Le 14 janvier 1918, des grèves contre le rationnement et la guerre commencèrent à Vienne et s’étendirent rapidement à toute l’Autriche et à d’autres parties de l’empire austro-hongrois. Le gouvernement impérial semblait impuissant mais la très puissante social-démocratie autrichienne empêcha que ce mouvement prenne un caractère révolutionnaire. A l’automne 1918, la monarchie austro-hongroise se disloqua. Plutôt que de revendiquer le pouvoir pour les conseils d’ouvriers et de soldats qui se développaient, les socialistes acceptèrent de diriger un gouvernement de coalition issu de l’Assemblée nationale provisoire. Les communistes ne réussirent à se rallier aucun dirigeant important de la social-démocratie et restèrent relativement marginaux en Autriche. Quand la révolution éclata en Hongrie (le
21 mars 1919) et en Bavière (7 avril), les socialistes autrichiens les abandonnèrent à leur sort.
Cependant, ils établirent des réformes sociales importantes (congés payés, réduction du temps de travail, assurance-maladie, droit de vote des femmes, interdiction du travail des enfants, abolition de la peine de mort, etc.). A Vienne, ils firent construire des cités ouvrières grandioses dotées d’appartements confortables (comme le Karl-Marx-Hof: 1382 appartements) , des crèches, des centres de santé et des colonies de
vacances. Le parti social-démocrate comptait quelque 700.000 membres (dans un pays de moins de 7 millions d’habitants) et obtenait autour de 40% des voix aux élections nationales, recueillait près de 60% des suffrages à Vienne-la-rouge.
A la fin de la guerre s’était formée une force paramilitaire nationaliste ultra-réactionnaire, la Heimwehr. Pour la contrer, le parti-social-démocrate créa la Republikanischer Schutzbund (la Ligue de Défense Républicaine), une milice qui comptait 80.000 membres en 1928 à Vienne et dans les zones industrielles. Les membres de le Schutzbund étaient organisés en formations militaires avec des uniformes, bien entraînés, rapidement mobilisables et disposant de stocks d’armes. Le Schutzbund devait garantir contre tout coup de force réactionnaire l’accès au pouvoir des socialistes par les voies légales.
Les 1000 mètres de façade du Karl-Marx-Hof
Défilé de membres du Schutzbund
Le 15 juillet 1927 constitua le tournant. Le 30 janvier, les paramilitaires de la Heimwehr tuèrent deux manifestants socialistes dans une petite ville de province. Les meurtriers passèrent en jugement et furent acquittés le 14 juillet, ceci déclencha le lendemain une révolte populaire à Vienne qui prit la forme d’une grève générale et d’une manifestation violente de masse (mise à sac d’un commissariat, du siège d’un journal, et du palais de justice qui fut totalement incendié). La police ouvrit le feu et tua 84 manifestants et en blessa 600.
Le 15 juillet, les dirigeants socialistes temporisèrent et le Schutzbund reçu comme seule mission de tenter de calmer la foule. La crédibilité d’une action déterminée du Schutzbund était atteinte. Le bloc des partis bourgeois, appuyé par la Heinwehr, qui évoluait en austro-fascisme, employa la « tactique du salami » : chacune de ses actions, y compris en violation de la Constitution, ne paraissait pas assez grave pour justifier l’insurrection armée, mais marquait un recul des positions de force des travailleurs et les démoralisait.
15 juillet 1927: L’incendie du palais de justice de Vienne
A partir de 1931, la crise économique provoqua une hausse du chômage et mit en difficulté le « modèle social » viennois. Les syndicats sociaux-démocrates cautionnèrent d’incessants reculs sur le terrain de la défense des salaires et des conditions de travail. Sous l’impact du chômage (en 1933, un tiers de la population active n’avait pas de travail) mais aussi de la démoralisation, les effectifs syndicaux reculèrent tandis que les provocations gouvernementales se multipliaient. La Heimwehr fut intégrée au gouvernement du chancelier Dollfuss. En février 1932 le gouvernement utilisa l’armée contre une grève des cheminots et emprisonna les grévistes. Le 4 mars 1932, Dollfuss commença à gouverner par décret. Le 15 mars, il fit intervenir la police pour empêcher la réunion de l’Assemblée. La voie vers l’austro-fascisme (proche du fascisme italien et opposé aux nazis qui voulaient annexer l’Autriche) était ouverte.
