1. Histoire et actualité du mouvement naxalite

Dès les années cinquante et les premières années de l’Inde indépendante, de nombreux mouvements paysans militants se sont développés contre le caractère féodal du pays. Ceux-ci n’ont jamais pu aboutir totalement, principalement en raison du manque d’organisation et de leur caractère spontané.
Le plus important fut le mouvement du Telengana de 1946, activement soutenu par le Communist Party of India. Sa nature insurrectionnelle et l’intention formelle de renverser les seigneurs féodaux par la force armée ont entraîné une répression terrible de la part des autorités indiennes. Des milliers de personnes furent assassinées, des dizaines de milliers emprisonnées et encore davantage de personnes furent torturées par les militaires. En 1951, le Communist Party of India, divisé en interne sur la question de ce soutien, l’arrêta officiellement. Cette décision entraîna une scission et la formation du Communist Party of India (Marxist).
C’est en 1967 que s’est déclenché la révolte de Naxalbari, au Bengale occidental, portée par des militants communistes à la tête d’un mouvement solidement structuré et dont l’objectif était une guerre populaire sur le modèle chinois. C’est soutenus par ces militants qu’au début de l’année 1967, trois cultivateurs appuyés de quelques travailleurs du CPI (Marxist) équipés d’armes rudimentaires, ont saisi tout le stock de paddy du grenier d’un propriétaire foncier. Au cours des mois suivants, les occupations de terre, saisies des stocks de grains et incendies de registres fonciers se sont multipliés.
Les propriétaires fonciers n’ont pas tardé à réagir, se débarrassant de ceux qui travaillaient dans « leurs » champs. Un jour, des paysans parti travailler dans les champs ne sont pas rentrés. Le lendemain, d’autres hommes sont allés dans les champs, mais ne sont pas revenus non plus. Des hommes et des femmes se sont alors cachés à proximité pour voir ce qu’il se passait. A peine un autre lot d’hommes avait-il commencé à labourer les terres occupées qu’une brigade de police est apparue et les a emmené. Mise devant le fait accompli, la police a déclaré agir pour le compte du propriétaire foncier, provoquant une colère énorme parmi les paysans, ceux-ci se constituant en brigades clandestines, sous la direction Charu Mazumdar, considéré comme le principal théoricien de mouvement révolutionnaire indien.
Bientôt devait suivre une guerre sanglante qui ferait de Naxalbari la première pierre du mouvement maoïste en Inde et qui lui donnerait aussi un nom: le mouvement naxal. Le 23 mai 1967, l’inspecteur de police qui dirigeait une brigade de police chargée d’arrêter les dirigeants à l’origine de l’agitation, fut blessé à mort par une flèche tirée dans un affrontement avec les tribaux en colère. Deux jours plus tard, un plus gros contingent fut dépêché sur place. Les hommes et les femmes, armés de tout ce qu’ils avaient pu trouver, sont sortis pour affronter la police. Le police a tiré, tuant neuf tribaux dont six femmes et deux enfants. La guerre était déclenchée.

Tag naxalite

Elle a duré 72 jours. 72 jours durant lesquels Naxalbari fut une « zone libérée ». En juillet 1967, les forces de répression envoyées par le gouvernement du Bengale occidental et de New Delhi ont repris le contrôle de la zone, par la force des armes. La majeure partie des dirigeants communistes sont arrêtés. Un des seuls à éviter l’arrestation fut Charu Mazumdar, qui s’est dès lors engagé à développer le mouvement et à déclencher d’autres insurrections pour avancer vers la prise du pouvoir révolutionnaire. De multiples mouvements paysans furent engagés dans diverses régions de l’Inde, notamment au Srikakulam et dans plusieurs districts de l’Andhra Pradesh.
De 1971 à 1972, la contre-révolution en Inde a volé d’un succès à l’autre, ouvrant des brèches dans les rangs révolutionnaires communistes par de violentes représailles, en terrorisant la population par des lois draconiennes et des actions de gangstérisme. Cette contre-révolution violente eut de fortes répercussions sur le CPI (M-L), faction dissidente du CPI(Marxist) et architecte de la continuité de l’insurrection après la révolte de Naxalbari. Le 16 juillet 1972, Charu Mazumdar fut arrêté par la police à Kolkata. L’arrestation avait été rendue possible par la révélation, arrachée sous la torture à un de ses camarades arrêtés, de la cachette de Charu Mazumdar. Une fois arrêté, il fut une victime condamnée d’avance par la vengeance de la classe dirigeante. Il n’a survécu que douze jours à arrestation. Il était atteint d’une affection cardiaque grave. Les rigueurs de la vie clandestine s’étaient fait sentir toutes ces années. En cellule, il fut soumis à des interrogatoires incessants, à des pressions et à la torture. Il dû être hospitalisé le 27 juillet. Privé du traitement médical adéquat, il est mort le lendemain.

Charu Mazumdar

En 1973, on compte 32.000 prisonniers naxalites, et à la moitié des années ’70, le mouvement était presque anéanti. Néanmoins, de nombreuses factions militantes ont continué à mener la guérilla dans plusieurs états, travaillant principalement dans les zones tribales, avec pour base principale les plus démunis.
A la formation du CPI (M-L), un des groupes a décidé de pas y adhéré et à formé le Dakshin Desh. En 1975, le groupe a pris le nom de MCC (Maoist Communist Center). Jusqu’en 1982 et la mort de son leader Kanhai Chaterjee, il fut particulièrement actif au Bengale occidental, prônant la constitution de mouvements de masse afin de permettre le développement de la lutte armée. En 1982, de nombreux militants rejoignirent le CPI (M-L), ceci n’empêchant pas le MCC de poursuivre son travail.
En 1979, le CPI (M-L) avait de nombreux cadres ‘publics’ et ‘clandestins’, principalement en Andhra Pradesh. L’un d’entre eux, Kondapalli Seetharamaiah, critiqua le mouvement en déclarant en 1979 que celui-ci n’avait pas encore pris la forme de la lutte armée. Selon lui, les actions isolées menées depuis des années ne pouvaient être qualifiées de lutte armée. Le 22 avril 1980, il annonce la création du CPI-ML (People’s War), un nouveau parti qui ferait avancer la ligne de la lutte armée.
En 2004, les deux partis, qui avaient entre-temps absorbés diverses fractions du CPI (M-L) d’origine, prirent la décision de fusionner, pour former le CPI(Maoist). Ils publient alors plusieurs documents fondateurs, parmi lesquels la Constitution du CPI (Maoist), la Résolution politique du CPI (Maoist), le Programme du CPI (Maoist), la Perspective urbaine du CPI (Maoist), Stratégie et tactiques de la révolution indienne et Porter haut la bannière rouge éclatante du marxisme-léninisme-maoïsme.
Le développement de la lutte armée basée parmi la paysannerie, avec pour but avoué la révolution agraire et la stratégie de la guerre populaire prolongée a eu lieu en parallèle du processus de mondialisation en cours en Inde depuis de nombreuses années. Cette lutte, menée d’abord par le CPI-ML (People’s War), le MCC et divers autres partis marginaux, s’est étendue dans les régions adivasis et y a trouvé un terrain fertile. Les conditions objectives dans ces régions, la pauvreté extrême et la marginalisation des population, le lien gouvernement-petits entrepreneurs-grosses sociétés-parti politique qui a maintenu le cycle d’exploitation et d’oppression et l’inaccessibilité et l’inhospitalité du terrain ont permis aux partis naxalites de gagner en influence. Les Adivasis, avec leur faible intérêt dans les systèmes économiques et politiques indiens, avec leur faible dépendance à l’égard de la terre agricole en propriété privée et leurs solides notions de propriété collective et communautaire, se sont révélés être une puissante force révolutionnaire. Le CPI(Maoist) a donc trouvé une base solide parmi les populations tribales du centre de l’Inde, où il a pu établir une zone libérée et développer le système de gouvernement populaire parmi les Adivasis de la région.

Guérilleros naxalites

En août 2006, le magazine The Economist a publié un reportage sur l’État du Chhattisgarh où il a visité, dans la forêt de Bastar, au sud de la capitale Raipur, un maquis tenu par le CPI (Maoist). Ce maquis combattait contre les projets du capital financier d’exploiter les richesses minérales de la forêt. Quelques heures avant la rencontre, plusieurs centaines de combattants avaient attaqué un commissariat de police à Errabore, une base paramilitaire et un camp de personnes déplacées dans cette région sous-développée à 9 heures de route de la capitale, Raipur.
Les naxalites contrôlent un vaste territoire aux villages miséreux. Ici, il y a bien une pompe à eau mais le puits est à sec. Il n’y a pas de routes, pas de canalisations, pas d’électricité ni de téléphone. Là, il y a bien un instituteur, mais pas d’école. Il fait donc la classe en plein air. On ne voit jamais aucun policier, aucun travailleur de santé, aucun fonctionnaire. Les trois quarts des 1.220 villages de Dantewada sont habités par des aborigènes adivasis, 1.161 villages n’ont aucune installation médicale, 214 n’ont pas d’école primaire. La région a bien une ligne de chemin de fer mais elle est destinée au transport du minerai de fer exploité à la mine de Bailadilla, dont les déchets colorent, à la saison des pluies, la rivière en orange, rendant l’eau imbuvable…
Les aborigènes adivasis sont, avec les dalits, opprimés parmi les opprimés. Les dalits (ou ‘intouchables’) constituent une caste de 160 millions de personnes misérables et méprisées. La caste des brahmanes (dont le colonisateur britannique s’est acquis la complicité) truste les postes dirigeants et utilise le système de caste pour justifier l’exploitation des masses populaires. Les grands propriétaires brahmanes disposent de milices, les senas, qui brisent de manière barbare toute velléité de résistance des paysans pauvres à la surexploitation (43% des paysans indiens sont sans terre). L’image de l’Inde technologique, paradis de l’informatique, masque une réalité sociale épouvantable: 47% des enfants soufrent de dénutrition, 80% de la population vit avec moins de deux dollars par jour.
Dès 2006, le premier ministre Manmohan Singh avait qualifié la rébellion naxalite de « plus grand défi pour la sécurité intérieure qu’ait jamais dû relever notre pays ». Depuis, la situation n’a cessé d’empirer. A la mi-juillet 2009, le ministre de l’intérieur, M. Chidambaram a dû admettre que la menace avait été ‘sous-estimée’. Les naxalites agissent dans 14 des 28 Etats de l’Inde (Chhattisgarh, Jharkhand, Uttar Pradesh, Asma, Uttaranchal, Kerala, Tamil Nadu, Bengala Occidental, Gujarat, Andhra Pradesh, Madhya Pradesh, Orissa, Maharashtra y Bihar) et ce qui, en chiffres, signifie que dans 182 districts sur un total de 602 dans lesquels est divisé administrativement le pays, ce sont les maoïstes qui contrôlent la situation.
Cette influence est en progression non seulement dans les campagnes, mais dans les villes également, spécialement dans les zones ouvrières et industrielles de Dheli, de Mumbai, de Raipur, de Pune et de Jammu en alternant les actions de propagande avec les militaires. Le gouvernement indien lui-même considérait qu’en 2008 entre 30% et 35% du territoire de l’Inde était sous le contrôle des naxalites, pourcentage qui serait encore majoré aujourd’hui.

Carte des zones occupées par la guérilla en 2015

Les succès révolutionnaires dans les campagnes sont indiscutables: ni la police, ni les fonctionnaires de l’Etat n’osent entrer dans le Bastar, une zone étendue de l’état de Chhattisgarh d’environ 100.000 kilomètres carrés, et ses actions contre les paramilitaires de la Salwa Judum, des miliciens fascistes formés à la contre-guérilla, armés par les propriétaires fonciers et payés par l’État, provoquent démoralisation et désertions. Le périodique Indian Express relatait d’une manière crue comment après une attaque maoïste qui a causé 55 morts à une force composée de policiers et de paramilitaires en se faisant l’écho d’un rapport officiel qui rapportait les événements: « la lâcheté, la désertion, la dépendance excessive des employés de police par rapport à la Police Spéciale Locale [la Salwa Judum], l’absence d’un entraînement approprié et la consommation de substances toxiques ont été la cause de l’assassinat des 19 policiers et des 39 PEL [miliciens Salwa Judum] ». Dans les zones libérées, les naxalites interdisent l’usure, organisent des coopératives, des travaux collectifs d’irrigation, un système de médecine populaire et un système d’enseignement. Les comités de pouvoir populaire décident aussi de mesures de préservation de l’écosystème et veillent à imposer les droits de la femme (lutte contre les mariages forcés, etc.).
En février 2007, le parti organise son 9e Congrès, intitulé le « Unity Congress », dans les jungles de l’état du Bihar. De nombreuses décisions quant à la stratégie et aux tactiques du parti furent prises, tant au niveau des luttes dans les campagnes que de leur implantation dans les zones urbaines. Les naxalites sont passés de la guerre de guérillas à la guerre de mouvements. Les attaques contre des postes de police et des paramilitaires, des entreprises minières, des chemins de fer, des stations de télécommunications, des constructions électriques et, même, des attaques de prisons (en décembre 2007, ils ont attaqué la prison de Raipur, la capitale de Chhattisgarth, libérant 299 prisonniers, avec parmi eux une centaine de guérilleros) sont le fait de groupes d’environ 40 à 150 combattants qui parfois atteignent même 400.

Rassemblement de la guérilla

En 2007, les naxalites ont réalisé 8.488 attaques contre des établissements policiers dans 91 districts de 11 états, selon un rapport présenté par le Ministre de l’Intérieur devant le parlement indien. La guérilla commence à chercher la complicité des policiers. Depuis juin 2007, chaque fois qu’une attaque est réalisée contre un établissement policier, les guérilleros laissent sur place des pamphlets où l’on peut lire « Tu luttes pour empêcher le soulèvement du peuple, parce que ta vie est en jeu, parce que le peuple celui que tu tues appartient à ta propre classe. Lève-toi contre le système ».
La situation est arrivée à un tel paroxysme que le gouvernement a décidé de mettre en marche un plan pour contenir l’avancée de la guérilla: commencer un programme de développement des zones les plus pauvres de l’Inde, modernisation de la Police, création d’infrastructures routières qui servent aussi bien aux populations qu’à faciliter les mouvements de la police et la création de six écoles de guerre, c’est-à-dire la formation d’unités antiguérillas pour pouvoir attaquer et détruire les campements naxalites dans la jungle. L’idée du gouvernement est de créer quelques bataillons spéciaux pour la lutte contre la guérilla qui comprendraient des effectifs de 14.000 soldats. Actuellement, la Force Centrale de Réserve de la Police (CRPF), unie aux paramilitaires de la Salwa Judum, sont les principaux protagonistes de la lutte contre les maoïstes. Mais ils ont fait preuve d’une rare inefficacité et c’est pourquoi il a été décidé la création des bataillons antiguérilla.

Véhicule de contre-guérilla

Opération de contre-guérilla

Jusqu’à maintenant, la guérilla ne s’occupait pas des villes pour se concentrer sur les campagnes, en suivant la stratégie d’encerclement des villes à partir des campagnes. La stratégie est de pénétrer dans les aires rurales, de se consolider dans celles-ci et d’établir des coordinations efficaces entre différentes cellules dans d’autres États.
Les maoïstes ne frappent pas les fonctionnaires locaux si le peuple considère qu’ils sont honnêtes, ni corrompus, ni répressifs. Ils taxent les entreprises qui sont installées sur leurs zones d’influence d’un impôt révolutionnaire, qui oscille entre 15 et 20% de leurs bénéfices, avec lequel ils financent leurs activités. Mais les naxalites sont implacables dans leur lutte contre les Zones Économiques Spéciales (ZES). En Inde, le gouvernement a prévu d’approuver 339 ZES où doivent travailler 800.000 personnes. Ce sont des aires où les entreprises ne payent aucun impôt, où elles jouissent d’avantages économique pour favoriser la productivité et où peuvent être aboli la législation normale du pays en matière du droit du travail, du respect de l’environnement. L’’objectif est d’attirer les investisseurs locaux et étrangers. Ces ZES sont en train de provoquer le déplacement de leurs foyers de dizaines de milliers de ruraux, qui par conséquent sont en train de perdre leurs moyens d’existence. L’énorme majorité des déplacés sont des métayers sans terre, des artisans et petits commerçants, issues des communautés défavorisées de dalits et adivasis et de minorités religieuses.
Le travail avec les dalits, les intouchables dans le système des castes et les parias en Inde, est au centre du travail politique de la guérilla naxalite, selon les décisions de son 9e Congrès. Ce Congrès a décidé, de surcroît, comme axe central du travail politique et militaire, l’extension de la guerre populaire à tout le pays, « l’appui aux luttes nationales contre l’expansionnisme indien » au Jammu et Cachemire, l’expansion du mouvement vers les villes pour avoir une présence dans les masses urbaines, appauvries, et la classe moyenne dans le but « d’obtenir un mouvement massif contre les politiques néolibérales » et, par conséquent, la lutte contre les Zones Économiques Spéciales qui ont été créées ces dernières années en Inde et qui ont provoqué en conséquence, « la dislocation des petites industries et des commerçants, qui ont été poussés à la banqueroute par l’offensive massive des compagnies impérialistes transnationales et des importateurs-bureaucrates-bourgeois » et qui sont qualifiées de « enclaves néocoloniales ».
Des cellules naxalites sont actives dans les zones ouvrières et industrielles de Delhi, Mumbai, Raipur, Pune et Jammu. Bien que pour le moment l’activité principale soit la propagande, dans quelques zones où le mouvement naxalite est spécialement fort, des actions militaires sont déjà menées. C’est le cas de Nayararh, l’une de villes les plus importantes de l’état d’Orissa, où un commando naxalite a réalisé l’une de ses actions les plus audacieuses jusqu’à présent: le 16 février 2009 s’est produit l’assaut d’une caserne de police et la réquisition de 1.069 armes qui s’y trouvaient.
La présence naxalite dans les cités et les centres industriels a apporté un saut qualitatif à la guerre populaire prolongée. Depuis la seconde moitié de 2007, les naxalites ont privilégiés leurs actions contre les ZES dans une frange qui comprend les villes de Bhilai-Ranchi-Dhanbad-Calcutta d’un côté, et de Mumbai-Pune-Surat-Ahmadabad de l’autre, dans le même temps où ils imposaient d’une manière inégale des blocus dans les zones où ils ont une force plus grande comme c’est le cas dans les états de Jharkhand, d’Orissa, de Chhattisgarh et du Bengale occidental et dans ceux où ils en ont moins comme en Haryana et dans le Punjab. Dans le Bengale occidental, un État gouverné par la gauche réformiste, la ZES prévue a du être suspendue après une révolte populaire, forte de l’appui maoïste, qui a été noyée dans le sang. Cela a provoqué un discrédit de la gauche traditionnelle, et favorisé l’insurrection naxalite qui a vu les paysans pauvres la rejoindre en masse.
Le CPI(Maoist) a mené plusieurs grandes attaques victorieuses contre les forces de sécurité. Le 6 avril 2010, des guérilleros ont tendu une embuscade à un convoi de la contre-guérilla, tuant 75 policiers militarisés (CRPF). Le 25 mai 2013, dans l’attaque contre un convoi du parti du Congrès dans le Bastar, 27 personnes ont été tuées dont Mahendra Karma, l’homme à l’origine de la création de la Salwa Judum. Le parti organise également des opérations visant à saisir des armes ou la destruction de matériel destiné à la construction d’équipements visant à faciliter la contre-insurrection. Le 14 mars, 200 guérilleros attaquent un convoi de la contre-guérilla : 11 policiers militarisés (CRPF) et quatre Salwa Judum sont tués dans l’état du Chattisgarh. Le 1er décembre 2014, toujours dans le Chattisgarh , 13 paramilitaires de la CRPF sont tués et 12 autres blessés dans un embuscade.
Les autorités ont effectué plusieurs opérations répressives tant dans le cadre de l’Opération Green Hunt qu’en marge de luttes populaires soutenues par le CPI (Maoist). Citons par exemple le meurtre de Kishenji, membre du Politburo et à la lutte du mouvement populaire de Jangal Mahal, au Bengale occidental. Selon les autorités, il aurait été abattu lors d’une fusillade entre des guérilleros et les forces de sécurité le 24 novembre 2011. Mais les rapports d’autopsie ainsi que différents témoignages révèlent qu’il aurait été capturé 24h avant sa mort et que son corps portait des traces de torture. Le 1er juillet 2010, les autorités ont annoncé avoir assassiné Azad, porte-parole du CPI (Maoist) et membre du Politburo, dépêché par le parti pour mener des pourparlers avec le gouvernement. Il a été abattu alors qu’il circulait en compagnie d’un journaliste afin de transmettre une note des autorités à la direction du parti en vue de poursuivre les négociations. Selon les chiffres officiels, 2.193 militants maoïstes auraient été abattus par les forces de sécurité entre 2005 et 2015, et la guérilla aurait abattu 1.753 membres des forces de sécurité au cours de la même période.
Les révolutionnaires indiens ont réussi, dans les zones rurales qu’ils contrôlent à améliorer le niveau de vie de la population, et où ils sont en situation d’offrir une alternative à la gauche traditionnelle et réformiste. Spécialement après le massacre de paysans ordonné par le gouvernement du Bengale occidental (gouverné par le Front de gauche réformiste) en mars 2007, quand ils s’opposaient à la ZES prévue dans Nandigram. .
Les maoïstes font dépendre le progrès de leur guerre populaire de la création d’une plate-forme culturelle et politiquement différente de celle qui a existé jusqu’à présent en Inde – et spécialement en ce qui concerne la séparation des castes, l’oppression féodale de la famille et des coutumes – et, surtout, loin des allées du pouvoir qu’affectionne la gauche traditionnelle. Ce qui amène certains secteurs des intellectuels indiens à afficher une certaine sympathie envers eux, comme Arundhati Roy, qui se refuse à qualifier leur lutte d’immorale ou terroriste, ou comme le célèbre musicien Ravi Shankar, qui a déclaré publiquement que les maoïstes sont « admirables ».

2. Les Adivasis ou peuples aborigènes de l’Inde

Les Adivasis, ou aborigènes de l’Inde forment une minorité substantielle de la population du pays. Ils sont particulièrement nombreux dans l’Orissa, le Bihar, le Jharkhand et dans les états du Nord-Est tels que le Mizoram. Ils sont officiellement reconnus, en vertu de la Constitution, comme Scheduled Tribes (‘tribus répertoriées’). Ils ne constituent en aucun cas un groupe homogène – plus de 200 tribus parlant plus de 100 langues différentes, qui varient énormément de par leur ethnicité, leur culture et leurs langues. Ils constituent environ 8% de la population de l’Inde, ce qui représente environ 68 millions de personnes selon le dernier recensement de 1991. Ils se répartissent géographiquement entre différentes régions du pays, mais ce sont les états du centre qui abritent les plus grandes tribus et quelques 75% de la totalité des aborigènes y vivent.
Une autre concentration d’aborigènes vit sur le plateau de l’Inde centrale; dans cette zone bordée par la Narmada au nord et la Godavari au sud-est, les peuples tribaux occupent les pentes montagneuses de la région. Le groupe le plus large, les Santâls, habitent le Jharkhand, au Bengale occidental. Les États indiens du centre abritent les plus grandes tribus du pays et quelque 75% de la totalité des aborigènes vivent là, et forment à peu près 10% de la population de la région. On rencontre de plus petits nombres d’aborigènes au Karnataka, au Tamil Nadu et au Kerala, dans les contreforts de l’Himalaya ainsi que plus au nord, au Goujerat et au Rajasthan, et bien évidemment dans les territoires des Laquedives et des îles Andaman et Nicobar.

Carte des populations aborigènes

Les tribus aborigènes tendent à former des unités économiques autosuffisantes. Elles pratiquent souvent la culture sur brûlis plutôt que l’agriculture intensive typique de la majeure partie de l’Inde rurale. Pour la plupart des aborigènes, les droits d’utilisation du sol dérivent simplement et traditionnellement de leur appartenance tribale. La société tribale tend à être égalitaire, la position de chef est légitimée plutôt par des considérations de valeurs personnelles que par l’hérédité. Les religions tribales n’identifient aucune autorité en dehors de la tribu. La plupart des tribus aborigènes sont concentrées dans des secteurs très forestiers qui combinent inaccessibilité et intérêt politique ou économique limité. De tous temps, l’économie de la plupart des tribus était caractérisée par une agriculture de subsistance, la chasse et la cueillette. Traditionnellement, les aborigènes cantonnaient leur contact avec l’extérieur à quelques produits de première nécessité qui leur manquaient comme le sel et le fer, et dépendaient d’artisans locaux pour la fourniture d’articles comme les ustensiles de cuisine.

Villageoises adivasis

Village adivasi

Vers 1900, beaucoup de régions autrefois isolées sont ouvertes à l’implantation de cultivateurs par le gouvernement colonial, les migrants (des Indiens non aborigènes) recevant un titre de propriété en échange pour la mise en culture. Pour les aborigènes comme pour les Indiens de manière générale, cependant, la terre était, la plupart du temps, considérée comme une ressource commune, libre d’utilisation pour celui qui avait besoin d’elle pour sa subsistance contre le paiement d’une taxe au souverain (‘mode de production asiatique’). L’introduction par les Britanniques de la notion de propriété de la terre va provoquer la spoliation en masse des aborigènes et faire émerger une classe de riches propriétaires terriens (landlords) et d’une autre d’usuriers qui vont être la source d’un appauvrissement effroyable des campagnes indiennes.
L’amélioration des communications, la construction de routes et une intervention plus fréquente des gouvernements ont entraîné un contact accru des aborigènes qui étaient encore protégés par leur isolement dans les années 1950, très isolés. Au cours des années 1960 et 1970, l’installation de commerçants non aborigènes était très courante dans les villages tribaux. Celui-ci vendant souvent ses marchandises à crédit, avec un taux d’intérêt élevé, beaucoup d’aborigènes se sont fortement endettés ou ont hypothéqué leur terre. Ces négociants encouragent également les aborigènes à abandonner les cultures vivrières pour des cultures industrielles comme le coton ou le ricin, ce qui augmente leur dépendance à l’égard du marché pour les fournitures de base. L’endettement est si étendu que, bien que de telles transactions soient illégales, les commerçants vendent parfois leurs débiteurs à d’autres négociants, les abaissant ainsi quasiment au statut d’esclaves.

Manifestation adivasis

Adivasis armés d’arcs

Au cours des années 1970, la pression sur les terres tribales a connu une augmentation, particulièrement en Inde centrale. Les migrations sur les terres tribales ont augmenté considérablement au fur et à mesure des spoliations de celles-ci au moyen de nombreuses méthodes telles que le remboursement de dettes ou la corruption des fonctionnaires cadastraux. Nombre d’aborigènes sont ainsi devenus des ouvriers agricoles sans terre au cours des années 1960 et 1970 et des régions qui étaient, quelques années plus tôt, le domaine exclusif des tribus possèdent maintenant une population de plus en plus mélangée.
Les politiques gouvernementales sur les réserves forestières ont profondément affecté la vie des aborigènes, les poussant parfois à une résistance armée. L’exploitation intensive des forêts, rendue possible par la corruption de fonctionnaires locaux, a souvent autorisé des étrangers à faire des coupes importantes, alors que les prélèvements des aborigènes étaient fortement réglementés, et a entraîné le remplacement de forêts à la flore riche qui permettaient la perpétuation de la vie tribale en plantations de monoculture. Les peuples aborigènes sont les premières victimes de la pollution des eaux par les sociétés minières, par l’industrie.
Chaque progrès de l’Inde capitaliste a représenté un drame pour les communautés aborigènes. Dans les années 60, un gisement d’uranium est découvert à Jadugoda, un village d’indigènes situé dans l’état du Bihar. En 1967, l’UCIL, l’Uranium Corporation of India Limited y ouvre une mine. Au début, l’exploitation se composait d’un puits et d’un étang. Au fil des années, la société s’agrandit. Aujourd’hui, elle compte trois mines et trois étangs sur un périmètre d’environ dix kilomètres. Depuis trois générations, les aborigènes qui vivent à l’ombre de la compagnie ont eu 35% de leurs nouveaux-nés marqués par des malformations. Le taux de radioactivité de l’air, du sol et des eaux atteint 50 fois la limite de sécurité préconisée par les normes internationales. Les villages de Chatikocha et de Dungriddih, les plus proches des étangs de retenue des rejets miniers, 50% des habitants sont atteints d’une infection ou d’une infirmité. Aucune des 130 familles qui peuplent ces deux villages n’est épargnée. On estime que les couples sont tous stériles car pas un enfant n’y est né depuis près de quatre ans.

Enfant victime de malformation

Enfant victime de malformation

Fût d’uranium

Les Adivasis ont payé un prix disproportionné pour les grands projets de développement pour la modernisation de l’Inde, des projets qui ont fourni des minéraux, de l’eau et de l’électricité pour l’évolution d’une société urbaine et industrielle dans le pays. La libéralisation et la mondialisation au début des années 1990 ont ajouté une nouvelle dimension au problème en ouvrant les vastes ressources minérales dans les régions adivasis, jusqu’alors uniquement accessible principalement aux compagnies du secteur public, pour l’exploitation rapace des diverses multinationales indiennes et étrangères. Pour ces sociétés, de plus en plus soutenue par le capital mondialisé et financialisé, il s’agissait de la dernière frontière en Inde. Et alors que leurs ravages augmentaient dans les régions adivasis, la résistance des masses adivasis augmentait aussi. Partout dans le monde, quand ils sont poussés au mur par le capitalisme, les peuples se défendent et résistent. Les Adivasis, avec leur longue histoire de résistance et de rébellion, n’y ont pas manqué.

3. Le mouvement de Lalgarh

Dans la région du Jangalmahal, au Bengale occidental, les populations tribales sont également touchées par ces bouillonnements, bien qu’ils prennent une trajectoire différente en raison des différences dans la géographie et l’économie sociale de la région.
Le Jangalmahal n’est pas la cible directe des sociétés en recherche de richesses minérales, mais cela ne diminue en rien la misère des populations. Là, les habitants sont victimes du lien entre les fonctionnaires forestiers, des marchants de feuilles de tendu et de bois de construction, des entrepreneurs et des politiciens corrompus maintenant les gens dans le bourbier de la pauvreté, de l’exploitation et de l’indignité. Les habitants possèdent peu de terre, en l’absence d’équipements d’irrigation, les rendements de l’agriculture sont maigres. Ceci a conduit à une migration de masse de la force de travail pour le travail agricole dans d’autres régions de l’état, ou même dans d’autres états, particulièrement durant la saison des récoltes. Les revenus de ceci ne sont pas suffisants pour faire vivre les familles durant toute l’année, et au cours de la période maigre, la famine et même les morts de faim prennent une ampleur sans précédent. Les habitants sont donc totalement dépendant de revenus supplémentaires issus des produits forestiers, mais là aussi, ils sont grandement exploités par les gardes forestiers et la mafia. Les prix des produits forestiers tels que les feuilles de tendus, par exemples, sont atrocement bas. L’accès même aux produits forestiers est livré aux caprices des gardes forestiers, et les cas d’histoires d’hommes battus ou de femmes harcelées alors qu’ils tentent de ramasser du bois de chauffage sont quotidiennes dans la région. L’absence de mesures de développement telles que des écoles, des centres de santé, des routes, l’électricité et des équipements d’irrigation est une norme. Les gouvernements locaux, quels que soit le parti au pouvoir, ont toujours été corrompus et une large section des dirigeants politiques se sont allègrement servi dans les budgets de développement alloués par le gouvernement central pour leur enrichissement personnel.
C’est dans ce contexte que sont apparus les maoïstes à la fin des années 1990. Ils ont mobilisé les habitants sur des questions de développement, exigeant de l’eau, de l’électricité et des équipements sanitaires, mais également des prix rémunérateurs pour les produits forestiers et la fin du harcèlement aux mains des gardes forestiers et de la police. Les modes de lutte étaient publics et constitutionnels, avec l’envoi de délégations aux fonctionnaires locaux et des manifestations autour des bâtiments officiels. Mais le gouvernement, au lieu de tenir compte de ces revendications, a répliqué avec une brutale répression. La police du Bengale occidental a organisé des raids en force dans les villages du Jangalmahal, déclenchant un règne de terreur sous la forme de passages à tabac, torture, brutalités à l’encontre des femmes et des milliers de poursuites sur des motifs montés de toutes pièces. Les maoïstes ont résisté à cette terreur d’état, et ont organisé la population pour qu’elle puisse résister. Les habitants ont également obtenu des victoires significatives comme les maoïstes ont pu faire imposer une augmentation substantielle du prix des petits produits forestiers tels que la feuille de tendu. Il y a même eu des fonctionnaires locaux pour reconnaître, en privé, qu’il s’agissait d’une des contributions majeures pour l’amélioration du sort des Adivasis dans toute la région forestières du centre-Est de l’Inde. Les maoïstes en ont tiré un soutien populaire de plus en plus grand et ont développé une base solide dans la région.

Manifestation de paysan au Lalgarh

Ce schéma de terreur d’état a continué tout au long des années 2000. La police a commencé à occuper les écoles de manière permanente, et les habitants faisaient quotidiennement face aux indignités des passages à tabac, harcèlement et autres raids policiers. Les affaires montées de toutes pièces à leur encontre sont devenues un fléau dans les vies des gens, salariés à la journée qui ne pouvaient pas se permettre de gaspiller des journées de travail pour se présenter au tribunal ou aller porter plainte au commissariat.
En novembre 2008, une mine visant le convoi de Buddhabed Bhattacharjee, qui revenait de l’inauguration d’une aciérie de la société Jindal et de la mise en place d’une ZES à Salboni, a explosé, blessant six policiers de son escorte. Suite à cette attaque que la police a mené des raids de représailles autour du village de Lalgarh, dans le Jangalmahal. Les atrocités policières, les raids indiscriminés et les tabassages brutaux se sont multipliés, principalement à l’égard des femmes. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.
Les habitants se sont soulevés en masse, allant beaucoup plus loin que leurs prédécesseurs dans d’autres régions du pays. En effet, ils défiaient la fondation même de l’état en contestant le droit de l’état à administrer un peuple duquel il n’était pas prêt à reconnaître l’humanité. La violence de masse a éclaté en juin 2009, à Dharampur, suite à une attaque du CPI (Marxist), alors au pouvoir au Bengale occidental, contre un rassemblement dirigé par des femmes. La population s’est soulevée et a détruit le palais d’Anuj Pandey, le chef local du CPI (Marxist), tuant ses hommes de main armés qui terrorisaient la région. Dans ce soulèvement de masse, les maoïstes, qui avaient été l’épine dorsale organisationnelle du mouvement en raison de leur présence de longue date et leur travail organisationnel dans la région, se sont manifestés. C’est alors que fut déclenchée l’Opération Lalgarh, à l’initiative du gouvernement Left Front du Bengale occidental, de connivence avec le gouvernement UPA dirigé par le Congrès à Delhi. Ils ont envoyé de manière conjointe des forces de sécurité centrales et locales dans la région pour « réoccuper » le Jangalmahal. Ces soldats furent rejoints par des miliciens armés du CPI (Marxist). Comme par hasard, Jangalmahal s’est retrouvé dans le cadre de l’Opération Green Hunt (cf notre chapitre suivant) qui avait cours depuis un certain temps dans les régions forestières voisines du centre de l’Inde. La réoccupation de la zone indispensable pour les autorités s’explique ainsi: la région du Jangalmahal est voisine des régions forestières du Jharkhand. Or, avec le Chhattisgarh, le Maharashtra et l’Orissa, le Jharkhand est depuis 2008 visé par l’Opération Green Hunt et constitue une partie capitale de la zone sous influence maoïste. Comment l’état pourrait-il permettre qu’une région si cruciale soit déstabilisée par une zone ‘libérée’ de facto? Il était donc inévitable d’écraser le mouvement de Lalgarh.

Intervention policière au Lalgarh

Jusqu’en 2011, les opérations des forces de sécurité se sont poursuivies, faisant toujours plus de victimes parmi les Adivasis et les sympathisants au mouvement. Après les élections locales de 2011 et la perte du pouvoir du CPI (Marxist) après 34 ans de pouvoir dans l’état, les habitants ont eu une lueur d’espoir. Mamata Banerjee, durant sa campagne, avait promis l’arrêt des opérations ainsi que la libération de tous les prisonniers politiques. La promesse a tenu quinze jours, entre le 15 mai et le 1 juin 2011. Puis, les atrocités ont continué, les rapports de passages à tabac, de villages assiégés, de maisons mises à sac et d’arrestations indiscriminées sont revenus en force. De plus, un renforcement des restrictions contre les activités démocratiques telles que les meetings et les rassemblements populaires. Durant cette période, des étudiants appartenant à diverses organisations estudiantines adivasis furent arrêtés et battus en cellule, les maisons de plusieurs prisonniers politiques furent pillées, etc. Durant les six mois qui ont suivi les élections, plus de 300 personnes furent arrêtées, et le gouvernement a constitué une milice d’autodéfense, la Jan Jagran Manch. Elle a lâché un règne d’intimidation, forçant les gens à y adhérer et à faire office d’informateur. Ces personnes sont donc devenues les yeux et les oreilles des forces de l’état.

Arrestation au Lalgarh

En juillet 2011, Mamata Banerjee lance un appel à la guérilla maoïste, demandant son retour dans le courant dominant et le dépôt des armes. Les dirigeants du parti réagissent en proposant des pourparlers de paix avec le gouvernement, mettant quelques exigences en avant. Afin que ces pourparlers puissent avoir lieu, les maoïstes exigent le retrait des troupes du Jangalmahal ainsi que la libération de plusieurs de leurs dirigeants haut placés détenus dans diverses prisons du Bengale occidental (A noter que leur libération faisait partie du programme électoral de Mamata Banerjee). Durant plusieurs mois, les deux camps établissent des contacts. Les autorités rencontrent des prisonniers maoïstes, elles prennent également contact avec diverses organisations de soutien à la lutte populaire au Jangalmahal. Mais le 24 novembre, Kishenji, un des dirigeants maoïste à la tête de la lutte de Lalgarh, est abattu dans une zone forestière reculée du Bengale occidental. Les autorités affirment qu’il a été tué au cours d’une intense fusillade, ce qui est rapidement mis en cause par le CPI (Maoist) et ses sympathisants. Cet assassinat intervient alors que durant le mois d’octobre, Kishenji était entré en contact avec les dirigeants politiques du Jungalmahal et qu’il oeuvrait à la mise en place d’une trêve avec le gouvernement. En réaction, le CPI (Maoist) a déclaré bloquer tout processus de négociation et a exigé que soit menée une enquête indépendante sur la mort de son dirigeant. Du côté des négociateurs du gouvernement, le timing de ces assassinat fut longuement dénoncé également.
La mort de Kishenji, ainsi que l’arrestation de la plupart des dirigeants régionaux du CPI (Maoist) ont entrainé un sérieux revers pour le parti dans la région. De leur côté, les autorités se targuent d’une paix revenue. Les Adivasis, quant à eux, ont gardé les acquis de la lutte populaire menée de front par la population et les maoïste, mais dans le fond, rien n’a changé, le harcèlement, la corruption, les manque d’infrastructure et d’intérêts des autorités pour un développement durable de la région sont toujours de mise. Depuis 2013, le CPI (Maoist) tente de se regrouper dans le Jangalmahal, plusieurs escouades y ont mené diverses actions ces deux dernières années.

4. L’Opération Green Hunt

A la mi-octobre 2014, les médias indiens relataient un nouveau « combat » et une « fusillade féroce » dans les zones forestières du district de Bijarpur, dans le Chhattisgarh. Trois « femmes maoïstes » auraient été abattues durant l’échange de coups de feu avec les forces de sécurité composées de centaines de policiers militarisés de la CRPF et de la police locale, quant à eux tous indemnes.
Il est toujours délicat de discerner le vrai du faux dans ce genre de reportage, mais ce nouvel ‘incident’ rappelle les horreurs des « combats » factices de villageois adivasis de Sarkeguda en 2012 et de Ekakmetta en 2013 dans le même district de Bijapur. Ces massacres aussi avaient été présentés par les forces de sécurité comme des « fusillades intenses avec les Naxalites ». Et les médias avaient alors répété ces informations. Malgré les tentatives désespérées de la police, de la CRPF et du ministère de l’Intérieur pour colmater les fuites, il fut vite évident que durant cette soirée du 28 juin 2012, plus de 600 membres de la CRPF, de la force spéciale anti-guérilla CoBRA et de la police locale avaient encerclé le hameau de Sarkeguda et avaient ouvert le feu de manière indiscriminée sur des centaines d’Adivasis des villages voisins qui s’étaient réunis pour discuter des préparatifs leur festival annuel des semences. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, P. Chidambaram avaient alors prétendu que ses hommes avaient pourchassé des « maoïstes déterminés », mais du propre aveux du ministre des Affaires Tribales, parmi la vingtaine de personnes abattues figuraient au moins dix adolescents; un enfant grièvement blessé n’avait pas quatre ans; ils n’avaient pas d’armes; et aucun n’avait de casier criminel.
Un massacre semblable a eu lieu un an plus tard dans le village de Edakmetta, dans le même district de Bijapur. Le 20 mai 2013, au milieu de la nuit, les forces de sécurité ont encerclé des villageois rassemblés pour célébrer le festival des semences et une volée de balles furent tirées à leur encontre, tuant huit villageois dont trois enfants, tous non armés.
Telle est l’histoire des brutalités et « combats » factices au cours des cinq dernières années de guerre contre le peuple menée par le gouvernement au nom de l’Opération Green Hunt. Le terme « Opération Green Hunt » fut créé par les médias indiens pour décrire l’offensive totale déclenchée contre les maoïstes en 2009 dans le Chhattisgarh. Celui-ci fut rapidement repris pour qualifier toutes les opérations menées à travers le pays contre l’insurrection maoïste.

Les cinq états essentiellement visés par Green Hunt sont principalement habités par des tribaux et particulièrement riches en ressources naturelles. Ces dernières années, le gouvernement indien a signé des centaines de protocoles d’accord avec de grosses sociétés indiennes telles que Tata, Birlas, Ambani, Mittal mais aussi des multinationale afin de permettre le pillage de ces ressources. Et les tribaux, habitants ancestraux des terres sous lesquelles se trouvent ces ressources, sont déterminés à défendre leur moyen d’existence, leur vie et leur dignité contre le modèle de destruction et de déplacement mis en place par le gouvernement au nom du progrès et du développement.
Dès lors, les autorités qui se sont engagées vis à vis de ces grands groupes capitalistes, sont déterminées à réprimer tout mouvement de résistance visant à empêcher la construction d’usine, l’érection de grands barrages ou l’extraction industrielle dans les collines. Et la résistance des tribaux est organisée et armée par les maoïstes Cette guerre contre le peuple a donc également été déclarée pour faciliter la vente de ressources naturelles pour des milliards de dollars.
Et les autorités se sont donné les moyens. En 2009, au moment du lancement de l’Opération Green Hunt, le gouvernement a décidé de déployer 80.000 membres des forces paramilitaires dans l’offensive contre les maoïstes. Ceux-ci étaient soutenus par 10 hélicoptères armés de l’Indian Air Force. A la mi-2012, selon certaines sources, plus de 100.000 soldats issus de la CRPF, de la Border Security Force, de l’Indo-Tibetan Border Police et des forces CoBRA étaient mobilisés dans les opérations anti-maoïstes. Le 3 janvier 2013, le gouvernement autorisait le déploiement de 10.000 hommes supplémentaires dans le Bastar, l’Odisha et certaines régions du Jharkhand. En mai 2013, près de 84.000 hommes de la CRPF avaient été positionnés dans les états touchés par la guérilla maoïste pour renforcer l’offensive. En mars 2014, le chiffre de 286.200 hommes de la CRPF et de 100.000 hommes d’autres forces paramilitaires engagés dans 10 états du pays était avancé par diverses organisations. Le 8 juin 2014, le ministre de l’Intérieur approuvait le déploiement de 10.000 paramilitaires supplémentaire rien que pour l’état du Chhattisgarh. En août 2014, 2000 hommes des Nagaland’s Indian Reserve Battalions étaient dépêchés dans le Bastar, faisant de la région la zone la plus militarisée de l’Inde. Les autorités ont déployé des drones pour les opérations anti-maoïstes dans le Bihar, le Chhattisgarh et le Jharkhand. Insatisfaites par la qualité des résultats, la Defence Research and Development Organisation a pris l’initiative de développer des drones disposant de radars de plus basse fréquence pour faciliter la traquer des guérilleros dans les jungles. L’Inde a également récemment importé douze drones en provenance d’Israël pour la surveillance aérienne des activités maoïstes dans les régions forestières et peu accessibles à la frontière entre l’Andhra Pradesh, l’Orissa et le Chhattisgarh.

Opération Green Hunt

Cinq années après le début de cette vaste offensive, les bénéficiaires restent les même. Et le gouvernement continue à soutenir ses forces de sécurité bec et ongles, malgré toutes les enquêtes et contre-enquêtes en marge de chaque « combat » meurtrier. Après le ‘combat’ factice de Sarkeguda, le ministre de l’Intérieur Chidambaram a déclaré « Le combat, pour je ne sais quelles raisons, est qualifié de combat factice. Le directeur de la CRPF a dit qu’il n’avait rien à cacher, rien à craindre. Je suis le ministre de l’Intérieur, et la CRPF est sous mes ordres. Nous avons été parfaitement sincères, francs et honnête ». Quelques mois plus tard, Rajnath Singh est allé un pas plus loin disant que durant son mandat en tant que ministre en chef de l’Uttar Pradesh, il donnait carte blanche aux policiers pour gérer les maoïstes et il leur a assuré qu’ils ne seraient pas « embêtés » par la Commission pour les Droits de l’Homme. Avec ces déclarations, il prépare ouvertement le terrain pour d’autres « combats » factices, pour d’autres massacres, pillages, viols, tortures par les forces de sécurité qui disposent du soutien total du gouvernement.

