La justice russe a commencé mardi à condamner les partisans de l’opposant Alexeï Navalny, qui a écopé lui-même de 30 jours de détention, au lendemain d’une journée de mobilisation massivement réprimée. Au moins quatorze personnes à Saint-Pétersbourg ont été condamnées à 10 jours de détention et 10.000 roubles d’amende (156 euros). Les manifestants risquent jusqu’à quinze jours de prison, une peine qui peut être alourdie s’ils sont reconnus coupables de violence contre les forces de l’ordre. Deux manifestants font ainsi l’objet d’enquêtes judiciaires pour avoir fait usage de violences contre les forces de l’ordre, et risquent jusqu’à cinq ans de prison.

Au total, la police a interpellé 1.720 personnes à travers la Russie. Des milliers de manifestants avaient répondu à l’appel d’Alexeï Navalny à descendre dans la rue dans les villes du pays pour dénoncer la corruption, de Vladivostok, dans l’Extrême-Orient, à Kaliningrad sur la mer Baltique. A Moscou, ses partisans s’étaient rassemblés sur la rue Tverskaïa, artère centrale de Moscou qui mène à la place Rouge et au Kremlin. Les forces de l’ordre ont réagi avec fermeté, avec coups de matraques et interpellations en masse.

Arrestation le 12 juin à Moscou

Arrestation le 12 juin à Moscou

Le 15 novembre 2015, le gouvernement russe a mis en place une taxe au kilomètre imposée aux poids lourds. Les fonds sont recueillis par une société détenue à 50% par le fils d’un ami de Poutine, alors que l’État russe perçoit déjà un impôt routier et des accises sur les carburants. Les utilisateurs des routes russes, construites avec l’argent public, sont redevables aux amis de Poutine d’une redevance d’abord fixée à 3,73 roubles par km. En 2015 et 2016, les camionneurs avaient manifesté et contraint le pouvoir d’abaisser le taux à 1,53 rouble. Le 24 mars dernier, la taxe a été portée à 1,91 rouble au km. Le 27, les routiers étaient en grève nationale illimitée.

Alors que la grève est massivement suivie sur l’ensemble du pays, pas un mot sur les canaux TV contrôlés par le pouvoir. Les routiers se rassemblent à proximité des grandes villes sur des aires de stationnement. Les jugements, les amendes et les arrestations s’abattent sur eux dans toute la Russie. Arrêtés au stationnement, en manifestation ou à domicile, ils sont parfois emmenés par des hommes masqués dans des directions inconnues. Parmi les grévistes arrêtés, le dirigeant de l’Association des routiers russes, Andrey Bazhutin. Pour communiquer, ils utilisent le réseau radio-internet Zello. Les autorités ayant rapidement bloqué Zello en Russie. Les camionneurs ont trouvé une parade en installant le logiciel gratuit VPN qui permet d’établir sa connexion en passant par un autre pays.

Heurt entre camionneurs et policiers russes au Dagestan

Heurt entre camionneurs et policiers russes au Dagestan

Andrei Sokolov est un antifasciste russe qui avait été enlevé entre avril et octobre 2016 et détenu clandestinement par les services spéciaux ukrainiens. Nous avions fait campagne pour sa libération à l’époque, retrouvez notre dossier ici. La Russie a récemment décidé d’ouvrir une enquête sur l’enlèvement de Sokolov et d’autres ressortissants russes, Andrei a été interrogé à cette occasion. De son côté, Andrei avait décidé de porter plainte auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), une telle plainte doit être déposée dans les six mois, Andrei avait donc jusqu’au 14 avril. Andrei a choisi de passer par le SIJ (Stichting Justice Initiative, une organisation de défense des droits de l’homme néerlandaise) pour déposer cette plainte, cette organisation lui avait été recommandée par un journaliste et il n’avait pas les moyens de payer lui-même un avocat pour déposer cette plainte. Andrei a donc déposé tous les papiers nécessaires ainsi que son témoignage en décembre, mais le SIJ n’a pas déposé la plainte par agenda politique (privilégiant les affaires contre la Russie que contre l’Ukraine). Lorsque Andrei s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas, il n’avait plus que deux semaines pour déposer sa plainte, il a finalement pu la déposer à temps.