Le 31 mars, le Schutzbund fut dissous, puis ce fut la censure de la presse, l’interdiction du Parti Communiste, le rétablissement de la peine de mort, la création de camps pour les opposants politiques, la destitution des directions syndicales élues. La social-démocratie à chaque fois se contentait de protestations surtout verbales.
En janvier 1934, Dollfuss était désormais décidé à liquider le mouvement ouvrier organisé. Le 21, le grand quotidien socialiste Arbeiter Zeitung fut interdit et des perquisitions commencèrent pour saisir les armes du Schutzbund. Le Schutzbund de la ville de Linz décida de résister à toute tentative de désarmement. La direction socialiste essaya de les dissuader mais le message en ce sens ne parvint pas à Linz et, le 12 février, les policiers qui venaient perquisitionner essuyèrent des coups de feu.
A ces nouvelles, des grèves éclatèrent spontanément à Vienne et des membres du Schutzbund allèrent chercher leurs armes. La direction sociale-démocrate était surprise et ne se rallia que tard et avec beaucoup d’hésitations et de confusion, au principe de la résistance armée. Cela explique qu’une partie seulement du Schutzbund viennois se mobilisa effectivement et resta cantonnés dans les quartiers ouvriers, il laissa le temps à l’adversaire de prendre les points stratégiques de la ville. L’attaque des quartiers ouvriers suivi : Simmering, Favoriten, Meidling, Margareten, Floridsdorf, les ensembles d’immeubles du Karl-Marx-Hof, du Schlingerhof, du Goethehof.
L’armée qui fera la différence en faisant donner l’artillerie. Mortiers, canons et obusiers mettront deux jours à réduire le Karl-Marx-Hof. Le Parti Socialiste interdit et ses dirigeants fuient à l’étranger. Des combats se déroulèrent à Graz, à Steyr et dans de nombreuses villes industrielles. Les forces de répression mirent quatre jours à venir à bout de l’insurrection. La répression et la terreur s’abattaient dans l’ensemble de l’Autriche.
Les principaux combats à Vienne: tous dans les quartiers ouvriers périphériques
L’armée canonne les insurgés par delà le Danube
Reddition d’insurgés: les exécutions vont commencer
L’écrasement de Vienne-la-rouge a fortement marqué les esprits et ainsi la culture prolétarienne. Elle ainsi est le sujet d’un grand roman d’Anna Seghers paru en 1935, Le Chemin de février (Der Weg durch den Februar), dont le point d’orgue est l’attaque contre le Karl-Marx-Hof. Quant au chant des combattants de ’34, Nous sommes les travailleurs de Vienne, il deviendra un classique du répertoire prolétarien
Cette chanson a pour origine un chant de l’Armée rouge Armées blanches, baron noir composé durant la guerre civile. En 1927, dans la foulée des événements du 15 juillet, Fritz Brügel écrit la plus célèbre adaptation de cette chanson : Nous sommes les travailleurs de Vienne (Wir sind die Arbeiter von Wien). Elle ne fut présentée pour la première fois qu’en 1929 à l’occasion de la IIe Journée Internationale de la Jeunesse Ouvrière. Adoptée comme chant de lutte par les combattants de Vienne en février 1934, elle se répandit dans tout le mouvement ouvrier, et particulièrement en Scandinavie.
Nous sommes les bâtisseurs du monde à venir,
Nous sommes le semeur, la semence et la terre.
Nous sommes les faucheurs de la prochaine moisson,
Nous sommes le futur et nous sommes l’action.
Alors vole, flamboyant, drapeau rouge,
Ouvre le chemin que nous suivons.
Nous sommes les fidèles combattants de l’avenir,
Nous sommes les travailleurs de Vienne.
Maîtres des usines, maîtres du monde,
Votre pouvoir sera finalement liquidé.
Nous, l’armée qui crée le futur,
Briserons les chaînes des prisonniers.
Alors vole, flamboyant, drapeau rouge,
Ouvre le chemin que nous suivons.
Nous sommes les fidèles combattants de l’avenir,
Nous sommes les travailleurs de Vienne.
Bien que l’odieux mensonge nous entoure,
L’esprit s’élèvera et triomphera.
Sa force brisera les prisons et les fers ,
Nous nous préparons à la dernière bataille.
Alors vole, flamboyant, drapeau rouge,
Ouvre le chemin que nous suivons.
Nous sommes les fidèles combattants de l’avenir,
Nous sommes les travailleurs de Vienne.
<11839|left>
Lire « Des potences en Autriche », une brochure de 1934 du Secours rouge sur la fin de Vienne-la-rouge