4. Quelques prisonniers célèbres

Chhatradhar Mahato, président et membre fondateur du People’s Committee Against Police Atrocities, a été arrêté le 26 septembre 2009 dans une opération menée par la police du Bengale occidental dans le village de Birkar, à proximité de Lalgarh. Cette arrestation s’est déroulée en violation des lois indiennes, l’homme ayant été interpellé par des policiers déguisés en journalistes et dépourvus de mandat d’arrêt. Chhatradhar Mahato, militant pour la défense des Adivasis, a créé le PCAPA en novembre 2008 suite à l’attaque de Salboni. A la tête de ce mouvement populaire, Mahato, qui n’est pas lui-même issu d’une population tribale, entendait lutter contre les violence de la police et des paramilitaires à l’encontre de la population principalement aborigène de la région. Dès sa création, l’organisation fut cataloguée par les autorités comme étant une organisation de front de la guérilla maoïste, entraînant une répression de ses membres et de toutes ses actions. L’arrestation de son dirigeant est utilisée par les autorités pour terroriser tous ceux qui tentent de soutenir le mouvement des peuples minoritaires dans le Lalgarh, en alléguant qu’il sympathisent avec la guérilla maoïste. Depuis 2009, Mahato a été inculpé dans 38 affaires distinctes, toutes en vertu du Unlawful Activities Prevention Act. Cette législation anti-terroriste laisse les mains totalement au gouvernement pour arrêter arbitrairement et de placer en détention des personnes sans que ne soient clairement définies les infractions qui leur sont attribuées. Depuis, il s’est vu accordé une mise en libération sous caution pour 37 d’entre elles, mais reste incarcéré pour la dernière, qui a été entamée peu après qu’il ait été acquitté dans la 37e. Celle-ci concerne le meurtre de deux policiers à Purulia. La stratégie mise en place par le gouvernement pour maintenir les prisonniers politiques en détention est assez claire, et de toute évidence illégale, non-démocratique et vindicative. Dès qu’un prisonnier se voit libéré (même sous caution) dans le cadre d’une affaire, il se voit impliqué dans une autre par les autorités. De cette manière, le gouvernement maintient continuellement ces militants en prison, généralement sous de fausses allégations. Dans le cadre de l’affaire du meurtre de Purulia, à la mi-février 2015, la défense de Mahato a annoncé qu’il devrait cette fois encore être acquitté. Finalement, le juge s’est prononcé en mai 2015, et Mahalo, ainsi que cinq autres personnes, a été condamné à la prison à perpétuité. Ses avocats ont immédiatement fait appel.

Kobad Ghandy

Kobad Ghandy est issu d’une famille aisée, son père étant le directeur financier du géant pharmaceutique Glaxo. Après avoir étudié dans les plus grands collèges de Mumbia, il est allé suivre des cours de comptabilité à Londres. C’est là qu’il se confronte pour la première fois à la politique, purgeant même une peine de deux mois de prison après s’être retrouvé dans une vague de violence en marge d’un meeting anti-racisme. De retour à Mumbai, il s’engage dans divers mouvements estudiantins populaires avant de se rapprocher des naxalites. A la fin des années 1970, il fonde le Committee for the Protection of Democratic Rights avant d’entrer dans la clandestinité au milieu des années 1980. Membre du Comité Central du CPI(Maoist) et de son Politburo, Kobad Ghandy est notamment en charge de certaines publications du parti. Il fut arrêté à Delhi le 20 septembre 2009 alors qu’il était en ville pour suivre un traitement médical. Les autorités l’accusent, entre autre, d’avoir été dépêché par le parti dans la capitale afin de mener des activités de propagande et de recrutement dans le milieu urbain. Après 14 jours de détention provisoire, durant lesquels il a été interrogé et torturé, Ghandy a été transféré à la Tihar Jail de Delhi, où il se trouve toujours détenu en 2015. Souffrant d’un cancer, ainsi que de diverses affections, il est régulièrement transféré d’un quartier à l’autre, passant du quartier à haut risque à celui réservé aux personnes âgées au gré de la volonté des autorités pénitentiaires. Depuis sa cellule, Ghandy continue sa lutte, produisant régulièrement des écrits publiés par de multiples journaux et participant à toutes les actions et autres grèves de la faim organisées par les prisonniers maoïstes. Poursuivi en vertu du Unlawful Activities Prevention Act, les autorités l’accusent d’avoir propagé et disséminé l’idéologie maoïste à Delhi et d’avoir oeuvré à la création d’un réseau urbain du parti. Son procès a début en septembre 2012 et est toujours en cours à la mi-2015, alors que la santé du prisonnier se dégrade et qu’il ne reçoit toujours que des soins sporadiques.

Binayak Sen

Binayak Sen est un cas emblématique de l’histoire militante indienne. Il s’agit d’un cas célèbre, défendu par toutes les grandes organisations humanistes bourgeoises telles qu’Amnesty, parce que visiblement sans aucun lien avec l’insurrection maoïste. Médecin, Sen s’employait à rendre accessibles les soins médicaux aux populations reculées des jungles dans le centre du pays. Vice-président du People’s Union for Civil Liberties, il dénonçait régulièrement les violences commises par les milices à la solde du gouvernement et les paramilitaires à l’encontre des populations aborigènes sous prétexte de la lutte contre les maoïstes. Son simple engagement humanitaire a suffi aux autorités pour l’arrêter le 14 mai 2007 pour violation du Chhattisgarh Special Public Security Act et du Unlawful Activities Prevention Act. Il est accusé d’avoir soutenu et encouragé la violence maoïste. En vertu de ces lois anti-terroristes permettant au gouvernement de le maintenir en détention, Binayak Sen restera enfermé durant sept mois sans inculpation. En mars 2008, il passe plusieurs semaines à l’isolement, pour sa propre sécurité, selon les autorités pénitentiaires. Le 25 mai 2009, Sen est libéré sous caution principalement pour des raisons de santé, mais probablement aussi en raison de l’intense mobilisation internationale. Depuis, il est toujours dans l’attente d’un éventuel procès. Lors de la condamnation à perpétuité de plusieurs de ses co-accusés dans le cadre d’autres affaires en 2010, le gouvernement a révoqué sa libération conditionnelle et Binayak Sen a été réincarcéré. Mais il fut une nouvelle fois libéré. La persécution d’un humaniste bourgeois aussi notoirement inoffensif que le docteur Sen en dit long sur la férocité de la politique de répression du gouvernement indien.

Malla Raji Reddy

La torture en Inde

Publiée chaque année par le Asian Center for Human Rights (ACHR), une organisation démocratique-bourgeoise de défense des Droits de l’Homme basé à New Delhi, l’étude consacrée à la torture en Inde est accablante. Du 1er avril 2001 au 31 mars 2009, 1.184 personnes sont morte alors qu’elles étaient aux mains de la police – et ceci est le chiffre officiel de la National Human Rights Commission. La plupart de ces morts ont eu lieu dans les premières 48 heures de la détention, et une majorité écrasante a succombé suite à des sévices corporels. Un nombre équivalent de personnes serait quotidiennement torturé à mort par l’armée et les paramilitaires dans les zones insurgées du pays, où des législations spéciales donnent quasiment les pleins pouvoirs aux soldats. ‘Des centaines sont tués, des dizaines obtiennent une compensation financière, mais seuls trois à quatre policiers sont condamnés chaque année‘, résume le directeur de l’ONG. A cela s’ajoute les sévices commis par les milices des grands propriétaires. La pratique de la torture au service du ‘maintien de l’ordre’ est généralisée à travers le pays.

Il s’agit d’un système institutionnalisé. Seule une poignée de policiers ont été condamnés ces dernières années. Le ministre de l’Intérieur attribue ces milliers de morts en garde à vue ‘à la maladie, à des accidents, à des tentatives d’évasion ou à des suicides‘. Les textes de lois indiens ne reconnaissent d’ailleurs pas la torture comme un crime à part entière. Les agents des forces de l’ordre sont de plus soumis à un régime juridique spécial qui leur assure une relative impunité puisque c’est au pouvoir exécutif que revient la décision de poursuivre ou non un officier en justice. Et lorsqu’une affaire est effectivement portée devant un tribunal, les délais sont aberrants: il faut entre 25 et 30 ans pour aboutir à un procès contre un policier responsable, ce qui nourri la culture de l’impunité. Tentant de renvoyer les belligérants dos-à-dos, le rapport de la ACHR rapporte également cinq cas de sévices corporels commis par les naxalites en 2008: quatre contre des indicateurs de police, un contre un déserteur de la guérilla.

Un organisme national de défense des Droits de l’Homme à été mis en place en 1993. Mais la National Human Rights Commission (NHRC) préfère dédommager les victimes plutôt que de les encourager à porter plainte. Cet organisme vise finalement à dédouaner l’état de la généralisation de la torture et à éclipser l’ampleur du problème. Le gouvernement indien n’a d’ailleurs toujours pas ratifié la convention de l’ONU contre la torture, pourtant signée en 1997.

Victime de la torture

Victime de la torture

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Un témoignage

Linga est un jeune homme d’une famille aisée de la tribu Muriya, de Sameli, village du Dantewada. Comme chaque membre de tribu sur sa terre, la police l’a sommé de choisir: servir l’Etat ou être considéré comme naxalite. Un gouvernement paranoïaque exige d’avoir chaque membre de tribu de son côté, comme informateurs, comme guide durant leurs opérations dans la jungle, comme auxiliaires de police spéciale… Ceux d’entre eux qui sont tués dans un engagement sont finalement toujours comptés comme des naxalites morts. Dans cette lutte, le même mot ne signifie pas la même chose pour tout le monde.

Dans la matinée du 31 août, Linga est enlevé de chez lui, à Sameli, par des policiers en civil, mais armés. Les policiers l’ont emmené dans le camp de la Force Centrale de Réserve de la Police sur le chemin du commissariat de Dantewada. A Dantewada, il est amené dans le bureau du commissaire Amresh Mishra. ‘Il m’a fait asseoir par terre et m’a frappé. Il m’a demandé si j’étais le fils d’un naxalite. J’ai répondu que j’étais fils de fermier, que mon père avait été membre du conseil du village. Ensuite, ils m’ont enfermé dans une pièce minuscule. Je devais chier, uriner et manger dans cette pièce… il y avait un autre garçon avec moi. Il était là depuis un mois. On nous autorisait à nous laver moins d’une fois par semaine. Ils nous torturaient constamment. Si tu ne nous aide pas, nous dirons que tu es naxalite et nous te tuerons.

Quand on lui demande pourquoi les policiers l’appelaient naxalite, si les naxalites venaient dans son village, s’il en avait rencontré. Il répond: ‘Les naxalites ont des armes, quand ils viennent dans ton village, tu dois les rencontrer. Mais ce n’est pas un crime de se contenter de les écouter. La police aussi a des armes, quand ils nous veulent, nous devons y aller aussi. La différence, c’est que les naxalites ne nous frappent pas, mais la police n’épargne personne.

Durant la détention de Linga, son frère a introduit un habeas corpus à la Haute Cour de Bilaspur. Le commissariat de police de Dantewada a reçu un avis de la Haute Cour. Cela a obligé la police à modifier sa stratégie. Linga affirme: ‘mes cheveux étaient devenus très longs… j’avais une barbe… j’étais sale… pas lavé… ils m’ont donné du savon, de l’eau, des vêtements… m’ont emmené à Bilaspur, m’ont fait errer dans tous les marchés. Les policiers me suivaient à distance. Si j’avais essayé de m’échapper, ils m’auraient abattu.‘ Un Linga bien habillé, bien nourri et rasé de près errant sur les places des marchés avec des officiers de la police spéciale, cela sèmerait le doute dans les esprits naxalites. Ils se demanderaient s’il a rejoint la police, ou s’il est devenu leur informateur. Cela pourrait provoquer de brutales représailles. Et c’est en effet exactement ce que la police souhaitait, afin de fermer toutes les portes de sortie à Linga.

Bien qu’il ai été torturé durant toute sa garde à vue, Linga a affirmé au tribunal qu’il ne l’avait pas été. Le tribunal ordonne à la police de le relâcher. Il est resté en détention illégale du 31 août au 6 octobre. On lui a demandé pourquoi il avait menti au tribunal. ‘J’avais peur pour ma vie. Je n’ai jamais su si je m’en sortirais vivant.‘ Durant sa garde à vue, Linga a donc accepté le deal de la police: il ne parlerait pas des tortures et en retour, la police n’insisterait pas pour qu’il devienne officier de la police spéciale et le laisserait partir. Il savait qu’il n’était pas en sécurité en garde à vue. Il savait qu’il n’était pas non plus en sécurité à l’extérieur. Il n’y avait aucune charge, aucune affaire, pas de preuve, pas encore… Il pense que la police de Dantewada va essayer de se venger. Mais que s’il survit, et qu’il n’obtient pas justice, il deviendra naxalite. La famille de Linga est riche et pourrait faire une démarche au tribunal de Bilaspur.

Forces de sécurité en action

Pour en savoir plus

Lal Salaam

En Inde, expansion de la guérilla naxalite, un article de Cédric Gouverneur, Le Monde Diplomatique, décembre 2007

Entretien avec Ganapathy, secrétaire général du CPI(Maoist) en février 2010

Communiqué du 1er septembre 2014 à l’occasion du dixième anniversaire du CPI(Maoist)

Jaquette Sillage

Dans le sillage de Naxalbari retrace la grande insurrection maoïste en Inde de sa naissance en 1967 jusqu’à son effroyable répression au début des années ’70. Sumanta Banerjee en détaille et contextualise les épisodes, avec un remarquable mélange de proximité et de distance. Proximité, parce que l’auteur a été directement impliqué dans les événements ; distance, parce que ce livre a été écrit puis réécrit avec le recul nécessaire. Il en résulte un ouvrage riche de sources et d’expériences directes mais aussi de documents officiels rendus accessible ultérieurement, à la fois rigoureux et empathique, qui apporte le meilleur éclairage sur cet épisode majeur de l’histoire de l’Inde. Cette parution (éditions Academia, traduction de J. Adarshini) est d’autant mieux venue que les héritiers des Naxalites d’aujourd’hui une lutte armée au coeur de l’Inde d’une telle ampleur que le Premier ministre indien a qualifié cette nouvelle insurrection comme « la plus grande des menaces » pour la sécurité nationale.

Pour davantage d’information: www.jadarshini.be

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Charu Mazumdar
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Cadre historique – Les mouvements de lutte des années ’60 en RFA

Vers le milieu des années 1960, les mouvements de lutte de la jeunesse étudiante et prolétarienne se développèrent en Allemagne comme partout. En décembre 1966, c’est le début de la fin du ‘miracle économique allemand’, ce grand boom économique qui suivit la reconstruction de l’après-guerre, (il y aura carrément récession en 1967). Les deux principaux partis politiques bourgeois (sociaux-démocrates du SPD et démocrates chrétiens de la CDU et de la CSU, qui totalisent 90% des sièges au parlement) forment la ‘grande coalition’ qui verrouille totalement la vie politique. De la contestation des étudiants socialistes du SDS, conduit par Rudi Dutschke, émerge l’Opposition Extra Parlementaire (APO). Les mobilisations de masse contre la guerre impérialiste US au Vietnam ne cessent de gagner en puissance, mais c’est lors d’une manifestation contre la visite du Chah d’Iran, dictateur sanglant, marionnette des USA, qu’un jeune manifestant, Benno Ohnesorg est tué par un policier le 2 juin 1967. Les manifestations qui s’ensuivront marquent la véritable naissance de l’APO.

La mort de Benno Ohnesorg

11 avril 1968 – Mort de Rudi Dutschke, première action de guérilla urbaine

Pâques 1968: des dizaines de milliers de manifestants, ainsi que des délégations de nombreux pays se réunissent à Berlin-Ouest pour un grand congrès contre la guerre du Viêt-Nam et pour la révolution mondiale. Le 2 avril, des bombes incendiaires explosent dans la nuit dans deux grands magasins de Francfort. Deux jours plus tard Andreas Baader, Gudrun Ennslin, Thorwald Proll, Horst Söhnlein sont arrêtés. Au cours de leur procès, ils déclareront avoir provoqué l’incendie pour protester contre l’indifférence vis-à-vis du génocide au Viêt-Nam. Ulrike Meinhof, rédactrice en chef de la célèbre revue de gauche Konkret, prend leur défense.

Le 11 avril 1968, un fasciste tire trois balles dans la tête de Rudi Dutschke. C’est le résultat d’une campagne de presse hystérique de la presse du magnat Springer. Dans toute la R.F.A., les universités sont occupées, et le bilan des manifestations est lourd: un millier d’arrestations, des centaines de blessés, deux morts. Le 15 mai, le parlement approuve les lois d’urgence qui donneront au gouvernement des pouvoirs extraordinaires ‘en cas de guerre et de tension interne‘.

Rudi Dutschke

Incendie à Francfort

Manifestation contre Springer

Octobre 1968 – Premier procès

Le 31 octobre 1968, le tribunal de Francfort condamne les quatre auteurs de l’incendie de Francfort à trois ans de prison ferme, la plus forte prononcée jusqu’alors en RFA pour un acte politique. Le 13 juin 1969, ils bénéficient de la liberté provisoire mais, risquant une nouvelle incarcération, Baader, Ennslin et Proll se réfugient à Paris.

Procès à Francfort

14 mai 1970 – Naissance de la RAF, libération d’Andreas Baader

En août 1969, le SDS s’auto dissout, et en septembre survient une vague sans précédent de grèves sauvages.

Le groupe revient en R.F.A. mais le 4 avril 70, Andreas Baader est arrêté à Berlin-Ouest au cours d’un contrôle de routine. Le 14 mai, il est libéré par un commando armé (un fonctionnaire est blessé dans l’action): c’est la naissance officielle de la RAF qui écrit à la revue 883 un texte intitulé Construire l’armée rouge où l’on peut lire: ‘camarades du 883, cela n’a pas de sens que de vouloir expliquer ce qui est juste aux mauvaises personnes. Nous l’avons déjà fait assez longtemps comme cela. L’action de libération d’Andreas Baader, nous n’avons pas à l’expliquer aux radoteurs intellectuels, aux peureux, à ceux qui savent tout, mais à la partie potentiellement révolutionnaire du peuple.‘ La RAF se réfère aux familles nombreuses, aux jeunes travailleurs et apprentis… tous ceux qui ne sont pas touchés par la consommation, les crédits, les contrats logements. L’action est annoncée mais comme la première action d’un nouveau type en R.F.A., et le texte se conclu par ces mots d’ordre: ‘développer les luttes de classe, organiser le prolétariat, commencer avec la résistance armée à construire l’armée rouge!‘.

Construire l’armée rouge (lien1)

Construire l’armée rouge (lien2)

Construire l’armée rouge – format pdf

Die Rote Armee aufbauen! (texte original en allemand)

Juin-août 1970 – Le passage dans les camps palestiniens

De juin à août 1970, plusieurs militants de la RAF (Horst Mahler, Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Ulrike Meinhof, Peter Homann et Brigitte Asdonk) séjournent dans un camp palestinien en Jordanie. Ils y mènent des discussions avec des représentants de la gauche révolutionnaire palestinienne et acquièrent une formation à la guérilla.

Au camp du FPLP

Fin 1970-Début 1971 – Opérations logistiques et financières, premières arrestations

La RAF réussit ensuite une série d’opérations financières et logistiques: attaque de trois banques à Berlin-Ouest le même jour (le 29 septembre 1970); effraction nocturne avec saisie de tampons officiels et des passeports dans la mairie de Neustadt (16 novembre) et à Lang-Gons (21 novembre); attaque d’une banque à Kaiserlautern (22 décembre, un policier est tué dans l’opération); attaque de deux caisses d’épargne à Kassel (15 janvier 1971). Fin 1970 – début 1971, la police arrête Horst Mahler, Ingrid Schubert, Monika Berberich, Brigitte Asdonk, Irene Goergens, Astrid Proll, Hans-Jürgen Bäcker et Margrit Schiller.

Affiche de recherche

Avril 1971 – ‘Conception de la guérilla urbaine’

En avril 1971, la RAF rend public un remarquable texte manifeste intitulé Conception de la guérilla urbaine.

La peur a traversé le dos des dominants, qui pensaient déjà avoir tout en main, cet Etat et tous ses habitants et classes et contradictions, et réduit les intellectuels à leurs revues, enfermé les gauchistes dans leurs cercles, désarmé le marxisme-léninisme. La structure de pouvoir qu’ils représentent n’est pourtant pas aussi vulnérable que leur effarouchement peut nous le laisser penser. Leurs vociférations ne doivent permettre de nous surestimer. Nous affirmons que l’organisation de groupes armés de résistance est actuellement juste, possible et justifiée en République fédérale et à Berlin-Ouest, qu’il est juste, possible et justifié de mener id est maintenant la guérilla urbaine. Que la lutte armée comme ‘plus haute forme du marxisme-léninisme’ (Mao) peut et doit commencer maintenant, que sans cela il n’y a pas de lutte anti-impérialiste dans la métropole.

La RAF analyse sévèrement la situation en R.F.A. ‘Sous le couvert de ‘l’intérêt général’ le dirigisme étatique tient en bride les bureaucraties syndicales par le biais des contrats de progrès des salaires et la concertation. (…) Participant avec l’aide militaire et économique aux guerres d’agression des USA, la République fédérale profite de l’exploitation du tiers-monde sans avoir la responsabilité de ces guerres, sans avoir affaire avec une opposition intérieure. Pas moins agressive que l’impérialisme US, mais moins attaquable. Les possibilités politiques de l’impérialisme ne sont épuisées ni dans leur variante réformiste, ni dans leur variante fasciste, ses capacités d’intégrer ou d’opprimer les contradictions qu’il produit lui-même ne sont pas terminées. Le concept de guérilla urbaine de la fraction armée rouge ne se base pas sur une estimation positive de la situation en République fédérale et à Berlin-Ouest.

La RAF affirme que même si le mouvement étudiant a vu ses origines bourgeoises le rattraper, il ne faut pas le sous-estimer car il ‘a reconstruit le marxisme-léninisme comme arme dans la lutte de classe et a posé le contexte international pour le combat révolutionnaire dans les métropoles‘. Mais la RAF affirme qui faut aller plus loin: ‘II n’y aura pas de rôle dirigeant des marxistes-léninistes dans les futurs luttes de classes si l’avant-garde ne tient pas elle-même la bannière rouge de l’internationalisme prolétarien et si l’avant-garde ne répond pas elle-même à la question de savoir comment sera érigé la dictature du prolétariat, comment le pouvoir politique du prolétariat doit être exigé, comment le pouvoir de la bourgeoisie doit être brisé, si elle n’est pas prête avec une pratique à y répondre. L’analyse de classe dont nous avons besoin n’est pas à faire sans pratique révolutionnaire, sans initiative révolutionnaire‘. Et de se revendiquer de la primauté de la pratique: ‘Sans pratique, la lecture du ‘Capital’ n’est qu’une étude bourgeoise. Sans pratique, tes déclarations politiques ne sont que du baratin. Sans pratique, l’internationalisme prolétarien n’est qu’un mot ronflant. Prendre théoriquement le point de vue du prolétariat, c’est le prendre pratiquement.

Car la RAF veut ouvrir une nouvelle ligne de front: ‘S’il est juste que l’impérialisme américain soit un tigre de papier, c’est-à-dire qu’en dernier recours il peut être vaincu; et si la thèse des communistes chinois est juste, que la victoire sur l’impérialisme américain est devenue possible par le fait que dans tous les coins et bouts du monde la lutte soit menée contre lui, et qu’ainsi les forces de l’impérialisme soient éparpillées et que par cet éparpillement il soit possible de l’abattre – si cela est juste, alors il n’y a aucune raison d’exclure un pays quel qu’il soit ou une région quelle qu’elle soit parce que les forces de la révolution sont particulièrement faibles, les forces de la réaction particulièrement fortes (…). La guérilla urbaine part du principe qu’il n’existe pas d’ordre de marche prussien où beaucoup de soi-disant révolutionnaires voudraient guider le peuple dans la lutte révolutionnaire. Part du principe que lorsque la situation sera mûre pour la lutte armée il sera trop tard de la préparer.’

La légalité est l’idéologie du parlementarisme, du partenariat social, de la société pluraliste. Elle devient un fétiche quand ceux qui s’en targuent ignorent que les téléphones peuvent être légalement écoutés, le courrier légalement contrôlé, les voisins légalement interrogés, les indics légalement payés, que l’on peut légalement surveiller – que l’organisation du travail politique, si elle ne veut pas être mise hors circuit de manière permanente par l’attaque de la police politique, doit être en même temps légale et illégale (…) Qui n’a pas réalisé que les conditions de la légalité, avec la résistance active, se modifient nécessairement et qu’il est pour cela nécessaire d’utiliser la légalité pour la lutte politique et en même temps pour organiser l’illégalité, et qu’il est faux d’attendre l’illégalisation comme un coup du sort imposé par le système, parce que l’illégalisation signifie l’écrasement immédiat, et que la question est alors réglée. La fraction armée rouge organise l’illégalité comme position offensive pour l’intervention révolutionnaire. Mener la guérilla urbaine, c’est mener la lutte anti-impérialiste de manière offensive. La fraction armée rouge pose le lien entre lutte légale et illégale, lutte nationale, lutte politique, lutte armée, et la définition tactique et stratégique du mouvement communiste international. La guérilla urbaine c’est malgré la faiblesse des forces révolutionnaires en République fédérale et Berlin-Ouest intervenir ici et maintenant de manière révolutionnaire!‘.

Jaquette du livre ‘Conception de la guérilla urbaine

Conception de la guérilla urbaine

Conception de la guérilla urbaine – format pdf

Das Konzept Stadtguerilla (texte original allemand, lien)

15 juillet 1971 – Mort de Petra Schelm

Le 15 juillet 1971, la police abat une militante de la RAF, Petra Schelm, et arrête Werner Hoppe.

Petra Schelm

Début 1972 – Nouvelles fusillades, nouvelles arrestations

Le 17 janvier 1972 survient un échange de coups de feu au cours d’un contrôle de police. Selon la police, Andreas Baader était dans la voiture, ce qui donne lieu à une campagne de presse monstre. Le 2 mars 72, la police abat à Augsburg Thomas Weisbecker, un militant de la RAF qui n’était pas armé. Le 3 mars, lors d’une fusillade, un commissaire de police est tué et une militant de la RAF, Manfred Grashof, est grièvement blessé. Un autre militant, Wolfgang Grundmann est arrêté à cette occasion.

Affiche militante

Avril 1972 – ‘Guérilla urbaine et lutte de classe’

En avril 1972, la RAF rend public Guérilla urbaine et lutte de classe. La RAF y analyse la grève des travailleurs du secteur chimique, la militarisation de la lutte de classe, l’actualité objective de la question sociale, les liens entre les trusts et l’Etat, les différents réformismes, la possibilité et la fonction de la guérilla urbaine.

11 mai 1972 – Action contre un QG de l’armée américaine à Francfort

Le 11 mai 1972, trois bombes (80 kg de TNT) explosent dans le quartier général du 5ème Corps US à Francfort. Un officier est tué, treize soldats sont blessés. Le commando Petra Schelm de la RAF revendique l’action: ‘L’Allemagne de l’Ouest et Berlin-Ouest ne doivent plus être un arrière-pays tranquille pour les stratèges de la destruction du Viêt-Nam. Ils doivent savoir que leurs crimes contre le peuple vietnamien leur ont amené de nouveaux ennemis décidés, qu’il n’y aura plus aucun endroit au monde où ils seraient en sécurité des attaques des unités et de la guérilla révolutionnaire.

Action contre une base de l’armée à Francfort

Communiqué du Commando Petra Schelm (lien1)

Communiqué du Commando Petra Schelm (lien2)

12-16 mai 1972 – Actions contre la police et la justice

Le 12 mai 1972, le commando Thomas Weisbecker de la RAF fait exploser deux bombes à la direction de la police d’Augsbourg (six blessés) et sur le parking de la police criminelle de Munich (dix blessés et 100 voitures détruites, photo). Le 16 mai 1972, une bombe vise Buddenberg, juge à Karlsruhe, que le commando Manfred Grashof de la RAF rend responsable de la narcotisation forcée de la prisonnière Carmen Roll et des conditions d’isolement. La RAF exige l’application de la Convention des Droits de l’Homme (Genève) et de la Charte des Nations Unies en ce qui concerne le droit des prisonniers.

Action à Münich contre la police et la justice

Communiqué du Commando Thomas Weisbecker

19 mai 1972 – Action contre le groupe de presse Springer

Le 19 mai 1972, la RAF fait exploser deux bombes au siège des éditions Springer. Il y a 34 blessés dont de nombreux travailleurs. A deux reprises pourtant, des appels téléphoniques prévenaient de l’action. Cette dernière est revendiquée par le commando 2 juin de la RAF, qu’il ne faut pas confondre avec le Mouvement du 2 Juin, (un groupe de guérilla urbaine qui avait une conception organisationnelle décentralisée et une orientation politique socialiste-révolutionnaire, dont le nom fait également référence à l’assassinat de Benno Ohnsorg). Cinq jours plus tard, dans une lettre à la radio allemande, le commando regrette que des travailleurs aient été blessé et accuse Springer d’avoir pris clairement le risque de blesser ou tuer des ouvriers en n’écoutant pas leurs avertissements.

24 mai 1972 – Action contre un QG de l’armée américaine à Heidelberg

Le 24 mai 1972, le Commando 15 juillet de la RAF attaque à l’explosif le quartier général du Corps d’armée US stationnée à Heidelberg, et détruit l’ordinateur central coordonnant les bombardements américains au Nord Viêt-Nam. Trois soldats US sont tués. Le communiqué rappelle que plus de bombes ont été déversées sur le Viêt-Nam que sur le monde entier durant toute de la seconde guerre mondiale. Les bombardements sont interrompus pendant quelques jours et cette action aura un retentissement immense.

Communiqué du Commando du 15 juillet (lien 1)

Communiqué du Commando du 15 juillet (lien 2)

Mai 1972 – Campagne de presse contre la RAF

Le 31 mai 1972, la presse Springer annonce que la RAF veut faire sauter des bombes dans la ville de Stuttgart. La campagne de guerre psychologique ne cessera plus: on accusera la RAF de vouloir tirer des roquettes sur les stades lors des matchs de football, de vouloir prendre des enfants en otage, de vouloir empoisonner l’eau potable, etc. Cette guerre psychologique vise le capital de sympathie accumulé par la RAF: un sondage indique que 20% des allemands accepteraient de subir des poursuites judiciaires pour pouvoir cacher un membre de la RAF…

Campagne de presse contre la RAF

Juin 1972 – Vague d’arrestations

Le 1er juin 1972, Andreas Baader, Holger Meins et Jan-Cart Raspe sont arrêtés lors d’une opération spéciale: 300 policiers équipés de pistolets-mitrailleurs, avec l’aide d’un blindé, les arrêtent dans la banlieue de Francfort. Les trois militants sont blessés (Baader grièvement) dans un échange de coups de feu. Le 15 juin, Ulrike Meinhof et Gerhard Müller sont arrêtés dans la banlieue de Hanovre, suite à la dénonciation d’un syndicaliste social-démocrate qui les avait hébergés. D’autres arrestations suivent: Gudrun Ennslin, Brigitte Monhaupt, Bernard Braun, Gerhard Müller, Irmgard Möller, Klaus Jünschke,…

Arrestation de Baader

Septembre 1972 – Action palestinienne à Munich

Le 5 septembre 1972, huit combattants palestiniens prennent en otage neuf sportifs israéliens aux Jeux Olympiques à Munich, et propose de les échanger contre 200 personnes détenues en Israël. Les autorités feignent de négocier, mais tendent une embuscade à l’aéroport: neuf israéliens, cinq palestiniens et un policier allemand meurent dans la fusillade.

Le 7 septembre l’aviation israélienne bombarde les camps de réfugiés au Liban et tue 200 civils.

En novembre, la RAF rend public à cette occasion un texte exposant que la stratégie de la lutte anti-impérialiste amène la lutte dans le centre. Le document analyse la signification du Proche-Orient pour l’impérialisme, conçoit l’impérialisme comme unité des contradictions, étudie les rapports entre impérialisme et tiers-monde, traite des mouvements de libération anti-impérialiste, de l’opportunisme dans la métropole de l’exploitation, de la consommation de masse, des mass-médias, de la domination du système 24 heures sur 24, du sujet révolutionnaire, du fascisme et de l’antifascisme, de l’antifascisme et de l’anti-impérialisme.

Action palestinienne à Münich

1972 – La torture blanche

En prison, les militants de la RAF subissent un traitement spécial scientifiquement établi pour leur destruction: isolement, promenade les mains liées pendant des années, des mois de sections silencieuses, des anesthésies de force. Cette torture blanche est issue d’un programme de recherche nommé ‘camera silens’: le prisonnier est dans une cellule sans fenêtre ni lumière du jour, la lumière artificielle s’allume de telle manière à briser le cycle du sommeil du prisonnier, les murs sont blancs afin de briser la vue, la cellule est totalement insonorisée. Ulrike Meinhof tentera d’expliquer les sensations produites par la torture blanche: ‘le sentiment que ta tête explose’, ‘on ne peut pas expliquer si l’on tremble de fièvre ou de froid – on gèle’, ‘on ne peut plus identifier la signification des mots, seulement deviner – l’utilisation de lettres en sch (ch,. ss, z, s) est absolument insupportable’, ‘la construction de la phrase, la grammaire, la syntaxe, on ne contrôle plus rien’, ‘le sentiment qu’on t’a enlevé la peau‘.

Ulrike Meinhof

Janvier-février 1973 – Première grève de la faim

Le 17 janvier 1973, quarante prisonniers entrent en grève de la faim en revendiquant la fin de l’isolement, et en particulier la sortie d’Ulrike Meinhof de ‘l’aile morte’ de la prison de Cologne-Ossendo. La grève de la faim est ‘durcie’ par l’Etat qui cesse de donner de l’eau aux prisonniers. Mais le 9 février, Meinhof est placée dans une cellule isolée d’une prison masculine où elle peut entendre des bruits humains. La grève prend fin le 12 février.

Mai 1973 – Deuxième grève de la faim

Le 8 mai 1973, deuxième grève de la faim. 40 prisonniers politiques revendiquent les mêmes droits que les autres prisonniers, et une information politique libre. A nouveau, la distribution d’eau est supprimée à certains prisonniers, dont Andreas Baader. La grève se termine le 29 juin 1973.

Affiche de solidarité

Fin 1974 – Nouvelles arrestations, premier procès

Margrit Schiller, qui avait été libérée l’année précédente et qui avait repris la lutte est arrêtée une nouvelle fois. Sont aussi arrêtés Christa Eckes, Helmut Pohl, Ilse Stachowiak, Eberhard Becker, Wolfgang Beer,… Le 10 septembre 1974: début du procès contre Horst Mahler et Ulrike Meinhof, qui développe le 13 septembre un discours sur la lutte armée et l’usage par la contre-révolution de la guerre psychologique contre le peuple. Horst Mahler est condamné à 14 années de prison (dissocié et repenti, il sera libéré en 80 et adoptera des positions de plus en plus réactionnaires), Ulrike Meinhof à huit années.

Affiche pour le procès

Déclaration d’Ulrike Meinhof au procès (lien1)

Déclaration d’Ulrike Meinhof au procès (lien2)

Septembre-novembre 1974 – Troisième grève de la faim, mort d’Holger Meins

Le 13 septembre 1974 commence la troisième grève de la faim, qui dure jusqu’au 5 février 1975. Contre l’élimination des prisonniers politiques, la RAF rappelle que la grève de la faim est la seule possibilité de résistance collective, de se défendre, psychiquement et physiquement: ‘Lutter, c’est faire de faiblesses une force’. Le 9 novembre 1974, Siegfried Haag, avocat de Holger Meins, se rend à la prison de Wittich. Il n’obtient l’autorisation de le voir qu’après de nombreuses démarches. Il raconte: ‘Holger Meins est amené sur un brancard par deux gardiens. Ils déposent le brancard tout près de la porte ouverte, à côté de deux cartons renfermant des dossiers de sa défense et une bouteille d’eau, puis ils se retirent. Holger Meins a les yeux clos, il n’est pas capable de se remuer, il ne peut même pas replier ses jambes. C’est un squelette. Un mètre quatre-vingt-cinq environ. Quarante-deux kilos seulement. Ils lui ont bourré les pantalons de papier. Holger ne peut plus parler. Il peut difficilement murmurer quelques mots en s’interrompant. Pendant plusieurs instants, il ne semble pas entendre.‘ Le même jour, l’avocat Klaus Croissant, prévenu de l’état très grave de Meins, porte lui-même une lettre au président du tribunal, le sommant de permettre que des médecins de confiance puissent se rendre auprès de lui. A 18 heures, Croissant reçoit un télégramme lui apprenant la mort de Holger Meins. Le 12 novembre 1974, le président du tribunal de grande instance de Berlin, Von Drenkmann, est exécuté. Le 21 novembre 1974, une bombe explose devant le domicile de Gerd Ziegler, juge du tribunal de Hambourg.

Holger Meins

Cadavre de Holger Meins

Affiche pour Holger Meins

Déclaration d’entrée en grève de la faim (lien1)

Déclaration d’entrée en grève de la faim (lien2)

Holger Meins sur le nutrition forcée

Holger Meins: ‘Combattre jusqu’au bout, même ici’

20 janvier 1975 – L’interview au Spiegel

Le 20 janvier 75, l’hebdomadaire Spiegel publie une grande interview des prisonniers de la RAF détenus à la prison de Stammheim (photo). Les prisonniers y exposent leur vision de la R.F.A.: ‘Centre impérialiste. Colonie américaine. Base militaire américaine. Puissance dirigeante impérialiste en Europe et dans le Marché Commun. Deuxième puissance militaire de l’OTAN. Représentant patenté des intérêts de l’impérialisme américain en Europe de l’Ouest. La fusion de l’impérialisme ouest-allemand (politiquement, économiquement, militairement, idéologiquement fondé sur les mêmes intérêts d’exploitation du Tiers-Monde, ainsi que sur l’homogénéité des structures sociales au moyen de la concentration des capitaux et de la culture de consommation) avec l’impérialisme américain caractérise la position de la République fédérale vis-à-vis des pays du Tiers-Monde: en tant que parti dans les guerres conduites contre eux par l’impérialisme américain, en tant que ‘ville’ dans le processus révolutionnaire mondial d’encerclement des villes par les campagnes. Dans cette mesure, la guérilla dans les métropoles est une guérilla urbaine aux deux sens du terme: géographiquement, elle surgit, opère et se développe dans les grandes villes, et au sens stratégique et politico-militaire, elle est une guérilla urbaine car elle s’attaque de l’intérieur à la machine répressive de l’impérialisme dans les métropoles, elle combat comme unité de partisans sur les arrières de l’ennemi. C’est ce que nous entendons aujourd’hui par internationalisme prolétarien. En un mot: la République fédérale faisant partie du système étatique de l’impérialisme américain, n’est pas une Nation opprimée mais une Nation qui opprime. Dans un tel Etat, le développement du contre-pouvoir prolétarien et de sa lutte de libération, le démantèlement complet des structures dominantes, de pouvoir, ne peuvent être, dès leurs débuts, qu’internationalistes, ne sont possibles qu’en relation tactique et stratégique avec les luttes de libération des Nations opprimées.

Historiquement: depuis 1918-1919, la bourgeoisie impérialiste – son Etat – possède l’initiative dans le déroulement des luttes de classe en Allemagne et est à l’offensive contre le peuple; et cela jusqu’à ce que les organisations du prolétariat se soient trouvées totalement défaites dans le fascisme jusqu’à la défaite de l’ancien fascisme, défaite due non pas à la lutte armée, mais aux alliés occidentaux et à l’armée soviétique. Dans les années 20, il y a eu la trahison de la Troisième Internationale: alignement total des partis communistes sur l’Union Soviétique, qui se trouve à l’origine de l’incapacité du K.P.D. (parti communiste d’Allemagne) d’en venir à une politique orientée vers la révolution par la lutte armée et la conquête prolétarienne du pouvoir politique. Après 1945, il y a eu l’offensive lavage de cerveau de l’impérialisme américain contre le peuple au moyen de l’anticommunisme, de la culture de consommation, de la restauration-refascisation politique, idéologique, et finalement militaire sous la forme de guerre froide et d’une R.D.A. (République Démocratique Allemande) qui n’a pas développé la politique communiste comme guerre de libération. Il n’y a pas eu ici de résistance antifasciste, de masses armées comme en France, Italie, Yougoslavie, Grèce, Espagne, même Hollande. Les conditions pour cela ont été immédiatement brisées par les alliés occidentaux après 1945. Tout cela signifie pour nous et pour la gauche légale, ici: il n’y a rien à quoi nous rattacher, sur quoi nous appuyer historiquement, il n’y a rien que nous puissions présupposer d’une manière ou d’une autre en termes organisationnels ou de conscience prolétarienne, pas même des traditions démocratiques républicaines. Au plan de la politique intérieure, il s’agit là d’un des motifs qui rend possible sans retenue le processus de fascisation, la surcroissance et l’excroissance de l’appareil policier, de la machine de sûreté de l’Etat comme police de l’Etat dans l’Etat, la suppression factice de la division des pouvoirs, la promulgation de lois d’exception fascistes dans le cadre du programme de ‘sécurité interne’ – depuis les lois d’urgence jusqu’aux lois d’exception actuelles qui permettent le déroulement de procès sans accusés ni défenseurs, comme pure entreprise de spectacle, mais également l’exclusion de ‘radicaux’ des services publics, l’élargissement des compétences de l’Office de police criminelle. Une démocratie qui n’a pas été conquise, qui n’est pour le peuple qu’un bourrage de crâne et n’a pas de base de masse, ne peut pas être défendue et ne l’est pas non plus.’

Les prisonniers exposent les effets politiques de l’action de la RAF:

1° au niveau où beaucoup, modifiant leur opinion sur cet Etat étant donné les mesures prises par le gouvernement contre nous, commencent à le reconnaître pour ce qu’il est: la machine répressive de la bourgeoisie impérialiste;

2° au niveau où nombreux sont ceux qui, s’identifiant avec notre lutte, devenant conscients et relativisant dans leur pensée, leur sensibilité et finalement dans leur action, l’absolutisme de pouvoir du système, reconnaissent ce qu’il est possible de faire, que le sentiment d’impuissance ne reflète pas la réalité objective;

3° au niveau de l’internationalisme prolétarien, de la conscience de la relation entre des luttes de libération dans le Tiers-Monde et ici, de la possibilité et de la nécessité de collaborer légalement et illégalement.

Au niveau de la praxis: qu’il ne suffit pas seulement de parler, mais qu’il est possible et nécessaire, nécessaire et possible d’agir. (…)

Aucun révolutionnaire ne pense à renverser seul le système, c’est absurde. Il n’y a pas de révolution sans le peuple. De telles affirmations contre Blanqui, Lénine, Che Guevara, contre nous maintenant n’ont jamais été autre chose que la dénonciation de toute initiative révolutionnaire, la référence aux masses ayant pour fonction de justifier, de vendre la politique réformiste. Il ne s’agit pas de lutter seul, mais de créer à partir des luttes quotidiennes, des mobilisations et des processus d’organisation de la gauche légale, une avant-garde, un noyau politico-militaire qui devra mettre en place une structure illégale – condition préalable, nécessaire à la possibilité d’agir et qui, étant donné les poursuites et l’illégalité, et la praxis peut donner aux luttes légales dans les usines, les quartiers, la rue et les universités orientation, force et but pour atteindre ce dont il s’agira dans les développements de la crise économique et politique de l’impérialisme: la prise du pouvoir politique. La perspective de notre politique – le développement pour lequel nous nous battons: un fort mouvement de guérilla dans les métropoles – est, au cours de ce processus de chute définitive et d’écroulement de l’impérialisme américain, un moyen nécessaire, une étape, dans la mesure où les luttes légales et les luttes qui se développeraient spontanément à partir des contradictions du système pourraient être brisées par la répression dès qu’elles se manifestent. Ce que le parti de cadres bolcheviques représentait pour Lénine, correspond à l’époque de l’organisation multinationale du capital, des structures transnationales de la répression impérialiste à l’intérieur et à l’extérieur, où nous nous trouvons aujourd’hui, à l’organisation du contre-pouvoir prolétarien issu de la guérilla. Au cours de ce processus – national et international – elle se développe en parti révolutionnaire.’

Les prisonniers décrivent les traitements spéciaux dont ils font l’objet et dénoncent: Holger Meins ‘a été exécuté sciemment par une sous-nutrition systématique, la nutrition artificielle était, dès le début, à la prison de Wittlich une méthode pour assassiner. Au début, brutale, directe, violente, pratiquée pour briser la volonté, et par la suite pratiquée seulement en apparence. 400 calories par jour: il s’agit seulement d’une question de temps, de jours, jusqu’à ce que l’on meurt. Le procureur fédéral Büback et les services de sécurité ont manigancé cela en s’arrangeant pour que Holger Meins reste à la prison de Wittlich, jusqu’à ce qu’il soit mort. Le 21 octobre, le tribunal (O.L.G.) de Stuttgart avait ordonné le transfert de Holger Meins à Stuttgart au plus tard le 2 novembre. Dès le 24 octobre, Büback, procureur fédéral, faisait savoir au tribunal de Stuttgart que la date du transfert ne pouvait pas être respectée par les services de sûreté de l’Etat: cette information n’a toutefois été rendue publique qu’après la mort de Holger Meins. Pour terminer, le médecin de la prison Hutter a cessé complètement la nutrition artificielle et est parti en voyage. Il faut également préciser que l’Office fédéral de police criminelle était informé sur l’état des prisonniers, pendant toute la durée de la grève de la faim, par les directions des prisons. Il faut souligner que Hutter, avant qu’il ne se retire, parce que Holger était mourant, a demandé à Degenhardt de lui assurer qu’il ne ferait l’objet d’aucune plainte – de la même manière, toutes les plaintes portées contre Degenhardt ont été annulées. Degenhardt est le médecin qui, durant l’été 1973, pendant la seconde grève de la faim à Schwalmstadt, a supprimé l’eau ‘pour raisons médicales’ pendant neuf jours, jusqu’au coma.

A la question du Spiegel La mort de Holger Meins a-t-elle été une opportunité pour le collectif R.A.F.? ‘, les prisonniers répondent: ‘Cela, c’est de la projection fasciste; la réflexion de quelqu’un qui ne peut plus penser autrement qu’en termes de marché: le système qui réduit toute vie humaine à de l’argent, de l’égoïsme, du pouvoir, de la réussite. Comme le Che, nous disons: ‘LE GUERILLERO NE DOIT RISQUER SA VIE QUE SI CELA EST ABSOLUMENT NECESSAIRE, MAIS DANS CE CAS SANS HESITER UN SEUL INSTANT.’ Et cela est tout à fait vrai pour la mort de Holger Meins: ‘la résonance de l’histoire’, celle qui s’est éveillée par la lutte armée anti-impérialiste, est entrée dans l’histoire des peuples du monde. Elle a ‘été une opportunité’, cela veut dire qu’elle a brisé le boycott de l’information. Car, si beaucoup de gens ne s’éveillent seulement que lorsque quelqu’un est assassiné et à partir de ce moment commencent seulement à comprendre de quoi il s’agit, c’est que vous en êtes également responsable. C’est ainsi que le Spiegel a passé sous silence pendant huit semaines la grève de la faim de quarante prisonniers politiques afin d’empêcher solidarité et protection.‘ Et quand le Spiegel se demande s’ils sont préparés à d’autre cas mortels, les prisonniers répondent: ‘Büback attend ça dans son bureau.‘ Le 5 février 1975, les prisonniers arrêtent la grève de la faim.