Donbass: Ouverture de deux enquêtes sur l’enlèvement de Andrei Sokolov

Plus d’un millier de personnes arrêtées et une condamnation hier lundi à 15 jours de prison pour Alexeï Navalny qui avait appelé les Russes à descendre dans la rue pour protester contre la corruption, c’est le bilan de la répression des manifestations de dimanche. Les vastes manifestations qui ont eu lieu dans près de 100 villes à travers la Russie témoignent d’une protestation allant bien au-delà des partisans d’Alexeï Navalny. Il s’agissait des manifestations les plus massives depuis 2011-2012 et sans doute même des dix dernières années. Les régions ont par ailleurs fait preuve d’une très forte mobilisation, alors que jusqu’ici Moscou a toujours été l’épicentre de la contestation. À Saint-Pétersbourg, Tioumen, Novossibirsk, Tambov, Perm, les régions russes étaient plus remontées et leurs revendications plus fortes que dans la capitale. Remarquable aussi était le très grand nombres de jeunes manifestants.

Tentative d’arrestation dimanche à Moscou

Tentative d'arrestation dimanche à Moscou

Plusieurs prisonniers emblématiques des abus du système judiciaire russe ont été libérés anticipativement ces dernières semaines:
Ildar Dadine, premier citoyen russe condamné en vertu de la loi de l’été 2014 punissant sévèrement toute manifestation non autorisée. Pour s’être posté tout seul avec une pancarte, à plusieurs reprises, non loin du Kremlin, il avait été condamné à deux ans et demi de colonie pénitentiaire en Carélie où il avait été maltraité. La Cour suprême a décrété que son jugement avait été abusif et a ordonné sa réhabilitation, ainsi que son droit à des dommages et intérêts.
Evguenia Tchoudnovets, une jeune institutrice de maternelle condamnée à cinq mois de prison pour avoir posté sur son compte VKontakte (le Facebook russe) une vidéo de trois secondes considérée par les juges comme de la « pornographie infantile ». Elle avait en réalité voulu dénoncé l’humiliation d’un enfant nu par des éducateurs.
Dmitri Boutchenkov, le dernier détenu de Bolotnaïa – lieu de rassemblement à Moscou des grands défilés de protestation contre M. Poutine à l’hiver 2011-2012 (il reste en résidence surveillée).
Oksana Sevadisti, 46 ans, condamnée pour « haute trahison » à sept ans de colonie pénitentiaire. En 2008, juste avant le début de la guerre russo-géorgienne, cette vendeuse résidant à Sotchi avait envoyé un SMS pour décrire ce qu’elle voyait passer, comme tout le monde, sous ses yeux : un train de blindés faisant route vers l’Abkhazie. Elle a bénéficié d’une grâce présidentielle.
Rouslan Sokolovski, condamné pour « extrémisme et outrage » pour avoir chassé des Pokémons dans une église (son histoire ici).

Rouslan Sokolovski chassant les Pokémons dans l’église de Tous-les-Saints à Ekaterinbourg

Rouslan Sokolovski chassant les Pokémons dans l’église de Tous-les-Saints à Ekaterinbourg

Andreï Sokolov a finalement réapparu. Il a été libéré d’une prison secrète des services spéciaux ukrainiens. Il a raconté que quatre agents de la sûreté ukrainienne étaient venu le cueillir à la sortie du tribunal où il venait d’être libéré et l’avaient amené, après un bref détour par la prison de Berdiansk, dans un petit centre de détention à Mariupol où il n’y avait que deux ou trois cellules. Il est resté deux mois dans une cellule au sous-sol. Il a tenté une évasion mais a été surpris et battu, puis transféré dans une autre cellule.
En septembre, il a été amené dans un appartement privé, gardé par un agent du SBU et un autre garde, apparemment un « volontaire » (paramilitaire fasciste). Il est resté tout ce temps dans un isolement complet. Le 7 octobre, il était amené à la frontière avec la Crimée, à Chongar, puis ramené à Kharkov, puis ramené encore à Mariupol. Vendredi matin, il a été amené dans la zone de Marinka, au point de contrôle de Gnutova où il a pu librement passer la frontière. On ne sait pas encore la raison de cette libération (outre le fait, bien sûr, que cette détention était illégale): échange de prisonnier et/ou effet des mobilisations.

