erdogan a compris qu’elle ne récupérerait pas ses agents, elle a tenté de faire pression sur le PUK: tenant des réunions parallèles avec le PDK (parti de droite au Kurdistan irakien qui administre la région d’Erbil), fermant les bureaux du PUK à Ankara et expulsant le représentant de ce parti, Bahroz Galali, hors du territoire turc. Ce diplomate a déjà fait la médiation lors de nombreux conflits entre la Turquie et la guérilla du PUK ou entre la Turquie et la guérilla du PKK. De son côté, le PDK a indiqué qu’il était impuissant puisque les faits ne se déroulent pas dans la partie du Bashur qu’il administre.

Médiatiquement, la Turquie est tout à fait silencieuse sur le sujet, puisqu’elle s’attend à ce que des photos, vidéos, et déclarations des deux agents soient publiées et se prépare à les réfuter aussitôt. Côté PUK: même si une certaine branche du parti préférerait que les agents soient rendus à la Turquie, la base militante et les habitants de la ville de Souleimaniye sont généralement heureux d’apprendre qu’une opération du MIT dans leur région a échoué. De son côté, le PKK a annoncé que les deux agents ne seraient pas libérés.

Cemil Bayik, cible du complot du MIT.

Gabar Tolhildan (nom de guerre), un montréalais arrêté le 27 juillet par les forces du PDK (voir notre article), a été libéré ce matin. Il avait combattu avec les YPG et blessé à la jambe il y a environ deux mois lors de la campagne de Raqqa. Gabar Tolhildan avait été évacué et avait décidé de rentrer au Canada en passant par le Kurdistan irakien. Il aurait été arrêté en passant la frontière pour des raisons de problèmes de passeport et de visa. Les combattants volontaires qui franchissent la frontière pour quitter le Rojava sont soumis à des arrestations pour violation de visa.

Gabar Tolhildan

Markéta Všelichová et Miroslav Farkaš sont deux internationalistes accusés d’avoir combattu Daech dans les rangs des YPG et des YPJ. Ils ont été arrêtés en novembre 2016 par les pershmergas de Barzani, au Kurdistan irakien, qui s’est empressé de les remettre au régime turc. Le régime turc dit avoir trouvé sur eux des flyers et photos prouvant leur appartenance aux YPG/YPJ, considérés comme des organisations terroristes par le régime turc, mais les deux internationalistes disent qu’ils se trouvaient au Rojava pour des raisons humanitaires. Leur procès avait commencé le 10 mai dernier, plusieurs reports ont mené le verdict à ce 2 août: 6 ans et 3 mois de prison. Les deux peuvent encore faire appel. La diplomatie tchèque s’est plusieurs fois manifestée pour leur libération.

Le PDK, qui au pouvoir au Kurdistan irakien, a arrêté un autre groupe de volontaires internationalistes des YPG. Jusqu’ici, nous avons seulement le nom d’un combattant canadien dont le nom de guerre est Gabar Tolhildan. Ils auraient été arrêtés jeudi dernier mais aucune autre information n’a pu être obtenue jusqu’à présent. Le PDK, expression du clan féodal Barzani au pouvoir au Kurdistan irakien, étroitement lié à la Turquie d’Erdogan, arrête régulièrement des combattants internationalistes qui passent par le Kurdistan irakien pour rejoindre le Rojava ou rentrer chez eux.

Gabar (à droite)

Depuis le début de la campagne de soutien aux internationalistes au Rojava (voir rojava.xyz), nous recevons parfois des messages pour nous demander « comment aller au Rojava ». Premièrement, nous devons préciser que nous ne sommes pas le Bataillon International de Libération (ni son bureau de recrutement), nous ne sommes pas une organisation kurde, nous ne sommes pas situés au Rojava. Les organisations qui prennent part à la campagne sont basées en Europe et font de la solidarité internationale. Il est donc inutile de nous envoyer des candidatures.

Nous suivons de près l’actualité au Rojava et au Moyen-Orient, et nous avons donc un point de vue assez global sur la situation géo-politique sur place. Nous allons donc répondre à quelques questions qui nous sont régulièrement posées sur bases d’informations accessibles à tous.