La prison de Stammheim

Interview au Spiegel

27 février 1975 – Enlèvement de Peter Lorenz

Le 27 février 1975, deux jours avant les élections, le Mouvement du 2 juin enlève Peter Lorenz, député libéral et candidat à la mairie de Berlin-Ouest, et propose de le libérer contre la libération de Rolf Pohle, Verena Becker, Rolf Heissler, Gabi Kröcher-Tiedemann et Horst Mahler. Horst Mahler refusera d’être libéré mais les autres militants peuvent trouver refuge au Yemen socialiste, tandis qu’à Berlin, le Mouvement du 2 juin libère Peter Lorenz.

Symbole du Mouvement du 2 Juin

Programme du Mouvement du 2 Juin

24 avril 1975 – Attaque de l’ambassade d’Allemagne à Stockholm

Le 24 avril 1975, peu avant midi, le commando Holger Meins de la RAF occupe l’ambassade de R.F.A. à Stockholm, prend en otage douze fonctionnaires, et réclame la libération de 26 prisonniers. La police attaque le bâtiment: deux fonctionnaires (dont l’attaché militaire, le comte Andreas von Mirbach) sont tués ainsi qu’un membre de la RAF, Ulrich Wessel. Un autre membre du commando, Siegfried Hausner, est grièvement blessé et contre l’avis des médecins suédois est immédiatement transporté en R.F.A.. Il n’est pas amené à l’hôpital mais à la station intensive de la prison de Stammheim, sur ordre de Büback, où il meurt faute des soins adéquats le 4 mai. Sont aussi capturés à Stockholm et extradés en R.F.A.: Karl-Heinz Dellwo, Lutz Taufer, Bernhard Rößner et Hanna Krabbe.

Ambassade d’Allemagne

Genscher à Stockholm

21 mai 1975 – Début du procès de Stammheim

Le procès d’Andreas Baader, Gudrun Ennslin, Jan-Carl Raspe et Ulrike Meinhof s’ouvre le 21 mai 1975 dans une annexe de la prison de Stuttgart-Stammheim construite pour l’occasion sur le budget de la Sûreté de l’Etat. C’est une forteresse de béton de 150 millions de marks gardée par des policiers de trois Länders. C’est au cours du même mois que le défenseur de Gudrun Ensslin déposera la première demande de récusation pour présomption légitime du juge Theodor Prinzing qui préside le tribunal. Elle sera suivie de 84 requêtes identiques. Au procès, les militants se positionnent en prisonniers de guerre et exigent que l’intégralité des actions contre les bases US soient considérées comme une partie de la guerre du Viêt-Nam. En août, les avocats réclament une expertise médicale, assurant que leurs clients sont incapables, en raison de leur état de santé, de suivre le débat. Le procureur lit alors l’acte d’accusation en l’absence des inculpés e de leurs défenseurs. Plus tard, les médecins estiment qu’ils ne peuvent suivre les débats que trois heures par jour. En septembre, les experts médicaux jugent les accusés inaptes à assister aux débats. Le tribunal décide alors que le procès peut se poursuivre en leur absence et la cour de justice fédérale le suit dans ses conclusions. Le travail des avocats est rendu impossible: la presse Springer reçoit des dossiers que les services du procureur refuse de communiquer aux défenseur; les dossiers sont caviardés et truqués; les défenseurs sont surveillés jour et nuit; leur courrier contrôlé et leur téléphone écouté. Les avocats subissent des sanctions disciplinaires de la part de leur Ordre parce qu’ils dénoncent les conditions de détention des prisonniers et le 23 juin, quatre d’entre eux sont perquisitionnés et deux (Klaus Croissant et Hans-Christian Ströbele) passent quelques semaines en prison.

Stammheim

Fin 1975-Début 1976 – Nouvelles lois répressives

Hiver 1975: le parlement approuve une loi qui subordonne l’appartenance à un parti, même légal, à la fidélité à la constitution: c’est la consécration définitive des Berufsverbote (interdiction de travail), de l’exclusion de la fonction publique de tous ceux qui ne donnent pas de preuves suffisantes de leur fidélité à la constitution. Etre soupçonné d’être militant du Parti Communiste (simplement toléré en R.F.A., il ne sera légalisé qu’en 81) bloque toute possibilité de devenir instituteur ou cheminot.

Janvier 1976: le parlement vote une nouvelle série de lois répressives, à caractère préventif.

9 mai 1976 – Assassinat d’Ulrike Meinhof

Le 9 mai 1976, les autorités annoncent qu’Ulrike Meinhof a été retrouvée ‘suicidée’ dans sa cellule. Ce suicide est totalement exclu par les militants de la RAF: Ulrike Meinhof a été tuée en raison de son importance au sein de la RAF. Peu avant, se sachant menacée, elle avait dit à sa soeur que si on lui annonçait sa mort, c’est que les autorités l’auraient assassinée. Les jours qui suivent ce meurtre sont marqués par des centaines d’actions de protestations dans le monde entier (actions armées en France, Australie, R.F.A., Italie, Grèce,…).

Ulrike Meinhof

Ulrike Meinhof: Débat sur la ‘position de classe’

Ulrike Meinhof sur la situation de la RFA

Ulrike Meinhof sur l’histoire de la RFA et de la gauche traditionnelle

Déclaration de Jan-Carl Raspe sur la mort d’Ulrike (lien1)

Déclaration de Jan-Carl Raspe sur la mort d’Ulrike (lien2)

Fin 1976-Début 1977 – Actions et réactions autour du procès

Le 29 mai 1976, la ‘loi anti-terreur’ est votée. Elle modifie la définition de ‘formation d’association terroriste’ et renforce le contrôle du courrier entre les prisonniers et les avocats.

Le 1er juin 1976, attentat contre le quartier général des forces américaines à Francfort (16 blessés). Le 10 juin 1976, l’avocat Langner défenseur de la militante de la RAF Margaret Schiller, fait l’objet d’un attentat fasciste (un mort et cinq blessés). Le 30 novembre, arrestation de Siegfried Haag et Roland Mayer.

En octobre, le procureur annonce son réquisitoire dans lequel il considère les inculpés comme des prisonniers de droit commun et réclame la réclusion à perpétuité pour chacun d’eux. En janvier 1977, la présidence du tribunal est retirée au juge Prinzing pour ‘comportement partial’. En mars, on apprend que les services secrets enregistraient toutes les conversations entre les avocats et les prisonniers de Stammheim. Le 8 février, Brigitte Monhaupt (photo) est libérée; elle rejoint la lutte peu de temps après et y jouera un rôle central.

Brigitte Monhaupt

30 mars 1977 – Nouvelle grève de la faim

Les prisonniers commencent une nouvelle grève de la faim le 30 mars 1977. Ils demandent leur regroupement par groupes de 15 à 20 personnes, selon une recommandation des médecins qui les ont observés. Ils demandent aussi des garanties minima sur les prisonniers de guerre.

7 avril 1977 – Action contre le procureur Buback

Le 7 avril 1977, le procureur Buback est exécuté à Karlsruhe par le commando Ulrike Meinhof de la RAF.

Buback

Communiqué du Commando Ulrike Meinhof

Début 1972 – Fin du procès et de la grève de la faim

Le 28 avril, Andreas Baader, Gudrun Ennslin et Jan-Carl Raspe sont condamnés à la détention à vie. Les prisonniers continuent la grève de la faim, mais le 30 avril, le ministre de la justice du Land de Bade-Wurtemberg promet le regroupement. La grève de la faim s’arrête sur un succès. Reste à transférer de nouveaux prisonniers à Stammheim, pour constituer des groupes capables ‘d’interactions sociales’ selon la formule des médecins.

3 mai 1977 – Nouvelle fusillade, nouvelles arrestations

Le 3 mai 1977, Gunter Sonnenberg et Verena Becker (revenue clandestinement du Yemen) sont arrêtés à Singen après un échange de coups de feu avec la police. Gunter Sonnenberg est dans le coma, une balle dans la tête. Ils sont accusés d’avoir participé à l’exécution du Buback. Verena Becker collaborera avec la police quelques temps après.

Le 1er juillet, la RAF attaque une armurerie à Francfort et récupère 18 pistolets et revolvers.

22 juin 1977 – Procès et grève de la faim des prisonniers de Stockholm

Le 22 juin 1977, Lutz Taufer, Kari-Heinz Dellwo, Bernd Rössner et Hanna Krabbe, qui ont été condamnés à la prison à vie pour l’attaque de l’ambassade à Stockholm, commencent une grève de la faim afin d’être transférés dans la même prison que les autres membres de la RAF, à Stuttgart-Stammheim, pour être regroupés avec eux. Verena Becker et Sabine Schmitz poursuivent également une grève de la faim depuis le 24 mai pour les mêmes raisons.

11 juillet 1977 – Début de ‘L’Affaire Croissant’

Le 11 juillet, Klaus Croissant, avocat d’Andreas Baader, persécuté par la police allemande, demande l’asile politique à la France.

Klaus Croissant

30 juillet 1977 – Action contre le banquier Ponto

Le 30 juillet 1977, Jurgen Ponto, président de la Dresdner Bank, est abattu à Bad Hombourg lors d’une tentative d’enlèvement par la RAF.

Action contre Jurgen Ponto

8 août 1977 – Rétablissement de l’isolement, nouvelle grève de la faim

A la suite d’une provocation des gardiens, une partie des prisonniers de Stammheim, qui avaient été amenés pour constituer des ‘groupes capables d’interactions sociales’ conformément aux promesses du ministre de la justice, sont transférés le 8 août dans d’autres prisons. L’isolement est rétabli. Les détenus de Stammheim entament une nouvelle grève de la faim qui est suivie par d’autres prisonniers.

25 août 1977 – Echec d’une action contre le procureur Rebman

Le 25 août, un attentat à la roquette de la RAF est déjoué contre les bureaux du procureur fédéral Rebman à Karlsruhe.

5 septembre 1977 – Enlèvement du ‘patron des patrons’ Schleyer

Le 5 septembre 1977, Hans Martin Schleyer est enlevé par le commando Siegfried Hausner de la RAF. Son chauffeur et ses gardes du corps sont tués dans l’embuscade. Hans Martin Schleyer, ‘patron des patrons’ c’est-à-dire chef des fédérations patronales allemandes, avait milité aux jeunesses hitlériennes et avait été pendant la guerre un responsable de la SS (il avait notamment supervisé le pillage de la Tchécoslovaquie). Après guerre, il avait fait partie du conseil de direction de Daimler-Benz.

L’Etat réagit frénétiquement: 1.200 perquisitions en deux jours, vérification des personnes payant l’électricité, contrôle des identités et des voitures, des camions, des personnes entre 20 et 35 ans sur Interpol, etc. Malgré le fait que l’Etat lui-même reconnaît que l’action n’a pas pu être commandité ‘de l’intérieur’, les contacts avec les prisonniers deviennent impossibles. La RAF propose d’échanger Schleyer contre les prisonniers.

Hans Martin Schleyer

22 septembre 1977 – Nouvelle fusillade, nouvelle arrestation

Le 22 septembre, à Utrecht, Knut Folkerts est arrêté après une fusillade avec la police néerlandaise. Il sera extradé vers la R.F.A.

31 septembre 1977 – Suite de ‘L’Affaire Croissant’

Le 31 septembre 1977, Klaus Croissant est arrêté à Paris. Il sera extradé vers la R.F.A.

13 octobre 1977 – Détournement d’un Boeing allemand par les Palestiniens

Le 13 octobre 1977, un avion de la Lufthansa est détourné de Palma de Majorque par le commando Martyr Halimeh de l’Organisation de Lutte contre l’Impérialisme Mondial, qui exige la libération des prisonniers de la RAF. C’est la première fois que des combattants du Tiers-Monde soutiennent directement les révolutionnaires de la métropole. La nuit du 17 au 18, les policiers d’élite allemands attaquent de l’avion qui s’était posé à Mogadiscio. Trois combattants palestiniens (des militants du FPLP) sont abattus, une quatrième, Souhaila Andrawes Sayeh, grièvement blessée.

Le Boeing 737

La fedayin survivante

17 octobre 1977 – Massacre des prisonniers de la RAF à Stammheim

La même nuit, Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Jan Carl Raspe, détenus en cellule d’isolement et faisant l’objet d’une surveillance de chaque instant, sont pendus ou abattus à coups de pistolet dans la nuque. Irmgard Möller en réchappe miraculeusement. Elle a été blessée de plusieurs coups de couteaux dans la poitrine. L’équipe du matin des surveillants la découvre baignant dans son sang, appelle un infirmier qui la sauve in extremis avec une transfusion. Elle pourra témoigner du massacre des prisonniers, mais le black out sera fait sur ce témoignage: officiellement, il s’agit de suicides concertés… Le 16 octobre, nouvelles attaques contre les d’avocats (perquisitions, arrestations). Le 19 octobre 1977, la RAF exécute Schleyer en représailles.

Andreas Baader et Gudrun Ensslin

Andreas Baader et Gudrun Ensslin

Jan-Carl Raspe

Irmgard Möller

Les funérailles à Stammheim

28 octobre 1977 – Nouvelle loi répressive

28 octobre 1977: nouvelle loi anti-terreur, qui définit ‘les causes politiques et spirituelles du terrorisme‘: l’attaque contre l’Etat, l’attaque contre la confiance du citoyen en l’Etat, attaque contre l’ordre des valeurs, critique sociale sans limite, marxisme, fausse analyse du passé…

Affiche de soutien

Fin 1977-Début 1978 – Débat dans le mouvement révolutionnaire allemand

Au cours de l’hiver 1977/1978, la définition d’une politique anti-impérialiste donne lieu à des débats dans la scène autonome anti-impérialiste (particulièrement forte à Hambourg et à Berlin). La bataille qui s’est soldée par l’assassinat des prisonniers de la RAF est vue comme un échec pour le mouvement révolutionnaire, mais le point positif consiste ‘en ce que la lutte des prisonniers et les actions de la guérilla a montré qu’ici en R.FA. il y a une résistance anti-impérialiste armée‘. Il ressort d’un document résultant de ces discussions qu’une nouvelle mobilisation s’est développée, et que celle-ci doit se concrétiser ‘dans la lutte de classe révolutionnaire pour le communisme’. Une nouvelle conscience s’est développée dans les avant-gardes combattantes, ‘la conscience de la maturité d’une nouvelle offensive de l’internationalisme prolétarien‘.

1978 – Nouvelle grève de la faim

Le 9 mars 1978, les prisonniers commencent une nouvelle grève de la faim.

Communiqué de grève de la faim

1978 – Nouvelles fusillades, nouvelles arrestations, mort de Willy Peter Stoll

Le 11 mai 1978, Stefan Wisniewski est arrêté à Orly, il sera extradé en R.F.A.. Le même jour, Brigitte Mohnhaupt, Peter-Jürgen Boock, Sieglinde Hofmann et Rolf Klemens Wagner sont arrêtés en Yougoslavie. Après six mois de détention, ils sont expulsés au Yémen. Le 6 septembre 1978, la police abat Willy-Peter Stoll à Düsseldorf. Stoll n’était pas armé. Le 15 septembre, Astrid Proll est arrêtée à Londres et extradée en R.F.A.. Le 24 septembre, des policiers surprennent trois militants de la RAF qui s’entraînent dans un bois près de Dortmund. Dans la fusillade, deux policiers sont tués, un autre blessé, et une militante (Angelika Speitel) est capturée. Le 1er novembre, fusillade au poste frontière germano-néerlandais, Rolf Heißler revenu clandestinement du Yémen pour reprendre la lutte dans la RAF, échappe à la police.

Willy-Peter Stoll

Début 1972 – Naissance des Revolutionäre Zellen

En 1978 survient une vague d’actions anti-impérialistes, principalement contre des installations militaires US. Les Cellules révolutionnaires (RZ) mènent de nombreuses actions contre l’industrie de l’armement et aéronautique, l’industrie nucléaire, l’industrie chimique et pharmaceutique, ainsi que le génie génétique. Entre 1978 et 1995, le groupe féministe révolutionnaire Rote Zora incendiera ou dynamitera 45 sex shops, laboratoires de recherche en génétique ou entreprises contribuant à l’oppression de la femme.

Logo RZ

Logo Rote Zora

Un communiqué des RZ

Un communiqué de Rote Zora

1979 – Nouvelles fusillades, nouvelles arrestations, mort d’Elisabeth von Dyck

La RAF exproprie avec succès deux banques en mars et avril 79. Le 4 mai, la police anti-terroriste attaque un appartement de la RAF à Nuremberg, Elisabeth von Dyck s’y trouve, sans arme et elle est abattue. Le 9 juin, Rolf Heißler tombe dans un piège de la police anti-terroriste qui lui met une balle dans la tête; il survit miraculeusement.

25 juin 1979 – Action contre le général Haig

Le 25 juin 79, le commando Andreas Baader de la RAF attaque à l’explosif, en Belgique, le général Alexander Haig, commandant en chef des forces armées de l’OTAN. L’action, qui manque de peu son but, marque le retour à l’offensive de la RAF.

Action contre le général Haig

1979-80 – Nouvelle fusillade, nouvelles arrestations

Le 19 novembre, la RAF exproprie une banque à Zurich. Dans la fusillade qui suit, la police tue une passante et arrête Rolf Klemens Wagner.

Le 5 mai 1980, arrestation à Paris de Sieglinde Hofmann et de quatre militantes du Mouvement du 2 Juin, elles seront toutes extradées vers la R.F.A.

2 juin 1980 – Dissolution du Mouvement du 2 Juin

Le 2 juin 80, une partie du Mouvement du 2 Juin se dissout pour continuer la lutte ‘dans la RAF, en tant que RAF‘ (une partie des prisonniers du Mouvement s’aligne sur cette décision et deviennent des prisonniers de la RAF comme Inge Viett, arrêtée le 2 mai 72, évadée en juillet 73 et reprise en septembre 75). Le communiqué de dissolution expose: ‘Le Mouvement du 2 juin s’est créé à l’encontre de la RAF, avec l’intention confuse de mener une ‘politique prolétarienne spontanée’. Nous avons considéré que la théorie révolutionnaire, l’analyse des conditions – seules à partir desquelles la stratégie et la tactique, la continuité et la perspective du combat, peuvent être développées – n’étaient pas importantes et nous avons ‘combattu à tort et à travers’ avec l’intention ‘d’enthousiasmer’ la jeunesse. Et c’est ainsi que nous avons déterminé notre pratique en nous posant la question: ‘qu’est-ce qui enthousiasme’, et non pas en nous posant la question de savoir où sont les véritables contradictions, les frictions dans la stratégie impérialiste que nous devons attaquer. Le mouvement était une soi-disant alternative à la RAF, en tant que possibilité pour ces camarades qui pensaient que le combat sans compromis était allé trop loin. Pendant 10 ans, cela a produit division, concurrence et désorientation dans la gauche et aussi parmi la guérilla, et cela a également ralenti notre propre processus révolutionnaire.‘ Le reste du Mouvement se disperse.

Communiqué de dissolution du Mouvement du 2 Juin

25 juillet 1980 – Mort de Juliane Plambeck et Wolfgang Beer

Le 25 juillet 80, deux militants de la RAF, Juliane Plambeck et Wolfgang Beer, perdent la vie dans un accident de voiture. En janvier 1981, Peter-Jürgen Boock est arrêté à Hambourg.

Début 1981 – Nouvelle grève de la faim, mort de Sigurd Debus

Le 2 février, 68 prisonniers détenus dans 16 prisons entament la huitième grève de la faim collective avec pour revendication le regroupement. Le 15 mars, des médecins ouest-allemands protestent contre l’isolement par une lettre ouverte, et le 16 avril 1981, Sigurd Debus, militant de la Résistance et qui avait rejoint la RAF en prison, meurt. Il était depuis le 19 mars nourri de force.

31 août 1981 – Action contre un QG de l’USAF à Ramstein

Le 31 août 1981, le commando Sigurd Debus de la RAF attaque le quartier général de l’US Air Force en Europe, à Ramstein. La RAF met en avant les mots d’ordre: ‘attaquer les centres, les bases et les stratèges de la machinerie militaire américaine’, ‘développer la résistance contre la destruction en front pour la révolution en Europe’, ‘Mener la lutte dans la métropole ensemble avec les révolutionnaires du Tiers-Monde‘.

15 septembre 1981 – Action contre le général Kroesen

Le 15 septembre, le commando Gudrun Ennslin de la RAF dresse une embuscade contre le général Kroesen, commandant des forces terrestres US en Europe (la voiture blindée du général résiste à l’impact de la roquette antichar!).

La Mercedes blindée de Kroesen

Mai 1982 – ‘Guérilla, résistance et front anti-impérialiste’

En mai 1982, la RAF rend public un document stratégique intitulé Guérilla, résistance et front anti-impérialiste. Définissant 1977 comme passage à une nouvelle étape, la RAF propose une nouvelle stratégie ‘de libération’ et la construction du front anti-impérialiste dans le centre impérialiste. Le système impérialiste, dit la RAF, est rendu instable suite à sa défaite au Viêt-Nam et l’Europe de l’Ouest est au coeur des contradictions Est-Ouest, Nord-Sud, état-société; signification de la lutte dans le centre pour la guerre de classe internationale. Ce document (qui propose aussi une analyse de la défaite de 1977) marque clairement l’abandon des catégories marxistes qui déterminaient les thèses fondatrices de la RAF. Le projet devient ouvertement subjectiviste’: on part de l’ensemble des luttes radicales contre le système (anti-guerre, anti-impérialiste, anti-patriarcale, squatts, etc.) plutôt que d’en dépasser les faiblesses; et plutôt que de dégager des axes stratégiques et de créer une véritable unité, on constitue un ‘front’ qui juxtapose les dynamiques existantes. Il n’y a plus de stratégie révolutionnaire mais une lutte contre les projets et les forces de l’ennemi (‘notre stratégie est d’être contre leur stratégie‘).

Cette pauvreté du discours de la RAF s’accompagne d’une véritable interaction avec un large mouvement de résistance anti-impérialiste, lui-même marqué par le subjectivisme. La RAF est en phase avec une nouvelle base sympathisante, active notamment dans l’aile radicale du vaste mouvement de lutte contre l’installation des missiles atomiques US Pershing en R.F.A. et, en règle générale, contre les projets de guerre visant l’URSS et qui transformeraient l’Europe centrale en champ de bataille. Le sommet de l’OTAN du 18 juin 1982 donne lieu à une grande manifestation de l’anti-impérialiste radical.

Guérilla, résistance et front anti-impérialiste

1982-1984 – Actions financières, logistiques et arrestations

Le 15 septembre, la RAF exproprie une banque à Bochum. Fin septembre, la police découvre le principal arsenal de la RAF, à Francfort. Elle y place une souricière qui permet d’arrêter, le 11 novembre 82, Brigitte Mohnhaupt et Adelheid Schulz. Le 16 novembre 1982, Christian Klar est arrêté ä Friedrichsruh.

Le 25 juin 1983 a lieu une grande manifestation anti-guerre et anti-impérialiste en R.F.A. à l’occasion de la venue du vice-président américain Georges Bush: 100.000 manifestants dont 1.500 autonomes affrontent la police.

Le 26 mars 84, la RAF exproprie une banque à Würzburg. Le 2 juillet, Helmut Pohl, Christa Eckes, Stefan Frey, Ingrid Jakobsmeier, Barbara Ernst et Ernst Volker sont arrêtés à Francfort.

Le 5 novembre 1984, la RAF exproprie une armurerie à Maxdorf et saisit 22 armes de poings (certaines seront retrouvées en décembre 85 lors de l’arrestation des militants des Cellules Communistes Combattantes).

Affiche de recherche (1983)

Décembre 1984 – Procès et grève de la faim

Le 4 décembre débute une nouvelle grève de la faim collective pour l’application de la convention de Genève. En décembre toujours, à l’occasion de leur procès, Christian Klar et Brigitte Monhaupt donnent une analyse de la bataille de 1977: en 76/77, la guérilla s’était reformée en liaison avec les luttes et les prisonniers. La ligne dure de l’Etat ouest-allemand en 77 résulte de deux facteurs. D’abord, l’Etat impérialiste optait pour des solutions militaires, depuis que la crise économique et la vague de luttes de libération dans le Tiers-Monde lui avaient fait perdre sa perte de marge de manoeuvre politique. Ensuite, la R.F.A. devait jouer un rôle dirigeant dans la constitution de Europe de l’Ouest comme base de guerre contre l’URSS et les mouvements de libération.

Le grève de la faim durera jusqu’à la mi-février.

Brigitte Monhaupt

Christian Klar

18 décembre 1984 – Echec de l’action contre l’Ecole de l’OTAN à Oberammergau

Le 18 décembre, une énorme charge d’explosifs (provenant du stock de 800 kg dérobé à Ecaussines, en Belgique, et également utilisé par les CCC) est désamorcée à la Shape School d’Oberammergau, école de formation des cadres militaires de l’OTAN. Le 15 janvier 85, les CCC attaquent une base de l’OTAN à la voiture piégée (deux soldats US blessés) et dédient cette dernière aux prisonniers de la RAF en grève de la faim.

En R.F.A., la Résistance anti-impérialiste ne cesse de se développer: il y a au milieu des années 80 plus d’un attentat par jour (par exemple l’incendie d’un bureau des services secrets US, le Military Intelligence Detachment-Bataillon le 29 décembre 1984, l’attaque à l’explosif d’une station émettrice de l’armée US à Heidelberg le 30 décembre, et d’innombrables petites actions comme l’incendie de véhicules militaires).

Janvier 1985 – Action contre Zimmerman, proposition de ‘Front de la guérilla ouest-européenne’ avec Action Directe

Le 25 janvier, le commando Elisabeth von Dyck d’Action Directe exécute le général Audran qui supervise la production et les ventes d’armes de l’Etat français et le 1er février 1985, le commando Patsy O’Hara de la RAF exécute Ernst Zimmerman, patron des patrons dans l’industrie aéronautique.

La RAF et le groupe français Action Directe publie un document commun: ‘Nous déclarons: il est aujourd’hui nécessaire et possible d’ouvrir dans les centres impérialistes une nouvelle phase du développement de la stratégie révolutionnaire authentique, et l’une des conditions à ce saut qualitatif est de créer l’organisation internationale du combat prolétarien dans les métropoles, son noyau politico-militaire: la guérilla ouest-européenne‘.

La proposition d’adhérer au ‘Front’ de la guérilla ouest-européenne’ est rejetée par le PCE(r) et les Groupes de Résistance Antifasciste du Premier Octobre (GRAPO) en Espagne ainsi que par les CCC en Belgique. Ces organisations sont basées sur les catégories du marxisme-léninisme, notamment en ce qui concerne l’analyse de classe et la nécessité d’un parti de classe. Pour elles, le devoir des révolutionnaires est de se lier au prolétariat de son pays et d’en unifier les avant-gardes sur une ligne révolutionnaire de classe. Or, le courant animé par la RAF appelait indistinctement toutes les forces d’opposition radicale ou révolutionnaire à s’articuler dans une dynamique plus ou moins commune. Il ne s’agissait donc pas de formaliser, renforcer et qualifier une unité reposant sur des caractères politiques (communauté du but et des objectifs, des principes et des méthodes, etc.) mais plutôt de se rassembler sans ligne ni projet (autre que celui de combattre le système) dans une ‘unité’ recouvrant en fait l’éclectisme social et politique justifié par l’’autodétermination des pôles de lutte‘ ou du ‘poids grandissant de la subjectivité‘.

Communiqué commun RAF-AD

Communiqué du Commando Patsy O’Hara

8 août 1985 – Action contre l’Air Base de Francfort

Le 3 juin, la RAF exproprie un transfert de fonds (butin: 157.000 Mark). Un convoyeur est blessé lors de l’opération.

Le 8 août 1985, le commando George Jackson RAF/Action Directe attaque l’Air Base qui est le plus grand aéroport militaire en dehors des USA: deux américains sont tués dans l’explosion qui fait pour plus d’un million de Mark de dégâts. Pour pénétrer dans le camp militaire, la RAF avait besoin d’un passe, et avait enlevé et abattu pour cela un simple sergent US, Edward Pimmental. En janvier 86, la RAF accepte les critiques venues du mouvement et déclare qu’il n’y avait pas de nécessité de tuer un simple soldat comme Pimmental, ‘parce qu’une telle action ne peut qu’être définie politiquement et stratégiquement et que le développement subjectif de la résistance ici et la situation objective n’y correspondent pas‘. Selon la RAF, il aurait été juste de tuer Edward Pimmental dans le Tiers-Monde, dans la résistance armée à une des multiples agressions des USA, mais erroné de tuer le même Edward Pimmental en Europe. Le fait qu’Edward Pimmental soit un lampiste ne doit pas masquer le glissement qui s’opère dans la conception de l’internationalisme de la RAF. La RAF n’est plus un détachement avancé de la grande armée des peuples en lutte contre l’impérialisme, qui porte la guerre des peuples dans les métropoles impérialistes. Elle se détermine en fonction de la société allemande, mais ce glissement s’accompagne d’une autre évolution: l’abandon du marxisme. Le recentrage ‘national’ de la RAF se produit au moment où la RAF a cessé d’analyser la société allemande en terme de classes et de lutte de classe, mais avec des catégories subjectivistes qui tournent vite en rond (il faut lutter avec ceux qui veulent lutter).

L’Air Base de Francfort

Janvier-février 1986 – Congrès anti-impérialiste de Francfort

Du 31 janvier au 4 février 1986 se tient le grand Congrès de la résistance anti-impérialiste et anticapitaliste en Europe de l’Ouest à Francfort. De 2.000 à 3.000 congressistes (parfois cagoulés), majoritairement des autonomes, des anti-impérialistes, des sympathisants de la RAF, mais aussi de nombreux délégués de presque tous les forces révolutionnaires européennes, débattent des perspectives du mouvement révolutionnaire sous la protection d’un service d’ordre efficace. Le Congrès de Francfort (dont la résolution finale appelait à combattre l’OTAN comme force d’agression vers l’extérieur et de contre-insurrection vers l’intérieur), et l’offensive politico-militaire qui suivit, peuvent être considérés comme le sommet du mouvement de résistance anti-impérialiste en Europe.

Interview de la RAF à la revue clandestine Zuzammen Kämpfen

9 juillet 1986 – Action contre Beckurts, arrestations

Le 9 juillet 1986, le commando Mara Cagol de la RAF exécute Beckurts, responsable de la recherche et des techniques chez Siemens et de la Commission de travail à l’énergie atomique de l’Union des industriels allemand.

L’action de la Résistance ne faiblit pas: le 8 septembre par exemple, le siège de la Sûreté de l’Etat est détruit par l’Unité Combattante Christos Tsoutsouvis (un militant grec à Athènes tué par la police en octobre 77 lors d’une action de protestation contre le massacre à Stammheim), et le 15 septembre, les immeubles où sont conçus des chasseurs de l’aviation militaire sont dynamités par l’Unité combattante Anna Maria Ludmann.

Le 2 août 1986, Eva Haule-Frimpong (militante de la RAF), Luitgard Hornstein et Christian Kluth (militants de la Résistance luttant avec la RAF dans le cadre du Front) sont arrêtés à Rüsselsheim.

Action contre Beckurts

10 octobre 1986 – Action contre von Braunmühl

Le 10 octobre, le directeur politique du ministère des affaires étrangères, von Braunmühl, est exécuté par le commando Ingrid Schubert de la RAF: ‘Notre attaque vise l’appareil d’Etat de R.F.A. agressif dans sa fonction d’Etat noyau de la formation politique de l’Europe de l’Ouest dans la stratégie de guerre impérialiste‘.

Le 16 novembre, le siège d’IBM est détruit par l’Unité combattante Hind Alameh, et le 19 décembre, l’Unité combattante Rolando Olalia attaque la première société spécialisée dans le crédit à haut taux d’intérêts aux pays sous-développés. Le 20 décembre a lieu une importante manifestation en défense de la Hafenstraße, grande rue de Hambourg dont les maisons sont occupées, sous le mot d’ordre ‘Un seul front’: regroupement des prisonniers; libération de Gunther Sonnenberg; la Hafenstrasse reste!‘. Le lendemain, l’Unité combattante Mustafa Aktas (Celal) attaque la Fondation Friedrich Ebert, une école de cadres pour la contre-insurrection — une des nombreuses actions de la Résistance.

Action contre von Braunmühl

Communiqué du Commando Ingrid Schubert

Début 1987 – AD démantellée, les RZ touchées par la répression

Le 21 février 1987, le démantèlement d’Action Directe a lieu en France. La même année, une première vague d’arrestations frappe les RZ. En 1986-87 les Cellules Révolutionnaires avaient mené des actions directes contre les différents rouages ou acteurs de cette politique en Allemagne: attentats contre les juges (blessés délibérément aux jambes) et les tribunaux condamnant les réfugiés, contre la police des étrangers et ses représentants, contre la police des frontières qui pourchasse les sans-papiers et contre le siège social de la Lufthansa qui procède aux expulsions…). Les RZ surmonteront cette vague d’arrestations et poursuivront la guérilla.

20 septembre 1981 – Echec de l’action contre Tietmeyer, communiqué commun avec les Brigades Rouges-PCC

Le 20 septembre 1988, à l’occasion d’une tentative d’exécution de Hans Tietmeyer, secrétaire d’Etat du ministère des finances, par son commando Khaled Aker, la RAF rend public un document commun avec les Brigades Rouges-PCC: ‘Le saut à la politique du front est possible et nécessaire pour les forces révolutionnaires, afin d’amener la confrontation à l’acuité adéquate. Pour cela, toutes les positions idéologiques-dogmatiques existantes encore à l’intérieur des forces combattantes et du mouvement révolutionnaire doivent être combattues et dépassées, parce qu’elles divisent les combattants, et parce que ces positions ne peuvent pas atteindre le niveau dont on a besoin pour amener les luttes et les attaques à leur acuité politique nécessaire. L’attaque unitaire des lignes stratégiques de la formation de l’Europe de l’Ouest ébranle le pouvoir impérialiste. Organiser la lutte armée en Europe de l’Ouest. Construire dans l’attaque l’unité des forces révolutionnaires combattantes: organiser le front. Lutter ensemble‘.

Communiqué commun RAF / BR-PCC

Février-mai 1989 – 10ème grève de la faim

Le 1er février 1989 commence la 10ème grève de la faim des prisonniers de la RAF pour le rassemblement en un ou deux groupes, pour la libération des prisonniers malades et pour la libre communication avec des groupes sociaux extérieurs. Le mouvement bénéficie d’un large soutien. Les squats de la Hafenstraße de Hambourg, qualifiés de base pour la RAF, sont attaqués par 1.000 policiers. La grève de la faim se termine le 12 mai.

30 novembre 1989 – Action contre Herrhausen

Le 30 novembre 89, le président de la Deutsche Bank, Alfred Herrhausen, est tué dans une embuscade à l’explosif contre sa voiture blindée par le commando Wolfgang Beer de la RAF.

Action contre Herrhausen

1989-1990 – Vague d’arrestations dans l’ex-RDA

Pendant des années, la R.D.A. avait accueilli d’anciens membres de la RAF qui avaient quitté la RAF soit pour des raisons idéologiques (divergences avec la nouvelle ligne de 1982), soit par volonté d’abandonner la pratique révolutionnaire. La R.D.A. leur avait fournit la possibilité de refaire leur vie (nouvelle identité, logement et emploi). En juin 90, l’annexion de la R.D.A. permet aux services spéciaux de la R.F.A. d’arrêter Suzanne Albrecht, Ralf Baptist Friedrich, Sigrid Sternebeck, Inge Viett, Werner Lotze, Christine Dümlein, Ekkehard von Seckendorff-Gudent, Monika Helbing, Silke Maier-Witt et Henning Beer. Les anciens de la RAF sont soumis au chantage: soit ils fournissent suffisamment d’informations pour charger les militants de la RAF, soit ils iront eux-mêmes en prison pour la vie. La majorité refuse, certains acceptent.

27 juillet 1990 – Echec de l’action contre Neusel

Le 27 juillet 90, Hans Neusel, expert en répression de soulèvement et secrétaire d’Etat du ministère de l’intérieur, est attaqué par le commando José Manuel Sevillano (prisonnier des GRAPO mort lors d’une grève de la faim) de la RAF. Neusel (qui en réchappe) était l’un des membres les plus dynamiques dans les rencontres du TREVI, organe de coordination internationale contre le terrorisme. Dans le communiqué, la RAF explique que ‘l’impérialisme a gagné la guerre froide‘, que la chute ‘du bloc socialiste et ainsi de sa fonction historique pour le processus de libération des trois continents a conduit à une nouvelle stabilisation du bloc formé par le pouvoir impérialiste‘.

Communiqué du Commando José Manuel Sevillano

13 février 1991 – Action contre l’ambassade américaine

Le 13 février 91, le commando Ciro Rizatto de la RAF attaque à la mitrailleuse lourde l’ambassade US à Bonn, ‘parce que les USA ont pris dès le départ dans la guerre de destruction contre le peuple irakien le rôle de conducteur‘.

15 septembre 1991 – Action contre Rohwedder

Le 1er avril 1991, Detlev Rohwedder, chef de la ‘Treuhand’ (l’organe de privatisation et de ‘dégraissage’ des entreprises de l’ex-R.D.A.), est exécuté par le commando Ulrich Wessel de la RAF qui affirme la nécessité d’opposer au ‘saut de la bête impérialiste le propre saut révolutionnaire’: ‘Qui ne combat pas meurt à petit feu, la liberté n’est possible que dans la lutte pour la libération‘.

10 avril 1992 – Premier pas vers la liquidation

Mais la chute du bloc socialiste et la fin de la vague des mouvements de libération nationale progressistes dans le Tiers-Monde pose un problème fondamental à la RAF. Comme elle a abandonné les catégories marxistes qui fondent la légitimité et la nécessité d’un combat révolutionnaire sur base des contradictions de classe, elle peine à trouver un fondement et un projet stratégique. Le 5 janvier 92, le responsable du parti libéral (FDP) Kinkel fait une ouverture pour une ‘solution négociée’. Le 10 avril, la RAF annonce qu’elle arrête l’escalade militaire contre l’état, et qu’elle cessera d’attaquer des responsables de l’économie ou de la politique. La raison annoncée par la RAF est que l’ouverture d’un débat sur les perspectives est nécessaire, et que l’escalade militaire n’aurait dans ce cadre que peu de sens. Les réactions à cette annonce sont négatives chez les autres forces de guérilla révolutionnaire. Elles s’expriment dans plusieurs documents: Une perspective révolutionnaire en Europe du collectif ‘Wotta Sitta’ des prisonniers des BR, Liquidation ou redéfinition? du PCE(r), Une déclaration injustifiable des prisonniers des CCC. Ces critiques remarquent surtout ce qui est annoncé ‘en creux’ dans le texte: l’abandon de la lutte armée et du projet révolutionnaire au profit d’une vague pratique ‘produisant’ du lien social. Le document de 82 montrait qu’avec l’abandon ouvert des catégories marxistes, la RAF cherchait à fusionner avec le courant ‘alternatif’. En 1982, la chose devait se faire en liquidant le courant (la RAF écrivait ‘il ne s’agit plus de ‘changer le système’, de ‘modèles alternatifs’ à l’intérieur de l’État, tout cela est devenu complètement grotesque‘). Dix ans plus tard, c’est par la liquidation de leur organisation que les militants de la RAF imaginent cette fusion.

Août 1992 – ‘Nous devons trouver du neuf’, second pas vers la liquidation

En août 92, nouveau texte de la RAF, Nous devons trouver du neuf: ‘Aujourd’hui beaucoup ont peur de l’existence, la destruction du social dans la société en est arrivée à une nouvelle dimension, l’explosion de l’autodestruction, de la violence des gens entre eux/elles. Du manque d’espoir et de l’absence de perspective pour en arriver à des changements positifs, de plus en plus de gens se réfugient dans l’alcool et la drogue, et les taux de suicides augmentent. La frustration, la peur et l’agression se dirigent vers soi-même ou vers d’autres qui sont encore plus bas dans la hiérarchie sociale. Ce sont les nazis contre les gens d’autres couleurs, d’autres nationalités, les homosexuels et les lesbiennes, l’accroissement de la violence contre les femmes, les enfants et les personnes âgées. Les campagnes médiatiques contre les réfugié/e/s et le matraquage des antifascistes dans les rues montrent clairement les intérêts de l’Etat et du Capital à canaliser les mécontentements croissants dans une mobilisation raciste et réactionnaire. A rencontre de cela il est difficile de cerner la possibilité de développer et d’imposer des réponses ayant du sens, et justes, dans la construction de liens solidaires et d’auto-organisation par en bas, partant de la réalité de la vie quotidienne des gens. (…) [la] destruction du social est une des bases essentielles pour le pouvoir et la continuation du système capitaliste. Un contre-pouvoir n’existera que s’il propose une alternative à la normalité des dominants dans cette société et au système. Cela signifie essentiellement: opposer une organisation à la destruction du social, l’aliénation et le chacun pour soi, et en arriver à des espaces sociaux où la solidarité soit vaste et d’où beaucoup prennent en main la responsabilité de développements sociaux – ce que nous appelons processus d’appropriation sociale. De cela vient une force d’attraction, car la lutte pour le social entre les gens est l’alternative sensible à la solitude dans le système, aux fascistes‘. Et de conclure: ‘La voie de la libération passe par le processus d’appropriation sociale, qui deviendra une partie de la nouvelle lutte internationale pour le bouleversement‘.

Les réactions à ce texte sont négatives de la part des forces et prisonniers de la guérilla en Europe.

Nous devons trouver du neuf (extraits principaux)

Collectif des prisonniers des CCC: ‘Une déclaration injustifiable’

1992-1993 – Fondation et démantellement de l’AIZ

En Allemagne apparaît une nouvelle organisation, les Cellules anti-impérialistes (AIZ), qui ne critiquent pas (encore) les nouveaux choix de la RAF mais qui réaffirme la nécessité de la lutte armée pour la lutte anti-impérialiste. Les AIZ affirmeront par la suite que la thèse de la RAF n’est pas suivie et prennent la responsabilité d’assurer la continuité de la politique menée par la RAF de 1972 (libération d’Andreas Baader) à 1991 (mitraillage de l’ambassade US). En fait, les AIZ reprennent la ligne de 1982 (frontisme anti-impérialisme) plutôt que celle de 1972 (anti-impérialisme comme dimension stratégique de la lutte de classe). Elles poussent même le frontisme anti-impérialisme (qui définit l’unité non par le projet social mais par l’ennemi commun: l’impérialisme) jusqu’à trouver un caractère révolutionnaire au mouvement islamique. Cette dérive idéologique isolera les AIZ aussi bien du côté marxiste que du côté subjectiviste (à commencer, bien entendu, par les forces autocentrée sur la lutte anti-patriarcale). Une vague d’arrestations démantèlera les AIZ après quelques actions (contre le siège de l’association patronale de la métallurgie en novembre 93 et celui de la CDU en juin 94).

Un communiqué de l’AIZ

30 mars 1993 – Action contre la superprison de Weitestadt

Le 30 mars 1993, le commando Katharina Hammerschmidt de la RAF fait sauter la superprison en construction de Weiterstadt avec plus de 500 kilos d’explosifs. Une partie des prisonniers de la RAF critique cette action ‘apolitique’ qui ne vise qu’à faire pression pour que les prisonniers soient libérés en échange de l’abandon de la lutte armée.

Action contre la superprison de Weitestadt

Communiqué du Commando Katharina Hammerschmidt

27 juin 1993 – Fusillade à Bad Kleinen, mort de Wolfgang Grams

Un agent parvient à s’infiltrer parmi les sympathisants proches la RAF. Il est à l’origine de l’arrestation à Bad Kleinen de Brigitte Hogefeld, et du meurtre de Wolfgang Grams. Celui-ci avait tué un policier dans la fusillade et avait lui-même été blessé. Gisant à terre, blessé, menotté et désormais sans arme, il est exécuté d’une balle dans la tête.

Wolfgang Grams

Novembre 1993 – Positionnement et grève de la faim des prisonniers

En novembre 1993, la majorité des prisonniers de la RAF critique la RAF (et quelques prisonniers) pour sa tentative de deal avec l’Etat. L’avocat Ströbele aurait discuté avec le chancelier Kohl, et avec des patrons pour que ceux-ci fassent pression en faveur d’un accord politique (arrêt de la lutte armée et libération des prisonniers). La RAF écrit en mars 1994 dans un communiqué qu’il n’a jamais été question de faire un deal avec qui que ce soit, que seul le rapport de force peut libérer les prisonniers. Elle développe à nouveau le thème des ‘contre-pouvoirs sociaux’

Communiqué de la RAF de 1994

20 avril 1998 – La liquidation

Le 20 avril 1998, la RAF rend public un texte daté de mars et intitulé: Pourquoi nous arrêtons. C’est le point final de la dérive subjectiviste: au lieu de revenir à la position d’avant-garde de la lu tte révolutionnaire qui était la sienne en 72, la RAF se dissout dans le courant alternatif. Des conceptions frontistes énoncées par la RAF en 1982 à la proclamation du ‘Front de la guérilla ouest-européenne’ en 1985 pour aboutir au ‘contre-pouvoir à la base’ en 1989, le subjectivisme, qui s’était exprimé d’abord dans le militarisme, sombre dans l’opportunisme et la capitulation.

Pourquoi nous arrêtons

Lettre de Rolf-Clemens Wagner sur la liquidation

15 septembre 1999 – Mort d’Horst-Ludwig Meyer et dernières arrestations

Le 20 juillet 1999, la police trouve des empreintes ADN de militants de la RAF arrêtés sur un lance roquette qui a servi à une attaque de transport de fonds (butin: un million de Mark). Le 15 septembre 1999, Horst-Ludwig Meyer est tué à Vienne dans une fusillade avec les policiers qui viennent l’arrêter. Andrea Klump est aussi arrêtée; elle collaborera avec la police peu après.

Horst-Ludwig Meyer abattu par la police autrichienne

La Résistance subira en général un grand recul à la fin des années 90. Fin 1999, trois vagues d’arrestations démantèlent les RZ qui auront revendiqué plus de 140 actions armées. La lutte armée n’a cependant jamais cessé en R.F.A., elle prend actuellement la forme d’une guérilla diffuse qui s’exprime par des dizaines de petites actions (incendies de sièges d’entreprises d’administration de voitures de fonction, etc.) menées par de petites organisations comme le groupe Klasse gegen Klasse, l’Autonome Miliz, la Militante Antimilitaristische Initiative, et le Militante Gruppe.

6 juin 2015 – Nouvel avis de recherches

Le 6 juin 2015, suite à une attaque manquée contre un fourgon blindé dans la banlieue de Brême, le parquet de Verden affirme avoir relevé l’ADN de trois membres toujours recherchés de la RAF: Daniela Klette, Ernst-Volker Wilhem Staub, et Burkhard Garweg. Ils étaient déjà recherchés leur participation supposée à l’attaque contre le prison de Weiterstadt et contre le transport de fonds le 30 juillet 1999.