Andreï Sokolov après son passage de la frontière

Andreï Sokolov après son passage de la frontière

Une vingtaine de personnes se sont rassemblées ce vendredi devant l’ambassade d’Ukraine à Bruxelles en soutien à Andreï Sokolov qui a disparu il y a tout juste 3 mois à sa sortie du tribunal, alors qu’il devait être libéré à l’issue de 16 mois de prison pour son soutien à la résistance antifasciste dans le Donbass. L’appel a été posté à l’ambassadeur.

Bruxelles: Manifestation pour Andreï Sokolov

C’est la fin de l’année scolaire pour tout le monde, y compris pour les jeunes recrues du FSB, le service de renseignements russe. Pour l’occasion, les recrues fraîchement diplômées ont eu la bonne idée de faire réaliser par une société de production « professionnelle » une vidéo où ils se pavanent à Moscou à bord de la flotte de Mercedes Gelandewagens du service. Les dizaines d’étudiants fraîchement diplômés montrent ainsi leurs visages, voitures et plaques d’immatriculation à tous les services que cela pourrait intéresser à travers le monde. Le FSB a lancé ce 4 juillet une enquête interne pour déterminer qui (difficile de croire que ce ne soit qu’une personne) a pu laisser passer un truc pareil. Les génialissimes étudiants risquent au mieux de terminer leur carrière à préparer du café et au pire une condamnation pour trahison.

La fine fleure du FSB

La fine fleure du FSB

L’Anarchist Black Cross de Moscou appelle à 10 jours de solidarité avec les prisonniers anarchistes et antifascistes. De nombreux militants ont été emprisonnés ces cinq dernières années, particulièrement depuis les manifestations de 2011-2012. L’ABC met l’accent sur la situation de quelques prisonniers:

Dmitry Buchenkov, un docteur en sciences politiques, antifasciste et communiste libertaire, arrêté en décembre 2015 pour sa participation présumée aux émeutes du 6 mai 2012. 400 autres personnes ont été arrêtées suite à cette manifestation à Moscou, Dmitry était ce jour-là à Nizhny Novgorod, à 300km de Moscou.

Alexei Gaskarov, antifa et anarchiste arrêté le 3 août 2010 dans l’affaire de Khimki (la ceinture verte de Moscou, défendue par des militants antifascistes et écologistes et menacée par des milices fascistes et la police pour imposer le chantier de Vinci. Acquitté et libéré, il a été ré-arrêté le 28 avril 2013 et condamné à 3,5 ans de prison.

Alexei Sutuga, antifasciste et anarchiste, membre de l’Action Autonome. Condamné en avril 2014 à 37 mois d’emprisonnement en colonie pénitentiaire pour hooliganisme pour avoir supposément tabassé des fascistes.

Ilya Romanov, un anarchiste de Nizhny Novgorod condamné en 2015 à 9 années de prison haute-sécurité après avoir été blessé par un pétard qu’il tenait en main lors d’une protestation. L’escalade policière a finalement transformé le pétard en « terrorisme ».

Alexander Kolchenko, le réalisateur antifa ukrainien et criméen. Il est paradoxalement condamné en tant que membre de l’organisation fasciste « Secteur Droit » suite à un faux témoignage où il aurait tout avoué. Il a été condamné à 10 ans de prison.

Voir l’appel, les adresses des prisonniers et leurs histoires en anglais et en espagnol sur le site de l’ABC Moscou.

Solidarité avec les prisonniers anarchistes et antifa en Russie

Solidarité avec les prisonniers anarchistes et antifa en Russie