1. Puis-je me rendre au Rojava depuis la Turquie ? La Syrie ? Le Liban ? L’Iran ? L’Irak ? Le Kurdistan irakien N’importe quel autre endroit ?
La réponse est très simple: ne tentez pas de rejoindre le Rojava depuis la Turquie. Ne tentez pas de rejoindre le Rojava depuis le Liban ou depuis une zone contrôlée par le régime syrien. Ne tentez pas de rejoindre le Rojava depuis l’Iran. Ne tentez pas de rejoindre le Rojava depuis la partie de l’Irak contrôlée par l’armée irakienne ou par le PDK. Ne tentez pas de rejoindre le Rojava depuis une zone contrôlée par Daesh.

2. Puis-je compter sur l’aide du Kurdistan irakien ? Du PDK ? Du PUK ?
Réponse courte: non. Le Kurdistan irakien est un pays féodal en transformation. Il y a plusieurs forces armées, et les limites entre elles ne sont pas claires. Le PDK (qui contrôle l’ouest du pays et l’aéroport d’Erbil) est très hostile à la révolution au Rojava et allié de la Turquie. Le PUK (qui contrôle Souleimaniye) a des relations amicales avec le Rojava, mais son pouvoir est limité. Ne demandez pas de l’aide à des fonctionnaires irakiens sous prétexte qu’ils sont au PUK. Au mieux, ils ne sauront pas vous aider. Au pire, vous allez vous faire arrêter.

3. Puis-je aller au Rojava seul ? Qui peut m’aider ?
N’espérez pas passer la frontière vers le Rojava seul. N’espérez pas sauter la clôture, vous risquez de vous faire tuer par un garde-frontière. Si vous voulez rejoindre le Rojava, contactez les YPG. Ce sont eux qui contrôlent le Rojava, ce sont eux qui décident qui y rentre malgré le blocus du PDK. Pour cela, vous devez utiliser PGP. Une fois que vous savez utilisez PGP, contactez les via leur adresse e-mail, ici.

4. Est-ce illégal selon le pays où je vis ?
Le simple fait de se rendre sur place peut être illégal selon votre pays d’origine et vos intentions. Mais ce qui pourrait l’être c’est ce que vous y faites. Qui plus est, même si cela n’est pas illégal, les autorités de votre pays pourraient tenter de vous empêcher d’y aller. Evitez donc de parler de votre voyage, avant, pendant et après, surtout sur les réseaux sociaux.

5. Quelle devrait être la première étape ?
Informez-vous. La situation au Moyen-Orient change tous les jours. Vous ne pouvez espérez passer à travers un blocus de cette ampleur sans avoir une idée relativement précise des situations politiques, religieuses, territoriales, linguistiques, etc. de la région. Si vous voulez allez au Rojava, donnez-vous en les moyens, informez vous intensivement. Notre site est un bon moyen de commencer avec notre dossier sur le Kurdistan, notre vidéo « Guerre en Syrie: Décryptage » et nos actualités quotidiennes.

6. Y a t’-il d’autres façons de soutenir ?
Participer à la campagne en faisant un don sur rojava.xyz.

FAQ: « Comment aller au Rojava ? »

Neuf internationalistes qui ont combattus Daesh dans les rangs des YPG ont été arrêtés par la police du PDK alors qu’ils rentraient du Rojava pour retourner chez eux. Les internationalistes états-uniens, italiens et espagnols Callum Ross, Ozgan Ozdil, Anthonî Degatto, Justin Schnepp, Mirko Bruna, Paola Andolina, Damien Rodriguez, Fernando Sanches Grassa ont été arrêtés à un checkpoint à 1,5km de Erbil (Hewler en kurde). Il arrive fréquemment que des combattants rentrant par l’Irak soient arrêtés par les Peshmergas du PDK (Parti Démocrate du Kurdistan). Les étrangers sont rapidement repérés par le visa expiré (maximum 1 mois) qui figure dans leur passeport.

La frontière de Semalka, entre le Kurdistan irakien et le Kurdistan syrien