27 févier 2024

Arrestation de Daniela Klette à Berlin.

17 octobre 1977-… – Ne rien oublier! Ne rien pardonner!

Sur la tombe

Le mardi 7 juillet 2009, une délégation de notre Secours Rouge/APAPC a été déposer fleurs, drapeau et cigarette sur la tombe des camarades assassinés à Stammheim.

La mort de Benno Ohnesorg
Rudi Dutschke
Incendie à Francfort
Manifestation contre Springer
Procès à Francfort
Au camp du FPLP
Affiche de recherche
Jaquette du livre 'Conception de la guérilla urbaine
Petra Schelm
Affiche militante
Action contre une base de l'armée à Francfort
Action à Münich contre la police et la justice
Campagne de presse contre la RAF
Arrestation de Baader
Action palestinienne à Münich
Ulrike Meinhof
Affiche de solidarité
Affiche pour le procès
Holger Meins
Cadavre de Holger Meins
Affiche pour Holger Meins
La prison de Stammheim
Symbole du Mouvement du 2 Juin
Ambassade d'Allemagne
Genscher à Stockholm
Stammheim
Ulrike Meinhof
Brigitte Monhaupt
Buback
Klaus Croissant
Action contre Jurgen Ponto
Hans Martin Schleyer
Le Boeing 737
La fedayin survivante
Andreas Baader et Gudrun Ensslin
Andreas Baader et Gudrun Ensslin
Jan-Carl Raspe
Irmgard Möller
Les funérailles à Stammheim
Affiche de soutien
Willy-Peter Stoll
Logo RZ
Logo Rote Zora
Action contre le général Haig
La Mercedes blindée de Kroesen
Affiche de recherche (1983)
Brigitte Monhaupt
Christian Klar
L'Air Base de Francfort
Action contre Beckurts
Action contre von Braunmühl
Action contre Herrhausen
Action contre la superprison de Weitestadt
Wolfgang Grams
Horst-Ludwig Meyer abattu par la police autrichienne
Sur la tombe

Notre film

Décembre 1922 – Fondation du MOPR en Russie soviétique

Premier logo du SRI

C’est le 29 décembre 1922 que la Société des vieux bolcheviks, lors d’une de ses sessions, lance l’idée d’une association russe ‘d’aide et de solidarité internationale aux combattants de la Révolution’ (MOPR); celle-ci reçoit le nom de Secours rouge. Très vite, l’idée est reprise par l’Internationale Communiste et le Secours Rouge s’adjoint de nombreuses sections nationales. Lors de sa première conférence, le Secours Rouge définit ses buts: ‘La conférence souligne particulièrement la signification politique du S.R.I. comme un des leviers les plus importants du front unique pour attirer les larges masses des travailleurs et des paysans sans distinction de parti à la solidarité avec les combattants révolutionnaires emprisonnés.’ L’organisation se veut donc la plus large possible mais se dote d’une structure très centralisée: le congrès des associations nationales membres, réuni au moins tous les deux ans, élit un Comité Exécutif siégeant deux fois par an; ce dernier choisit en son sein un Présidium de neuf membres.

Affiche du SRI

Affiche du MOPR

1922-1924 – Julian Marchlewski, premier président du SRI

Julian Marchlewski était un des co-fondateurs, en 1893, avec Rosa Luxembourg du Parti social-démocrate de Pologne qui est dissout deux ans plus tard à la suite d’arrestations massives. Il prend part en Pologne à la révolution de 1905. Il rejoint le parti bolchevique, émigre en Allemagne où il est co-fondateur de la Ligue Spartakus et participe à la lutte révolutionnaire en Allemagne. Il est arrêté et plus tard échangé avec la Russie soviétique contre un espion allemand. En 1920, il dirige le Comité révolutionnaire polonais provisoire qui voulait proclamer la République socialiste soviétique polonaise, et qui est dissout après la contre-offensive des armées blanches et la victoire de la réaction en Pologne. Il sera le premier président du Comité Central du SRI jusqu’à sa mort, survenue en 1925.

Julian Marchlewski

Affiche pour le cinquième anniversaire du MOPR/SRI

Septembre 1924 – Le SRI compte déjà 19 sections nationales

En septembre 1924, le SRI tient sa première Conférence internationale. Il réunit à ce moment 19 sections nationales, à savoir:

-Allemagne: Rote Hilfe Deutschlands
-Autriche: Osterreichische Rote Hilfe
-Bulgarie: Organisation für die Unterstützung für die Opfer der kapitalistischen Diktatur
-Espagne: Socorro Rojo Internacional
-France: Secours Rouge International
-Grande-Bretagne: International Class War Prisoners Aid
-Mexique: Liga Pro Luchadores Perseguidos
-Norvège: Norges Roede Hjelp
-Pays-Bas: Rode Hulp Holland
-Pologne: Kommission für die Unterstützung von politischen Gefangenen
-Suède: Internationella röda hjälpen – svenska sektionen
-Union soviétique: Internationale rote Hilfe fûr die Kämpfer der Revolution
-USA: International Labor Defense

Bulletin du SRI

Carte postale de la section britannique du SRI

1921-1922 – SRI et SOI

Le Secours Ouvrier International est créé en 1921, un an avant le SRI. Son fondateur est Willy Münzenberg, proche de Lénine, futur député du parti communiste d’Allemagne, très lié aux milieux de l’avant-garde artistique. C’est l’époque du vote du Komintern en faveur de la politique de front unique, entraînant le développement d’organisations de masse. 1921, c’est aussi l’époque de la grande famine en URSS. Le 13 juillet, Maxime Gorki lance un appel international pour que l’on vienne en aide aux affamés. De retour d’un voyage dans ce pays, l’Allemand Münzenberg crée l’Internationale Arbeitershilfe (IAH, SOI en français) rassemblant de nombreuses organisations de gauche et des personnalités du monde entier, comme Albert Einstein, Anatole France, Henri Barbusse. Bientôt partiront du monde entier des bateaux de vivres, sous les auspices du SOI. Le SOI devient tellement puissant qu’il installe toutes sortes d’usines en URSS, bâtit des immeubles, répare les anciens.

Dans un second temps, le SOI devient l’organisation d’entraide internationale du prolétariat en lutte. Le SOI organise des collectes pour soutenir les grévistes, accueille les enfants des grévistes, etc. Les enfants des grévistes du Borinage seront ainsi recueilli par des familles ouvrières françaises et allemandes la durée de la grève.

Willi Münzenberg

Carnet du SOI

Solidarité du SOI

Ecouter Ernst Buch qui chante la marche du SOI

Mai 1923 – Fondation de la section française du SRI

En France, L’Humanité annonce le 5 mai 1923 la fondation d’un « Comité de Secours rouge ». Constitué à l’initiative du Parti communiste et de la CGTU, il résulte de la fusion du Comité de secours aux réfugiés étrangers et du Comité pour les victimes du fascisme italien, nés quelques mois plus tôt. Il fonctionne d’abord sur le principe des adhésions collectives d’organisations, jusqu’à son premier congrès constitutif en mai 1925. La section française du SRI est ensuite réorganisée sur la base des adhésions individuelles, dont le nombre dépasse les 40 000 à la fin des années 1920.

Direction de la section française du SRI en 1926: de gauche à droite, assis] Marty, Daniel Renoult, Cadeau, [et debout] Cordier, Rocher, Wallet, Geny, Michel

Affiche en arabe du SR de France: « Ne nous oubliez pas ! »

Mai 1923 – Fondation de la section suisse du SRI

C’est Willi Trostel, un des fondateurs du Parti Communiste de Suisse, qui, de 1923 à 1939, assuma la direction du Secours rouge suisse en qualité de permanent du Secours rouge international. Trostel servait d’homme de liaison avec le centre. Il voyageait beaucoup pour le Secours rouge international (URSS, Allemagne, France, Autriche, Belgique, Hollande, Espagne, Tchécoslovaquie, Danemark, Suède et Norvège), transportant plusieurs fois de grosses sommes d’argent. Il était en contact avec tous ceux qui revenaient de Moscou. En outre, il était rédacteur de l’organe international du Secours rouge international, membre de son comité exécutif et co-responsable de la maison d’édition « MOPR » à Zurich. Au début des années 1930, il participait aux Plénums du comité central du Parti Communiste de Suisse en tant que secrétaire du Secours rouge, il fut élu à cette instance, en 1936. Il assista au VIIe congrès mondial du Komintern. Il succomba à une crise cardiaque durant la guerre.

1924-1933 – Clara Zetkin, présidente du SRI

A la mort de Julian Marchlewski, c’est la grande dirigeante communiste féministe allemande Clara Zetkin qui assume la présidence du SRI. Née en 1857, elle fréquente dès le milieu des années 1870 les mouvements féministes et adhère au parti socialiste. Après l’interdiction du parti par Bismarck en 1870, elle s’exile à Zurich. A Paris, elle participe activement à la fondation de la Deuxième Internationale où elle réclame l’égalité complète des droits professionnels et sociaux de la femme ainsi que sa participation active à la lutte des classes. De retour en Allemagne après l’abrogation des lois anti-socialistes, elle développe le mouvement féminin socialiste et milite sans relâche pour les droits des femmes. En 1907, lors de la première conférence internationale des femmes socialistes, Clara Zetkin est désignée à la présidence du secrétariat international des femmes socialistes à Stuttgart. Le 8 mars 1910, lors de la 2e Conférence internationale des femmes socialistes à Copenhague, elle propose la création d’une ‘journée de manifestation annuelle afin de militer pour le droit de vote, l’égalité entre les sexes, et le socialisme’. Cette initiative est à l’origine de la Journée Internationale des Femmes qui se déroule tous les ans le 8 mars. Elle participe à l’aile gauche du parti social-démocrate allemand et devient très proche de Rose Luxemburg. Opposante à la première guerre mondiale, elle participe avec Rosa Luxemburg à la création en 1915 de la Ligue Spartakiste et elle mène de nombreuses actions pacifistes, et organise notamment une conférence internationale pacifiste des femmes socialistes en 1915 à Berlin, ce qui lui vaudra d’être arrêtée à plusieurs reprises. La révolution allemande de novembre 1918 permet au mouvement féministe d’obtenir le droit pour les femmes de voter et d’être élues. Clara Zetkin adhère au Parti communiste d’Allemagne. Elle est ensuite députée du KPD de 1920 à 1933. Elle sera membre de la direction du KPD et de l’International communiste. En août 1932, présidant le Reichstag en tant que doyenne, elle appellera à combattre le nazisme. Contrainte à l’exil après l’arrivée des nazis au pouvoir et l’interdiction du Parti Communiste d’allemagne (KPD), elle meurt quelques semaines plus tard à Moscou.

Clara Zetkin

Voir notre dossier sur Clara Zetkin

Mai 1925 – Fondation de la section belge du SRI

Son président en est depuis mai 1925 l’écrivain Charles Plisnier (membre du PCB depuis 1921) qui, outre à titre de dirigeant du SRI, participe à de nombreux congrès, voyage dans toute l’Europe comme émissaire de l’Internationale des Jeunesses Communistes, échappe de justesse à la terreur blanche qui sévit dans les Balkans, est nommé commissaire politique lors de l’insurrection soviétique de la Ruhr, participe au Congrès de Moscou et est élu au Présidium juridique international.

Charles Plisnier

1926-1927 – La campagne pour Sacco et Vanzetti

Sacco et Vanzetti

Les années 1919-1920 sont des années de crise aux Etats-Unis. En 1919, on recense 4,1 millions de grévistes qui réclament de meilleurs salaires et une réduction du temps de travail. Les grèves dégénèrent en violence et donnent lieu à des affrontements dans plusieurs grandes villes, comme à Boston. L’année 1920 est marquée par de nombreux attentats anarchistes: les responsables politiques sont touchés, comme le maire de Seattle ou celui de Cleveland, chez lequel une bombe explose. Les bureaux de la banque Morgan à Wall Street sont soufflés par un attentat qui fait 38 morts et 200 blessés. Les autorités prennent des mesures de répression contre les anarchistes mais aussi contre les communistes et les socialistes américains. Certains sont emprisonnés, d’autres contraints de s’exiler.

Le 5 mai 1920, deux anarchistes italiens, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti sont arrêtés; ils sont soupçonnés d’avoir commis deux braquages (le 24 décembre 1919 à Bridgewater et le 15 avril 1920 à South Braintree où deux convoyeurs sont tués). Le 16 août 1920, Vanzetti seul est condamné pour le premier braquage à 15 ans de prison. Le second procès qui se clôt le 14 juillet 1921 les condamne tous les deux à la peine capitale pour les crimes de South Braintree, malgré le manque de preuves formelles. Des comités de défense et le Secours Rouge y joue un rôle de premier plan. Le 12 mai 1926, leur condamnation à mort est confirmée. Le 26 mai, un bandit dénommé Madeiros avoue de sa prison être l’auteur du braquage de South Braintree, mais le juge refuse d’en tenir compte. Malgré une mobilisation internationale intense et le report à plusieurs reprises de l’exécution, Sacco, Vanzetti et Madeiros passent sur la chaise électrique dans la nuit du 22 au 23 août 1927, suscitant une immense réprobation. Le 23 août 1977, exactement 50 ans après, le gouverneur du Massachusetts absout les deux hommes.

Manifestation pour Sacco et Vanzetti

30 mai 1927: Manifestation à Bruxelles du Secours Rouge pour Sacco et Vanzetti

Les banderoles du Secours Rouge pour la manifestation du 30 mai 1927 à Bruxelles

Notre dossier sur l’affaire Sacco et Vanzetti

Documentaire sur l’affaire: Première partieDeuxième partieTroisième partieQuatrième partie

1925-1929: Répression du Secours rouge en France

En France, le Secours rouge doit répondre aux offensives judiciaires visant le Parti communiste qui se multiplient tout au long des années 1920. Ainsi, lors de la campagne contre la guerre du Rif au Maroc, en 1925-1926, des centaines de militants sont arrêtés et condamnés. Le 22 avril 1927, dans un discours à Constantine, le ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut, proclame « le communisme, voilà l’ennemi ! », auquel Paul Vaillant-Couturier répond le lendemain dans L’Humanité, un brin provocateur : « oui, c’est nous l’ennemi ! ». L’escalade répressive engagée par les autorités, renforcée par la radicalisation du discours communiste et l’adoption par le PC de la stratégie dite de « classe contre classe », culmine à l’approche de la « journée rouge » contre la guerre, le 1er août 1929, avec l’inculpation de centaines de militants et l’ouverture d’une information pour complot contre la sûreté de l’État.

Tract du SR après la « journée rouge » du 1er août 1929

Avril-juillet 1928 – La crise avec la fraction trotskiste en Belgique

En 1928, Plisnier et quelques membres de la section belge du SRI (dont le secrétaire général Guyomard) s’alignent sur Trotsky, en opposition à la direction collective Staline-Zinoniev-Kamenev (la ‘troïka’). La fraction, qui contrôle le Comité Central, essaie d’entraîner la section belge du SRI dans la voie d’un conflit avec l’Internationale Communiste. La direction internationale (le Comité Exécutif et le Présidium) du SRI prononça la dissolution du Comité Central belge au motif qu’il aurait violé la plate-forme du SRI, tandis qu’au sein de la section belge, la lutte de lignes est acharnée (les fédérations bruxelloise et liégeoise rejetèrent ouvertement la ligne du Comité Central contrôlé par les trotskistes et cessent de lui remettre les cotisations). La crise se solda par l’exclusion des trotskistes, et principalement de Plisnier. Celui-ci continuera un temps son engagement trotskiste, puis renoncera très vite à toute activité politique pour se consacrer à la littérature (prix Goncourt 1937 pour Faux passeport, roman basé sur son expérience d’émissaire de l’Internationale Communiste).

Brochure trotskiste

Décembre 1928 – Pierre Vermeylen, président de la section belge du SRI

Après l’exclusion de Plisnier, c’est le brillant avocat Pierre Vermeylen qui prend la direction de la section belge du SRI. Pierre Vermeylen avait été membre des Jeunesses Communistes puis du Parti Communiste. Il démissionna du Parti Communiste en 1930, en raison de plusieurs désaccords politiques, sans pour autant renoncer à son engagement dans le Secours Rouge. Sous sa présidence le Secours Rouge connaîtra en Belgique un grand développement.

Pierre Vermeylen était alors entouré d’une remarquable équipe d’avocats qui s’engagera dans la Résistance et sera décimée par la Gestapo: Maurice-Robert Beublet (décapité à la hache à Berlin), l’avocat Jean Bastien (mort au camp de concentration de Sachsenhausen) ou Robert Lejour (qui lui succédera à la tête du SR et qui sera abattu par ses geôliers à la prison de Liège). D’autres survécurent comme l’avocat cinéphile Jean Fonteyne (futur sénateur communiste entre 46-49), comme Albert Van Ommeslaghe (qui sera également sénateur du PCB après-guerre), Luc Peereboom (futur juge de paix), Georges Van Steenbeek, Israël Joudanine, Jacques Cyprès, et quelques autres.

Plaidoirie de Pierre Vermeylen

Meeting à Bruxelles en 1930

1932: Jean Chaintron, secrétaire général du Secours Rouge en France

Membre actif de la section lyonnaise du Secours rouge, Jean Chaintron adhére au Parti communiste fin 1931, à la cellule de la Croix Rousse. Il devient permanent du SRI à Paris, un membre de son Comité central puis de son secrétariat et le directeur de son hebdomadaire La Défense (1932-1934). Fondateur du Parti communiste algérien (PCA) en octobre 1936, Jean Chaintron sera aussi commissaire politique des Brigades internationales pendant la Guerre civile espagnole, où l’un de ses frères a trouvé la mort. Grand résistant, il fut l’un des deux seuls préfets communistes nommés par le général de Gaulle en 1945.

Jean Chaintron

Juin-juillet 1932 – La grande grève des mineurs en Belgique

La crise économique touche durement les charbonnages et le patronat en fait peser le poids sur les mineurs qui vivent déjà dans une misère noire. Le chômage touche un ouvrier sur cinq à une époque où l’assurance chômage n’est pas universelle et où les conditions d’attributions viennent encore d’être réduites. De nouvelles baisses de salaires sont décidées alors que, les mois précédents, les salaires avaient déjà chuté de 30%! Le 28 juin, la grève éclate au Borinage, elle s’étend dans le Centre. Le 7 juillet, il y a 30.000 grévistes au Borinage et 15.000 dans le Centre et à Charleroi. Les puissantes organisations socialistes n’interviennent pas; seuls le Parti Communiste, le Secours Rouge et, surtout, le Secours Ouvrier International organisent la solidarité. La répression policière et patronale est terrible: manifestants tués, familles grévistes expulsées de leur maison, etc., et cela dans le black-out médiatique. A Roux, le bourgmestre socialiste décrète l’interdiction de rassemblement. Les femmes prennent alors la tête des manifestations, afin de tempérer quelque peu la répression, en brandissant banderoles et calicots sur lesquels on peut lire ‘Non à la crise’, ‘Plutôt la mort que la faim pour nos enfants’, obtenant des travailleurs des autres secteurs qu’ils se joignent à la grève. Les dirigeants socialistes et les syndicats réformistes dénoncent les travailleurs révolutionnaires à la police. L’Etat de siège est proclamé à Mons, Charleroi et Liège, les rassemblements de plus de 5 personnes étaient interdits en rue. La grève prend un caractère insurrectionnel: des barricades sont construites, le château d’un directeur de charbonnage est incendié. Le gouvernement fait intervenir l’armée qui doit protéger non seulement les charbonnages mais aussi les Maisons du Peuple contre les grévistes rendus furieux par la trahison des socialistes. Les enfants des familles grévistes sont accueillis dans des familles ouvrières allemandes et françaises membres du SOI. Voyant le prolétariat dénoncer sa politique de plus en plus largement, les centrales socialistes tentent de reprendre le contrôle. Elles décrètent une grève, obtient des avantages mineurs et organise la fin du mouvement.

Manifestation à Roux

9 juillet: notre SR fleurit le monument Tayenne au cimetière de Marchienne

Juillet 1932 – Le gouvernement belge interdit le Secours Rouge

Alors que la grève des mineurs prend un caractère insurrectionnel, le gouvernement tente de proscrire les seules forces qui soutiennent les mineurs. Il fait poursuivre le Parti Communiste pour ‘complot’. Il fait arrêter les principaux dirigeants communistes: Glineur, Lahaut, Cordier, Thon, Leemans, et bien d’autres encore (on n’osa toutefois pas s’en prendre à Jacquemotte, devenu député). Les journaux communistes sont purement et simplement interdits tout comme la Centrale Révolutionnaire des Mineurs (CMR), l’Opposition Syndicale Révolutionnaire, les Amis de l’URSS… et le Secours Rouge. C’est l’équipe des avocats du Secours Rouge qui s’occupa de la défense des dirigeants communistes et des organisations poursuivies. Elle arracha la libération des dirigeants et, après des mois de guérilla juridique, obtint le non-lieu pur et simple. Le ‘complot’ n’irait jamais devant un tribunal.

1932-1933 – ‘Misère au Borinage’

En 1933, un membre important de la section belge du Secours Ouvrier International, (il dirigeait sa Commission de politique sociale) le docteur Paul Hennebert, mène l’enquête sur 25 familles du coron d’un charbonnage où les représailles patronales consécutives à la grève de 32 sont féroces. Ni les syndicats socialistes ni l’Assistance publique n’interviennent. Les familles sont expulsées de leur maison. Le résultat de l’enquête paraît dans une brochure publiée par la section belge du SOI en juillet 1933, une brochure bouleversante intitulée On crève de faim au levant de Mons. De son côté, l’avocat cinéphile Jean Fonteyne, membre du Secours Rouge, avait filmé la manifestation pour Tayenne.

Cela amène André Thirifays (animateur du Club de l’Ecran) à proposer à Henri Storck de réaliser un film sur le sujet. Jean Fonteyne qui était à la fois responsable au Secours Rouge et animateur du Club de l’Ecran, réalise des repérages, trouve un financement, obtient la collaboration des familles ouvrières qu’il connaissait bien, puisqu’il les avait plus d’une fois défendues en tant qu’avocat du Secours Rouge. Henri Storck, auquel s’est joint Joris Ivens, commence la réalisation. Avec très peu d’argent, devant se cacher de la police mais soutenus par toute la population, le tournage se passa dans des conditions difficiles et exaltantes. Comme tout documentaire, il mêle la réalité et la fiction et ceci d’autant plus prodigieusement que ce mélange ne relève pas de la volonté directe des réalisateurs. En effet, dans le film, les deux auteurs avaient organisé, avec des figurants borains, une manifestation de mineurs marchant derrière un portrait de Karl Marx. Les manifestants tenaient en fait leur propre rôle dans la manifestation d’hommage à un ouvrier gréviste tué par la police. Les habitants du corons y participèrent comme à une vraie manifestation. La gendarmerie prit aussi cette reconstitution pour une vraie manifestation et intervint brutalement pour la disperser, ce que la caméra de Storck et Ivens filma également.

‘Crise dans le monde capitaliste. Des usines sont fermées, abandonnées. Des millions de prolétaires ont faim!’ C’est sur ces mots de manifeste et de révolte que s’ouvre ce film fondateur du cinéma belge et une des références les plus importantes du film documentaire. Le film est dur, magnifique. Il a gardé toute sa force, son impact émotionnel d’indignation et de compassion. Il a donné à la classe ouvrière les images les plus fortes de son histoire et de ses luttes. Parmi elles: les expulsions, l’entassement des enfants dans les maisons taudis, leurs visages émaciés et absents, la procession avec le portrait de Karl Marx, le ramassage du mauvais charbon sur les terrils à l’aube, le mineur mendiant etc., sans oublier le choc du raccord des plans: les maisons vides, alors que des sans-abri dorment dehors, une quasi-famine et aucune aide tandis que des sommes importantes sont dépensées pour la construction d’une église…

Joris Ivens, Henri Storck et Jean Fonteyne

Pour en savoir plus sur le film

Novembre 1932 – Premier congrès du Secours Rouge International

C’est en novembre 1932, à l’occasion du dixième anniversaire du SRI, qu’eu lieu, à Moscou, dans la célèbre salle des colonnes de la Maison des syndicats (là où s’était tenu le congrès de l’Internationale syndicale rouge, où l’on exposera la dépouille de Staline), le premier Congrès international du Secours Rouge. Le SRI compte à cette époque 71 sections nationales totalisants 13,8 millions de membres (5.556.000 pour l’URSS). Pierre Vermeylen y représentait la section belge tandis que la section française était représentée par Marie-Louise Cachin, fille du fondateur du PCF, brillante avocate.

Brochure du SRI

Octobre 1934 – Pour les insurgés asturiens

Affiche pour les asturiens

Affiche pour les asturies

En octobre 1934, des insurrections prolétariennes ont lieu à Madrid, en Catalogne et dans les Asturies. Dans les deux premiers cas, la contre-révolution triomphe assez facilement. En revanche, des soviets sont organisés dans la seule région qui y soit prête, la région minière des Asturies. Cette insurrection est parfois appelée la ‘Commune espagnole’ ou la ‘Révolution d’octobre’ puisqu’elle culmine en octobre 1934 lorsque l’armée rouge des mineurs contrôle un territoire de quelques 1.000 km² autour d’Oviedo et au sud de cette ville. L’insurrection est matée dans le sang par les troupes d’Afrique commandées par Franco. La répression ordonnée par le gouvernement est terrible: 1.000 morts et 20.000 prisonniers pour lesquels le Secours Rouge International fait campagne.

Notre dossier sur l’insurrection des Asturies

Années ’30 – Le SRI au zénith

Le danger fasciste augmenta considérablement les responsabilités, les tâches, mais aussi l’écho et la popularité du Secours Rouge International. De nouvelles sections nationales apparaissent, tandis que celles qui ne souffrent pas directement de la répression fasciste (comme en Pologne, en Italie et bientôt en Espagne et en Allemagne) connaissent un grand développement. Voir à ce propos le document suivant:

Rapport sur le Secours Rouge en France en 1935

Le secouriste rouge

Labor Defender

Réunion de la section mexicaine

Le chant du Secours Rouge

-Pour briser l’ardeur des meilleurs combattants,
-Pour vaincre l’essor ouvrier montant,
-Le Bourgeois fait donner sa police.
-Prison, tribunaux, matraqueurs, répression,
-Fascistes tout prêts à servir les patrons,
-Ont jeté tout un peuple au supplice.

Contre ce monde malade
-Jusqu’au jour de l’assaut final
-Protégeons nos camarades
-Qu’un régime infernal
-Frappe dans nos rangs
-Secours à nos combattants!

-Martyrs blancs et noirs des pays coloniaux,
-Chinois et Roumains tous unis au tombeau,
-Innocents qu’on refuse d’absoudre
-Vos cris resteraient sans écho, sans espoir
-Si chacun de nous comprenant son devoir
-N’allait vers vous par le Secours Rouge.

Refrain

-Chacun des méfaits du bourgeois assassin
-Dressant contre lui tout le genre humain
-Porte atteinte à sa propre puissance.
-Unis par ses coups ceux qu’il frappe si fort
-Invinciblement lui préparent le sort
-Du tsarisme écroulé dans sa fange.

Refrain

Pour écouter la musique

Francesco Lo Sardo

Septembre 1933 – Le procès et de contre-procès du Reichstag

Le 27 février 1933, le Reichstag (parlement) était en feu. Les nazis hurlèrent au complot communiste et instaurèrent un régime de terreur. La police allemande avait arrêté à Berlin le dirigeant communiste Dimotrov et deux autres bulgares et l’accusait de l’incendie du Reichstag en complicité avec un vagabond hollandais arrêté sur les lieux de l’incendie, Van der Lubbe, et le président de la fraction communiste au Reichstag, Torgler.

Willi Münzenberg organisa un grand contre-procès. Le président de la section belge du Secours Rouge, Pierre Vermeylen, était le seul ‘apparenté communiste’ du jury. Münzenberg avait veillé à ce qu’il fut pluraliste. Le président du contre-procès était le King’s Councellor Pritt du barreau de Londres. A ses côtés siégeaient l’avocat new-yorkais célèbre pour avoir défendu Sacco et Vanzetti. Siégeait aussi dans la commission le bourgmestre socialiste de Stockholm, un avocat français, une parlementaire libérale néérlandaise, etc. Le contre-tribunal siégea à Londres et rendit son verdict trois jours avant l’ouverture du procès de Berlin, le 18 septembre, en déclarant qu’il était bien probable que le véritable incendiaire fut Hermann Goering, alors ministre de l’intérieur du Land de Prusse.

Au procès, Dimitrov se défendit froidement des accusations et réplique en accusant ses accusateurs, poussant Goering à la faute. Ce procès vaudra à Dimitrov une renommée mondiale. Après avoir été acquitté, il gagne l’Union Soviétique, devient secrétaire général de l’Internationale Communiste de 1934 à sa dissolution en 1943. En 1944, Dimitrov retourne en Bulgarie dont il dirige le Parti communiste, et fonde la République populaire de Bulgarie.

Procès du Reichstag

Contre-procès

1934 – Bob Claessens, responsable à la section belge du SRI

En 1934, Bob Claessens devient secrétaire régional pour Anvers de la section belge du Secours Rouge International, et finalement membre du Comité exécutif du SRI en Belgique. Avocat, il plaide dans tous les procès politiques. C’est pour le SRI qu’il part en 1937 en Espagne avec mission d’unifier l’aide sanitaire et de rationaliser le service de santé militaire (un de ses deux parrains au Parti, Pierre Ackerman, commissaire politique de la 12e Brigade Internationale, tombe à ce moment sur le front de Madrid). Claessens participe aux travaux du Bureau Européen du SRI en 1937, à Paris, et devient secrétaire international de l’organisation.

Arrêté par la Gestapo en juin 40, il est détenu à Breendonck puis déporté à Neuengamme (où il commença son oeuvre de conférencier au profit de ses co-détenus), puis à Dachau. A la libération, il collabore au journal du Front de l’Indépendance où ses articles sur l’art sont remarqués, plaide et travaille dans le cabinet d’un ministre communiste jusqu’en 46. En 47, il devient responsable des intellectuels du Parti communiste. En 48, il est élu au Comité central et devient responsable à l’appareil de propagande. Il donnera dès lors libre cours à son éclatant talent de conférencier devant des salles combles d’où sortira le Cercle d’Education Populaire. Le succès populaire de ses conférences amena la RTBF à l’inviter pour des causeries sur la peinture à la radio et à la télévision à partir de 1963. En 1969, Claessens publie son chef d’œuvre: Notre Breughel. Il aura le temps d’en mesurer le succès avant de mourir le 7 août 1969.

Autre dirigeant de la section belge du SRI à l’époque, Charles Jacquemotte, frère ainé du fondateur du PCB, qui mourra en déportation à Dachau en février 1945.

Bob Claessens

1935 – Robert Lejour, président de la section belge du SRI

En 1935, Pierre Vermeylen s’oppose à son tour à la ligne du Praesidium du Secours Rouge International. Il démissionne de son poste, et s’éloigne du mouvement communiste pour se rapprocher du parti socialiste, dans les rangs duquel il sera après-guerre sénateur et ministre. C’est l’avocat Robert Lejour, devenu membre du Parti Communiste, et qui avait accompagné Vermeylen à Moscou en juillet 1934 lors de la discussion entre le Comité Central de la section belge et le Praesidium international, qui en devient président. Sous l’occupation nazie, Robert Lejour fut le fondateur du mouvement ‘Justice Libre’, qui regroupait les avocats, les juristes et les juges résistants dans le cadre du Front de l’Indépendance. Il dû passer à la clandestinité le 16 décembre 1942. Il commanda une unité de partisans armés jusqu’à son arrestation le 9 mai 1944. Robert Lejour fut abattu le 22 juin à la prison de Liège par un geôlier nazi.

Robert Lejour

1936 – Le Secours Rouge devient en France le Secours populaire

Suite des événements de février 1934, le Parti communiste opère progressivement un rapprochement avec les socialistes et les radicaux en préconisant une large alliance antifasciste. Ce tournant unitaire du PC, qui reçoit l’aval de l’Internationale communiste lors de son 7e congrès à l’été 1935, débouche sur la constitution du Front populaire, victorieux aux élections législatives de 1936.
Le Secours rouge se transforme, en changeant à deux reprises sa dénomination au cours de l’année 1936. Optant dans un premier temps pour l’appellation « Secours rouge de France », en mars 1936, il devient à l’automne suivant le « Secours populaire de France et des colonies ». Le Secours populaire connaît un important développement et devient une véritable organisation de masse bénéficiant d’une forte base de masse – ses effectifs progressent de moins de 35 000 en 1933 à plus de 180 000 cinq ans plus tard.

Publication du Secours Populaire de France de 1936

1936-1939 – La guerre d’Espagne

Préparé de longue date, le soulèvement militaire fasciste éclate le 17 juillet 1936, mais sa mise en échec partielle contraignit les militaires putchistes (soutenus par l’Eglise, Hitler et Mussolini), et le gouvernement de Front Populaire (soutenu par l’URSS et, très timidement, par les démocraties occidentales) à se livrer une guerre totale, imprévue, longue et meurtrière. Dans la logique du Front Populaire, le Secours Rouge est devenu en France le Secours Populaire: il est en première ligne pour aider l’Espagne républicaine. En Belgique comme partout, les membres du SRI organisent des quêtes pour acheter du lait pour les enfants d’Espagne, des collectes de vivres et de vêtements. Des camions de la solidarité parcourent la campagne, on affrète des péniches, des trains et des bateaux.

Affiches du SRI catalan

Affiche du comité de Valence

1933-1940 – Le soutien aux antinazis exilés ou emprisonnés

Les campagnes pour dénoncer les crimes nazis, celle exigeant l’acquitement de Dimitrov, celle exigeant la libération de Thaelmann (dirigeant du Parti Communiste d’Allemagne) eurent un grand retentissement. Le Comité Thaelmann, créé à Paris en mars 34, avait organisé en outre un grand nombre de meetings (rassemblant plus de 100.000 personnes rien qu’en 1935!), lâché des centaines de ballons sur l’Allemagne sur lesquels étaient écrit Freiheit für Thälmann, envoyé des délégations, organisé un contre-tribunal avec 300 juristes, etc.

Le Secours Rouge allemand souffrira beaucoup de la répression nazie. Par milliers, ses membres et ses dirigeants sont envoyés en camp de concentration. Ils seront nombreux à être exécutés, comme Johanna Kirchner qui avait été emprisonnée par Vichy et livrée à la Gestapo en 1942. C’est une des rares dirigeantes du Rote Hilfe qui venaient du parti socialiste. D’abord condamnée à dix années d’emprisonnement, Johanna Kirchner fut rejugée et exécutée le 9 juin 1944. Le Secours Rouge a pu maintenir une activité clandestine sporadique. C’est ainsi qu’un autre dirigeant du Rote Hilfe, Wilhelm Beuttel qui avait reconstitué l’organisation en Allemagne fut arrêté par la Gestapo en 1943 et exécuté en 1944.

Le Défense

Tribunal

Affiche de la section belge

1936-1939 – Dans les griffes de la Gestapo

Le site Nicht mehr anonym (‘Plus jamais anonyme’) a mis en ligne les fiches des personnes arrêtées par la Gestapo de Vienne. Voici les fiches de quelques membres du Secours Rouge autrichien clandestin.

Léopold Blatsky

Le chauffeur automobile Leopold Blatzky a été arrêté le 23 mars 1943 comme cotisant au SR. Condamné le 18 novembre 1943 pour ‘haute trahison’ à 10 ans de réclusion. Détenu jusqu’à la fin de la guerre.

Ernst Bohl

Le porteur de valise Ernst Bohl a été arrêté le 22 février 1944 comme cotisant au SR. Condamné le 2 juin 1944 pour ‘haute trahison’ à 3 ans de réclusion. Détenu jusqu’à la fin de la guerre.

Alfred Eschner

L’ajusteur Alfred Eschner organisait dans l’usine à gaz Leopoldau, dans le cadre du SR, le soutien aux familles des collègues de travail antifascistes emprisonnés. Arrêté le 21 janvier 1942, condamné à mort le 19 décembre 1942 pour ‘haute trahison’, et exécuté à Vienne le 13 avril 1943.

Josef Fatina

Le retraité Josef Fatina donnait et encaissait les cotisations pour le SR. Arrêté le 26 mai 1941 et condamné le 4 février 1943 pour ‘haute trahison’ à 6 ans la réclusion. Sa femme, Franziska Fatina, a également été arrêtée.

Johann Dragosits

Le chauffeur Johann Dragosits recrutait et récoltait des dons pour le SR. Arrêté en septembre 1942, condamné à mort le 15 mars 1944 pour ‘haute trahison’ et exécuté le 24 mai 1944.

Josef Blaschek

L’employé des postes Josef Blaschek a été arrêté le 24 février 1944, membre du SR, il aide un militant communiste évadé, Friedrich Schwager. Condamné à mort le 30 juin 1944 pour ‘haute trahison’ et ‘aide à l’ennemi’. Exécuté le 30 août 1944 à Vienne.

Voir d’autres fiches

1940-45 – La section belge du SRI se fond dans ‘Solidarité’, la ‘Croix-Rouge du Front de l’Indépendance’

En 1941 est fondé, à Bruxelles, dans la clandestinité, le Front de l’Indépendance qui regroupera vite l’ensemble de la Résistance anti-hitlérienne – à l’exception de la droite catholique-royaliste et de quelques réseaux d’espionnages liés aux services secrets anglais.

En 1942, le Front de l’Indépendance se dote d’une organisation d’aide aux victimes de la répression nazie et à leurs familles, aux réfractaires au travail obligatoire, aux illégaux, aux persécutés. Ce sera ‘Solidarité’, la ‘Croix-Rouge du Front de l’Indépendance’. Le Secours Rouge se dissout dans cette nouvelle organisation large qui aura bientôt son organe clandestin national intitulé Solidarité.

A cela s’ajoutent des organes de presse régionaux. Ainsi par exemple, au cours de l’été 1943, paraissent deux mensuels édités par le comité régional Huy-Waremme de ‘Solidarité’. L’Entr’Aide est fondé en juin 1943. Ronéotypé puis imprimé (à 2.000 exemplaires), il compte au total 5 numéros et est diffusé jusqu’à juillet 1944. Le second, Bulletin intérieur de Solidarité, connaît une existence bien plus brève.

Cassandre

Février 1971 – Première refondation du Secours Rouge en Belgique

Dans les années 1970, en plein essor du militantisme en Europe, dans le but de venir en aide aux militants arrêtés durant les manifestations et les grèves, le Secours Rouge était une première fois refondé. Cette refondation fut menée à bien par des organisations marxistes-léninistes comme le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de Belgique (PCMLB), les maoïstes de l’organisation ‘Université Usine Union’ et de ‘Tout le pouvoir aux travailleurs’ et par les trotskistes de la Jeune Garde Socialiste (organisation de jeunesse de la Ligue Révolutionnaire des Travailleurs, l’actuelle LCR).

Journal du SR

SR ULB 1971

1971-1976 – Echec de refondation d’un Secours Rouge International

Cette refondation du Secours Rouge n’était pas propre à la Belgique. De semblables démarches en France (sous la présidence de l’ancien commandant de la résistance armée communiste Charles Tillon et avec l’adhésion de Jean-Paul Sartre), en Italie (avec l’adhésion de Dario Fo et de Franca Rame) et ailleurs. Parmi les fondateurs du SR italien, Sergio Spazzali, avocat des brigadistes rouges et militant communiste lui-même, puisqu’il fut l’un des fondateurs de la ‘Cellule pour le PCC’, un des courants constitutifs du PCPM. Sergio Spazzali est mort en exil, à Paris. Finalement, seul le nouveau Secours Rouge allemand (Rote Hilfe) passera le cap du reflux des luttes à la fin des années ’70, et le projet d’unir ces organisations en un nouveau SRI échoua.

Charles Tillon, Secours rouge

Affiche du SR italien

Affiche du Secours Rouge de France

Livre du SR italien

Décembre 1985 – Fondation de l’Association des Parents et Amis des Prisonniers Communistes (APAPC)

Le 15 décembre 1985, quatre militants des Cellules Communistes Combattantes sont arrêtés et placés à l’isolement carcéral. Leurs proches se forment aussitôt en Association des Parents et Amis des Prisonniers Communistes (APAPC). Ils lutteront d’abord pour que soit mis fin au régime d’isolement, ensuite pour que soit appliqué aux prisonniers les procédures de libération conditionnelle.

Affiche de l’APAPC

Pour en savoir plus sur la lutte des Cellules Communistes Combattantes

Décembre 2000 – Fondation de la Commission pour un Secours Rouge International

Logo du SRI

Le premier ‘tour de table’ pour la refondation d’un Secours Rouge International, convoqué par l’Association des Familles et des Amis des Prisonniers Politiques (Espagne) a rassemblé à Lyon, en décembre 2000, des délégués de Belgique, France, Suisse et Italie. L’APAPC y représentait la Belgique. C’est à la suite de cette réunion que sont issus la Commission pour un SRI, et la Plate-forme pour un SRI.

Pour en savoir plus sur la Commission pour un SRI

Janvier 2001 – L’APAPC devient Secours Rouge/APAPC, section belge de la Commission pour un Secours Rouge International

A la suite de la réunion de Lyon, la question s’est posée pour l’APAPC de se convertir en Secours Rouge. Cela supposait plusieurs changement, et notament un élargissement du cadre de travail et un nouveau caractère politique. Quelques proches des prisonniers des CCC qui s’étaient engagé sur base de rapports personnels avec eux prirent un peu de distance (en continuant à participer aux initiatives consacrées à ces prisonniers), mais l’essentiel de l’APAPC réalisa sans difficulté sa ‘conversion’ en Secours Rouge/APAPC, et celui-ci, sur ces nouvelles bases, avec un apport de nouveaux membres venus notamment de l’ex-PCMLB, connu une phase de croissance qui coïncida avec la fin de la campagne pour la libération de Pierre Carette, le dernier prisonniers des CCC.

Manifestation pour Pierre Carette

Décembre 2005 – Le Secours Rouge/APAPC fête ses vingt années d’existence

Au moment où le Secours Rouge/APAPC fête ses vingt années d’existence, il connait des tensions internes qui se résoudront l’année suivante. Le travail militant n’en ralentit pas pour autant. Le Secours Rouge/APAPC est alors une des forces fondatrices de la Coordination Anti-Répression avec l’Espace Marx et le ‘Collectif des plaignants du 23 février 2003’ (fondé après la brutale répression de la manifestation de Steenokerzeel). La Coordination Anti-Répression organisera plusieurs conférences (sur la criminalisation des luttes, le pays basque, sur les lois anti-terroristes, sur la sécurité informatique) jusqu’à sa mise en veilleuse suite à la dissolution du ‘Comité des plaignants’ dont les derniers membres actifs ont rejoints le Secours Rouge. Par ailleurs, le Secours Rouge a développé une relation particulière avec le Bloc Marxiste-Léniniste qui prendra fin en 2009.

Solidarité

Logo CAR

Plate-forme de la Coordination Anti-Répression

Novembre 2005 – Vers la refondation du Secours Rouge International

En novembre 2005, se tient la première Conférence internationale de Bâle, à l’initiative de la Commission pour un SRI, visant à relancer la lutte internationale contre la répression. 42 délégués de 25 organisations de 7 pays ont participé à cette première conférence. Au fil des conférence s’est constitué un ‘groupe de Bâle’ pour la refondation d’un véritable SRI. Le passage de la simple coordination de groupes indépendants à la construction d’une organisation internationale centralisée, est complexe. Surtout qu’il s’agit de forces ayant des histoires, des cultures politiques, des réalités militantes et des terrains de luttes très différentes. Chaque conférence enregistre des progrès qui sont expérimentés/vérifiés dans la pratique commune les mois séparant les conférences.

Délégués à Bâle

Juin 2008 – Le Secours Rouge/APAPC dans le collimateur…

Début 2007, la police italienne découvre les photos de quatre membres du Secours Rouge de Belgique chez un révolutionnaire italien. Pendant un an et demi, la police belge espionne les 4 militants: écoutes téléphoniques, étude des mails et des comptes bancaires, caméras vidéo braquées sur les domiciles, etc. En vain: l’espionnage ne révèle que des activités politiques légales et publiques. Tentant le tout pour le tout, la juge d’instruction envoie le 5 juin, à 5h du matin, dans dix domiciles, des commandos anti-terroristes, armés et cagoulés pour éveiller les militants, leurs familles et leurs proches. Les perquisitions se révèlent également infructueuses. La juge s’acharne pourtant. Elle met les militants en prison et les inculpe de ‘participation à activité terroriste’! Une grande vague de solidarité se lève en réaction à ces arrestations. Deux mois plus tard, les chambres du conseil remet en liberté tous les inculpés, en attendant de décider si il y aura ou non matière à procès. Le justice belge va dès lors user de manoeuvres dilatoires pour éviter un procès qui s’annonce mal pour elle et, dix ans plus tard, le 5 octobre 2018, l’affaire est définitivement prescrite. Lire la chronologie de l’affaire

Manifestation pour le SR belge

Manifestation pour le SR belge

 

Pour nous aider à compléter cet historique et à monter une exposition itinérante sur le sujet, merci de nous faire parvenir des documents d’époque ou de bonnes reproductions de documents sur l’histoire du Secours Rouge.

Premier logo du SRI
Julian Marchlewski
Clara Zetkin
Sacco et Vanzetti
Meeting à Bruxelles en 1930
Léopold Blatsky
Ernst Bohl
Alfred Eschner
Josef Fatina
Johann Dragosits
Josef Blaschek
Affiche de l'APAPC
Logo du SRI
Manifestation pour Pierre Carette
Brève histoire du Secours Rouge International et de ses sections francophones (complétée le 3 décembre 2021
Solidarité
Logo CAR
Délégués à Bâle
Manifestation pour le SR belge
Manifestation pour le SR belge
Brève histoire du Secours Rouge International et de ses sections francophones (complétée le 3 décembre 2021
Direction de la section française du SRI en 1926: de gauche à droite, assis] Marty, Daniel Renoult, Cadeau, [et debout] Cordier, Rocher, Wallet, Geny, Michel
Publication du Secours Populaire de France de 1936
Affiche en arabe du SR de France: « Ne nous oubliez pas ! »
Wilhelm "Willy" Trostel
Tract du SR après la « journée rouge » du 1er août 1929
Jean Chaintron

10 mai 2009 – Les huissiers contre les grévistes d’IAC

La lutte a commencé suite à l’annonce par la direction d’IAC de son intention de fermer deux de ses divisions situées à Meiser (Schaerbeek) et Delta (Auderghem) et de procéder au licenciement de 24 travailleurs, dont 12 délégués syndicaux. Les syndicats estiment que les directions d’IAC et de Fiat ne respectent pas la Loi Renault et considèrent que la direction saucissonne l’entreprise en divisions dans le but inavoué de procéder au licenciement collectif de travailleurs bénéficiant d’une protection syndicale.

Le 7 mai, les travailleurs d’IAC (le distributeur officiel de Fiat en Belgique) ont bloqué les accès au bâtiment notamment avec des voitures et ont soudé certaines grilles, après le rejet de deux pistes de compromis avancées par les syndicats dans le cadre de la concertation sociale en cours. Ils occupent l’atelier de Meiser, face au bâtiment du siège social de l’entreprise, et ont rentré dans l’atelier 140 voitures pour se constituer un ‘trésor de guerre’. Dans le communiqué Belga, il est question de voitures ‘prises en otage’!

Très vite, trois délégués syndicaux se sont vu remettre par huissier une citation à comparaître devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Ce vendredi, tous les autres, soit une vingtaine de travailleurs, ont également reçu cette citation. Le patronat a introduit une action en référé, qui n’est pas unilatérale, pour demander au tribunal d’ordonner aux travailleurs du site de Meiser cités à comparaître de mettre un terme à leur occupation, de restituer les voitures actuellement bloquées dans l’atelier et de ne plus s’approcher du site, sauf pour y travailler. IAC réclame une astreinte de 1.000 euros par personne et par manquement. Dans l’exposé des motifs, le patronat présente le blocage des véhicules dans l’atelier comme un vol assimilé.

L’avocat mandaté par le patronat, Éric Carlier, est également le conseil de Carrefour Belgium. C’est cet avocat qui avait introduit au nom de Carrefour des requêtes unilatérales afin de lever les piquets de grève à l’automne 2008 lorsque des travailleurs de la chaîne avaient fait grève en solidarité avec le personnel du nouveau Carrefour de Bruges.

Les travailleurs ne partiront pas sans avoir obtenu un plan social correct. Nous considérons l’occupation comme un moyen légitime de contestation découlant du droit de grève. On ne peut se prononcer sur une occupation sans connaître le contexte qui a poussé les travailleurs à mener une telle action‘, a réagi Martin Willems, secrétaire permanent du SETCa-Bruxelles, qui est l’une des personnes citées à comparaître. ‘La direction estime qu’on ne respecte pas le droit à la propriété mais de notre côté, nous considérons qu’elle contourne la Loi Renault. Et la direction nous pousse à entamer une action devant le tribunal pour faire reconnaître la protection syndicale des douze délégués qu’elle souhaite licencier‘, a-t-il ajouté.

Calicots chez Fiat IAC

12 mai 2009 – La police intervient contre les grévistes

Mardi 12, la présidente du tribunal de première instance de Bruxelles a ordonné aux 20 travailleurs de quitter le site de IAC Meiser qu’ils occupaient depuis le jeudi 7. Ils devaient également restituer les clefs des véhicules qui seraient en leur possession. En cas de manquement, ils risquaient chacun une astreinte de 1.000 euros. Le patronat a obtenu de la justice de classe une ordonnance d’expulsion qui a été signifiée aux occupants dans la soirée.

Vers 19h45, la police de la zone de Bruxelles-Nord est intervenue sur le site (dans le style du communiqué Belga: elle ‘a libéré’ le site). La petite vingtaine de travailleurs qui occupaient les lieux ont tenté de bloquer les portes pour empêcher l’huissier d’entrer dans le bâtiment situé au 770 de la chaussée de Louvain à Schaerbeek. Les policiers ont réussi à forcer l’accès et ont débarqué dans le showroom de l’entreprise. Les occupants n’ont opposé aucune résistance et ont accepté de quitter les lieux après avoir été informés du contenu de l’ordonnance. Si les travailleurs refusaient de partir, ils risquaient chacun une astreinte de 2.500 euros.

Occupation du site de Fiat

Un véhicule stationné sur le parking du siège de Fiat Belgium, rue de Genève à Schaerbeek, à proximité du site IAC Meiser,a été incendié lundi au petit matin. L’origine de l’incendie est volontaire. La façade du bâtiment du siège de Fiat Belgium a été également endommagée par les flammes. Le laboratoire de la police fédérale s’est rendu sur les lieux.

16 mai 2009 – IAC licencie les grévistes pour ‘fautes graves’

La direction de Fiat Group Automobiles (FGA) à Bruxelles a décidé de licencier ‘pour faute grave’ cinq travailleurs d’IAC. Quatre travailleurs, dont deux délégués syndicaux, ont été licenciés pour avoir été présents sur le site occupé d’IAC de Meiser lors de la signification par voie d’huissier d’une seconde ordonnance d’expulsion. Pour la direction, ces travailleurs auraient dû quitter le site dès le moment où la première ordonnance d’expulsion a été rendue en référé. Les avocats des travailleurs licenciés estiment que puisque ces personnes n’étaient pas visées par la première ordonnance, elles n’ont pas enfreint cette ordonnance et donc n’ont commis aucune faute grave.

Le cinquième travailleur, un délégué syndical, a été licencié pour le motif d’avoir joué un rôle de leader dans le conflit social et d’avoir caché notamment les clés des voitures immobilisées par les grévistes en vue de se constituer un trésor de guerre. Les clés des voitures ont finalement été récupérées par la direction, après le délai fixé par la direction.

Notre entreprise a subi de graves préjudices économiques et d’image, du fait des événements intervenus au sein de la firme IAC. Même si cela a un impact négatif sur notre activité, nous attendons cependant avec confiance un retour rapide à la légalité. La Direction d’IAC se réserve le droit d’entamer toutes les actions légales nécessaires auprès des personnes responsables de cette situation.‘ déclare alors le président-directeur général de FGA, Martin Rada.

6 juin 2009 – Manif de solidarité avec les grévistes d’IAC

Une petite centaine de militants des environs de Bruxelles, surtout de la FGTB mais également de la CSC, ont répondu à l’appel d’urgence à la solidarité avec les travailleurs de IAC-Fiat. Les délégations syndicales venaient entre autres de Cytec, Spy, Sitel et Mobistar. De nombreux militants se sont spontanément mobilisés pour exprimer leur solidarité. Après quelques brefs speechs, les manifestants se sont dirigés vers le siège principal pour obtenir des pourparlers avec Mr Randa, le PDG. Comme d’habitude ces temps-ci, les portes sont restées fermées. Ils se sont donc dirigés en caravane de voitures vers la villa impressionnante du PDG à Tervuren, où ils étaient attendus non seulement par la police, mais aussi par quelques body-guards italiens engagé pour l’occasion.

Manifestation pour IAC

11 juin 2009 – La CSI épingle la Belgique pour les attaques juridiques contre les grévistes

Les attaques juridiques contre les grévistes se sont intensifiées en Belgique, indique le rapport 2009 des violations des droits syndicaux de la Confédération Syndicale Internationale (CSI). Ces patrons recourent à des juristes pour contrer les protestations des travailleurs. En octobre 2008, des firmes comme Carrefour, Cytec, Deli XL, Big et Ideal Floorcoverings, N-Allo, Elia, Sibelgaz, Eandis et UCB ont submergé les tribunaux de recours demandant l’interdiction de certaines formes d’action collective, comme les piquets de grève.

Généralement, les tribunaux estiment qu’il n’est pas permis d’empêcher les employés ou des tiers d’accéder à l’entreprise, indépendamment du fait qu’il y ait ou non recours à la violence à cette occasion. Certains juges émettent aussi des ordonnances ‘préventives’ alors même que rien n’indique que de tels actes puissent être commis. Selon les auteurs du rapport, ‘il ne fait aucun doute que de tels jugements dissuadent les travailleurs d’exercer pleinement leur droit à l’action collective et entravent sérieusement le droit de grève‘.

22 juin 2009 – Carrefour bloqué en solidarité avec les grévistes

Une soixantaine de personnes ont bloqué, lundi 22 juin entre 11h30 et 13h, le carrefour formé par la chaussée de Louvain et la rue de Genève à Schaerbeek, situé face au concessionnaire IAC, en guise de solidarité avec les douze travailleurs licenciés la semaine précédente. Les manifestants ont allumé un feu, au moyen de palettes en bois, au milieu du carrefour. Le feu a été éteint par les pompiers vers midi. La circulation a été interrompue sur la chaussée de Louvain où des barrages avaient été mis en place par la police. La circulation a été rétablie dès 13 heures.

Des travailleurs ont tambouriné sur des fûts métalliques tandis que d’autres sifflaient ou lançaient des pétards. Des manifestants avaient confectionné une oeuvre grandeur nature avec des pendus habillés de blanc, symbolisant les douze travailleurs non-protégés licenciés la semaine dernière. ‘Fiat réinvente la pendaison, merci Don Marchionne‘ (le patron de Fiat, dont le groupe est actionnaire à 99% d’IAC), pouvait-on lire sur un calicot.

20 juillet 2009 – Première audience au Tribunal du Travail pour les prétendues ‘fautes graves’

Le licenciement pour faute grave de trois travailleurs grévistes de la société ‘Italian Automotive Center’ (IAC), qui bénéficiaient d’une protection syndicale, a été débattu lundi au tribunal du travail de Bruxelles. Le tribunal, saisi par la direction de Fiat dans le cadre de la procédure de licenciement, se prononcera lundi prochain sur le sort des trois travailleurs. Les trois délégués syndicaux ont été licenciés pour faute grave avec deux autres travailleurs non protégés le 16 mai par la direction de Fiat Group Automobiles.

Une centaine de personnes avaient manifesté le 5 juin en faveur du droit à mener des actions collectives. La direction d’IAC a l’intention de fermer deux de ses divisions situées à Meiser (Schaerbeek) et Delta (Auderghem) et de procéder au licenciement de 24 travailleurs, dont 12 délégués syndicaux.

A la première audience du tribunal du travail pour les licenciements pour ‘fautes graves’, les avocats du syndicat obtiennent gain de cause pour deux travailleurs (G. Fasoli du SETCa et B. Aglietti de la CSC). Mais la faute grave avait été reconnue pour le troisième (E. Agostini de la FGTB). Agostini ira en appel, ainsi que la direction d’IAC qui va en appel de la décision concernant les deux autres travailleurs. Tout se plaidera donc de nouveau le 1er octobre devant la Cour du Travail de Bruxelles (2ème chambre, salle 0.8) à 14h30.

22 septembre 2009 – Première audience au Tribunal du Travail pour les ‘raisons économiques’ des licenciements des travailleurs protégés

Le 22 septembre, au tribunal du travail de Bruxelles a lieu l’audience relative à la demande de la direction de IAC que le tribunal reconnaisse les raisons économiques et techniques justifiant la levée de la protection des 12 travailleurs protégés qu’ils veulent licencier.

Normalement, et sauf exceptions, ce sont les commissions paritaires qui peuvent déroger au principe de protection et accorder la levée de la protection pour raisons économiques et techniques. Cette dérogation est normalement lorsqu’il y a un accord entre les parties (puisque tout se décide à l’unanimité en commission paritaire), et donc, en cas de restructuration, lorsqu’il y a un plan social qui permet de s’assurer que tout a été fait pour éviter les licenciements évitables et pour éviter toute discrimination entre travailleurs ou envers les mandataires syndicaux. Dans le cas d’IAC, les commissions paritaires n’ont pas décidé la dérogation. La direction de IAC entend aller au tribunal pour ‘faire appel contre la ‘non-décision’ de la commission paritaire‘. Cette prétention est une première et ouvre la porte à une remise en cause complète du rôle des commissions paritaires et de la règle de l’unanimité entre partenaires sociaux.

En abusant de la notion de ‘licenciement d’une catégorie déterminée de personnel‘, notamment, en ne prenant même pas la peine de respecter les compétences du CE en termes de détermination des critères de licenciement, l’avocat de IAC entend ériger en règle automatique un cas d’exception de la levée de protection. Le résultat, au cas où le juge aurait suivi ce point de vue, serait qu’il n’y aurait tout simplement plus de protection des délégués en cas de restructuration décidée unilatéralement.

1er octobre 2009 – Audience en appel pour les prétendues ‘fautes graves’

Ce jeudi à 14h30 a commencé l’audience en appel de trois grévistes d’I.A.C. Une soixantaine de personnes s’étaient mobilisées pour l’occasion. Le Secours Rouge a assuré une présence solidaire dans la salle et devant le siège du Tribunal du travail.

Rassemblement au procès

Le Secours Rouge a également signé l’appel proposé aux SR comme à plusieurs autres organisations, par la Ligne Communiste des Travailleurs. Voici le texte de cet appel:

Après des mois de luttes, la direction de IAC-(FIAT) a décidé de licencier 24 travailleurs, dont 12 délégués syndicaux. Pour ce faire, elle avait tout d’abord contourné la procédure de concertation de la Loi Renault en divisant artificiellement l’entreprise en 16 entités. Dans ce contexte, au mois de mai, les travailleurs occupent un garage à Meiser. Le conflit commence à prendre une tournure judiciaire avec des astreintes, avant que le patronat ne traîne des délégués devant les tribunaux.

La direction tente d’outrepasser les compétences de la commission paritaire en voulant lever unilatéralement la protection des délégués. Cette tentative est une première et ouvre la porte à une remise en cause complète du rôle des commissions paritaires et de la règle de l’unanimité entre partenaires sociaux. Dans ce domaine où la jurisprudence joue un rôle essentiel, la défense des principes syndicaux dans ce dossier est d’une importance capitale.

La criminalisation des conflits continue. Ces derniers mois, le patronat a accentué ses attaques à l’encontre des ouvriers et de leurs droits, et il est devenu courant de faire appel à la justice et aux huissiers. Pour le patronat, il s’agit, encore plus en ces temps de crise, de briser les luttes dès qu’elles apparaissent. Une nouvelle étape est franchie maintenant avec la tentative de lever la protection des délégués par la force, afin de pouvoir les licencier.

Cet été, un délégué chez Bridgestone à Frameries s’est fait licencier. Le patronat s’en prend d’abord aux ouvriers les plus combatifs, aux délégués, avant de passer aux autres.

Ce 1er octobre aura lieu une audience devant la Cour du Travail à Bruxelles concernant le dossier de ‘faute grave’ des trois travailleurs protégés de IAC: G. Fasoli (SETCa), B. Aglietti (CSC) et E. Agostini (FGTB). Le 20 juillet, les syndicats ont obtenu gain de cause pour les deux premiers. La ‘faute grave’ avait été retenue pour Agostini et les syndicats ont été en appel.

Devant ces faits graves, il n’y a pas d’autre alternative que l’unité la plus large des travailleurs dans la mobilisation. C’est tous ensemble que nous parviendrons à faire payer la crise aux seuls responsables: les capitalistes. L’unité, c’est d’abord l’unité au sein d’une entreprise lorsque le patron s’en prend aux travailleurs. Mais c’est aussi l’unité avec les travailleurs en lutte dans les autres entreprises du secteur et/ou du pays, ainsi que l’unité au-delà des frontières. C’est dans la mobilisation que cette unité peut porter des fruits.

Solidarité avec les travailleurs d’IAC!
Défense des droits syndicaux, du droit de grève et de la protection des délégués!
Unifions les luttes!

29 novembre 2009 – La direction d’IAC se paie (assez cher) la liquidation de la délégation syndicale

La direction de IAC FIAT a notifié le 30 novembre leur licenciement à neuf délégués syndicaux. Pour la direction il s’agit d’ainsi clôturer la restructuration entamée en décembre 2008. Cette restructuration a donné lieu à un conflit social dur. Depuis le début, les organisations syndicales dénoncent que le but caché du plan est une chasse aux délégués. Au lieu de suivre la ‘procédure Renault’, la direction avait refusé toute concertation en parlant de fermeture au lieu de restructuration, en refusant les alternatives proposées par les syndicats et en demandant aux tribunaux la levée de la protection des délégués. IAC (FIAT) a été déboutée de cette prétention par la justice, mais choisit aujourd’hui de quand même licencier les délégués en payant leur ‘protection’, (c’est-à-dire la sanction imposée par la loi en cas de licenciement illégal). La sanction que paierait la direction pour se débarrasser des délégués se monte à cinquante années de salaire au total pour les neuf délégués! L’affaire n’est pas close, reste le problème des 12 travailleurs licenciés abusivement en juin, suite au non-respect de la ‘loi Renault‘.

Calicots chez Fiat IAC
Occupation du site de Fiat
Manifestation pour IAC
Rassemblement au procès

Biographie d’Arundhati Roy

Arundhati Roy est née en 1961 d’une mère militante pour les droits de la femme et d’un père planteur de thé. Avant de pouvoir gagner sa vie de sa plume, elle a multiplié les petits boulots, notamment dans le monde du cinéma (grâce à son second mari) et de la télévision. Mais elle a également travaillé dans des hôtels de New Delhi, où elle vit toujours aujourd’hui. C’est en 1996 que Roy est projetée sur le devant de la scène internationale à la publication de son premier roman The God of Small Things, vainqueur de plusieurs prix littéraires et gros succès commercial, ce qui lui a permis de se consacrer totalement à l’écriture. Dès lors, elle décide de s’engager dans la rédaction d’essais politiques et de non-fictions, publiant deux collections de textes, tout en militant pour des causes sociales.

Arundhati Roy

Elle est une des porte-parole du mouvement anti-globalisation et une critique véhémente de l’impérialisme. Elle critique également ouvertement l’actuelle approche de l’industrialisation et du développement rapide menée par le gouvernement indien, en ce y compris les grands projets des compagnies étrangères soutenues par le gouvernement de l’Etat. Son militantisme lui a notamment valu d’être condamnée en 2002 par la Cour Suprême alors qu’elle s’opposait publiquement à un projet de barrage qui allait exproprier un demi million de personnes sans aucune compensation. Engagée pour son peuple et la sauvegarde des minorités nationales, Roy se mobilise également au niveau international, notamment contre la politique étrangère des Etats-Unis et les prises de positions d’Israël.

‘Ma marche avec les camarades’

En février 2010, de manière inopinée, Arundhati Roy a décidé de se rendre dans les circonscriptions interdites des forêts de Dandakaranya du centre de l’Inde, berceau d’un mélange de tribus, dont beaucoup de membres ont pris les armes les grandes sociétés minières, l’Etat et leurs diverses polices et milices. Elle a enregistré en détail la première ‘rencontre’ journalistique directe avec les guérilleros armés, leurs familles et camarades, avec lesquels elle a ratissé les forêts durant des semaines à ses propres risques et périls.

Cet essai a été publié le vendredi 19 mars 2010 dans le ‘Outlook Magazine’ de Delhi et traduit par les soins du Secours Rouge de Belgique. Toutes les notes de bas de page sont de la traductrice.

Jaquette de Walking with the Comrades

La note sommaire tapée à la machine glissée sous ma porte dans une enveloppe scellée a confirmé mon rendez-vous avec la Plus Grande Menace pour la Sécurité Intérieure de l’Inde [[Allusion à la déclaration du Premier Ministre Manmohan Singh, désignant l’insurrection maoïste comme ‘la plus grande menace’ que connaissait l’Inde]]. Cela faisait des mois que j’attendais d’avoir de leurs nouvelles.

Je devais me trouver au temple Ma Danteshwari de Dantewara, dans l’Etat du Chhattisgarh, à n’importe lequel des quatre moments donnés sur deux jours. C’était ainsi pour tenir compte du mauvais temps, des crevaisons, des blocus, des grèves du transport et de la pure malchance. La note disait: «L’écrivain devra avoir un appareil photo, un tilak (marque sur le front des hindous) et une noix de coco. La personne à rencontrer aura une casquette, le magazine ‘Hindi Outlook’ et des bananes. Mot de passe: Namashkar Guruji».

Namashkar Guruji. Je me demandais si elle attendrait un homme. Et si je devais me procurer une moustache.

Il y a beaucoup de façons de décrire Dantewara. C’est un oxymore. C’est une ville frontalière posée violemment au cœur de l’Inde. C’est l’épicentre d’une guerre. C’est une ville renversée, à l’envers.

A Dantewara, la police porte des vêtements quelconques et les rebelles portent des uniformes. Le directeur de la prison est en prison. Les prisonniers sont libres (300 d’entre eux se sont échappés de la prison de la vieille ville il y a deux ans). Les femmes qui ont été violées se trouvent en garde à vue. Les violeurs font des discours au bazar.

En face de la rivière Indravati, dans la région contrôlée par les maoïstes se trouve l’endroit que la police appelle ‘Pakistan’ [[Le Pakistan est un pays traditionnellement ennemi de l’Inde]]. Là, les villages sont vides, mais la forêt est pleine de gens. Les enfants qui devraient être à l’école courent dans la nature. La guerre mortelle qui se déroule dans la jungle, est une guerre dont le gouvernement est à la fois fier et effrayé.

L’Opération Green Hunt a été à la fois proclamée et niée. P. Chidambaram, Ministre de l’Intérieur de l’Inde (et qui dirige cette guerre) dit qu’elle n’existe pas, que c’est une invention médiatique. Et cependant, des fonds considérables lui ont été attribués et des dizaines de milliers de policiers et paramilitaires sont mobilisées pour elle. Bien que le théâtre de la guerre soient les jungles du centre de l’Inde, elle aura des conséquences pour nous tous.

Si les fantômes sont les esprits persistants de quelqu’un, ou de quelque chose qui a cessé d’exister, alors peut-être que la nouvelle autoroute à quatre voies qui s’écrase dans la forêt est le contraire d’un fantôme. Peut-être que c’est le présage de ce qui doit encore arriver.

Les antagonistes dans la forêt sont différents et inégaux à presque tous les niveaux. D’un côté, il y a une force paramilitaire massive, armée avec l’argent, la puissance de feu, les médias et la démesure d’une superpuissance émergente.

De l’autre côté, il y a des villageois ordinaires armés avec des armes traditionnelles, soutenus par la force de combat d’une guérilla maoïste superbement organisée et grandement motivée, avec une histoire extraordinaire et violente de rébellion armée. Les maoïstes et les paramilitaires sont de vieux adversaires qui ont combattu leurs vieux avatars respectifs plusieurs fois dans le passé: à Telegana dans les années 50, dans le Bengale occidental, le Bihar, à Srikakulam dans l’Andhra Pradesh à la fin des années 60 et dans les années 70, et puis encore dans l’Andhra Pradesh, le Bihar et le Maharashtra depuis les années 80 et tout le temps jusqu’à aujourd’hui.

Ils connaissaient bien les tactiques des uns et des autres, et ont étudié de près les manuels de combat des uns et des autres. A chaque fois, il a semblé que les maoïstes (ou leurs avatars précédents) n’avaient pas seulement été battus, mais littéralement, physiquement exterminés. Chaque fois, ils sont réapparus, plus organisés, plus déterminés et plus influents que jamais. Aujourd’hui une fois encore, l’insurrection s’est répandue à travers les forêts riches en minéraux du Chhattisgarh, du Jharkhand, de l’Orissa et du Bengale occidental – patrie de millions de tribaux indiens, pays de rêve du monde de l’entreprise.

Il est plus facile pour la conscience libérale de croire que la guerre dans les forêts est une guerre entre le gouvernement et les maoïstes, qui qualifient les élections de comédie, le parlement de porcherie et qui ont ouvertement déclaré leur intention de renverser l’Etat indien. Il est commode d’oublier que les populations tribales du centre de l’Inde ont une histoire de résistance qui date de plusieurs siècles avant Mao (C’est bien sûr une banalité : si elles n’avaient pas cette histoire, elles n’existeraient plus !). Les Ho, les Oraon, les Kols, les Santhals, les Mundals et les Gonds se sont tous rebellés plusieurs fois, contre les Britanniques, les zamindars (percepteurs de l’impôt à l’époque des empereurs [[Les empereurs moghols, dont le dernier est détrôné par les colonialistes Britanniques en 1858. Ceux-ci transformèrent la classe des zamindars en propriétaires terriens (aux dépens des communautés indigènes qui possédaient collectivement la terre) qui ont servi d’intermédiaires pour l’exploitation coloniale)]] et les usuriers.

Les rébellions ont été cruellement écrasées, plusieurs milliers de personnes tuées, mais la population n’a jamais été conquise. Même après l’indépendance, les populations tribales ont été au cœur du premier soulèvement qui pourrait être qualifié de maoïste, dans le village de Naxalbari au Bengale occidental (où le mot naxalite – aujourd’hui utilisé de manière interchangeable avec ‘maoïste’ – trouve son origine). Depuis lors, les politiques naxalites ont été inextricablement mêlées aux soulèvements tribaux, ce qui en dit long sur les tribaux autant que sur les naxalites.
L’héritage de cette révolte a laissé derrière lui une population furieuse qui a été délibérément isolée et marginalisée par le gouvernement indien. La Constitution indienne, fondement moral de la démocratie indienne, a été adoptée par le parlement en 1950. Cela a été un jour tragique pour les peuples tribaux. La Constitution a approuvé la politique coloniale et a fait du gouvernement le gardien des patries tribales. Du jour au lendemain, elle a transformé l’ensemble de la population tribale en squatteurs de leur propre terre. Elle les a privés de leurs droits traditionnels sur les produits forestiers, elle a criminalisé toute une manière de vivre. En échange du droit de vote, elle les a spoliés de leur droit à la subsistance et à la dignité.
Les ayant dépossédés et poussés dans une spirale descendante de l’indigence, par un tour de passe-passe cruel, le gouvernement a commencé à utiliser leur propre misère contre eux. A chaque fois qu’il a eu besoin de déplacer une large population – pour des barrages, des projets d’irrigation, des mines – il a parlé ‘d’adapter les tribaux àl a tendance dominante ou de leur donner ‘les fruits du développement moderne’. La grande majorité des dizaines de millions de personnes déplacées (plus de 30 millions rien que pour les grands barrages), réfugiés du ‘progrès’ indien, sont des tribaux. Lorsque le gouvernement commence à parler de bien-être pour les tribaux, il est temps de s’inquiéter.

L’expression de la préoccupation la plus récente est venue du Ministre de l’Intérieur qui dit qu’il ne souhaite pas une population tribale vivant dans un ‘musée des cultures’. Le bien-être des tribaux ne semblait pas être une telle priorité durant sa carrière d’avocat des sociétés, représentant les intérêts de plusieurs entreprises minières majeures. Cela pourrait être une idée pour mieux comprendre les fondements de sa nouvelle angoisse.
Au cours de ces cinq dernières années environ, les gouvernements du Chhattisgarh, du Jharkhand, de l’Orissa et du Bengale occidental ont signé des centaines de MOU (Memorandum of Understanding – Protocole d’entente) avec des sociétés pour plusieurs milliards de dollars, tous secrets, pour des aciéries, des usines d’éponges de fer [[Matériau créé à partir de minerai de fer par un processus de réduction grâce à l’usage d’un gaz émis par le charbon]], des usines d’énergie, des raffineries d’aluminium, des barrages et des mines. Afin que ces MOU se transforme en argent, les tribaux doivent être déplacés.

Par conséquent, cette guerre.

Lorsqu’un pays qui s’appelle lui-même une démocratie déclare ouvertement la guerre au sein de ses propres frontières, à quoi ressemble cette guerre? La résistance a-t-elle une chance quelconque? Devrait-elle en avoir une? Qui sont les maoïstes? Sont-ils simplement des nihilistes violents fourguant une idéologie démodée aux populations tribales, les poussant à une insurrection sans espoir? Quelles leçons ont-ils appris de leur expérience passée? La lutte armée est-elle intrinsèquement non démocratique? La Théorie du Sandwich – des tribaux ‘ordinaires’ coincés entre le feu de l’Etat et celui des maoïstes – est-elle une théorie exacte? Les ‘maoïstes’ et les ‘tribaux’ sont-ils deux catégories totalement distinctes comme cela est affirmé? Leurs intérêts convergent-ils? Ont-ils appris quoi que ce soit l’un de l’autre? Se sont-ils changés l’un l’autre?

La veille de mon départ, ma mère a appelé, elle semblait fatiguée. «J’ai pensé» a-t-elle dit, avec un instinct maternel étrange, «que ce dont ce pays a besoin, c’est d’une révolution».

Un article sur internet dit que le Mossad israélien est en train de former 30 officiers de police haut gradés indiens aux techniques des assassinats ciblés, pour décapiter l’organisation maoïste. Il y a une discussion dans la presse à propos du nouveau matériel qui a été acheté à Israël: détecteurs télémétriques à laser, équipement d’imagerie thermique et les drones si populaires grâce à l’armée américaine. Armes parfaites à utiliser contre les pauvres.

Le trajet de Raipur à Dantewara prend environ dix heures à travers des régions connues pour être ‘infestées de maoïstes’. Il n’y a pas de mots innocents. ‘Infester/infection’ suppose ‘maladie/parasites’. Les maladies doivent être soignées. Les parasites doivent être exterminés. Les maoïstes doivent être anéantis. De cette manière rampante et inoffensive, le langage du génocide est entré dans notre vocabulaire.

Pour protéger les autoroutes, les forces de sécurité ont ‘sécurisé’ une largeur de bande étroite de forêt de chaque côté. Plus loin à l’intérieur, il y a l’empire de ‘Dada log’. Les Frères. Les Camarades.

Dans la banlieue de Raipur, un énorme panneau d’affichage fait la publicité de l’hôpital du cancer de Vedanta (la compagnie pour laquelle notre Ministre de l’Intérieur a un jour travaillé). Dans l’Orissa, où elle extrait la bauxite, Vedanta finance une université. Par ces manières rampantes et inoffensives, les sociétés minières pénètrent nos imaginations: les Doux Géants qui se soucient vraiment de nous. Cela s’appelle la CSR, Corporate Social Responsibility (Responsabilité Sociale des Entreprises). Cela permet aux exploitations minières d’apparaître comme l’acteur légendaire et ancien Ministre en Chef, qui aimait jouer tous les rôles dans les films mythologiques Telugu – les bons gars et les mauvais gars, tout en une fois, dans le même film. Cette CSR masque les réalités économiques scandaleuses qui sous-tendent le secteur minier en Inde. Par exemple, selon le récent Rapport Lokayukta pour Karnakata, pour chaque tonne de minerai de fer extraite par une compagnie privée, le gouvernement reçoit une royalty de 27 roupies et la compagnie minière s’en fait 5.000. Dans les secteurs de la bauxite et de l’aluminium, les chiffres sont encore pires. Nous parlons de vol à la lumière du jour à hauteur de milliards de dollars. Assez pour acheter des élections, des gouvernements, des juges, des journaux, des chaînes de télévision, des ONG et des agences d’aide. Qu’est-ce alors qu’un hôpital du cancer, ici et là?

Je ne me souviens pas avoir vu le nom de Vedanta sur la longue liste des MOU signées par le gouvernement du Chhattisgarh. Mais je suis assez tordue pour soupçonner que s’il y a un hôpital du cancer, il doit y avoir une montagne au sommet plat pleine de bauxite quelque part.

Nous dépassons Kanker, réputé pour sa Counter Terrorism & Jungle Warfare Training School (Ecole de formation au contre-terrorisme et à la guerre de jungle) dirigée par le général de brigade B K Ponwar, le Rumpelstiltskin (un personnage de conte) de cette guerre, chargé de la mission de transformer des policiers corrompus et peu soignés (la paille) en commandos de la jungle (l’or). «Combattre la guérilla comme la guérilla», la devise de l’école de formation à la guerre, est peinte sur les pierres.

On apprend aux hommes à courir, à glisser, à monter et à descendre d’hélicoptères en vol, à monter à cheval (ça peut toujours servir), à manger des serpents et à vivre de la jungle. Le général de brigade est très fier de former des chiens de rue à combattre les ‘terroristes’. 800 policiers sont diplômés de l’école de formation à la guerre toutes les six semaines. Vingt écoles semblables sont planifiées à travers toute l’Inde. La force de police est graduellement transformée en armée. (Dans le Cachemire [[Le Cachemire est le théâtre d’une lutte armée séparatiste, et sous la loi martiale]], c’est l’inverse : l’armée est transformée en force de police bouffie, bureaucratique). A l’envers. A l’endroit. Quoi qu’il en soit, l’Ennemi, c’est le Peuple.

Il est tard. Jagdalpur dort, excepté les nombreux panneaux d’affichages de Rahul Gandhi [[Fils de Rajiv et Sonia Gandhi, petit-fils d’Indira Gandhi (ex-premier ministre) et arrière-petit-fils de Jawaharlal Nehru (ex-premier ministre) est secrétaire général du Parti du Congrès depuis mars 2008]] demandant aux gens de rejoindre au Congrès de la Jeunesse. Il s’est rendu dans le Bastar deux fois ces derniers mois, mais n’a pas dit grand chose à propos de la guerre. Elle est probablement trop désordonnée pour que le Prince du Peuple ne s’en mêle à ce stade. Ses gestionnaires médiatiques doivent décidé de la mettre en sourdine. Le fait que la Salwa Judum [[‘Chasse de Purification’, milice anti-guérilla, armée par les pouvoirs publics mais financées par les grands propriétaires et les enterprises minières, connue pour ses exactions]] – le groupe d’autodéfense épouvantable parrainé par le gouvernement, responsable de viols, d’assassinats, d’incendies de villages et d’expulsion de centaines de milliers de personnes de leurs maisons – est dirigé par Mahendra Karma, membre du Congrès, ne joue pas un grand rôle dans la publicité soigneusement orchestrée autour de Rahul Gandhi.

Je suis arrivée au temple Ma Danteshwari bien à l’heure pour mon rendez-vous (premier jour, première apparition). J’avais mon appareil photo, ma petite noix de coco et une tilak de poudre rouge sur mon front. Je me suis demandée si quelqu’un me regardait et rigolait. Quelques minutes plus tard, un jeune garçon m’a approchée. Il avait une casquette et un cartable d’écolier sur le dos. Du verni rouge ébréché sur les ongles de ses doigts. Pas de ‘Hindi Outlook’, pas de bananes. «Etes-vous celle qui doit entrer?» m’a-t-il demandé. Pas de Namashkar Guruji. Je ne savais pas quoi dire. Il a sorti une note trempée de sa poche et me l’a donnée. Elle disait «Outlook nahi mila» (N’ai pas pu trouver d’Outlook). «Et les bananes?» «Je les ai mangées» m’a-t-il dit, «j’ai eu faim».

Une vraie menace pour la sécurité.

Son sac à dos disait Charlie Brown – pas votre imbécile habituel [[Allusion à un politicien indien]]. Il a dit que son nom était Mangtu. J’ai rapidement appris que Dandakaranya, la forêt dans laquelle j’étais prête à entrer, était pleine de gens qui avaient de nombreux noms et des identités changeantes. Cette idée était comme un baume pour moi. Quel bonheur de ne pas être coincé avec soi-même, de devenir quelqu’un d’autre pour un moment.

Nous avons marché jusqu’à l’arrêt de bus, seulement à quelques minutes du temple. Il était déjà bondé. Les choses se sont passées très vite. Il y avait deux hommes sur des motos. Il n’y a pas eu de conversation – juste un regard de reconnaissance, un déplacement du poids du corps, la montée en régime des moteurs. Je n’avais aucune idée d’où nous allions. Nous avons dépassé la maison du commissaire de police, que j’ai reconnue de ma précédente visite. Le commissaire était un homme franc. «Vous voyez m’dame, pour parler franchement, ce problème ne peut pas être résolu par nous, policiers et militaires. Le problème avec ces tribaux, c’est qu’ils ne comprennent pas l’avidité. A moins qu’ils ne deviennent gourmands, il n’y a aucun espoir pour nous. J’ai dit à mon chef, enlevez la force, et à la place, mettez une TV dans chaque maison. Tout se règlera automatiquement».

En un rien de temps, nous roulons hors de la ville. Pas de bouchons. Ca a été un long trajet, trois heures selon ma montre. Nous nous sommes arrêtés brutalement au milieu de nulle part, sur une route vide longée par la forêt des deux côtés. Mangtu est descendu. Moi aussi. Les motos sont parties et j’ai ramassé mon sac à dos pour suivre la petite menace pour la sécurité intérieure dans la forêt. C’était une journée magnifique. Le sol de la forêt était un tapis d’or.

Après un moment, nous avons émergé sur les rives blanches et sableuses d’une large rivière calme. Elle était manifestement alimentée par la mousson, et donc maintenant, c’était plus ou moins du sable plat, avec au centre un courant ne dépassant pas la cheville, facile à traverser. De l’autre côté se trouve le ‘Pakistan’. «Là-bas m’dame» m’avait dit le policier franc, «mes hommes tirent pour tuer». Je me suis souvenue de ça comme nous commencions à traverser. Je nous ai vus dans le viseur d’un fusil d’un policier – minuscules silhouettes dans le paysage, faciles à abattre. Mais Mangtu semblait assez peu inquiet, et j’ai pris modèle sur lui.
Nous attendant sur l’autre rive, en T-shirt vert citron marqué Horlicks! se trouvait Chandu. Une menace pour la sécurité légèrement plus vieille. Peut-être 20 ans. Il avait un sourire mignon, un vélo, un bidon avec de l’eau bouillie et de nombreux paquets de biscuits au glucose pour moi, de la part du Parti. Nous avons repris notre souffle et recommencé à marcher de nouveau. Il s’est avéré que le vélo était un moyen pour brouiller les pistes. Le chemin était pratiquement entièrement non-cyclable. Nous avons escaladé des collines abruptes et descendu des chemins empierrés le long de corniches vraiment précaires. Lorsqu’il ne pouvait pas le pousser, Chandu soulevait le vélo et le transportait au-dessus de sa tête comme s’il ne pesait rien. J’ai commencé à m’interroger à propos de son air ahuri de garçon de village. J’ai découvert (beaucoup plus tard) qu’il pouvait manier n’importe quel type d’arme, «excepté le LMG [[Mitrailleuse légère (généralement munie d’un bipied)]]» m’a-t-il informé joyeusement.

Trois magnifiques hommes bien imbibés, avec des fleurs dans leur turban, ont marché avec nous durant environ une demi-heure, avant que nos chemins ne se séparent. Au coucher du soleil, leurs sacs en bandoulière ont commencé à chanter. Ils avaient des coqs dedans, qu’ils avaient apportés au marché mais n’avaient pas réussi à vendre.

Forêt de Dandkaranya

Chandu semble être capable de voir dans le noir. Je dois utiliser ma lampe électrique. Les grillons se mettent en marche, et bientôt il y a un orchestre, un dôme de son au-dessus de nous. Il me tarde de regarder le ciel nocturne, mais je n’ose pas. Je dois garder mes yeux au sol. Un pas à la fois. Concentrée.

J’entends des chiens. Mais je ne peux pas dire à quelle distance ils sont. Le terrain s’aplanit. Je vole un coup d’œil vers le ciel. Cela me met en extase. J’espère que nous allons nous arrêter bientôt. «Bientôt» dit Chandu. Cela s’avère être un peu plus d’une heure. Je vois les silhouettes d’énormes arbres. Nous arrivons.

Le village semble spacieux, les maisons sont très éloignées les unes des autres. La maison dans laquelle nous entrons est magnifique. Il y a un feu, autour duquel quelques personnes sont assises. Plus de gens dehors, dans l’obscurité. Je ne peux pas dire combien. Je peux juste plus ou moins les discerner. Un murmure circule. Lal Salaam Kaamraid (Salutations rouges, Camarade). Lal Salaam, je dis. Je suis au-delà de la fatigue. La femme de la maison m’appelle à l’intérieur et me donne du poulet au curry cuit dans des haricots verts et du riz rouge. Fabuleux. Son bébé est endormi à côté de moi, ses bracelets de cheville argentés brillent à la lumière du feu.

Après le dîner, j’ouvre la fermeture éclair de mon sac de couchage. C’est une intrusion étrange de son, cette grosse tirette. Quelqu’un allume la radio. Service de la BBC en Hindi. L’Eglise anglicane a retiré ses fonds du projet Niyamgiri de Vedanta, invoquant la dégradation de l’environnement et les violations des droits de la tribu Dongria Kondh. Je peux entendre les clochettes du bétail reniflant, traînant, pétant. Tout va bien dans le monde. Mes yeux se ferment.

Nous sommes debout à 5 heures. Sur la route à 6. Après deux heures, nous traversons une nouvelle rivière. Nous marchons à travers de magnifiques villages. Chaque village a sa famille de tamariniers qui le surveille, comme une étreinte d’énormes dieux bienveillants. Doux tamarinier du Bastar. A 11 heures, le soleil est haut, et la marche moins amusante. Nous nous arrêtons dans un village pour dîner.

Pause repas des guérilleros

Chandu semble connaître les gens dans la maison. Une sublime jeune fille flirte avec lui. Il a l’air un peu timide, peut-être parce que je suis là. Le dîner est composé de papaye crue avec du masoor dal et du riz rouge. Et de la poudre de piment rouge. Nous allons attendre que le soleil perde un peu de son intensité avant de recommencer à marcher. Nous faisons une sieste dans le belvédère. Ce lieu est d’une beauté spartiate. Tout est propre et nécessaire. Pas de désordre. Une poule noire parade de haut en bas du petit mur de boue. Une grille de bambou stabilise les chevrons du toit de chaume et se double comme un casier de rangement. Il y a un balai d’herbe, deux tambours, un panier tissé rouge, un parapluie cassé et toute une pile de boîtes en carton ondulé aplaties et vides. Quelque chose me saute aux yeux. J’ai besoin de mes lunettes. Voici ce qui est imprimé sur le carton: Emulsion à Haute Energie Explosive Puissance Idéale 90 (Classe-2) SD CAT 22.

Nous recommençons à marcher vers deux heures. Dans le village où nous nous rendons, nous allons rencontrer une Didi (Soeur, Camarade) qui sait ce que sera la prochaine étape du voyage. Chandu ne le sait pas. Il y a aussi une économie de l’information. Personne n’est supposé tout savoir. Mais quand nous atteignons le village, Didi n’est pas là. Il n’y a aucune nouvelle d’elle. Pour la première fois, je vois un petit nuage d’inquiétude s’installer chez Chandu. Un très gros s’installe chez moi. Je ne sais pas quels sont les systèmes de communications, mais que faire s’ils ont mal tourné?

Nous sommes stationnés à l’extérieur d’un immeuble scolaire déserté, un peu en dehors du village. Pourquoi toutes les écoles de village du gouvernement sont-elles construites comme des bastions en béton, avec des volets en fer aux fenêtres et des portes en accordéon coulissantes en fer? Pourquoi pas comme les maisons du village, avec de la boue et de la chaume? Parce qu’elles se dédoublent en casernes et en bunkers. «Dans les villages du Abhujmad» dit Chandu «les écoles sont comme ça…» Il gratte le plan d’un immeuble avec une brindille dans la terre. Trois octogones attachés les uns aux autres comme les alvéoles d’une ruche. «Ainsi ils peuvent tirer dans toutes les directions». Il dessine des flèches pour illustrer son propos, tel un graphique de cricket – la roue du chariot du batteur. Il n’y a aucun professeur dans aucune école, dit Chandu. Ils se sont tous enfuis. Ou les avez-vous chassé? Non, nous ne chassons que la police. Mais pourquoi les professeurs devraient-ils venir ici, dans la jungle, alors qu’ils reçoivent leurs salaires assis à la maison? Un bon point.
Il m’informe que ceci est une ‘nouvelle région’. Le Parti n’y est entré que récemment.

Environ vingt jeunes personnes arrivent, filles et garçons. Adolescents ou au début de la vingtaine. Chandu explique que c’est la milice au niveau du village, le rang le plus bas de la hiérarchie militaire maoïste. Je n’avais jamais vu personne comme eux avant. Ils sont vêtus de saris et de lungis [[Vêtement masculin : pièce de tissus que les hommes ceignent autour de la taille]], certains en uniforme vert olive effiloché. Les garçons portent des bijoux, des coiffures. Certains ont aussi des couteaux, des haches, un arc et des flèches.

Jeune combattant d’une milice villageoise

Un garçon transporte un mortier grossier fabriqué à partir d’un lourd tuyau en acier galvanisé de trois pieds. Il est rempli de poudre à canon et de mitraille et prêt à être mis à feu. Cela fait un grand bruit, mais ne peut être utilisé qu’une seule fois. Tout de même, cela effraye la police, disent-ils en gloussant.

La guerre ne semble pas être la plus grande préoccupation dans leurs esprits. Peut-être parce que cette région est en dehors de l’espace vital de la Salwa Judum. Ils viennent juste de terminer une journée de travail, pour aider à construire une clôture autour de certaines maisons du village pour garder les chèvres hors des champs. Ils sont pleins d’amusement et de curiosité. Les filles sont en confiance et naturelles avec les garçons. J’ai un détecteur pour ce genre de chose, et je suis impressionnée. Leur job, dit Chandu, est de patrouiller et de protéger un groupe de quatre ou cinq villages et d’aider dans les champs, de nettoyer les puits ou de réparer les maisons – faire tout ce qui est nécessaire.

Toujours pas de Didi. Que faire? Rien. Donner un coup de main pour découper et éplucher.

Après le souper, sans beaucoup de discussion, tout le monde se met en rang. Manifestement, nous bougeons. Tout se déplace avec nous, le riz, les légumes, les marmites et les casseroles. Nous quittons l’enceinte de l’école et marchons en file indienne dans la forêt. En moins d’une demi-heure, nous arrivons dans une clairière où nous allons dormir. Il n’y a absolument aucun bruit. En quelques minutes, tout le monde a déplié son drap en plastique bleu, l’omniprésent ‘jhilli’ sans lequel il n’y aurait pas de révolution. Chandu et Mangtu s’en partagent un et en étalent un pour moi. Ils me trouvent la meilleure place, près de la meilleure pierre grise. Chandu dit qu’il a envoyé un message à Didi. Si elle le reçoit, elle sera là dès le début de la matinée. Si elle le reçoit.

C’est la plus belle chambre dans laquelle j’ai dormi depuis longtemps. Ma suite privée dans un hôtel 1000 étoiles. Je suis encerclée par ces enfants étranges et magnifiques avec leur curieux arsenal. Ils sont à coup sûr tous maoïstes. Vont-ils tous mourir? Est-ce que l’Ecole de formation à la guerre dans la jungle est pour eux? Et les hélicoptères de combat, l’imagerie thermique et les télémètres laser?

Pourquoi doivent-ils mourir? Pour quoi? Pour transformer tout ceci en une mine? Je me souviens de ma visite aux mines de minerai de fer à ciel ouvert de Keonjhar, dans l’Orissa. Un jour, il y avait là une forêt. Et des enfants comme ceux-ci. Maintenant, la terre ressemble à une blessure rouge et froide. La poussière rouge empli les narines et les poumons. L’eau est rouge, l’air est rouge, les gens sont rouges, leurs poumons et leurs cheveux sont rouges. Toute la journée et toute la nuit, les camions grondent à travers leur village, pare-choc contre pare-choc, des milliers et des milliers de camions, amenant le minerai de fer au port de Paradip d’où il partira vers la Chine. Là, il sera transformé en voitures, en fumée et en villes champignons. En un ‘taux de croissance’ laissant les économistes hors d’haleine. En armes pour faire la guerre.

Tout le monde est endormi, sauf les sentinelles qui prennent la relève toutes les heures et demi. Enfin, je peux regarder les étoiles. Quand j’étais enfant, grandissant sur les rives de la rivière Meenachal, je pensais que le son des grillons – qui commençait toujours au crépuscule – était le son des étoiles pétaradant, se préparant à briller. Je suis surprise à quel point j’adore être ici. Il n’y a nulle part ailleurs dans le monde où j’aimerais mieux être. Qui devrais-je être ce soir? Kamraid Rahel, sous les étoiles? Peut-être Didi viendra-t-elle demain?

Ils arrivent en début d’après-midi. Je peux les voir de loin. Une quinzaine d’entre eux, tous en uniformes vert olive, courant vers nous. Même de loin, de la façon dont ils courent, je peux dire que ce sont de solides combattants. La Peoples Liberation Guerilla Army (PGLA – Guérilla Armée de Libération du Peuple). A laquelle est destinée l’imagerie thermique et les armes guidées par laser. Pour laquelle a été créée l’Ecole de formation à la guerre de jungle.

Ils transportent des armes sérieuses, INSAS [[Fusil d’assaut nouvelle génération en service dans l’armée indienne depuis les années ’80]], SLR [[Fusil d’assaut indien de la génération précédente (copie du FAL belge)]], deux d’entre eux ont des AK 47 [[C’est-à-dire des kalashnikovs]]. Le dirigeant de la brigade est le Camarade Madhav qui est dans le Parti depuis qu’il a 9 ans. Il est de Warangal, Andhra Pradesh. Il est désolé et se confond en excuses. Il y a eu un manque de communication majeur, dit-il encore et encore, ce qui d’habitude n’arrive jamais. J’étais supposée être arrivée au camp principal dès la première nuit. Quelqu’un a laissé tomber le témoin dans le relais de la jungle. La descente de moto aurait du avoir lieu dans un endroit tout à fait différent. «Nous vous avons fait attendre, nous vous avons fait marcher tellement. Nous avons couru tout le chemin quand le message est arrivé que vous étiez ici». J’ai dit que c’était OK, que j’étais venue en étant prête à attendre, à marcher et à écouter. Il veut partir immédiatement, parce que les gens du camp attendaient et se tracassaient.

Colonne de guérilleros

C’est une marche de quelques heures jusqu’au camp. Il commence à faire noir quand nous arrivons. Il y a plusieurs niveaux de sentinelles et des cercles concentriques de patrouille. Il doit y avoir une centaine de camarades alignés en deux rangs. Tout le monde a une arme. Et un sourire. Ils commencent à chanter: Lal lal salaam, lal lal salaam, aane vaaley saathiyon ko lal lal salaam (Salutations rouges aux camarades qui sont arrivés). C’était chanté mélodieusement, comme s’il s’agissait d’une chanson populaire à propos d’une rivière et de la floraison de la forêt. Avec la chanson, le salut, la poignée de main et le poing fermé. Tout le monde salue tout le monde, murmurant lalslaam, mlalslaa mlalslaam…
Hormis un grand jhilli bleu étalé par terre, sur environ 15 pieds carrés, il n’y a aucun signe de ‘camp’. Celui-ci a aussi un toit jhilli. C’est ma chambre pour la nuit. C’était soit pour me récompenser de mes jours de marche, soit pour me dorloter par avance de ce qui nous attendait. Ou les deux. De toute manière, c’était la dernière fois de tout le voyage que j’allais avoir un toit au-dessus de ma tête. Au cours du souper, j’ai rencontré la Camarade Narmada chargée du Krantikari Adivasi Mahila Sangathan (KAMS) dont la tête est mise à prix, la Camarade Saroja de la PLGA qui est aussi grande que son SLR, la Camarade Maase (ce qui signifie Fille Noire en Gondi) dont la tête est aussi mise à prix, le Camarade Roopi, assistant technique, le Camarade Raja qui est en charge de la Division [[La Division est un niveau de l’organisation politique des zones libérées (voir plus loin)]] à travers laquelle j’avais marché et le Camarade Venu (ou Murali ou Sonu ou Sushil ou tout ce que vous voulez l’appeler), clairement le plus âgé de tous. Peut-être du Comité Central, peut-être même du Bureau Politique. On ne me le dit pas, je ne le demande pas. Entre nous, nous parlons Gondi, Halbi, Telugu, Punjabi et Malayalam. Seule Maase parle anglais (donc, nous communiquons tous en hindi!). La Camarade Maase est grande et tranquille et semble devoir nager à travers une couche de douleur pour entrer dans la conversation. Mais à la manière dont elle me prend dans ses bras, je peux dire que c’est une lectrice. Et qu’elle regrette de ne pas avoir de livres dans la jungle. Elle ne me racontera son histoire que plus tard. Quand elle sentira qu’elle peut me confier sa douleur.

De mauvaises nouvelles arrivent, comme c’est le cas dans cette jungle. Un messager, avec des ‘biscuits’. Des notes manuscrites sur des feuilles de papier, pliées et agrafées en petits carrés. Il y en a un sac entier. Comme des jetons. Des nouvelles de partout. La police a tué cinq personnes dans le village d’Ongnaar, quatre de la milice et un villageois ordinaire: Santhu Pottai (25 ans), Phoolo Vadde (22), Kande Potai (22), Ramoli Vadde (20), Salsai Kuram (22). Ils auraient pu être les enfants dans mon dortoir étoilé de la nuit dernière.

Puis les bonnes nouvelles arrivent. Un petit contingent de personnes avec un jeune homme grassouillet. Il est aussi en treillis, mais il est flambant neuf. Tout le monde l’admire et en commente la coupe. Il semble timide et heureux. C’est un docteur qui est venu pour vivre et travailler avec les camarades dans la forêt. La dernière fois qu’un docteur a visité Dandakaranya, c’était il y a de nombreuses années.

A la radio, il y a des nouvelles de la réunion du Ministre de l’Intérieur avec les Ministres en Chef des Etats affectés par ‘l’extrémisme de gauche’, pour discuter de la guerre. Les Ministres en Chef du Jharkhand et du Bihar sont restés discrets et n’y ont pas assisté. Tout le monde, assis autour de la radio rigole. Au moment des élections, disent-ils, tout au long de la campagne et puis peut-être un mois ou deux après la formation du gouvernement, les politiciens disent tous des choses comme «les naxalites sont nos enfants». On peut régler sa montre sur le moment où ils changeront d’avis et montreront leurs crocs.

Je suis présentée à la Camarade Kamla. On me dit que je ne dois en aucun cas m’éloigner de cinq pieds de ma jhilli sans la réveiller. Tout le monde est désorienté dans le noir et pourrait sérieusement se perdre. (Je ne la réveille pas. Je dors comme une buche). Durant la matinée, Kamla me présente un paquet en polyéthylène jaune dont un coin est coupé. Un jour, il a été utilisé pour contenir de la Abis Gold Refined Soya Oil (huile de soja). Maintenant, c’était ma grande tasse pour aller au petit coin. Rien n’est gaspillé sur la route de la révolution. (Encore aujourd’hui, je pense à la Camarade Kamla tout le temps, chaque jour. Elle a 17 ans. Elle porte à la hanche un pistolet fait main. Et quel sourire. Mais si la police vient vers elle, elle la tuera. Elle pourrait la violer d’abord. Aucune question ne sera posée. Parce qu’elle est une Menace pour la Sécurité Intérieure).
Après le petit-déjeuner, le Camarade Venu (Sushil, Sonu, Murali) m’attend, assis les jambes croisées sur le jhilli, avec son apparence de frêle instituteur de village. Je vais recevoir une leçon d’histoire. Ou plus précisément, une conférence sur l’histoire des trente dernières années dans la forêt de Dandakaranya, qui a abouti dans la guerre qui tourbillonne en elle aujourd’hui. Il ne fait aucun doute que c’est une version partisane. Mais quelle histoire ne l’est pas? Dans tous les cas, l’histoire secrète doit être rendue publique pour être contestée, débattue au lieu que l’on mente simplement à son propos, comme cela se passe actuellement.

Le Camarade Venu a une attitude rassurante et calme, et une voix douce qui émergera, dans les jours à venir, dans un contexte qui me troublera complètement. Ce matin, il parle durant plusieurs heures, pratiquement de manière continue. Il est comme un petit gérant de magasin qui a un énorme trousseau de clés avec lesquelles il peut ouvrir un labyrinthe de casiers remplis d’histoires, de chansons et d’idées.

Le Camarade Venu était dans un des sept bataillons armés qui a traversé le Godavari depuis l’Andhra Pradesh et est entré dans la Forêt de Dandakaranya (DK) en juin 1980, il y a trente ans. Ils appartenaient au Peoples War Group (PWG – Groupe ‘Guerre Populaire’), une faction du Parti Communiste d’Inde – Marxiste-Léniniste (CPI-ML), les premiers naxalites. Le PWG a été officiellement annoncé en tant que parti distinct indépendant en avril cette année-là, sous Kondapalli Seetharamiah. Le PGW a décidé de construire une armée permanente, pour laquelle il aurait besoin d’une base. DK allait devenir cette base, et ces premiers bataillons y ont été envoyés pour reconnaître la région et pour commencer le processus de construction de zones de guérillas. Quant à savoir si les partis communistes devaient avoir une armée permanente et si oui ou non une ‘armée populaire’ est une contradiction dans les termes, c’est un vieux débat. La décision du PWG de construire une armée est venue de son expérience dans l’Andhra Pradesh, où sa campagne « La terre aux paysans » a conduit à un affrontement direct avec les propriétaires terriens et a abouti au type de répression policière à laquelle le Parti a trouvé impossible de résister sans sa propre force combattante entrainée.

En 2004, le PGW a fusionné avec d’autres factions CPI(ML), le Party Unity (PU – Unité du Parti) et le Maoist Communist Center (MCC – Centre Communiste Maoïste), qui fonctionne en grande partie en dehors du Bihar et du Jharkhand. Pour devenir ce qu’il est maintenant, le Parti Communiste d’Inde (Maoïste).

Dandakaranya est une part de ce que les Britanniques, à leur manière d’hommes blancs, ont appelé Gondwana, terre des Gonds. Aujourd’hui, les frontières des Etats de Madhya Pradesh, du Chhattisgarh, de l’Orissa, de l’Andhra Pradesh et du Maharashtra coupent à travers la forêt. Fractionner un peuple gênant en unités administratives distinctes est un vieux procédé. Mais ces maoïstes et Gonds maoïstes ne font pas beaucoup attention à des choses comme les frontières d’Etats. Ils ont des cartes différentes dans leurs têtes, et comme d’autres créatures de la forêt, ils ont leurs propres chemins. Pour eux, les routes ne sont pas conçues pour qu’on marche dessus. Elles sont faites pour être traversées, ou comme c’est de plus en plus le cas, pour tendre des embuscades. Bien que les Gonds (divisés entre les tribus des Koyas et des Dorlas) soient de loin majoritaires, il y a de petites colonies d’autres communautés tribales aussi. Les communautés non-adivasis [[Les adivasis sont les ‘peuples tribaux’]], de marchands et de colons vivent aux bords de la forêt, près des routes et des marchés. Le PGW n’a pas été le premier à venir évangéliser le Dandakaranya. Baba Amte, le célèbre partisan de Gandhi a ouvert son ashram et sa léproserie à Warona en 1975. La mission Ramakrishna avait commencé à ouvrir des écoles de village dans les forêts éloignées d’Abhujmad. Dans le Bastar Nord, le Baba Bihari Das a commencé une campagne agressive pour ‘ramener les tribaux dans le bercail hindou’, ce qui impliquait une campagne pour dénigrer la culture tribale, provoquer la haine de soi et introduire le beau cadeau de l’hindouisme – la caste [[Il existe quatre castes principales. Les castes sont héréditaires et la violence des castes dominantes contre les castes inférieures fait partie de la domination. Il n’est pas possible pour un ‘brahmane’, un membre de la couche supérieure, de boire dans le même verre qu’un membre de certaines castes inférieures; même le regard d’un inférieur peut ‘salir’ un repas et il faudra le purifier]]. Les premiers convertis, les chefs de village et les gros propriétaires terriens – des gens comme Mahendra Karma, fondateur de la Salwa Judum – se sont vus conférer le statut de dwij, né deux fois, brahmanes [[C’est-à-dire membre de la caste le plus haute]]. (Bien sûr, c’était un peu une arnaque, parce que personne ne peut devenir brahmane. Si c’était possible, ne serions aujourd’hui devenus une nation de brahmanes). Mais ce faux hindouisme est considéré comme assez bon pour la population tribale, juste comme les marques contrefaites de tout le reste – biscuits, savon, allumettes, huile – qui sont vendues sur les marchés villageois. Dans le cadre de la campagne d’hindouisation, les noms des villages ont été changés dans les registres fonciers, ce qui entraîne que la plupart d’entre eux ont deux noms aujourd’hui, les noms du peuple et les noms du gouvernement. Par exemple, le village d’Innar est devenu Chinnari. Sur les listes électorales, les noms tribaux ont été changés en noms hindous (Massa Karma est devenu Mahendra Karma). Ceux qui ne sont pas venus rejoindre le bercail hindou ont été déclarés ‘katwas’ autrement dit intouchables (Les ‘dalits’ ou ‘intouchables’ sont les membres de la caste la plus basse), ce qui est devenu plus tard la base de recrutement naturelle pour les maoïstes.

Le PGW a d’abord commencé à travailler dans le Bastar Sud et le Gadchiroli. Le Camarade Venu décrit ces premiers mois en détail: comment les villageois étaient suspicieux à leur égard, et ne les laissaient pas entrer dans leurs maisons. Personne ne leur aurait offert de la nourriture ou de l’eau. La police répandait des rumeurs qu’ils étaient des voleurs. Les femmes cachaient leurs bijoux dans les cendres de leur poêle à bois. Il y avait une répression terrible. En novembre 1980, à Gadchiroli, la police a ouvert le feu dans une réunion de village et a tué toute une escouade. Ca a été le premier ‘combat'[[ En anglais : ‘encounters’ (‘rencontres’). Il s’agit d’exécutions déguisées en combats que nous traduirons par ‘combat’ (entre guillemets)]] meurtrier du DK. Ca a été une retraite traumatisant et les camarades se sont retirés à travers le Godavari et sont retournés à Adilabad.

Mais en 1981, ils y sont revenus. Ils ont commencé à organiser les populations tribales pour exiger une augmentation du prix qu’on leur donnait pour les feuilles de tendu (qui sont utilisées pour fabriquer les beedis [[Les beedis sont de petit cigarillos indiens contenant un peu de tabac roulé dans une feuille de tendu (ou temburini)]]). A l’époque, les commerçants payaient trois paises pour un fagot d’environ 50 feuilles. C’était un travail formidable d’organiser les gens qui n’étaient pas du tout familiers avec ce type de politique, de les amener à se mettre en grève.

Finalement, la grève a été un succès et le prix doublé, à six paises [[Le paise est le centième de roupie]] le fagot. Mais le vrai succès pour le Parti était d’avoir été capable de prouver la valeur de l’unité et une nouvelle manière de conduire une négociation politique. Aujourd’hui, après plusieurs grèves et agitations, le prix d’un fagot de feuilles de Tendu est d’une roupie. (Cela semble un peu improbable à ces tarifs, mais le chiffre d’affaire du business du tendu se compte en centaines de milliards de roupies) Chaque saison, le gouvernement glisse des offres et donne à des entrepreneurs la permission d’extraire un volume fixé de feuilles de tendu – habituellement entre 1500 et 5000 sacs standards connus sous le nom de manak boras. Chaque manak boras contient environ 1000 fagots.
(Bien sûr, il n’y a aucune manière de s’assurer que les entrepreneurs n’extraient pas plus que ce qu’ils sont supposés). Au moment où le tendu entre sur le marché, il est vendu en kilos. L’arithmétique glissante et le système rusé de mesure qui converti les fagots en manak boras puis en kilos est contrôlé par les entrepreneurs, et laisse beaucoup de place aux pires manipulations. L’estimation la plus prudente place leur profit par sac standard à environ 1.100 roupies. (Cela après avoir payé au Parti une commission de 120 roupies par sac) Mais par cette voie, un petit entrepreneur (1.500 sacs) fait environ 160.000 roupies par saison et un gros (5.000 sacs) jusqu’à 550.000 roupies.

Une évaluation plus réaliste serait plusieurs fois ce montant. Pendant ce temps, la Plus Grave Menace pour la Sécurité Intérieure fait juste assez pour rester en vie jusqu’à la saison suivante.

Nous sommes interrompus par des rires et par la vue de Nilesh, un des jeunes camarades de la PLGA, marchant rapidement vers la zone de cuisine, se giflant lui-même. Quand il arrive plus près, je vois qu’il transporte un nid en feuilles de fourmis rouges en colère qui ont rampé partout sur lui et qui le mordent aux bras et au cou. Nilesh rigole aussi. «As-tu déjà mangé un chutney?» me demande le Camarade Venu. Je connais bien les fourmis rouges, de mon enfance dans le Kerala, j’ai été mordue par elles, mais je n’en ai jamais mangé. (Le chutney s’avère être bon. Aigre. Beaucoup d’acide folique)

Nilesh est de Bijapur, qui est au cœur des opérations de la Salwa Judum. Le plus jeune frère de Nilesh a rejoint la Judum lors d’un de ses pillages et incendies fous et a été fait Special Police Officer (SPO – Officier de Police Spécial [[Il ne s’agit pas d’un officier au sens des armées occidentale : à peine d’un auxiliaire de police]]). Il habite dans le camp de Basaguda avec sa mère. Son père a refusé d’y aller et est resté au village. En fait, c’est une querelle familiale sanglante.

Plus tard, quand j’ai eu l’occasion de lui parler, j’ai demandé à Nilesh pourquoi son frère avait fait ça. «Il était très jeune» a dit Nilesh, «Il a eu l’opportunité de se déchaîner, de blesser les gens et de brûler des maisons. Il est devenu fou, il a fait des choses terribles. Maintenant, il est coincé. Il ne pourra plus jamais rentrer au village. Il ne sera jamais pardonné. Il le sait».

Nous retournons à la leçon d’histoire. La grande lutte suivante du Parti, dit le Camarade Venu, a été contre l’usine de pâte à papier Ballarpur Paper Mills. Le gouvernement aurait donné aux Thapars un contrat de 45 ans pour extraire 15000 tonnes de bambou à un taux extrêmement subventionné. (De la petite bière comparé à la bauxite, mais tout de même). Les tribaux étaient payés dix paisas pour un fagot qui contenait vingt chaumes de bambou (je ne céderai pas à la tentation vulgaire de comparer cela aux profits que faisaient les Thapars). Une longue agitation, une grève, suivie de négociations avec les responsables de l’usine de pâte à papier en présence de la population, ont triplé le prix à trente paisas le fagot. Pour les peuples tribaux, c’étaient des énormes réussites. D’autres partis politiques avaient fait des promesses, mais n’ont montré aucun signe qu’ils allaient les tenir. Les gens ont commencé à approcher le PWG, demandant s’ils pouvaient s’y joindre.

Mais la politique du tendu, du bambou et d’autres produits forestiers était saisonnière. Le problème permanent, le vrai fléau des vies des gens était le plus grand propriétaire terrien de tous, le Département Forestier. Chaque matin, les représentants des services forestiers, jusqu’aux moindres sous-fifres, pouvaient apparaître dans les villages comme un cauchemar, empêchant les gens de labourer leurs champs, de ramasser le bois de chauffage, de cueillir les feuilles, de ramasser les fruits, de faire paître le bétail, de vivre. Ils amenaient des éléphants pour occuper les champs et dispersaient des graines de babul pour détruire le sol sur leur passage. Les gens étaient battus, arrêtés, humiliés, leurs récoltes détruites. Bien sûr, du point de vue du Département Forestier, ceux-ci étaient des gens illégaux engagés dans une activité anticonstitutionnelle et le Département ne faisait qu’appliquer le Règne de la Loi (Leur exploitation sexuelle des femmes était juste un avantage supplémentaire dans une mission difficile).
Enhardi par la participation populaire dans ces luttes, le Parti a décidé d’affronter le Département Forestier. Il a encouragé les gens à reprendre la terre de la forêt et à la cultiver. Le Département Forestier s’est vengé en brûlant les nouveaux villages qui avaient surgis dans les zones forestières. En 1986, il a annoncé un Parc National à Bijapur, ce qui signifiait l’expulsion de 60 villages. Plus de la moitié d’entre eux avaient déjà été déplacés et la construction de l’infrastructure du Parc National avait commencé quand le Parti y est entré. Il a démoli la construction et a stoppé l’expulsion des villages restants. Il a empêché le Département Forestier d’entrer dans la zone. A quelques occasions, des fonctionnaires ont été capturés, attachés aux arbres et battus par les villageois. C’était une vengeance cathartique de générations d’exploitation. Finalement, le Département Forestier a fui. Entre 1986 et 2000, le Parti a redistribué 300000 acres de terre forestière. Aujourd’hui, dit le Camarade Venu, il n’y a aucun paysan sans terre dans le Dandakaranya.

Roy écoute l’histoire des maoïstes

Pour la génération actuelle de jeunes gens, le Département Forestier est un souvenir distant, la matière d’histoires que les mères racontent à leurs enfants, à propos d’un passé mythologique de servitude et d’humiliation. Pour la génération plus vieille, la libération du Département Forestier signifiait l’authentique liberté. Ils pouvaient la toucher, la sentir. Cela signifiait beaucoup plus que ce que n’a jamais signifié l’indépendance de l’Inde. Ils ont commencé à se rallier au Parti qui avait lutté avec eux. L’équipe de sept bataillons avait parcouru un long chemin. Son influence couvrait maintenant une étendue de 60.000 kilomètres carrés de forêt, des milliers de villages et des millions de personnes.

Mais le départ du Département Forestier a annoncé l’arrivé de la police. Elle a déclenché un cycle de carnage. Fausses ‘combats’ mis en scène par la police, embuscades tendues par la PWG. Avec la redistribution de la terre sont arrivées d’autres responsabilités: irrigation, productivité agricole et le problème d’une population croissante dégageant arbitrairement la forêt. La décision a été prise de séparer le ‘travail de masse’ et le ‘travail militaire’.

Aujourd’hui, le Dandakaranya est administré par une structure complexe de Jantana Sarkars (gouvernements populaires). Les principes d’organisation venaient de la révolution chinoise et de la guerre du Vietnam. Chaque Jantana Sarkar est élu par un groupe de villages dont la population totale peut varier de 500 à 5000. Il a neuf départements: Krishi (agriculture), Kyapar-Udyog (commerce et industrie), Arthik (économie), Nyay (justice), Raksha (défense), Hospital (santé), Jan Sampak (relations publiques), School-Riti Rivaj (éducation et culture) et Jungle. Un groupe de Janatana Sarkars se trouve sous le Comité Régional. Trois Comités Régionaux forment une Division. Il y a dix Divisions dans le Dandakaranya.

«Nous avons un département Save the Jungle (Sauver la Jungle) maintenant» dit le Camarade Venu «tu dois avoir lu le Rapport Gouvernemental que la superficie forestière a augmenté dans les régions naxales?»

Ironiquement, dit le Camarade Venu, les premières personnes à bénéficier de la campagne du Parti contre le Département Forestier ont été les Mukhiyas (chefs de village) – la brigade Dwij. Ils ont utilisé leur main-d’œuvre et leurs ressources pour saisir autant de terre qu’ils le pouvaient, tant que les conditions étaient bonnes. Mais alors, la population a commencé à aborder le Parti avec ses ‘contradictions internes’, comme le dit bizarrement le Camarade Venu. Le Parti a commencé à tourner son attention vers les questions d’équité, de classe et d’injustice au sein de la société tribale. Les grands propriétaires terriens ont senti les ennuis à l’horizon. Vu que l’influence du Parti s’étendait, ils avaient commencé à faiblir. De plus en plus, les gens amenaient leurs problèmes au Parti au lieu des Mukhiyas. Les vieilles formes d’exploitation ont commencé à être mises en cause. Le premier jour de pluie, les gens étaient traditionnellement sensés labourer la terre des Mukhiyas au lieu de la leur. Cela s’est arrêté. Ils ne leur ont plus offert les premiers jours de ramassage de mahua ou d’autres produits forestiers. Manifestement, il fallait faire quelque chose.

Entre en scène Mahendra Karma, un des plus grands propriétaires terriens de la région et à ce moment, membre du Parti Communiste d’Inde (CPI) [[Il s’agit du Parti ‘communiste’ légaliste et réformiste, représenté au parlement]]. En 1990, il a rassemblé un groupe de Mukhiyas et de propriétaires terriens et a commencé une campagne appelée à Jan Jagran Abhiyan (Public Awakening Campaign – Campagne Publique d’Eveil). Leur façon de ‘réveiller’ le ‘public’ était de former un parti de chasse d’environ 300 hommes pour passer la forêt au peigne fin, tuant les gens, brûlant les maisons et attentant à la pudeur des femmes. Le Gouvernement du Madhya Pradesh d’alors – l’état du Chhattisgarh n’avait pas encore été constitué – a fourni le soutien de la police. Dans le Maharashtra, quelque chose de similaire, appelé ‘Front Démocratique’ a commencé son assaut. La Guerre Populaire a répondu à tout cela dans son vrai style de Guerre Populaire, en tuant quelques-uns des propriétaires terriens les plus notables. En quelques mois, la Jan Jagran Abhiyan, la ‘terreur blanche’ – comme la désigne le Camarade Venu – s’est effacée. En 1998, Mahendra Karma, qui avait alors rejoint le Parti du Congrès, a tenté de raviver la Jan Jagram Abhiyan. Cette fois, elle s’est éteinte encore plus vite qu’avant.

Puis, durant l’été 2005, la chance l’a favorisé. En avril, le gouvernement BJP [[Le Bharatiya Janata Party (BJP; Parti du Peuple Indien) est l’un des principaux partis politiques en Inde, de tendance chauviniste hindouiste]] du Chhattisgarh a signé deux MOU pour créer des aciéries intégrées (dont les termes sont secrets). Un pour 70 milliards de roupies avec Essar Steel à Bailadila, et l’autre pour 100 milliards de roupies avec Tata Steel à Lohandiguda. Le même mois, le Premier Ministre Manmohan Singh a énoncé sa fameuse déclaration à propos des maoïstes comme la ‘Menace la Plus Grave pour la Sécurité Intérieure’ de l’Inde. (C’était une chose étrange à dire à ce moment-là, parce qu’en fait, c’était l’opposé qui était vrai. Le Gouvernement du Congrès de l’Andhra Pradesh venait juste de mettre les maoïstes sur la touche, de les décimer. Ils avaient perdu environ 1.600 de leurs cadres et étaient dans le plus complet désordre). La déclaration du Premier Ministre a fait monter en flèche la valeur des actions des sociétés minières. Elle a également envoyé un signal aux médias que les maoïstes étaient une proie facile pour quiconque qui choisissait de courir après eux. En juin 2005, Mahendra Karma a appelé à une réunion secrète de Mukhiyas dans le village de Kutroo et a fondé la Salwa Judum. Un charmant mélange de traditionalisme tribal et de sentimentalisme hindou aux relents nazis.

Contrairement à la Jan Jagran Abhiyan, la Salwa Judum était une opération de nettoyage de terrain, destinée à déplacer les personnes de leurs villages vers des camps en bordure de route, où ils pouvaient être contrôlés policièrement. En termes militaires, cela s’appelle Hameaux Stratégiques. Cela a été conçu par le général Sir Harold Briggs en 1950 quand les Britanniques étaient en guerre contre les communistes en Malaisie. Le Plan Briggs est devenu très populaire dans l’armée indienne qui l’a utilisé dans le Nagaland, le Mizoram et le Telengana. Le Ministre en Chef BJP du Chhattisgarh, Raman Singh a annoncé que tant que, en ce qui concernait son gouvernement, les villageois qui n’avaient pas déménagé dans les camps seraient considérés comme maoïstes. Donc dans le Bastar, pour un villageois ordinaire, le simple fait de rester chez lui est devenu l’équivalent d’une dangereuse activité terroriste.

Avec une tasse en acier de thé noir, comme un plaisir spécial, quelqu’un me tend une paire d’écouteurs et allume un petit lecteur MP3. C’est un enregistrement rayé de Mr Manhar, le commissaire de police de Bijapur d’alors, briefant un officier subalterne à la radio à propos des récompenses et des primes que les gouvernements de l’Etat et de l’Etat central offrent aux villages ‘jagrit’ (réveillés) et aux gens qui acceptent de déménager dans les camps. Et puis il donne les instructions claires: les villages qui refusent de ‘se rendre’ devront être brûlés et les journalistes qui veulent couvrir les naxalites devront être abattus à vue. (J’avais lu ça dans les journaux il y a longtemps. Quand l’histoire s’est répandue, comme punition – pour punir qui, ce n’est pas clair – le commissaire a été transféré à la Commission des Droits Humains de l’Etat).

Le premier village que la Salwa Judum a brûlé (le 18 juin 2005) était Ambeli. Entre juin et décembre 2005, elle a brûlé, tué, violé et pillé sur son chemin à travers des centaines de villages du Dantewara Sud. Le centre de ses opérations était les districts de Bijapur et de Bhairamgarh, près de Bailadila, où la nouvelle usine Essar Steel était en projet. Ce n’est pas une coïncidence, il y avait aussi des bastions maoïstes, où les Jantan Sarkars avaient fait beaucoup de travail, surtout pour construire des structures de collecte d’eau. Les Janata Sarkars sont devenus la cible spéciale des attaques de la Salwa Judum. Des centaines de personnes ont été assassinées avec les manières les plus brutales. Environ 60.000 personnes ont déménagé dans les camps, certaines volontairement, d’autres sous la terreur. Parmi elles, environ 3.000 ont été nommées Special Police Officer (SPO) pour un salaire de 1.500 roupies.

Pour ces miettes dérisoires, des jeunes gens, comme le frère de Nilesh, se sont condamnés eux-mêmes à une réclusion à vie dans une enceinte de barbelés. Cruels comme ils l’ont été, ils pourraient finir par être les pires victimes de cette horrible guerre. Aucun jugement de la Cour Suprême ordonnant le démantèlement de la Salwa Judum ne pourra changer leur destin.

Les centaines de milliers de personnes restantes sont sorties de l’écran radar du gouvernement. (Mais pas les fonds de développement pour ces 644 villages. Qu’advient-il de cette petite mine d’or?) Beaucoup d’entre eux ont fait leur chemin vers l’Andhra Pradesh et l’Orissa où ils migraient d’habitude pour travailler comme contractuels durant la saison de la cueillette du piment. Mais des dizaines de milliers ont fui dans la forêt, où ils vivent toujours, sans abri, revenant dans leurs champs et leurs maisons uniquement dans la journée.

Dans le sillage de la Salwa Judum, un essaim de commissariats et de camps sont apparus. L’idée était de fournir un tapis de sécurité pour une ‘réoccupation rampante’ du territoire contrôlé par les maoïstes. La supposition était que les maoïstes n’oseraient pas s’attaquer une si grande concentration de forces de sécurité. Les maoïstes pour leur part, ont réalisé que s’ils ne brisaient pas ce tapis de sécurité, cela reviendrait à abandonner le peuple dont ils avaient gagné la confiance et avec qui ils avaient vécu et travaillé durant 25 ans. Ils ont riposté par une série de contre-attaques au cœur du dispositif de sécurité.

Le 26 janvier 2006, la PLGA a attaqué un camp de police de Gangalaur et a tué sept personnes. Le 17 juillet 2006, le camp de Salwa Judum à Erabar a été attaqué, vingt personnes ont été tuées et 150 blessées. (On a pu lire à ce sujet: «Les maoïstes ont attaqué un camp d’assistance créé par le gouvernement de l’Etat pour fournir un abri aux villageois qui avaient fui leur village à cause de la terreur déchaînée par les naxalites») Le 13 décembre, ils ont attaqué le camp ‘d’assistance’ de Basaguda et ont tué trois SPO et un agent de police. Le 15 mars 2007 est venue la plus audacieuse d’entre elles. 120 guérilleros de la PLGA ont attaqué la Rani Bodili Kanya Ashram, un foyer de filles qui avait été converti en caserne pour 80 policiers (et SPO) du Chhattisgarh pendant que les filles y vivaient encore comme boucliers humains. La PLGA a pénétré l’enceinte, a barré l’annexe où vivait les filles et a attaqué la caserne. 55 policiers et SPO ont été tués. Aucune des filles n’a été blessée. (Le commissaire de police franc de Dantewara m’avait montré sa présentation Power Point avec des photos horribles des brûlés, les corps éventrés des policiers au milieu des ruines du bâtiment scolaire explosé. Elles étaient si macabres, il était impossible de ne pas détourner le regard. Il semblé content de ma réaction).

L’attaque de Rani Bodili a causé un tumulte dans le pays. Les organisations de défense des droits humains ont condamné les maoïstes, pas seulement pour leur violence, mais également pour être anti-éducation et pour attaquer les écoles. Mais dans le Dandakaranya, l’attaque de Rani Bodili est devenue une légende: des chansons, des poèmes et des pièces ont été écrites à son sujet.

La contre-offensive maoïste a brisé le tapis de sécurité et a donné un répit à la population. La police et la Salwa Judum se sont retirées dans leurs camps, desquels elles émergent maintenant – habituellement dans le milieu de la nuit – seulement en paquets de 300 ou 1.000 pour mener des opérations Bouclage et Ratissage dans les villages. Graduellement, excepté les SPO et leurs familles, le reste des gens dans les camps de la Salwa Judum ont commencé à retourner dans leurs villages. Les maoïstes les ont accueillis et ont annoncé que même les SPO pouvaient revenir s’ils regrettaient sincèrement et publiquement leurs actions. Les jeunes gens ont commencé à affluer à la PLGA (La PLGA a été officiellement constituée en décembre 2000). Ces trente dernières années, ses brigades armées se sont très graduellement étendues en sections, les sections ont grandi en pelotons et les pelotons en compagnies. Mais après les ravages de la Salwa Judum, la PLGA a été rapidement capable de compter ses combattants en bataillons.

La Salwa Judum n’avait pas simplement échoué, elle s’était méchamment retournée contre ses créateurs.

Comme nous le savons maintenant, ce n’était pas juste une opération locale d’un petit truand. Sans tenir compte du double discours dans la presse, la Salwa Judum était une opération conjointe du gouvernement de l’Etat du Chhattisgarh et du Parti du Congrès qui était au pouvoir à l’Etat central. Elle n’avait pas le droit d’échouer. Pas alors que tous ces MOU étaient en attente, comme des espoirs flétris sur le marché matrimonial. Le Gouvernement subissait une pression terrible pour présenter un nouveau plan. Il a sorti l’Opération Green Hunt. Les SPO de la Salwa Judum sont maintenant appelé Commandos Koya. Il a déployé la Chhattisgarh Armed Force (CAF – Force Armée du Chhattisgarh), la Central Reserve Police Force (CRPF), la Border Security Force (BSF – Force de Sécurité Frontalière), la Indo-Tibetan Border Police (ITBP – Police Frontalière Indo-Tibétaine), la Central Industrial Security Force (CISF – Force Centrale de Sécurité Industrielle), les Grey Hounds, les Scorpions, les Cobras. Et une police affectueusement appelée WHAM – Winning Hearts and Arms (Gagnant les Cœurs et les Esprits).

Les guerres importantes sont souvent livrées dans des endroits improbables. Le capitalisme de libre marché a battu le communisme soviétique dans les montagnes lugubres d’Afghanistan. Ici, dans les forêts de Dantewara, une bataille fait fureur pour l’âme de l’Inde. Beaucoup de choses ont été dites à propos de l’aggravation de la crise dans la démocratie indienne et la complicité entre les grandes entreprises, les principaux partis politiques et le gratin de l’appareil sécuritaire. Si quelqu’un veut faire un rapide contrôle surprise, c’est à Dantewara qu’il doit aller.

Une ébauche de rapport sur les Relations Agraires de l’Etat et la Tâche Inachevée de la Réforme de la Terre (Volume 1) a dit que Tata Steel et Essar Steel étaient les premiers financeurs de la Salwa Judum. Vu que c’était un Rapport du gouvernement, il a fait des vagues quand il a été dévoilé à la presse. (Ce fait a été par la suite exclu du rapport final. Etait-ce une erreur sincère, ou quelqu’un a-t-il reçu une gentille petite tape d’acier intégré sur l’épaule?)

Le 12 octobre 2009, l’audience publique obligatoire pour l’aciérie Tata, sensée se tenir à Lohandigua où les habitants locaux auraient pu aller, a en fait eu lieu dans une petite salle au siège du Trésor public de Jagdalpur, éloigné de plusieurs miles et avec un cordon massif de sécurité. Un public de cinquante tribaux recrutés et rétribués a été amené dans un convoi escorté de jeeps du gouvernement. Après la réunion, le Percepteur du District a félicité ‘le peuple de Lohandiguda’ pour sa coopération. Les journaux locaux ont rapporté le mensonge, même s’ils savaientà quoi ‘en tenir (Les publicités ont afflué). Malgré les objections des villageois, les acquisitions de terres pour le projet ont commencé.

Les maoïstes ne sont pas les seuls à chercher à renverser l’Etat indien. Il a déjà été renversé plusieurs fois, par le fondamentalisme hindou et le totalitarisme économique.

Lohandiguda, un trajet de cinq heures depuis Dantewara, n’a jamais été une région naxalite. Mais maintenant, elle l’est. La Camarade Joori qui était assise à côté de moi pendant que je mangeais le chutney aux fourmis, travaille dans la région. Elle a dit qu’ils avaient décidé d’y entrer après que des tags aient commencé à apparaître sur les murs des villages, disant Naxali Ao, Hamein Bachao (Naxalites, venez et sauvez-nous)! Il y a quelques mois, Vimal Meshram, Président du panchayat (conseil municipal) du village était abattu au marché. «C’était un homme de Tata» dit Joori «Il obligeait les gens à laisser tomber leur terre et à accepter la compensation. C’est bien qu’il ait été tué. Nous avons aussi perdu un camarade. Ils l’ont abattu. T’veux un peu plus de chapoli?» Elle a seulement vingt ans. «Nous ne laisserons pas Tata venir ici. Le peuple ne les veut pas.» Joori n’est pas de la PLGA. Elle est dans la Chetna Natya Manch, l’aile culturelle du Parti. Elle chante. Elle écrit des chansons. Elle vient de Abhumad. (Elle est mariée avec le Camarade Madhav. Elle est tombée amoureuse de ses chants quand il a visité son village avec une troupe de la CNM).

A ce stade, je sens que je devrais dire quelque chose. A propos de la futilité de la violence, à propos du caractère inacceptable des exécutions sommaires. Mais que devrais-je suggérer de faire? Aller en justice? Faire un sit-in à Jantar Mantar, à New Delhi? Une manifestation? Une grève de la faim en chaîne? Cela semble ridicule. On devrait demander aux organisateurs de la Nouvelle Politique Economique – qui trouvent si facile de dire «Il n’y a Pas d’Alternative» – de suggérer une Politique de Résistance alternative. Une qui soit spécifique, à ces gens spécifiques, dans cette forêt spécifique. Ici. Maintenant. Pour quel parti voteraient-ils? Quelle institution démocratique de ce pays aborderaient-ils? A quelle porte Narmada Bachaor Andolan n’a-t-il pas frappé durant ces années et ces années où il a combattu contre les Grands Barrages de Narmada?
Il fait noir. Il y a beaucoup d’activité dans le camp, mais je ne peux rien voir. Juste des points de lumière qui bougent. Il est difficile de dire si ce sont des étoiles, ou des lucioles, ou des maoïstes en mouvement. Le petit Mangtu apparaît, sorti de nulle part. Je découvre qu’il fait partie d’un groupe de dix enfants du premier lot de la Young Communist Mobile School (Ecole Mobile des Jeunes Communistes) à qui l’on apprend à lire et à écrire, et les principes de base du communisme. («Endoctrinement des jeunes esprits!» hurle nos médias commerciaux. Les publicités à la TV qui lavent le cerveau des enfants avant même qu’ils ne puissent penser, n’étant pas vues comme une forme d’endoctrinement) Les jeunes communistes ne sont pas autorisés à porter des fusils ou des uniformes. Mais ils suivent les bataillons de la PGLA avec des étoiles dans les yeux, comme des groupies d’un groupe de rock.

Camp maoïste dans la forêt

Mangtu m’a adoptée avec un doux air de propriétaire. Il a rempli ma bouteille d’eau et dit que je devrais faire mon sac. Un coup de sifflet. La tente bleue en jhilli est démantelée et repliée en cinq minutes. Un autre coup de sifflet et toute la centaine de camarades se met en ligne. Cinq rangs. Le Camarade Raju est le Directeur des Opérations. Il y a un appel. Je suis dans la file aussi, criant mon numéro quand la Camarade Kamla, qui est en face de moi, me le souffle. (Nous comptons jusque vingt et puis recommençons à un, parce que les Gonds ne peuvent compter que jusque là. Vingt, c’est assez pour eux. Peut-être devrait-ce être assez pour nous aussi.) Chandu est en treillis maintenant et porte une mitraillette Sten. D’une voix grave, le Camarade Raju briefe le groupe. Tout est en Gondi, je n’y comprends rien, mais j’entends continuellement le mot RV. Plus tard, Raju me dit qu’il veut dire Rendez-vous. C’et maintenant un mont Gondi. «Nous faisons des points RV de telle manière que si nous sommes sous le feu et que les gens doivent se disperser, ils savent où se regrouper». Il lui est impossible de savoir le type de panique que cela provoque en moi. Pas parce que j’ai peur qu’on me tire dessus, mais parce que j’ai peur d’être perdue. Je suis une dyslexique directionnelle, capable de me perdre entre ma chambre et ma salle de bain. Que ferai-je dans 60.000 kilomètres carrés de forêt? Qu’il pleuve ou qu’il vente, je m’accrocherai au pallu [[Partie du sari qui couvre la poitrine et retombe dans le dos]] du Camarade Raju.

Avant que nous ne commencions à marcher, le Camarade Venu vient vers moi. «Okay Camarade. Je prends congé de toi». Je suis décontenancée. Il a l’air d’un petit moustique avec un capuchon de laine et des sandales, entouré par ses gardes du corps, trois femmes, trois hommes. Lourdement armés. «Nous te sommes très reconnaissants camarade, d’avoir fait tout le chemin jusqu’ici» dit-il. Une fois encore, la poignée de main, le poing serré. «Lal Salaam Camarade». Il disparait dans la forêt, le Gardien des Clés. Et en un instant, c’est comme s’il n’avait jamais été là. Je me sens un peu dépossédée. Mais j’ai des heures d’enregistrement à écouter. Et comme les jours se transforment en semaines, je vais rencontrer beaucoup de gens pour remplir de couleurs et de détails la grille qu’il a dessinée pour moi. Nous commençons à marcher dans la direction opposée. Le Camarade Raju, sentant l’iodex à un mile à la ronde, dit avec un sourire joyeux «Mes genoux sont finis. Je ne peux marcher que si j’ai pris une poignée d’anti-douleurs».

Le Camarade Raju parle parfaitement le hindi et a une façon pince-sans-rire de raconter les histoires les plus drôles. Il a travaillé comme avocat à Raipur durant 18 ans. Sa femme, Malti, et lui, étaient membres du Parti et faisaient partie de son réseau dans la ville. A la fin de 2007, l’une des personnes clé du réseau de Raipur a été arrêtée, torturée et finalement transformée en informateur. Elle a été conduite à travers Raipur dans un véhicule de police fermé et a dû désigner ses anciens collègues.
La Camarade Malti était l’une d’eux. Le 22 janvier 2008, elle a été arrêtée avec d’autres. L’accusation principale contre elle est qu’elle a envoyé des CD contenant des preuves vidéos des atrocités de la Salwa Judum à plusieurs membres du Parlement. Son affaire ne vient que rarement à l’audience parce que la police sait que son dossier est bidon. Mais la nouvelle Chhattisgarh Special Public Security Act (CSPSA – Loi Spéciale de Sécurité Publique du Chhattisgarh) autorise la police à le retenir sans possibilité de remise en liberté sous caution durant plusieurs années. «Maintenant, le gouvernement a déployé plusieurs bataillons de la police du Chhattisgarh pour protéger les pauvres membres du Parlement de leur propre courrier» dit le Camarade Raju. Lui ne s’est pas fait arrêter parce qu’à ce moment là, il était à Dandakoranya, où il assistait à une réunion. Il y est resté depuis. Ses deux enfants en âge scolaire qui étaient restés seuls à la maison ont été abondamment interrogés par la police. Finalement, ils ont fait leurs bagages et sont partis vivre chez un oncle. Le Camarade Raju n’a reçu de leurs nouvelles pour la première fois il y a seulement quelques semaines. Qu’est-ce qui lui donne cette force, cette capacité à garder son humour acide? Qu’est-ce qui les fait tous avancer, malgré tout ce qu’ils ont enduré? Leur confiance et leur espoir – et l’amour – pour le Parti. Je rencontre cela encore et encore, enraciné dans l’histoire personnelle des gens.

Nous avançons maintenant en une seule file. Moi et une centaine d’insurgés ‘d’une violence insensée’ et sanguinaires. J’ai regardé le camp avant que nous ne le quittions. Il n’y a aucun signe que pratiquement cent personnes ont campé ici, excepté quelques cendres à l’emplacement des feux. Cette armée est incroyable. En ce qui concerne la consommation, elle est plus gandhienne que tout gandhien, et a une empreinte carbone plus légère que n’importe quel évangéliste du changement climatique. Mais pour l’instant, elle a même une approche ‘gandhienne’ du sabotage; avant qu’un véhicule de police ne soit brûlé, par exemple, il est déshabillé et chaque partie est cannibalisée. Le volant est redressé et transformé en canon, la garniture intérieure en rexine est enlevée et utilisée pour faire des cartouchières, la batterie pour la charge d’énergie solaire. (Les nouvelles instructions du haut commandement sont que les véhicules capturés doivent être enterrés et non brûlés. De cette manière, ils peuvent être ressuscités quand on en a besoin). Je me demande si je devrais écrire une pièce de théâtre – Gandhi Prend Ton Fusil. Ou serai-je lynchée?

Nous marchons dans le noir et dans un silence de mort. Je suis la seule qui utilise une lampe électrique, pointée vers le bas et donc tout ce que je peux voir dans son cercle de lumière, ce sont les talons nus de la Camarade Kamla dans ses sandales noires éraflées, me montrant exactement où je dois mettre mes pieds. Elle transporte dix fois plus de poids que moi. Son sac à dos, un fusil, un énorme sac de provisions sur sa tête, un des grands plats de cuisine et deux sacs en bandoulière remplis de légumes. Le sac sur sa tête est parfaitement équilibré et elle peut descendre des pentes et des chemins de pierres glissants sans même le toucher. Elle est un miracle. Cela s’avère être une longue marche. Je suis reconnaissante pour la leçon d’histoire parce qu’en plus de tout le reste, elle a donné du repos à mes pieds durant toute une journée. (C’est la plus belle chose que de marcher dans la forêt pendant la nuit. Et je vais le faire nuit après nuit).

Nous nous rendons à une célébration pour le centenaire de la rébellion du Bhumkal en 1910 durant laquelle les Koyas se sont soulevés contre les Britanniques. Bhumkal signifie tremblement de terre. Le Camarde Raju dit que les gens marcheront pendant des jours ensemble pour venir à la célébration. La forêt doit être remplie de gens en mouvement. Il y a des célébrations dans toutes les divisions du DK. Nous sommes privilégiés parce que le Camarade Leng, le Maître de Cérémonie, marche avec nous. En Gondi, Leng signifie ‘la voix’.

Le Camarade Leng est un grand homme d’âge moyen originaire de l’Andhra Pradesh, un collègue du chanteur-poète légendaire et bien aimé Gadar, qui a fondé l’organisation culturelle radicale Jan Natya Manch (JNM) en 1972. Finalement, JNM est devenu une partie officielle de la PWG et dans l’Andhra Pradesh pouvait attirer des foules de dizaine de milliers de personnes. Le Camarade Leng s’est joint en 1977 et est devenu un célèbre chanteur. Il a vécu dans l’Andhra durant la pire répression, l’ère des assassinats au cours ‘combats’ dans lesquelles des amis mourraient pratiquement chaque jour. Il a lui-même été ramassé une nuit dans son lit d’hôpital, par une femme commissaire de police se faisant passer pour un médecin. Il a été amené dans la forêt à l’extérieur de Warangal pour être ‘combattu’. Mais par chance pour lui, dit le Camarade Leng, Gadar a appris la nouvelle et s’est arrangé pour donner l’alarme. Lorsque la PWG a décidé de commencer une organisation culturelle dans le DK en 1998, le Camarade Leng a été envoyé pour diriger le Chetana Natya Manch. Et il est ici maintenant, marchant avec moi, vêtu d’une chemise vert olive, et pour une raison quelconque, d’un pyjama mauve avec des lapins roses dessus. «Il y a 10.000 membres dans le CNM maintenant» m’a-t-il dit. «Nous avons 500 chansons, en hindi, en gondi, en chhattisgarhi et en halbi. Nous avons imprimé un livre avec 140 de nos chansons. Tout le monde en écrit».

La première fois que je lui ai parlé, il semblait très sérieux, très tenace. Mais quelques jours plus tard, assis autour du feu, toujours dans son pyjama, il nous parle d’un réalisateur important et à succès de films en télougou (un ami à lui), qui joue toujours un naxalite dans ses propres films. «Je lui ai demandé» a dit le Camarade Leng dans son hindi teinté d’un agréable accent télougou «Pourquoi penses-tu que les naxalites sont toujours comme ça?» – et il a mimé adroitement un homme accroupi, trottant, à l’air traqué, émergeant de la forêt avec un AK-47 et nous a fait hurler de rire.

Je ne suis pas sûre de savoir si je me réjouis des célébrations du Bhumkal. Je crains de voir des danses traditionnelles tribales teintées de propagande maoïste, des discours enthousiastes et rhétoriques et une assistance docile aux yeux vitreux. Nous arrivons sur le terrain assez tard dans la soirée. Un monument provisoire, un échafaudage de bambou enveloppé d’un drap rouge, a été érigé. Au sommet, au-dessus du marteau et de la faucille du Parti maoïste, se trouve l’arc et la flèche de la Janata Sarkar, enveloppés d’une feuille argentée. La hiérarchie appropriée. La scène est énorme, également provisoire, sur un échafaudage robuste recouvert par un épais plâtrage de boue séchée. Il y a déjà de petits feux dispersés sur le terrain, les gens ont commencé à arriver et se cuisinent leur repas du soir. Ce ne sont que des silhouettes dans le noir. Nous faisons notre chemin à travers eux, (lalsalaam, lalsalaam, lalsalaam) et continuons durant environ 15 minutes avant d’entrer à nouveau dans la forêt.

Sur notre nouveau terrain de camping, nous devons encore former les rangs. Un nouvel appel. Et puis les instructions pour les positions des sentinelles et les ‘arcs de tir’ – décisions de qui couvrira quelle zone dans l’éventualité d’une attaque policière. Des points RV sont à nouveau fixés.

Un détachement est arrivé en avance et a déjà préparé le souper. Pour le dessert, Kamla m’apporte une goyave sauvage qu’elle a cueilli pendant la marche et a gardé pour moi.

Dès l’aube, on sent que de plus en plus de gens se rassemblent pour la célébration du jour. Un brouhaha d’excitation augmente. Des gens qui ne se sont pas vus depuis longtemps se retrouvent. On peut entendre le son des micros qui sont testés. Les drapeaux, les bannières, les affiches, les guirlandes se montent. Une affiche avec les photos des cinq personnes qui ont été tuées à Ongnaar le jour où nous sommes arrivés est apparue.

Je bois le thé avec les Camarades Narmada, Maase et Rupi. La Camarade Narmada parle des nombreuses années durant lesquelles elle a travaillé à Gadchiroli avant de devenir la dirigeante du Krantikari Adivasi Mahila Sanghatha (KAMS) du DK. Rupi et Maase ont été des militantes urbaines dans l’Andhra Pradesh et me racontent les longues années de lutte des femmes au sein du Parti, pas seulement pour leurs droits mais également pour que le Parti se rende compte que l’égalité entre les hommes et les femmes est centrale dans le rêve d’une société juste. Nous parlons des années 70 et des histoires des femmes au sein du mouvement naxalite qui étaient désillusionnées par les camarades masculins qui se croyaient grands révolutionnaires mais étaient entravés par le même vieux patriarcat, le même vieux chauvinisme. Maas dit que les choses ont beaucoup changé depuis lors, bien qu’ils aient encore un long chemin à faire. (Le Comité Central du Parti et le Bureau Politique ne comptent toujours pas de femmes). Aux alentours de midi, un autre contingent de la PLGA arrive. Celui-ci est dirigé par un homme grand, souple, avec un air gamin. Ce camarade a deux noms – Sukhdev et Gudsa Usendi – dont aucun n’est le sien. Sukhdev est le nom d’un camarade très aimé qui est tombé martyr (Dans cette guerre, seuls les morts sont assez en sécurité pour utiliser leurs vrais noms) Comme pour Gudsa Usendi, beaucoup de camarades ont été Gudsa Usendi à un moment ou à un autre. (Il y a quelques mois, c’était la Camarade Raju) Gudsa Usendi est le nom du porte-parole du Parti pour le Dandakaranya. Ainsi même si Sukhdev passe le reste du voyage avec moi, je n’ai aucune idée de comment je pourrais le retrouver. Cependant, je reconnaîtrais son rire n’importe où. Il dit qu’il est venu dans le DK en 1988, quand la PWG a décidé d’envoyer un tiers de ses forces du Telengana Nord vers le DK. Il est joliment habillé, en ‘civil’ (Gondi pour ‘vêtements civils’) opposé à ‘l’habit’ (‘uniforme’ maoïste) et pourrait se faire passer pour un jeune cadre. Je lui demande pourquoi il ne porte pas d’uniforme. Il dit qu’il a voyagé et qu’il revient juste de Keshkal Gats près de Kanker. Il y a des rapports sur un gisements de bauxite – trois millions de tonnes – sur lesquels une compagnie appelée Vedanta à un œil.

Bingo, dix sur dix pour mon instinct.

Sukhdev dit qu’il est allé là pour prendre la température du peuple. Pour voir s’il était préparé à se battre. «Ils veulent des brigades maintenant. Et des fusils». Il penche la tête en arrière et se tord de rire. «Je leur ai dit que ce n’était pas si facile». Grâce à ses brins perdus de conversation et la facilité avec laquelle il porte son AK-47, je peux dire qu’il est aussi très haut placé dans la PLGA.

La poste de la jungle arrive. Il y a un biscuit pour moi! C’est de la part du Camarade Venu. Sur un minuscule morceau de papier, plié et replié, il a écrit les paroles d’une chanson qu’il avait promis de m’envoyer. La Camarade Narmada souri quand elle les lit. Elle connait cette histoire. Elle renvoie aux années 80, au moment où les gens ont commencé à faire confiance au Parti et à venir vers lui avec leurs problèmes – leurs ‘contradictions intimes’ comme les qualifie le Camarade Venu. Les femmes ont été parmi les premières à venir. Un soir, une vieille femme assise près du feu, s’est levée et a chanté une chanson pour le dada log. C’était une Maadiya, une tribu dans laquelle les femmes avaient coutume d’enlever leur chemisier et de rester seins nus après leur mariage.

-Jumper polo intor Dada, Dakoniley
-Taane tasom intor Dada, Dakoniley
-Bata papam kitom Dada, Dakoniley
-duniya kadile maata Dada, Dakoniley
-Ils disent que nous ne pouvons pas garder nos chemisiers, dada, Dakoniley
-Ils nous les font enlever, Dada,
-De quelle manière avons-nous pêché, Dada,
-Le monde change n’est-ce pas, Dada,
-Aatum hatteke Dada, Dakoniley
-Aada nanga dantom Dada, Dakoniley
-Id pisval manni Dada, Dakoniley
-Mava koyaturku vehat Dada, Dakoniley
-Mais quand nous allons au marché Dada,
-Nous devons y aller à moitié nues Dada,
-Nous ne voulons pas cette vie Dada,
-Dites cela à nos ancêtres Dada,

Ceci a été la première question féminine contre laquelle le Parti a décidé de faire campagne. Cela devait se faire délicatement, avec des instruments chirurgicaux. En 1986, il a mis en place le Adivasi Mahila Sanghathana (AMS) qui a évolué vers le Krantikari Adivasi Mahila Sanghatan (KAMS) et a aujourd’hui 90.000 membres enregistrés. Cela pourrait bien être la plus grande organisation de femmes du pays. (D’ailleurs, ils sont tous maoïstes, tous les 90.000. Seront-ils ‘ratissés’? Et qu’en est-il des 10.000 membres du CNM? Eux aussi?) Les campagnes du KAMS contre les traditions adivasis du mariage forcé et de l’enlèvement. Contre la coutume de faire vivre les femmes réglées en dehors du village dans une hutte dans la forêt. Contre la bigamie et la violence domestique. Il n’a pas gagné toutes ses batailles, mais quelles féministes les ont toutes gagnées? Par exemple, encore aujourd’hui dans le Dandakaranya, les femmes ne sont pas autorisées à semer les graines. Dans les réunions du Parti, les hommes approuvent que c’est injuste et cela devrait être supprimé. Mais dans la pratique, ils ne l’autorisent simplement pas. Donc le Parti a décidé que les femmes allaient semer les graines sur les terres communes, qui appartiennent à la Janata Sarkar. Sur cette terre, elles sèment les graines, cultivent les légumes et construisent les barrages de retenue. Une demi victoire, pas une entière.

Au fur et à mesure que la répression policière augmentait dans le Bastar, les femmes du KAMS sont devenues une force formidable et se rassemblent par centaines, parfois par milliers pour faire physiquement face à la police. Le simple fait que le KAMS existe a changé radicalement les attitudes traditionnelles et a diminué beaucoup des formes traditionnelles de discrimination contre les femmes. Pour de nombreuses jeunes femmes, rejoindre le Parti, en particulier la PLGA, est devenu une manière d’échapper à la suffocation de leur propre société. La Camarade Sushila, une ancienne membre du KAMS parle de la rage de la Salwa Judum contre les femmes KAMS. Elle dit qu’un de leurs slogans était Hum Do Bibi layenge! Layenge! (Nous voulons avoir deux femmes! Nous le voulons!) Un grand nombre de viols et de mutilations sexuelles bestiales étaient dirigés contre les membres des KAMS. Beaucoup de jeunes femmes qui ont été témoins de cette sauvagerie ont alors rejoint la PLGA et maintenant, les femmes constituent 45% de ses cadres. La Camarade Narmada envoie chercher certaines d’entre elles, qui nous rejoignent un moment plus tard.

La Camarade Rinki a les cheveux très courts. Un bob-cut comme ils disent en gondi. C’est courageux de sa part, parce qu’ici, ‘bob-cut’ signifie ‘maoïste’. Pour la police, c’est plus qu’assez comme preuve pour justifier une exécution sommaire. Le village de la Camarade Rinki, Korma, a été attaqué par le Bataillon Naga et la Salwa Judum en 2005. A ce moment là, Rinki faisait partie de la milice du village. Tout comme ses amies Lukki et Sukki, qui étaient également membres du KAMS. Après avoir brûlé le village, le Bataillon Naga a arrêté Lukki et Sukki et un autre fille, les ont violées collectivement et les ont tuées. «Ils les ont violées sur l’herbe», dit Rinki, «mais quand ça a été fini, il ne restait plus d’herbe». C’était il y a des années maintenant, le Bataillon Naga est parti, mais la police vient toujours. «Ils viennent dès qu’ils ont besoin de femmes, ou de poulets».
Ajitha a aussi un bob-cut. La Judum est venue à Korseel, son village, et a tué trois personnes en les noyant. Ajitha était avec la milice et a suivi la Judum à distance jusqu’à un endroit proche du village appelé Paral Nar Todak. Elle les a regardés violer six femmes et tirer dans la gorge d’un homme.

La Camarade Laxmi, qui est une fille magnifique avec une longue tresse, me raconte qu’elle a regardé la Judum brûler trente maisons dans son village Jojar. «Nous n’avions pas d’armes alors» dit-elle «nous ne pouvions rien faire d’autre que regarder». Elle a rejoint la PLGA juste après. Laxmi était une des 150 guérilleros qui ont marché à travers la jungle durant trois mois et demi en 2008, de Nayagarh dans l’Orissa, pour faire une descente dans un arsenal de la police où ils ont saisi 1.200 fusils et 2 millions de cartouches.

La Camarade Sumitra a rejoint la PLGA en 2004, avant que la Salwa Judum ne commence à tout saccager. Elle dit qu’elle l’a rejointe parce qu’elle voulait s’enfuir de sa maison. «Les femmes sont contrôlées dans tous les sens» me dit-elle. «Dans notre village, les filles n’étaient pas autorisées à grimper dans les arbres et si elles le faisaient, elles devaient payer une amende de 500 roupies ou d’une poule. Si un homme frappe une femme et qu’elle le frappe en retour, elle doit donner une chèvre au village. Les hommes s’en vont ensemble dans les collines durant des mois pour chasser. Les femmes ne sont pas autorisées à s’y rendre, la meilleure partie de la viande est pour les hommes. Les femmes ne peuvent pas manger d’œufs». Une bonne raison pour rejoindre une armée de guérilla?
Sumitra raconte l’histoire de deux de ses amies, Telam Parvati et Kamla qui travaillaient avec le KAMS. Telam Parvati venait du village de Polekaya dans le Bastar Sud. Comme tout le monde là, elle a aussi regardé la Salwa Judum brûler son village. Elle a alors rejoint la PLGA et est allée travailler dans les Keshkal Ghats. En 2009, elle et Kamla venaient juste de terminer d’organiser les célébrations de la journée des femmes du 8 mars dans la région. Elles étaient ensemble dans une petite hutte juste à l’extérieur d’un village appelé Vadgo. Durant la nuit, la police a encerclé la hutte et a commencé à tirer. Kamla a risposté mais a été tuée. Parvati s’est échappée, mais a été retrouvée et tuée le jour suivant. C’est ce qui est arrivé l’an dernier lors de la Journée des Femmes. Et voici un reportage d’un journal national à propos de la Journée des Femmes cette année.

Les rebelles du Bastar se battent pour les droits des femmes, Sahar Khan, Mail Today, Raipur, 7 mars 2010.

Le gouvernement peut avoir sorti le grand jeu pour combattre la menace maoïste dans le pays. Mais une section de rebelles du Chhattisgarh a des questions plus urgentes à régler que leur propre survie. Avec l’imminence la Journée Internationale des Femmes, les maoïstes de la région du Bastar ont appelé à une semaine de ‘célébrations’ pour plaider en faveur les droits des femmes. Des affiches ont également été apposées à Bijapur, dans le district de Bastar. L’appel de ces champions auto-proclamés des droits des femmes a ébahi la police. L’inspecteur général (IG) du Bastar T.J. Longkumer a dit «Je n’ai jamais vu un tel appel venant des naxalites, qui ne croient qu’à la violence et au carnage».

Et puis le reportage poursuit:

«Je pense que les maoïstes essayent de riposter à notre Jan Jagran Abhiyaan (campagne de sensibilisation de masse) très réussie. Nous avons commencé la campagne en cours avec l’objectif de gagner un soutien populaire pour l’Opération Green Hunt, qui a été lancée par la police pour éradiquer les extrémistes d’extrême gauche» a dit l’IG.

Ce cocktail de méchanceté et d’ignorance n’est pas inhabituel. Gudsa Usendi, chroniqueur de l’actualité du Parti en sait plus à propos là-dessus que la plupart des gens. Son petit ordinateur et son enregistreur MP3 sont remplis de déclarations de presse, de démentis, de corrections, de littérature du Parti, de listes des morts, de clips vidéos et audio et de matériel vidéo. «La pire chose quand vous êtes un Gudsa Usendi» dit-il «est d’émettre des mises au point qui ne sont jamais publiées. Nous pourrions sortir un épais livre de nos mises au point non publiées, à propos des mensonges qu’ils disent à propos de nous». Il parle sans trace d’indignation, en fait avec un certain amusement.

«Quelle est l’accusation la plus ridicule que vous ayez eu a démentir?»

Il réfléchi. «En 2007, nous avons dû sortir une déclaration disant «Nahi bhai, humney gai ko hathode say nahin mara» (Non frère, nous n’avons pas tué les vaches à coups de marteau). En 2007, le Gouvernement Raman Singh a annoncé un Gai Yojana (plan vache), une promesse électorale, une vache pour chaque Adivasi. Un jour, les chaînes de télévision et les journaux ont rapporté que les naxalites avaient attaqué un troupeau de vaches et les avaient matraquées à mort – avec des marteaux – parce qu’ils étaient anti-hindous, anti-BJP. On peut imaginer ce qui est arrivé. Nous avons publié un démenti. Presque personne ne l’a reproduit. Plus tard, il s’est avéré que l’homme qui avait reçu les vaches pour les distribuer était une crapule. Il les a vendues et a dit que nous lui avions tendu une embuscade et tué les vaches».

Et la plus grave?

«Oh, il y en a des douzaines. Ils mènent une campagne après tout. Quand la Salwa Judum a débuté, le premier jour, ils ont attaqué un village appelé Ambeli, l’ont brûlé et puis l’ensemble d’entre eux, les SPO, le Bataillon Naga, la police, a bougé vers Kotrapal… vous devez avoir entendu parler de Kotrapal? C’est un célèbre village qui a été brûlé 22 fois pour avoir refusé de capituler. Quand la Judum a atteint Kotrapal, notre milice l’attendait. Ils avaient préparé une embuscade. Deux SPO sont morts. La milice en a capturé sept, le reste s’est enfui. Le lendemain, les journaux ont rapporté que les naxalites avaient massacré de pauvres Adivasis. Certains ont dit que nous en avions tué des centaines. Même un magazine honorable tel que ‘Frontline’ a dit que nous avions tué 18 adivasis innocents. Même K. Balagopal, le militant pour les droits humains, qui est habituellement méticuleux à propos des faits, a dit cela. Nous avons envoyé une mise au point. Personne ne l’a publiée. Plus tard, dans son livre, Balagopal a reconnu son erreur … Mais qui l’a noté?»

J’ai demandé ce qui était arrivé aux sept personnes qui avaient été capturées.

«Le Comité Régional a appelé un Jan Adalat (Tribunal Populaire), 4.000 personnes y ont assisté. Ils ont écouté toute l’histoire. Deux des SPO ont été condamnés à mort. Cinq ont été avertis mais pas punis. Le peuple a décidé. Même pour les indicateurs – ce qui est en train de devenir actuellement un problème énorme – les gens ont écouté l’affaire, les histoires et les confessions et ont dit «Iska hum risk nahin le sakte» (Nous ne sommes pas prêts à prendre le risque de faire confiance à cette personne) ou «Iska risk hum lenge» (Nous sommes prêts à prendre le risque de faire confiance à cette personne). La presse parle toujours des informateurs qui sont tués. Jamais des nombreux autres que nous laissons partir. Jamais des gens que ces informateurs ont tués. Donc, tout le monde pense que c’est une procédure sanguinaire durant laquelle tout le monde est toujours tué. Il ne s’agit pas de vengeance, il en va de notre survie et de la sauvegarde de nos vies futures. Bien sûr, il y a des problèmes, nous avons fait des erreurs terribles, nous avons même tué les mauvaises personnes dans nos embuscades, pensant que c’était des policiers, mais ce n’est pas la façon dont c’est raconté dans les médias».

Les redoutables ‘Tribunaux Populaires’. Comment pouvons-nous les accepter? Ou approuver cette forme de justice sommaire?

D’autre part, qu’en est-il des faux ‘combats’ mis en scène et autres – la pire forme de justice sommaire – qui rapportent aux policiers et aux soldats des médailles de bravoure, des récompenses pécuniaires et des promotions de la part du gouvernement indien? Plus ils tuent, plus ils sont récompensés. Ils sont appelés ‘Cœurs Vaillants’, ‘spécialistes des affrontements’. Nous sommes appelés ‘anti-nationaux’, ceux d’entre nous qui osent les remettre en cause. Qu’en est-il de la Cour Suprême qui a admis avec impudence ne pas avoir assez de preuves pour condamner Mohammed Afzal (accusé dans l’Attaque du Parlement en décembre 2001) à mort, mais l’a fait quand même, parce que ‘la conscience collective de la société ne sera satisfaite que si la peine capitale est infligée au coupable’.

Au moins, dans l’affaire du Jan Adalat du Kotrapal, le collectif était physiquement présent pour prendre sa propre décision. Elle n’a pas été prise par des juges qui avaient perdu tout contact avec la vie ordinaire il y a très longtemps, censés parler au nom d’un collectif absent.

Je me demande ce qu’aurait du faire la population de Kotrapal? Aller chercher la police?

Le son des tambours est devenu vraiment fort. C’est l’heure de Bhumkal. Nous marchons vers le terrain. Je peux difficilement en croire mes yeux. Il y a une mer de gens, la plupart sauvages et beaux, vêtus des façons les plus fantaisistes et magnifiques. Les hommes semblent avoir beaucoup plus pris soin d’eux-mêmes que les femmes. Ils ont des coiffures à plumes et des tatouages peints sur leur visage. Beaucoup ont les yeux maquillés et les visages poudrés en blanc. Il y a beaucoup de miliciens, de filles en saris de couleurs à couper le souffle avec des fusils suspendus négligemment à l’épaule. Il y a des vieux, des enfants et des arcs de guirlandes rouges à travers le ciel.

Fête de Bhumkal

Le soleil est haut et vif. Le Camarade Leng parle. Ainsi que plusieurs dirigeants des diverses Janatana Srakars. La Camarade Niti, une femme extraordinaire qui est au Parti depuis 1997, est une telle menace pour la nation, qu’en janvier 2007, plus de 700 policiers ont encerclé le village d’Innar parce qu’ils avaient entendu qu’elle était là. La Camarade Niti est considérée comme tellement dangereuse, et est chassée avec un tel désespoir, pas parce qu’elle a mené de nombreuses embuscades (ce qu’elle a fait), mais parce qu’elle est une femme adivasi aimée par les gens dans le village et est une réelle inspiration pour les jeunes. Elle parle avec son AK à l’épaule. (C’est un fusil qui a une histoire. Le fusil de pratiquement chacun a une histoire: à qui il a été saisi, comment, et par qui)

Une troupe CNM présente une pièce à propos du soulèvement de Bhumkal. Les méchants colonialistes blancs portent des chapeaux et des cheveux de paille dorée, et tyrannisent et frappent les adivasis comme plâtre – entraînant un délice sans fin dans le public. Une autre troupe venant du Gangalaur Sud présente un spectacle appelé Nitir Judum Pito (Histoire de la Chasse Sanguinaire). Joori traduit pour moi. C’est l’histoire de deux vieilles personnes qui s’en vont à la recherche du village de leur fille. Alors qu’ils marchent à travers la forêt, ils se perdent parce que tout est brûlé et méconnaissable. La Salwa Judum a même brûlé les tambours et les instruments de musique. Il n’y a pas de cendres parce qu’il a plu. Ils ne peuvent pas trouver leur fille. Dans son chagrin, le vieux couple commence à chanter, et les entendant, la voix de leur fille venant des ruines leur chante en retour: le bruit de notre village a été réduit au silence, chant-t-elle. Il n’y a plus de de bruit du battage de riz, plus de rires. Plus d’oiseaux, plus de chèvres qui bêlent. La corde tendue de notre bonheur a été cassée net.

Son père chante en retour: Ma fille magnifique, ne pleure pas aujourd’hui. Tous ceux qui naissent doivent mourir. Ces arbres autour de nous tomberons, les fleurs fleuriront et se flétriront, un jour ce monde vieillira. Mais pour qui mourons-nous? Un jour, nos pillards apprendront, un jour la Vérité l’emportera, mais notre peuple ne t’oubliera jamais, pour des milliers d’années.

Performance à la fête de Bhumkal

Quelques discours supplémentaires. Puis les tambours et des danses commencent. Chaque Janatana Sarkar a sa propre troupe. Chaque troupe a préparé sa propre danse. Elles arrivent une par une, avec d’énormes tambours et elles dansent des histoires sauvages. Le seul personnage que toutes les troupes ont en commun est Bad Mining Man, avec un casque et des lunettes sombres, qui fume habituellement une cigarette. Mais il n’y a rien de rigide ou de mécanique dans leurs danses. Tandis qu’elles dansent, la poussière s’élève. Le son des tambours devient assourdissant. Petit à petit, la foule commence à se balancer. Et puis elle se met à danser. Ils dansent en petite lignes de six ou sept, les hommes séparés des femmes, avec leur bras autour de la taille l’un de l’autre. Des milliers de gens.
C’est pour cela qu’ils sont venus. Pour ça. On prend la joie très au sérieux ici, dans la forêt de Dandakaranya. Les gens marcheront des kilomètres, durant des jours ensemble pour fêter et chanter, pour mettre des plumes dans leurs turbans et des fleurs dans leurs cheveux, pour se serrer l’un l’autre dans les bras et boire la mahua [[Boisson très appréciée à base de fleur de mahua]] et danser toute la nuit. Personne ne chante ou ne danse tout seul. Ceci, plus que tout le reste, est le signe du défi qu’ils lancent à une civilisation qui cherche à les anéantir.

Je ne peux pas croire que tout ceci se déroule sous le nez de la police. En plein milieu de l’Opération Green Hunt.

D’abord, les camarades de la PLGA regardent les danseurs, se tenant sur les côtés, avec leurs fusils. Mais ensuite, un par un, comme des canards qui ne peuvent pas supporter de rester sur le bord et regarder les autres canards nager, ils entrent à leur tour dans la danse. Bientôt, il y a des lignes de danseurs vert olive, tourbillonnant avec toutes les autres couleurs. Et puis, alors que des sœurs et des frères, des parents et des enfants et des amis, qui ne se sont pas rencontrés depuis des mois, parfois des années, se rencontrent, les lignes se brisent et se reforment et le vert olive s’éparpille parmi les saris tourbillonnants et les fleurs, les tambours et les turbans. C’est sûrement une Armée Populaire. Pour l’instant, du moins. Et ce que le Président Mao a dit à propos des guérilleros qui sont le poisson, et la population l’eau dans laquelle ils nagent est, à ce moment, littéralement vrai.

Le Président Mao. Il est ici aussi. Un peu solitaire peut-être, mais présent. Il y a une photo de lui, sur un écran en toile rouge. Marx aussi. Et Charu Majumdar, le fondateur et le théoricien en chef du mouvement naxalite. Sa rhétorique acerbe fétichise la violence, le sang et le martyre, et emploie souvent un langage tellement dru qu’il est presque génocidaire. Debout ici, le jour de Bhumkal, je ne peux m’empêcher de penser que son analyse, si vitale pour la structure de cette révolution, est si éloignée de son émotion et de sa texture. Quand il a dit que seule ‘une campagne d’anéantissement’ pourrait produire ‘l’homme nouveau qui défiera la mort et sera libre de toute pensée d’intérêt personnel’ – aurait-il pu imaginer que ce peuple ancien, dansant dans la nuit, serait celui sur les épaules duquel reposeraient ses rêves.

Cela rend un mauvais service à tout ce qui se déroule ici que la seule chose qui semble aller vers le monde extérieur est la rhétorique rigide et inflexible des idéologues d’un parti qui a évolué par rapport à son histoire problématique. Quand Charu Mazumdar a dit cette phrase célèbre «Le Président de la Chine est notre Président et le Chemin de la Chine est notre Chemin», il était prêt à l’étendre juqu’au point où les naxalites sont restés silencieux pendant que le général Yahya Khan a commis un génocide dans l’est du Pakistan (Bengladesh) parce qu’à ce moment, la Chine était un allié du Pakistan.

Il y avait le silence aussi sur le Khmers Rouges et leurs champs de la mort au Cambodge. Il y avait eu le silence sur les excès énormes des Révolutions chinoise et russe. Silence sur le Tibet. Au sein du mouvement naxalite aussi, il y a eu des excès violents et nombre de choses qu’ils ont faites sont impossible à défendre. Mais on peut comparer tout ce qu’ils ont fait avec les réalisations sordides du Congrès et du BJP au Bunjab, au Cachemire, à Delhi, à Mumbai, dans le Gujarat,… Et cependant, malgré ces contradictions terrifiantes, Charu Mazumdar était un visionnaire dans beaucoup de ce qu’il a dit et écrit. Le parti qu’il a créé (et ses nombreux groupes dissidents) a gardé présent et réel le rêve de la Révolution en Inde. Imaginez une société sans ce rêve. Rien que pour ça, nous ne pouvons pas le juger trop sévèrement. Particulièrement pas pendant que nous nous emmaillotons nous-mêmes dans l’hypocrisie pieuse de Gandhi à propos de la supériorité de la ‘manière non violente’ et sa notion de curatelle.
«L’homme riche gardera la possession de sa richesse, dont il utilisera ce dont il a nécessairement besoin pour ses besoins personnelles et agira en tant que fiduciaire pour que le reste soit utilisé pour le bien de la société». Comme il est étrange cependant, que les tsars contemporains de l’establishment indien – l’Etat qui a écrasé les naxalites si impitoyablement – doivent maintenant dire ce que Charu Mazumdar a dit il y a si longtemps: le chemin de la Chine est notre chemin.

A l’envers, la tête en bas.

Le chemin de la Chine a changé. La Chine est devenue une puissance impériale maintenant, pratiquant la prédation des ressources d’autres pays et d’autres peuples. Mais le Parti a toujours raison, simplement, le Parti a changé d’avis.

Quand le Parti est un prétendant (comme il l’est maintenant dans le Dandakaranya) courtisant la population, attentif à chacun de ses besoins, alors il est sincèrement un Parti Populaire, son armée authentiquement une Armée Populaire. Mais après la Révolution, cette histoire d’amour peut si facilement se transformer en mariage amer. L’Armée Populaire peut se retourner sur le peuple si facilement. Aujourd’hui, dans le Dandakaranya, le Parti veut que la bauxite reste dans les montagnes. Demain, changera-t-il d’avis? Mais pouvons-nous, devons-nous laisser les inquiétudes à propos du futur nous immobiliser pour le présent?

Les danses continueront toute la nuit. Je retourne en marchant au camp. Maase est là, réveillée. Nous discutons tard dans la nuit. Je lui donne mon exemplaire des ‘Neruda’s Captain’s Verses (Vers du Capitaine Neruda) (Je l’avais emporté, juste au cas où). Elle demande encore et encore «Que pensent-ils de nous à l’extérieur? Que disent les étudiants? Raconte-moi le mouvement des femmes, quelles sont les grandes questions maintenant?» Elle me pose des questions sur moi, mes écrits. J’essaye de lui donner un compte-rendu honnête de mon chaos. Puis, elle commence à me parler d’elle, de comment elle a rejoint le Parti. Elle me raconte que son partenaire a été tué en mai dernier, dans un faux combat. Il a été arrêté à Nashik et emmené à Warangal pour être tué. «Ils doivent l’avoir sérieusement torturé». Elle était en route pour aller le retrouver quand elle a entendu qu’il avait été arrêté. Elle est restée dans la forêt depuis lors. Après un long silence, elle me raconte qu’elle a été mariée une fois avant, il y a des années. «Il a aussi été tué dans un combat» dit-elle et ajoute cette précision à briser le cœur «mais dans un vrai».

Je suis couchée éveillée sur mon jhilli, pensant à la tristesse prolongée de Maase, écoutant les tambours et les sons de la joie prolongée sur le terrain et réfléchissant à l’idée de Charu Mazumdar de guerre prolongée, précepte central du Parti maoïste. C’est ce qui fait que les gens pensent que l’offre d’entrer dans des ‘dialogues de paix’ des maoïstes est un canular, une ruse pour obtenir un répit pour se regrouper, se ré-armer et retourner mener la guerre prolongée? Qu’est-ce que la guerre prolongée? Est-ce une chose terrible en soi, ou dépend-elle de la nature de la guerre? Qu’en serait-il des gens ici dans le Dandakaranya s’ils n’avaient pas mené leur guerre prolongée ces trente dernières années, où en seraient-ils maintenant?

Et les maoïstes sont-ils les seuls à croire à la guerre prolongée? Pratiquement dès le moment où l’Inde est devenue une nation souveraine, elle s’est transformée en puissance coloniale, annexant des territoires, menant la guerre. Elle n’a jamais hésité à faire usage des interventions militaires pour aborder les problèmes politiques – Cachemire, Hyderabad, Goa, Nagaland, Manipur, Telengana, Assam, Punjab, le soulèvement naxalite au Bengale occidental, Bihar, Andhra Pradesh et maintenant à travers les régions tribales de l’Inde centrale. Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées impunément, des centaines de milliers torturées.
Tout ceci derrière le masque bienveillant de la démocratie. Contre qui ces guerres sont-elles menées? Contre les musulmans, les chrétiens, les sikhs, les communistes, les dalits, les tribaux et plus que tout contre les pauvres qui osent interroger leur sort au lieu d’accepter les miettes qui leur sont lancées. Il est difficile de ne pas voir l’Etat indien comme étant essentiellement un Etat hindou de caste supérieure (sans tenir compte de quel parti est au pouvoir) qui entretient une hostilité réfléchie vis à vis de ‘l’autre’. Quelqu’un qui, sur un véritable mode colonial, envoie les Nagas et les Mizos pour se battre dans le Chhattisgarh, les Sikhs dans le Cachemire, les Cachemiris dans l’Orissa, les Tamilians dans l’Assam, etc. Si cela n’est pas la guerre prolongée, qu’est-ce donc?

Pensées déplaisantes durant une nuit étoilée magnifique. Sukhdev se sourit à lui-même, son visage éclairé par son écran d’ordinateur. C’est un bourreau de travail. Je lui demande ce qu’il y a de drôle. «J’étais en train de penser aux journalistes qui étaient venus l’an dernier aux célébrations de Bhumkal. Ils sont venu un jour ou deux. L’un d’eux a posé avec mon AK, s’est fait photographié et puis est reparti et nous a appelé Machines à Tuer ou quelque chose comme ça». Les danses ne se sont pas arrêtées et il fait jour. Les lignes continuent encore, des centaines de jeunes gens dansent encore. «Ils ne s’arrêteront pas» dit le Camarade Raju «pas avant que nous commencions à plier bagages».

Sur le terrain, je cours vers le Camarade Docteur. Il a fait fonctionner un petit camp médical au bord de la piste de danse. J’ai envie d’embrasser ses grosses joues. Pourquoi ne peut-il pas être au moins trente personnes au lieu d’une? Pourquoi ne peut-il pas être des milliers de gens? Je lui demande à quoi elle ressemble, la santé du Dandakaranya. Sa réponse me glace le sang. La plupart des gens qu’il a vu, dit-il, y compris ceux de la PLGA, ont un taux d’hémoglobine entre 5 et 6 (alors que le taux standard des femmes indiennes est de 11). Il y a la tuberculose, causée par plus de deux années d’anémie chronique. Les jeunes enfants souffrent d’une malnutrition protéino-énergétique au stade deux, appelée en termes médicaux Kwashiorkor (Je l’ai cherché plus tard. C’est un mot dérivé du langage Ga de la région côtière du Ghana et qui signifie ‘la maladie que l’enfant attrape quand le nouveau bébé arrive’. En fait, le précédent bébé ne reçoit plus le lait maternel, et il n’y a pas assez d’aliments pour fournir sa nutrition). C’est une épidémie ici, comme au Biafra, dit le Camarade Docteur. «J’ai travaillé dans des villages avant, mais je n’ai jamais rien vu de tel».

A côté de cela, il y a la malaria, l’ostéoporose, le ver solitaire, de graves infections de l’oreille et des dents et l’aménorrhée précoce – ce qui arrive quand la malnutrition durant la puberté entraîne la disparition du cycle menstruel de la femme, ou fait qu’il ne se déclenche pas du tout.
«Il n’y a aucune clinique dans cette forêt, excepté une ou deux à Gadchiroli. Aucun médecin. Aucun médicament».

Il part maintenant, avec sa petite équipe, pour un trek de huit jours jusqu’à Abhujmad. Il est en ‘habit’ aussi, le Camarade Docteur. Donc, s’ils le trouvent, ils le tueront.

Le Camarade Raju dit qu’il n’est pas sûr de continuer à camper ici. Nous devons bouger. Quitter Bhumkal implique beaucoup d’adieux étalés dans le temps.

-Lal lal salaam, Lal lal salaam.
-Jaane waley Sathiyon ko Lal Lal Salaam (Salut Rouge aux camarades sur le départ)
-Phir milenge, Phir milenge
-Dandakaranya jungle mein phir milenge(Nous nous reverrons, un jour, dans la jungle de Dandakaranya)

La cérémonie d’arrivée et de départ ne sont jamais prises à la légère, parce que tout le monde sait que quand on dit «nous nous reverrons encore», on veut en fait dire «nous pourrions ne jamais nous revoir». La Camarade Narmada, la Camarade Maase et la Camarade Roopi prennent des chemins séparés. Les reverrai-je jamais?

Donc une fois encore, nous marchons. Il fait plus chaud chaque jour. Kamla cueille le premier fruit de tendu pour moi. Il a un goût de chikoo. Je suis devenue mordue du tamarin. Cette fois, nous campons près d’un ruisseau. Les femmes et les hommes se lavent tour à tour en équipes. Durant la soirée, la Camarade Raju reçoit un paquet entier de ‘biscuits’.
Nouvelles:

-60 personnes arrêtées dans la Division de Manpur à la fin de janvier 2010 n’ont toujours pas comparu au Tribunal.
-D’énormes contingents de police sont arrivés dans le Bastar Sud. Des attaques au hasard ont lieu.
-Le 8 novembre 2009, dans le village de Kachlaram, Bijapur Jila, Dirko Madka (60 ans) et Kovasi Suklu (68) ont été tués.
-Le 24 novembre, Madavi Baman (15) a été tué dans le village de Pangodi.
-Le 3 décembre, Madavi Budram de Korenjad également tué.
-Le 11 décembre, village de Gumiapal, Division de Darba, 7 personnes tuées (noms encore à venir).
-Le 15 décembre, village de Kotrapal, Veko Sombar et Madavi Matti (tous les deux des KAMS) tués.
-Le 30 décembre, village de Vechapal, Poonem Pandu et Poonem Motu (père et fils) tués.
-En janvier 2010 (date inconnue), Chef de la Janatana Sarkar du village de Kaika, Gangalaur tué.
-Le 9 janvier, 4 personnes tuées dans le village de Surpangooden, Région de Jagargonda.
-Le 10 janvier, 3 personnes tuées dans le village de Pullem Pulladi (pas encore de noms).
-Le 25 janvier, 7 personnes tuées dans le village de Takilod, Région d’Indrivadi.
-Le 10 février (Jour de Bhumkal) Kumli violée et tuée dans le village de Dumnaar, Abhujmad. Elle venait d’un village appelé Paiver.
-2.000 hommes de troupe de la Indo Tibetan Border Patrol (ITBP – Patrouille Frontalière Indo-Tibétaine) sont campés dans les forêts de Rajnandgaan.
-5.000 hommes supplémentaires de la BSF sont arrivés à Kanker.

Et puis:

-Quota PLGA rempli

Quelques journaux anciens sont également arrivés. Il y a beaucoup de presse à propos des naxalites. Un titre perçant résume parfaitement le climat politique: Khadedo, Maaro, Samarpan Karao (Eliminer, Tuer, Les faire Capituler). En dessous de ça: Varta ke liye loktantra ka dwar khula hai (La porte de la démocratie est toujours ouverte aux discussions). Un deuxième dit que les maoïstes font pousser du cannabis pour se faire de l’argent. L’éditorial du troisième dit que la région dans laquelle nous avons campé et marché est totalement sous contrôle policier.

Les jeunes communistes prennent les extraits pour s’entraîner à lire. Ils marchent autour du camp en lisant très haut les articles anti-maoïstes avec des voix de présentateurs radio. Nouveau jour. Nouveau lieu. Nous sommes stationnés dans la banlieue du village d’Usir, sous d’énormes arbres mahua. Le mahua vient juste de commencer à fleurir et laisse tomber ses pâles fleurs vertes comme des bijoux sur le sol de la forêt. L’air est baigné de son odeur légèrement capiteuse. Nous attendons les enfants de l’école de Bhatpal qui a été fermée après le ‘combat’ d’Ongaar. Elle a été transformée en camp de police. Les enfants ont été renvoyés chez eux. Ceci est aussi vrai pour les écoles de Nelwad, Moojmetta, Edka, Vedomakot et Dhanora.

Les enfants de l’école de Bhatpal ne se montrent pas.

La Camarade Niti (la plus recherchée) et le Camarade Vinod nous mènent dans une longue marche pour voir les séries de structures pour récolter l’eau et les étangs d’irrigation qui ont été construits par la Janatana Sarkar locale. La Camarade Niti parle de l’éventail des problèmes agricoles qu’ils doivent gérer. Seuls 2% de la terre sont irrigués. A Abhujmad, le labour était impensable jusqu’à il y a 10 ans. D’autre par, à Gadricholi, les graines hybrides et les pesticides chimiques font tout doucement leur chemin. «Nous avons besoin de gens qui connaissent les graines, les pesticides organiques, la permaculture. Avec un peu d’aide, nous pourrions faire beaucoup».

Le Camarade Ramu est le fermier en charge de la région de la Janatana Sarkar. Il nous montre fièrement les champs, où ils cultivent le riz, l’aubergine, le gongura, l’oignon, le chou-rave. Puis avec la même fierté, un étang d’irrigation énorme, mais totalement sec. Qu’est-ce que c’est? «Celui-ci n’a même pas d’eau durant la saison des pluies. Il est creusé au mauvais endroit» dit-il, un sourire enveloppant son visage, «ce n’est pas le nôtre, il a été creusé par la Lotti Sarkar» (Le Gouvernement qui Pille). Il y a deux systèmes de gouvernement parallèles ici, Janatana Sarkar et Looti Sarkar. Je pense à ce que le Camarade Venu m’a dit: Ils veulent nous écraser, pas seulement à cause des minéraux, mais parce que nous proposons un modèle alternatif au monde.

Cette idée de Gram Swaraj avec un fusil n’est pas encore une alternative. Il y a trop de famine, trop de maladie ici. Mais elle a certainement créé les possibilités pour une alternative. Pas pour le monde entier, pas pour l’Alaska, ou New Delhi, ou même peut-être pour l’ensemble du Chhattisgarh, mais pour lui-même. Pour Dandakaranya. C’est le secret le mieux gardé du monde. Elle a posé les fondations pour une alternative à sa propre extermination. Elle a défié l’histoire. Contre toute attente, elle a forgé un projet pour sa propre survie. Elle a besoin d’aide et d’imagination, elle a besoin de docteurs, de profs, de fermiers. Elle n’a pas besoin de guerre.

Mais si la guerre est tout ce qu’elle reçoit, elle combattra en retour.

Durant les quelques jours qui suivent, je rencontre des femmes qui travaillent avec les KAMS, divers dirigeants des Janatana Sarkars, des membres du Dandakaranya Adivasi Kisan Mazdoor Sangathan DAKMS, les familles de personnes qui ont été tuées et simplement des gens ordinaires qui essayent de faire face à la vie en ces temps terrifiants.

J’ai rencontré trois sœurs, Sukhiyari, Sukdai et Sukkali, pas jeunes, peut-être dans la quarantaine, du district de Narainpur. Elles sont dans le KAMS depuis douze ans. Les villageois dépendent d’elles pour s’arranger avec la police. «La police vient en groupes de 200 ou 300. Ils volent tout, les bijoux, les poulets, les cochons, les casseroles et les poêles, les arcs et les flèches» dit Sukkali «ils ne laisseraient même pas un couteau». Sa maison à Innar a été brûlée deux fois, une fois par le Bataillon Naga et une fois par le CRPF. Sukhiary a été arrêtée et emprisonnée à Jagdalpur durant sept mois.

«Un jour, ils ont emmené l’ensemble du village, en disant que les hommes étaient des naxalites». Sukhiari a suivi avec toutes les femmes et les enfants. Ils ont cerné le commissariat et ont refusé de partir jusqu’à ce que les hommes soient libérés. «A chaque fois qu’ils emmènent quelqu’un» dit Sukdai «il faut y aller immédiatement et le reprendre. Avant qu’ils n’écrivent un quelconque rapport. Une fois qu’ils écrivent dans leur livre, cela devient très difficile».

Sukhiari qui enfant, a été enlevée et mariée de force à un homme plus âgé (elle s’est enfuie et est allée vivre avec sa sœur), organise maintenant des rassemblements de masse, parle à des meetings. Les hommes dépendent d’elle pour leur protection. Je lui ai demandé ce que le Parti signifie pour elle. «Naxalvaad ka matlab humaara Parivaar (Naxalvaad signifie notre famille). Quand nous entendons parler d’une attaque, c’est comme si c’était notre famille qui avait été blessée» dit Sukhiari.

Je lui ai demandé si elle savait qui est Mao. Elle a souri timidement. «C’était un dirigeant. Nous travaillons pour sa vision».

J’ai rencontré la Camarade Somari Gawdi. Vingt ans, et elle a déjà purgé une peine de deux ans de prison à Jagdalpur.

Elle était dans le village d’Innar le 8 janvier 2007, le jour où 740 policiers ont disposé un cordon autour du village parce qu’ils avaient l’information que la Camarade Niti s’y trouvait. (Elle y était, mais l’avait quitté au moment où ils sont arrivés). Mais la milice du village, dont Somari était membre, était toujours là. La police a ouvert le feu à l’aube. Ils ont tué deux garçons, Suklal Gawdi et Kachroo Gota. Puis, ils en ont attrapé trois autres, deux garçons, Dusri Salam et Ranai, et Somari. Dusri et Ranai ont été attachés et abattus. Somari a été battue jusqu’à deux doigts de la mort. La police s’est procurée un tracteur avec une remorque et y a chargé les corps morts. Ils ont fait asseoir Somari avec les corps et l’ont emmenée à Narayanpur.

J’ai rencontré Chamri, la mère du Camarade Dilip qui a été abattu le 6 juillet 2009. Elle dit qu’après l’avoir tué, la police a attaché le corps de son fils à un piquet, comme un animal, et l’ont transporté avec eux. (Ils doivent présenter les corps pour recevoir leurs récompenses en argent, avant que quelqu’un d’autre ne vienne revendiquer l’assassinat). Chamri a couru derrière eux toute la route jusqu’au commissariat. Au moment où ils l’ont atteint, il n’y avait plus une bribe de vêtements sur le corps. Sur le chemin, dit Chamri, ils ont laissé le corps le long de la route pendant qu’ils s’arrêtaient dans un dhaba pour prendre le thé et des biscuits (pour lesquels ils n’ont pas payé). Imaginez cette mère un instant, suivant le cadavre de son fils à travers la forêt, s’arrêtant à distance pour attendre que ses meurtriers aient fini de prendre le thé. Ils ne l’ont pas laissée récupérer le corps de son fils afin qu’elle puisse lui donner des funérailles convenables. Ils l’ont seulement laissée jeter une poignée de terre dans le trou dans lequel ils avaient enterré les autres personnes qu’ils avaient tuées ce jour-là. Chamri dit qu’elle veut une vengeance. Badla ku badla. Sang pour sang.

J’ai rencontré les membres élus de la Janatana Sarkar de Marskola, qui administre six villages. Ils ont décrit une descente de police: Ils viennent la nuit, 300, 400, parfois 1.000 d’entre eux. Ils disposent un cordon autour d’un village et guettent. A l’aube, ils attrapent les premières personnes qui sortent pour aller aux champs et les utilisent comme boucliers humains pour entrer dans le village, pour qu’elles leur montrent où sont les pièges. ‘Booby traps’ (objets piégés) est devenu un mot Gondi. Tout le monde sourit chaque fois qu’il est prononcé. La forêt est pleine de pièges, de vrais et de faux (même la PLGA doit être guidée dans les villages). Une fois que la police entre dans le village, ils pillent, volent et brûlent les maisons. Ils viennent avec des chiens. Les chiens attrapent ceux qui tentent de s’enfuir. Ils poursuivent les poulets et les cochons et la police les tue et les emmène dans des sacs. Les SPO viennent avec la police. Ce sont eux qui savent où les gens cachent leur argent et leurs bijoux. Ils attrapent les gens et les emmènent. Ils leur arrachent de l’argent avant de les libérer. Ils transportent toujours quelques ‘habits’ naxals en plus avec eux, dans le cas où ils trouvent quelqu’un à tuer. Ils reçoivent plus d’argent pour tuer les naxals, donc ils en fabriquent. Les villageois sont trop effrayés pour rester à la maison.

Dans cette forêt apparemment tranquille, la vie semble maintenant complètement militarisée. Les gens connaissent des mots tels que Bouclage et Ratissage, Fusillade, Progression, Retraite, Abattre, Action! Pour faire leur récolte, ils ont besoin que la PLGA fasse une patrouille de sentinelles. Aller au marché est une opération militaire. Les marchés sont remplis de mukhbirs (informateurs) que la police a attirés depuis leur village avec de l’argent (1.500 roupies par mois). On me dit qu’il y a une mukhbir mohallah – colonie d’informateurs – à Narayanpur où se trouvent au moins 4000 mukhbirs. Les hommes ne peuvent plus aller au marché. Les femmes y vont, mais elles sont surveillées de près. Si elles achètent régulièrement un petit extra, la police les accuse de l’acheter pour les naxals. Les pharmaciens ont des instructions pour ne pas laisser les gens acheter des médicaments excepté en très petites quantités. Les rations à bas prix du Public Distribution System (PDS – Système de Distribution Publique), le sucre, le riz, le kérosène sont entreposés dans ou près des commissariats, rendant impossible leur achat pour la plupart des gens.
Selon l’article 2 de la Convention des Nations Unies sur la Prévention et la Répression du Crime et du Génocide:
Le génocide s’entend de l’un des quelconque des actes ci-après, commis avec l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel: meurtre de membres du groupe; atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe; soumission intentionnelle au groupe de conditions d’existence entraînant sa destruction physique totale ou partielle; mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe: (ou) transfert d’enfants du groupe à un autre groupe.

Toutes les marches semblent avoir eu raison de moi. Je suis fatiguée. Kamla me trouve une casserole d’eau chaude. Je me baigne derrière un arbre dans le noir. Mais je ne peux pas manger le souper et je me traîne dans mon sac pour dormir. Le Camarade Raju annonce que nous devons bouger.

Ceci arrive fréquemment bien sûr, mais ce soir, c’est difficile. Nous campions dans un champ ouvert. Nous avions entendu des bombardements au loin. Nous sommes 104. Une fois encore, une file indienne à travers la nuit. L’odeur de quelque chose comme de la lavande. Il devait être 11 heures passées quand nous sommes arrivés à l’endroit où nous allions passer la nuit. Un affleurement de pierres. Formation. Appel. Quelqu’un allume la radio. La BBC dit qu’il y a eu une attaque sur un camp des Eastern Frontier Rifles (Fusils de la Frontière Orientale) à Lalgarh dans le Bengale occidental. 60 maoïstes sur des motos. 14 policiers tués. 10 disparus. Armes saisies. Il y a un murmure de plaisir dans les rangs. Le dirigeant maoïste Kishenji est interviewé. Quand cesserez-vous cette violence et viendrez-vous pour discuter? Quand l’Opération Green Hunt sera annulée. N’importe quand. Dites à Chidambaram que nous discuterons. Question suivante: il fait noir maintenant, vous avez posé des mines terrestres, des renforts ont été appelés, les attaquerez-vous aussi? Kishenji: Oui bien sûr, sinon le peuple me battra. Il y a des rires dans les rangs. Sukhdev le clarificateur dit, «Ils disent toujours mines terrestres. Nous n’utilisons pas de mines terrestres. Nous utilisons des IED[[IED (pour engin explosif improvisé: improvised explosive device), il s’agit d’une bombe artisanale, posée le long d’une route. L’explosion de la charge principale (explosive artisanal ou empilement d’obus) est provoquée par une petite charge d’explosif déclenchée électriquement, à distance, au passage d’un véhicule]]».

Une autre suite luxueuse dans un hôtel 1000 étoiles. Je me sens malade. Il commence à pleuvoir. Il y a de petits gloussements. Kamla me lance un jhilli. Qu’ai-je besoin de plus? Tous les autres s’enroulent dans leurs jhillis.

Le lendemain matin, le décompte des morts est monté à 21, 10 disparus.
Le Camarade Raju est prévenant ce matin. Nous ne bougeons pas avant le soir.

Une nuit, les gens sont amassés comme des papillons de nuit autour d’un point de lumière. C’est le petit ordinateur du Camarade Sukhdev, alimenté par un panneau solaire, et ils regardent Mother India [[Classique du cinéma indien (1957),]] les silhouettes des canons de leurs fusils se détachant sur le fond du ciel. Kamla ne semble pas intéressée. Je lui demande si elle aime les films. «Nhai didi. Sirf ambush video» (Non didi. Uniquement des vidéos d’embuscades). Plus tard, je demande au Camarade Sukhdev ce qu’il en est des vidéos d’embuscades. Sans un clignement de paupière, il m’en montre une.

Elle commence par des vues du Dandakaranya, rivières, cascades, gros plan d’une branche d’arbre nue, le cri d’un oiseau. Puis soudainement, un camarade bidouille les fils d’un IED, le cachant avec des feuilles sèches. Un cortège de motos explose. Il y a des corps mutilés et des motos qui brûlent. Les armes sont saisies. Trois policiers, sous le choc, ont été ligotés.

Qui filme? Qui dirige les opérations? Qui rassure les policiers capturés, qu’ils seront relâchés s’ils se rendent? (Ils ont été libérés, j’en ai eu la confirmation plus tard).

Je connais cette douce voix rassurante. C’est le Camarade Venu.
«C’est l’embuscade de Kudur» dit le Camarade Sukhdev.

Il a également l’archive vidéo de villages brûlés, les témoignages de témoins visuels et de parents des morts. Sur le mur roussi d’une maison brûlée, il est écrit ‘Nagaaa! Né pour Tuer!’ Il y a des séquences du petit garçons dont les doigts ont été coupés pour inaugurer le chapitre Bastar de l’Opération Green Hunt. (Il y a même une interview télé de moi. Mon bureau. Mes livres. Etrange)

Durant la nuit, à la radio, il y a des nouvelles d’une autre attaque naxale. Celle-ci à Jamui, Bihar. Elles disent que 125 maoïstes ont attaqué un village et tué dix personnes appartenant à la tribu Kora en représailles d’information donnée à la police ayant entraîné la mort de six maoïstes. Bien sûr, nous savons que le reportage peut être vrai, ou pas. Mais si c’est vrai, celle-ci est impardonnable. Les Camarade Raju et Sukhdev ont l’air nettement mal à l’aise.

Les nouvelles qui sont venues du Jharkhand et du Bihar sont inquiétantes. L’horrible décapitation du policier Francis Induvar reste fraîche dans tous les esprits [Cf. [Inde : Nouveaux combats entre policiers et guérilleros maoïstes]]. C’est un rappel de la facilité avec laquelle la discipline de la lutte armée peut se dissoudre en actes grossiers de violence criminalisée ou en laides guerres d’identités entre les castes, les communautés et les groupes religieux. En institutionnalisant l’injustice comme il le fait, l’Etat indien a transformé ce pays en une poudrière de troubles massifs. Le gouvernement se trompe complètement s’il pense qu’en effectuant des ‘assassinats ciblés’ pour ‘décapiter’ le CPI(Maoïste), il arrêtera la violence. Au contraire, la violence se répandra et s’intensifiera, et le gouvernement n’aura personne à qui parler.

Durant mes quelques derniers jours, nous serpentons à travers la luxuriante et magnifique vallée d’Indravati. Comme nous marchons le long d’un flanc de colline, nous voyons une autre file de gens marchant dans la même direction, mais de l’autre côté de la rivière. On me dit qu’ils sont en route pour la réunion anti-barrage du village de Kudur. Ce ne sont pas des clandestins, mais ils ne sont pas armés. Un rassemblement local pour la vallée. J’ai sauté dans une barque et les ai rejoints. Le barrage de Bodhghat submergera la totalité de la région dans laquelle nous avons marché durant des jours. Toute cette forêt, toute cette histoire, toutes ces histoires. Plus de cent villages. Est-ce donc ça le plan? De noyer les gens comme des rats, afin que l’aciérie intégrée à Lohandiguda et la mine de bauxite et la raffinerie d’aluminium des Keshkal Ghats puissent avoir la rivière?

A la réunion, des gens qui sont venus de loin, disent la même chose que ce que nous entendons depuis des années. Nous nous noierons, mais nous ne bougerons pas! Ils sont ravis que quelqu’un de Delhi soit avec eux. Je leur dit que Delhi est une ville cruelle qui ne les connaît pas et ne s’intéresse pas à eux.

Juste quelques semaines avant de venir à Dandakaranya, j’ai visité Gujarat. Le barrage Sardar Sarovar est plus ou moins achevé maintenant. Et pratiquement chaque chose que le Narmade Bachao Andolan (NBA) avait prédit s’est produit. Les gens qui ont été déplacés n’ont pas été réinsérés, mais cela va sans dire. Les canaux n’ont pas été construits. Il n’y a pas d’argent. Donc l’eau de Narmada est détournée vers le lit vide de la Sabarmadi (sur laquelle on a fait un barrage il y a longtemps). Une grande partie de l’eau est lampée par les villes et la grande industrie. Les effets en aval – l’entrée d’eau salée dans un estuaire sans rivière – deviennent impossibles à atténuer.

Il fut un temps où croire que les grands barrages étaient ‘les temples de l’Inde Moderne’ était peu judicieux, mais peut-être compréhensible. Mais aujourd’hui, après tout ce qui s’est passé, et alors que nous savons tout ce que nous faisons, il doit être dit que les grands barrages sont un crime contre l’humanité.

Le barrage de Bodhghat a été mis au frigo en 1984 après la protestation de la population locale. Qui l’arrêtera maintenant? Qui empêchera que la première pierre soit posée? Qui arrêtera le vol de l’Indrivati? Quelqu’un doit le faire.

Pour la dernière nuit, nous avons campé au pied de la colline escarpée que nous allions escalader durant la matinée, pour émerger sur la route où une moto me prendrait. La forêt à même changé depuis que j’y suis entrée. Les chiraunjis, les kapokiers et les manguiers ont commencé à fleurir.

Les villageois de Kudur envoient une énorme casserole de poisson fraîchement pêché au camp. Et une liste pour moi, de 71 variétés de fruits, de légumes, de légumes secs et d’insectes qu’ils prennent dans la forêt et cultivent dans leurs champs, ainsi que leurs prix sur le marché. C’est juste une liste. Mais c’est aussi une carte de leur monde.

La poste de la jungle arrive. Deux ‘biscuits’ pour moi. Un poème et une fleur séchée de la Camarade Narmada. Une très jolie lettre de Maase. (Qui est-elle? Le saurai-je jamais?)

Le Camarade Sukhdev demande s’il peut télécharger la musique de mon Ipod sur son ordinateur. Nous écoutons un enregistrement de Iqbal Bano chantant ‘Hum Dekheige’ (Nous assisterons à la journée) de Faiz Ahmed Faiz au célèbre concert de Lahore au sommet de la répression durant les années Zia-ul-Haq.

-Jab ahl-e-safa-Mardud-e-haram,
-Masnad pe bithaiye jayenge
-Quand les hérétiques et les honnis
-Seront assis en haut
-Sab taaj uchhale jayenge
-Sab takht giraye jayenge
-Toutes les couronnes seront arrachées
-Tous les trônes renversés
-Hum Dekhenge

50.000 personnes du public dans ce ‘Pakistan’-là commencent un chant de défi: Inqilab Zindabad! Inqilab Zindabad! Toutes ces années plus tard, ce chant retenti dans cette forêt. Etrange, ces alliances qui se font.
Le Ministre de l’Intérieur a émis des menaces voilées à ceux qui ‘offrent par erreur un soutien intellectuel et matériel aux maoïstes’. Est-ce que partager l’écoute d’Iqbal Bano rempli ces conditions?

A l’aube, je dis au revoir aux Camarades Madhav et Joori, au jeune Mangtu et aux autres. Le Camarade Chandu est parti pour organiser les motos et viendra avec moi jusqu’à la route principale. Le Camarade Raju ne vient pas (L’escalade serait un enfer pour ses genoux). La Camarade Niti (la Plus Recherchée), les Camarades Sukhdev, Kamla et cinq autres m’emmèneront en haut de la colline. Comme nous commençons à marcher, Niti et Sukhdev détachent avec désinvolture, mais simultanément, les crans de sûreté de leurs AK. C’est la première fois que je les ai vu faire ça. Nous approchons de la ‘frontière’. «Tu sais quoi faire si nous nous retrouvons sous le feu?». Sukhdev demande ça avec désinvolture, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.
«Oui» dis-je «déclarer immédiatement une grève de la faim indéfinie».
Il s’est assis sur une pierre et a rigolé. Nous avons escaladé durant environ une heure. Juste en-dessous de la route, nous nous sommes assis dans une alcôve pierreuse, complètement dissimulés, comme un parti en embuscade, guettant le son des motos. Quand il arrive, l’adieu doit être rapide. Lal Salaam Camarades.

Quand j’ai regardé en arrière, ils étaient toujours là. Agitant la main. Un petit attroupement. Des gens qui vivent avec leurs rêves, alors que le reste du monde vit avec ses cauchemars. Chaque nuit, je pense à ce voyage. Ce ciel nocturne, ces chemins forestiers. Je vois les talons de la Camarade Kamala dans ses sandales éraflées, éclairés par la lumière de ma lampe électrique. Je sais qu’elle doit être en mouvement. Marchant, pas seulement pour elle-même, mais pour garder l’espoir en vie pour nous tous.

Plainte du 12 avril 2010 contre Arundhati Roy

Le 12 avril 2010, un ‘citoyen ordinaire’ dépose plainte contre Arundhati Roy suite à la publication de son texte Walking With The Comrades. Celui-ci est paru dans l’édition du 29 mars 2010 du magazine hebdomadaire Outlook. Dans le courant du mois de février, l’écrivain a eu l’occasion de passer plusieurs jours dans la forêt du Dandakaranya en compagnie des guérilleros maoïstes. Elle a donc franchi la ‘frontière’ interdite pour vivre à l’intérieur et témoigner de ce qui se passe de l’autre côté de la ligne de front de l’Opération Green Hunt actuellement menée par le gouvernement indien pour éradiquer ceux qu’il qualifie de ‘plus grande menace pour la sécurité intérieure du pays’. Dans son compte-rendu, Roy évoque son voyage, les mesures de précautions quant à sa venue, ses rencontres avec les combattants, de nombreuses femmes souvent très jeunes. Elle raconte également une grande fête traditionnelle populaire à laquelle elle a pu assister. Mais elle pointe aussi les conditions de vie déplorables des villageois de ces endroits reculés, l’absence totale d’infrastructures de soin, d’écoles, et l’état de santé extrêmement mauvais de l’ensemble des personnes qu’elle a rencontré. Comme elle le dit, son objectif était de rapporter des informations à propos d’une situation qui est peut être qualifiée d’Etat d’Urgence. Sachant qu’aucune nouvelle ne filtre dans les médias bourgeois, elle affirme qu’il est crucial pour la population indienne, notamment dans les villes, de savoir ce qui se déroule de l’autre côté, et ce afin de prendre des décisions en connaissance de cause. Mais pour le plaignant Viswajit Mitra, ce texte n’est qu’une glorification du mouvement maoïste. En outre, il affirme que Roy cherche à dénigrer le système établi de l’Etat, y compris son système judiciaire. Et de la citer ‘au moins, là, le collectif est présent pour prendre une décision. Elle n’est pas prise par des juges qui ont perdu tout contact avec la vie ordinaire’. Sa plainte a été déposée en vertu du CSPSA de 2005 (Loi Spéciale de Sécurité Publique du Chhattisgarh) qui interdit toute aide ou contribution à une organisation terroriste. Or pour lui, le texte peut être interprété comme visant à créer un soutien envers les maoïste. Cette loi, selon laquelle plusieurs militants ont déjà été condamnés et emprisonnés, est critiquée depuis son adoption. Elle l’est pour sa large définition de ce qui peut être qualifié d’activité illégale ainsi que pour les sanctions strictes qu’elle applique à ceux qu’elle condamne. Un avocat de la Cour Suprême parle du CSPSA en ces termes ‘Le langage approximatif et large utilisé pour définir et criminaliser le soutien à une organisation terroriste peut et a été mal employé par le passé. En vertu de la Loi, même un avocat représentant un maoïste au tribunal ou un médecin ayant soigné un maoïste blessé peut être poursuivi’. Pour avoir rendu public le témoignage de ce qu’elle a vu et vécu dans les forêts retirées et isolées du Dandakaranya, Arundhati Roy se voit donc tomber sous l’application de cette loi vivement critiquée mais toujours d’application. Elle risque jusqu’à deux ans de prison.

L’affaire ‘Binayak Sen’

Binayak Sen est un pédiatre et un spécialiste de la santé publique de renon. Il est connu pour oeuvrer à l’extension des soins de santé aux populations les plus pauvres, surveillant la santé et l’état nutritionnel des habitants du Chhattisgarh. Enfin, il milite pour la défense des droits humains des tribaux et des autres démunis indiens. Sen est le vice-président national de la PUCL (People’s Union for Civil Liberties) basée dans l’état du Chhattisgarh et secrétaire général de son unité de l’état. En sa qualité de membre de la PUCL, il a aidé à organiser de nombreuses missions d’enquête sur les violations des droits humains. Il a pris part à des recherches qui ont attiré l’attention sur de graves violations de droits humains, y compris le meurtre de personnes désarmées et de civils innocents par la Salwa Judum. Sen a été noté pour sa défense des méthodes pacifiques. Peu avant son arrestation, il disait ‘Ces dernières années, nous constatons partout en Inde – et donc dans l’état du Chhattisgarh également – un programme concerté pour enlever à la population la plus pauvre de la nation indienne son accès aux ressources essentielles des propriétés communes et aux ressources naturelles en ce y compris la terre et l’eau… La campagne appelée Salwa Judum dans le Chhattisgarh est une partie de ce processus dans lequel des centaines de villages ont été dénudés de la population qui y vivait et des centaines de personnes – hommes et femmes – ont été tués. Des milices armées gouvernementales ont été déployées et les gens qui ont protesté contre de tels mouvements et ont essayé de montrer au monde la réalité de ces campagnes – des travailleurs pour les droits humains comme moi – ont également été visés par des actions d’état contre eux. Au moment présent, les travailleurs de la PUCL de la section du Chhattisgarh, dont je suis le secrétaire général, sont particulièrement devenus la cible de cette action d’état; et moi, comme plusieurs de mes collègues, suis visé par l’état du Chhattisgarh sous forme d’action punitive et d’emprisonnement illégal. Et toutes ces mesures sont prises principalement sous l’égide du CSPSA‘.

Le 14 mai 2007, Binayak Sen a été arrêté en vertu du CSPSA dans la ville de Bilaspur dans le Chhattisgarh. Les autorités l’accusaient d’agir en qualité de coursier entre le dirigeant maoïste emprisonné Narayan Sanyal et l’homme d’affaire Piyush Gutia, également accusé d’entretenir des liens avec les maoïstes. Dès son arrestation, les réactions ont été multiples et une campagne internationale a été mise en place pour exiger sa libération immédiate.

Un communiqué de presse émanant de personnalités importantes est publié le 16 mai: ‘Les fausses ‘rencontres’, les viols, les incendies de villages et le déplacement des adivasis (tribaux autochtones) par dizaine de milliers et la perte conséquente de leurs moyens de subsistance ont été rapporté abondemment dans plusieurs enquêtes indépendantes. L’arrestation de Sen est clairement une tentative pour intimider la PUCL et d’autres voix démocratiques qui se sont prononcées contre les violations des droits humains dans l’état’.
Dès son incarcération, son avocat demande qu’il soit libéré sous caution. A chaque fois qu’il en a introduit la demande, celle-ci a été refusée et la garde à vue de Sen a été prolongée. Début juin, après avoir saisi et analysé le contenu de son ordinateur, la police affirme détenir des preuves compromettantes contre Sen et le 3 août, il est inculpé en vertu du CSPSA. Le 10 décembre, devant plusieurs juges, le militant affirme qu’il a été arrêté sur des accusations fabriquées de prétendus liens avec les naxalites, affirmant qu’il n’était qu’un militant de la PUCL et qu’il n’était d’aucune manière en liaison avec les maoïstes. Mais chacun de ses arguments est contré par les juges qui déclarent que le fait d’appartenir à la PUCL ne signifie pas qu’il est a l’abri. Le gouvernement d’état du Chhattisgarh doit alors statué sur le sort de Sen et abonde dans le sens du tribunal affirmant qu’il est évident qu’aucune affaire n’aurait été ouverte s’il n’y avait pas de preuve de son implication avec les maoïstes. Sen reste donc en prison et ce jusqu’au 25 mai 2009, jour où il est finalement libéré sous caution par la Cour Suprême au vu de la détérioration de son état de santé.

Binayak Sen

Qu’étaient ces preuves contre Binayak Sen, à cause desquelles il a passé deux années en prison, en grande partie à l’isolement?
Une carte postale datée du 3 juin 2006 destinée à Sen de la part du dirigeant maoïste Sri Narayan Sanyal emprisonné à Raipur, mentionnant son état de santé et son affaire, ornée du cachet de la prison; une brochure jaune en hindou ‘A propos de l’unité entre le CPI (Guerre Populaire) et le Centre Communiste Maoïste’; une lettre écrite par Madanlal Banjare (membre du CPI-maoïste) depuis sa prison et adressée au Camarade Binayak Sen; un article photocopié en anglais intitulé ‘Mouvement naxal, mouvements tribaux et des femmes’; une note écrite à la main photocopiée de quatre pages sur ‘comment construire un front anti-impérialiste américain’; un article de huit pages intitulé ‘Globalisation et le secteur des services en Inde’. Aujourd’hui, Binayak Sen n’est donc plus en prison, mais libéré sous caution, il n’est toujours pas entièrement libre.

En avril 2009, Arundhati Roy avait fait une déclaration publique afin de dénoncer l’emprisonnement du Dr Binayak Sen, et pour exiger sa libération.

Lire la déclaration d’Arundhati Roy sur l’affaire Sen – format pdf

Arundhati Roy
Jaquette de Walking with the Comrades
Forêt de Dandkaranya
Pause repas des guérilleros
Jeune combattant d'une milice villageoise
Colonne de guérilleros
Roy écoute l'histoire des maoïstes
Camp maoïste dans la forêt
Fête de Bhumkal
Performance à la fête de Bhumkal

dernière actualisation: novembre 2019

Voici plusieurs années que le Secours Rouge met et remet ce guide en ligne. S’ilrestee encore insuffisante, c’est en raison du flou juridique qui règne sur la question.
Le principal problème est que non seulement les textes de lois sont susceptibles d’interprétation et font parfois l’objet d’une jurisprudence complexe, mais qu’à ces textes s’ajoutent une foule de règlements communaux. Dans plusieurs cas, ces règlements sont anti-constitutionnels, mais le savoir ne consolera que médiocrement le manifestant qui se retrouvera au cachot pour les avoir bravés. Il reste dans ces cas la possibilité de consacrer une fortune pour obtenir que le Conseil d’Etat annule le règlement après des mois de procédure… mais le conseil communal est libre de revoter le même règlement et tout est à recommencer.
Nous vous invitons à utiliser ce « guide » avec souplesse, en considérant que ce qui est autorisé dans une commune est parfois interdit dans une autre (les diffs de tracts sont parfois assimilées à une « activité publicitaire » interdite sur la voie publique…). Cet exercice est d’autant plus difficile qu’il faudra faire face au bluff de policiers qui prétendront interdites des choses autorisées… Mais enfin, un guide imparfait vaut mieux que pas de guide du tout.
Merci de nous signaler les lacunes, les confirmations, les questions qui se sont posées et qui n’y figurent pas, etc. Nous actualiserons et complèterons ce guide en ligne au fur et à mesure…

Que la publication de ce guide légal ne soit pas compris comme une invitation à respecter la loi.
Le travail anti-répression du Secours Rouge est partie intégrante du combat révolutionnaire anti-capitaliste. Et si nous pensons qu’il faut utiliser les moyens légaux, nous savons qu’ils ne suffiront pas pour renverser l’ordre existant. Comment pourrait-il en être autrement puisque le droit ne fait qu’entériner un rapport de force social, ne fait que faciliter la reproduction de l’ordre existant. Adopter les limites du droit bourgeois pour lutter contre le pouvoir de la bourgeoisie, c’est se couper le pied pour le faire entrer dans la chaussure.
Ce guide légal vise donc à aider à faire les choix (Est-ce légal ? Est-ce illégal?) et à permettre de savoir quand on franchit la ligne qui autorise la répression légale, et donc de prendre les dispositions d’usage, à commencer par l’anonymat…

1. Dans les « lieux publics »

1.1. Qu’est-ce qu’un lieu public ?

C’est la rue, les cafés, les transports en communs, les salles de spectacles, les réunions ouvertes à tout le monde. Mais pas : les parties des entreprises non ouvertes au public, les écoles, etc.

1.2. « Vos papiers ! »

Tout policier a le droit de demander la présentation des pièces d’identité dans un lieu public (les policiers en civil devront vous montrer leur carte). Théoriquement, on a le droit de prouver son identité « de quelque manière que ce soit » (permis de conduire, carte d’étudiant, passeport…), mais pratiquement, les policiers ne se satisfont que de la carte d’identité ou du passeport.
Si l’on a pas ses papiers sur soi, le policier peut nous donner une contravention et/ou procéder à une arrestation administrative pour vérification d’identité.

1.3. Les fouilles « de sécurité »

Les fouilles superficielles (dites « fouilles de sécurité ») sont autorisées sans formalité particulière dès que le policier considère que l’activité présente un risque de menace réelle pour l’ordre public : fouilles des vêtements, simple palpation du corps et des vêtements (sans déshabillage), sac, valise et voiture. Les policiers ne peuvent vous demander de les suivre dans un combi pour vous y déshabiller partiellement. La fouille ne doit pas forcément être effectuée par une personne de votre sexe. La fouille « de sécurité », comme la fouille du véhicule, ne peut durer plus d’une heure. Dans certains cas, les agents de sécurité peuvent procéder à cette fouille (voir 1.10.).

1.4. Les saisies

La police peut saisir tout ce qui a servi à commettre une infraction, ou tout objet « suspect ».
On a le droit de réclamer une liste des objets saisis (ils devront être restitués en cas d’acquittement, si aucune poursuite n’est intentée, ou si la confiscation n’a pas été prononcée par le tribunal qui vous aurait condamné).
La police n’a pas le droit de consulter le contenu d’un téléphone portable ni de confisquer celui-ci. Si elle estime qu’il contient une preuve importante, elle a besoin d’une autorisation du juge pour saisir et consulter le téléphone portable. Celui-ci ne peut pas être saisi définitivement, sauf si la police prouve qu’il a été volé ou utilisé pour commettre une infraction, et qu’un juge l’a décidé.

1.5. Arrestation administrative

La police peut vous amener au commissariat sans mandat (« arrestation administrative »). Théoriquement ils doivent le faire « en cas d’absolue nécessité », si vous faite obstacle à la liberté de circulation, si vous « perturbez la tranquillité publique », si des indices sérieux indiquent que vous vous préparez à commettre une infraction, etc. L’arrestation administrative a une durée maximale de 12 heures. Il existe quelques exceptions à cette règle. Une arrestation dans la zone ‘Eurostar’ entraîne une privation de liberté de 24 heures. Les étrangers en situation irrégulière peuvent être privés de liberté durant 24 heures. L’arrestation administrative en cas de troubles sur la voie publique en état d’ivresse est limitée à 6 heures. Il faut toujours insister pour qu’une personne de confiance soit avertie de l’arrestation. Pour les mineur-e-s, les policiers sont obligés d’accepter. Pour les majeur-e-s, l’appel sera autorisé pourvu qu’il ne risque pas de nuire à une éventuelle enquête judiciaire. Les motifs de ce refus doivent être mentionnés dans le registre de privations des libertés. Ce sont les policiers qui décident de vous laisser téléphoner vous-même ou de téléphoner à votre place (ce qu’ils font le plus souvent).
Le droit à l’avocat dès le commissariat de police est garanti en Belgique depuis le 1er janvier 2012. L’arrêt Salduz (Cour Européenne des Droits de l’Homme) passé en novembre 2008 mentionne l’obligation de présence d’un avocat dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police sauf raisons impérieuses pour circonstances particulières dans le cadre du droit à un procès équitable. Le droit belge a transposé cet arrêt dans une loi publié dans le Moniteur le 5 septembre 2011.
Une directive ministérielle donne le droit aux policiers de photographier les personnes en arrestation administrative « s’il y a soupçon qu’un délit ait été commis ou qu’il y ait appartenance à un mouvement ». Autrement dit, c’est à leur discrétion, et pratiquement quasiment systématique pour les activités politiques.
L’arrestation administrative peut devenir une arrestation judiciaire à partir du moment où les policiers préviennent le procureur du roi. Sa durée maximale est de 48 heures (voir ci-dessous).

1.6. Arrestation judiciaire avec mandat d’arrêt

La police peut vous arrêter sur ordre du procureur du roi ou du juge d’instruction qui doit avoir « des indices sérieux de culpabilité » à votre charge. L’arrestation judiciaire a une durée maximale de 48 heures (c’était 24 heures avant le 29 novembre 2017). Au-delà de ce délai, seul un juge d’instruction peut décider, après vous avoir entendu-e-, de vous inculper, et/ou de vous envoyer en prison en vous décernant un mandat d’arrêt. Il faut exiger de pouvoir contacter un avocat et demander que ce soit mis dans le procès-verbal.

1.7. Arrestation judiciaire sans mandat d’arrêt

La police peut vous arrêter sans ordre du procureur du roi ou du juge d’instruction en cas de flagrant délit. Les policiers doivent immédiatement avertir le procureur du roi qui décide de maintenir ou non l’arrestation. L’arrestation judiciaire a une durée maximale de 48 heures (c’était 24 heures avant le 29 novembre 2017). Au-delà de ce délai, seul un juge d’instruction peut décider, après vous avoir entendu-e, de vous inculper et/ou de vous envoyer en prison en vous décernant un mandat d’arrêt.

1.8. Maltraité-e

Si vous avez été brutalisé-e, faites établir un certificat médical dans les 48 heures (pensez que les hématomes n’apparaissent qu’au bout de quelques heures). Recueillez les témoignages (e.a. photographiques). Si vous avez reçu des coups, exigez des soins et une visite à l’hôpital.

1.9. Conseils en cas d’interpellation

Restez calme, ne cherchez pas inutilement le conflit, résistez aux provocations mais soyez ferme face à tout débordement (tentative de saisie d’un agenda par exemple).
Si les policiers sortent de la légalité et commettent un acte manifestement abusif et grossièrement illégal, on peut résister, même activement, même violemment, mais en proportionnant toujours sa résistance à l’acte abusif (vous pouvez vous cramponner à l’agenda que le policier essaie de vous arracher des mains, mais non lui allonger des coups de pieds).
Il ne s’agit pas de rébellion. Le mieux est toujours dans ce cas d’ameuter des témoins et de leur expliquer ce qui se passe, de demander à ce que l’on photographie ou filme la scène, que l’on note les détails, votre nom, que l’on recueille les témoignages.
En cas d’arrestation, il faut vérifier que les heures de début et de fin de l’arrestation, qui doivent être notées dans un registre spécifique, correspondent à la réalité. Le registre doit aussi mentionner la raison de l’arrestation, les objets saisis et l’identité des policiers qui ont procédé aux fouilles. Les policiers doivent demander de signer le registre à la sortie. Si le registre n’est pas complet ou contient des erreurs, il ne faut surtout pas le signer.
Lors d’une arrestation, vos effets (ceinture, portefeuille, téléphone,…) sont placés dans un sac scellé en votre présence. On vous demandera de signer un bordereau à ce moment (bordereau attestant que ces affaires sont les vôtres), et au moment où l’on vous remet ce sac, à votre libération. Ce document n’est pas une document judiciaire. Certains policiers remettent les effets malgré le refus de signer le reçu, d’autres non.

1.10. Et les vigiles?

Une loi approuvée le 1er décembre 2016 par le conseil des ministres prévoit une série de changements pour les vigiles et agents e sécurité (Securail, STIB, etc.). Jusqu’ici, les contrôles, à l’entrée d’un magasin ou d’une salle de spectacle par exemple, n’étaient pas obligatoires. On pouvait refuser de s’y soumettre et surtout, ces contrôles ne pouvaient se réaliser de manière systématique. Désormais, les vigiles pourront procéder à des palpations superficielles et fouiller vos sacs. Des fouilles qui devront néanmoins se justifier par la présence d’une menace potentielle lors d’un événement ou encore lorsque le niveau de la menace le justifie. Les vigiles pourront donc empêcher l’accès aux personnes à certains lieux et auront également la possibilité de contrôler votre identité. Autre volet important de la réforme : les vigiles pourront être armés dans des domaines militaires, au Parlement européen, ainsi que dans les ambassades

2. Aux manifs

2.1. Conseils pour aller à la manif

Pour aller à la manifestation, laissez votre agenda à la maison et idéalement votre téléphone chez vous (en cas de poursuites judiciaires, la police peut évidement aller chercher chez votre opérateur toutes les informations contenues sur votre carte SIM, mais il n’y a aucune raison de leur simplifier la vie et de leur donner accès à des informations sans instruction judiciaire). Si vous prenez votre téléphone, il est important d’active le verrouillage (et si possible, pour les smartphones, activez le chiffrement et enlevez votre carte SD).
Adoptez les chaussures de sport ou de sécurité. Habillez-vous de sombre pour vous fondre si besoin dans la foule des manifestants. Prenez un bonnet, une casquette ou une capuche « au cas ou ». Les plus motivés y ajouteront des gants et, à tout hasard, des lunettes de protection. Dans tous les cas, prenez un peu d’argent, le numéro de téléphone de votre avocat (éventuellement écrit au bic sur votre bras), votre carte d’identité et les prescriptions médicales si vous suivez un traitement.
Si possible, n’allez pas seul-e-s à la manif. Le mieux est d’y aller en groupe et de revenir en groupe. Il est utile de discuter des choix et des craintes des autres membres du groupe.

2.2. Manif autorisée, manif « tolérée », manif interdite

Manifester compte parmi les droits constitutionnels entravés d’innombrables règlements de police. Les communes exigent une autorisation préalable, le plus souvent demandée via un formulaire en ligne.
Manifester sans autorisation crée une situation d’insécurité juridique puisque vous pourriez vous faire réprimer par la police locale pour manifestation « non autorisée » (cf. le chapitre 9).
Sauf à redouter des incidents – ce qui l’amène à étouffer les manifs dans l’œuf – la méthode adoptée par la police en Belgique est généralement de tolérer les manifestations non autorisées.
Les policiers en civil viennent aux renseignements (« combien de temps cela va-t-il durer ? », « quel sera l’itinéraire ? ») et sauf exception (trajet trop contraire à la circulation automobile, durée trop longue, manque d’effectif, proximité d’une représentation diplomatique, tenue d’un Sommet européen, etc.), la manifestation sera tolérée et encadrée. Mais rappelons-le : c’est un simple usage, une simple manière de faire. La police trouve pour l’instant plus « économique » de procéder ainsi, cela peut changer du tout au tout très rapidement, et à chaque événement.
Que la manifestation soit statique ou mobile, qu’elle viennent de tel ou tel courant politique auquel est associé telle ou telle pratique (tags en chemin par exemple), autant de facteurs qui commanderont la tolérance ou la répression.
La tolérance est totalement nulle à proximité d’une représentation diplomatique (un règlement de police interdit à Bruxelles des manifestations à moins de 50 mètres d’une ambassade) ou dans la « zone neutre » Selon l’Article 11 du Règlement général de police de la ville de Bruxelles: La zone neutre comprend la rue Ducale, la rue de Louvain (de la rue du Nord à la rue Royale), la rue Royale (du carrefour des rues de la Croix de Fer, de l’Enseignement et du Treurenberg à la Place Royale), la place des Palais, la place du Trône, la rue Bréderode et l’intérieur de la zone délimitée par ces voies publiques. Le 8 mars 2012, la chambre a adopté une modification à ce règlement, étendant la zone neutre. Celle-ci inclut dorénavant, outre le périmètre précité, le parlement de la Communauté Française, la maison des parlementaires flamands et le complexe du Forum appartenant à la Chambre. Tout rassemblement dans cette zone peut entraîner une arrestation administrative ainsi qu’une amende de 250€.

2.2. Vous êtes filmé-e

A chaque manifestation des policiers filment et photographient les manifestant-e-s à fin de fichage. Dans certains pays, il y a une discipline des manifestant-e-s qui, à défaut de l’empêcher totalement, limite considérablement cette activité (on empêche les photographes d’opérer au sien même de la manif, on se masque, on se groupe derrière des calicots, etc.).
Attention, la technique est très au point. Lors du Sommet de Laeken en 2000, les manifestants ont été poursuivis sur base de photos prises de l’hélicoptère de la police ! Ils étaient parfaitement reconnaissables sur les clichés.
En Belgique, la ‘loi anti-burqa’ (Loi visant à interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage) est entrée en vigueur début juillet 2011. Celle-ci puni tous ceux qui se présentent dans les lieux publics le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie, de manière telle qu’ils ne soient pas identifiables.

2.4. Utilisation de la force par les policiers

Tout policier peut « en tenant compte des risques que cela comporte », recourir à la force en respectant trois principes :
– 1. Principe de légalité : l’objectif poursuivi doit être légitime et prévu par la loi (contrôle d’identité légal, fouille légale, arrestation légale…)
– 2. Principe de nécessité : il ne doit pas y avoir d’autre moyen que la force pour atteindre l’objectif légal.
– 3. Principe de proportionnalité : l’usage de la force doit être strictement nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.
En outre, l’usage de la force doit être précédé d’un avertissement, sauf si cela rend l’action inopérante.
Les policiers peuvent faire usage de leur arme dans trois cas :
– 1. Légitime défense.
– 2. Contre des personnes armées ou en direction de véhicules où se trouvent des personnes armées en cas de flagrant délit commis avec violence, et quand les policiers ont de bonnes raisons de croire que ces personnes ont une arme prête à l’emploi et qu’elles vont l’utiliser.
– 3. En cas d’absolue nécessité pour défendre les personnes, les lieux ou les biens confiés à leur protection.
Pratiquement, la police a une interprétation TRÈS extensive de ce cadre.

2.5. Peut-on photographier ou filmer la police?

On a le droit de filmer la police mais ils ne se laissent pas faire et peuvent prétexter une rébellion à posteriori. En revanche, la jurisprudence n’est pas claire concernant la diffusion de ses images, d’autant que les procès portent parfois sur le cadre de la diffusion des images (des policiers ont porté plainte pour « diffamation » parce qu’ils étaient reconnaissables sur les photos d’une exposition sur les violences policières..

3. Dans un lieu privé

3.1. Qu’est-ce qu’un lieu privé ?

Les domiciles particuliers, les entreprises dans leur partie fermée au public, les écoles, les réunions ou les fêtes où l’on ne peut entrer que sur invitation (domicile, dépendances, local utilisé à des fins personnelles)

3.2. Les cas où la police peut entrer chez vous sans mandat

La police peut entrer chez vous en cas de flagrant délit, d’indices sérieux relatifs aux infractions sur les stupéfiants, en cas d’incendie ou d’inondation, ou si vous avez donné votre accord.

3.3. Les cas où la police peut entrer chez vous à votre insu

Le juge d’instruction peut autoriser les services de police à pénétrer dans un lieu privé à l’insu du propriétaire ou de l’occupant, ou sans le consentement de ceux-ci s’il existe des indices sérieux que les faits punissables constituent ou constitueraient un délit punissable de plus d’un an de prison ou sont ou seraient commis dans le cadre d’une organisation criminelle et si les autres moyens d’investigation ne semblent pas suffire à la manifestation de la vérité. (cf point 5)

3.4. Munie d’un mandat, la police peut-elle entrer chez vous à n’importe quelle heure ?

Non, la perquisition doit avoir lieu entre 5 heures du matin et 21 heures.

3.5. Avez-vous le droit le droit d’assister à toute la perquisition ?

Il semblerait que oui, mais c’est un point que nous ne sommes pas parvenus à éclaircir totalement.

3.6. Conseils aux militant-e-s à la porte desquels les flics viennent sonner

Restez calme. N’ouvrez pas tout de suite (en cas de perquisition ordinaire, c’est-à-dire s’ils ne prennent pas d’assaut votre appartement en défonçant les portes). Vérifiez s’il s’agit bien d’une perquisition.
Les policiers peuvent présenter une simple demande de visite domiciliaire comme s’il s’agissait d’une perquisition. Or, vous avez le droit de vous opposer à la première (sauf point 3.1.). Ne cédez pas aux pressions : les policiers présenteront votre refus d’ouvrir sans mandat comme quelque chose de « louche », et a contrario le fait que vous les laissiez entrer comme « la preuve » que vous n’avez rien à vous reprocher. Refusez cette logique. Pas de mandat, par d’accès !
Demandez à voir le mandat qui peut être glissé sous la porte ou dans la boîte aux lettres. Le lire posément, vérifier la date, notez le nom du juge d’instruction. Prévenir un proche et/ou un avocat. Ensuite ouvrir.

4. Le « droit de résistance »

4.1. Qu’est-ce qu’une « rébellion » ?

C’est une résistance contre les forces de l’ordre qui agissent pour exécuter les lois, avec violence (même légère) ou menaces (le policier doit craindre un danger réel et imminent). C’est un délit.
Vous n’êtes pas en rébellion si vous refusez seulement d’obéir à un ordre ; vous résistez passivement (vous vous couchez par terre, etc.), vous vous enfermez dans un refuge, vous vous enfuyez pour échapper à une arrestation, vous proférez des « menaces » clairement fantaisistes.
Vous êtes en rébellion si vous vous débattez quand vous êtes tenu-e par un policier ; vous frappez un policier sans légitime défense ; vous foncez violemment sur un barrage de policier.
Vous êtes en rébellion avec circonstances aggravantes si vous êtes « en bande » (deux personnes suffisent) ; vous êtes armé-e (ne serait-ce que d’une pancarte, d’un boulon).
Bien entendu, les policiers usent et abusent de l’accusation de rébellion, et cela donne lieu à une jurisprudence complexe. Si résister passivement en se couchant par terre ne peut être qualifié de rébellion, on a vu des militants poursuivis pour rébellion « parce qu’ils s’étaient raidis » lorsque les policiers les avaient empoignés! Cette interprétation abusive est néanmoins en recul: il faut que la réaction physique du manifestant soit dirigée contre le policier pour qu’il y ait rébellion.

4.2. Quand pouvez-vous résister légalement?

Si un policier commet une illégalité grave et flagrante (entrer dans une maison sans mandat de perquisition, ni accord des occupants, coups sur un manifestant au sol,…), vous avez le droit de l’empêcher, même par la violence.
Il faut que cette violence soit proportionnelle, c’est-à-dire strictement nécessaire pour éviter l’action illégale des policiers (vous pouvez leur refermer la porte au nez ou former un cordon humain, mais pas leur envoyer des coups de poings pour les empêcher d’entrer – mais s’ils frappent, vous pouvez répondre à leurs coups).
Ceci pour la théorie, car c’est le tribunal qui décidera si l’illégalité était assez flagrante pour pouvoir résister (et les policiers fourniront certainement une version bétonnée et à leur avantage des faits). Avant d’agir, il est prudent de s’assurer qu’on sera en mesure de prouver l’action illégale des policiers.

4.3. Peut-on invoquer la « légitime défense » contre un policier?

Oui, comme contre n’importe qui, et ils peuvent aussi s’en servir contre vous. Mais les conditions légales sont très strictes. On peut répondre à une attaque (conditions cumulatives) :
– 1. S’il y a violence,
– 2. Accompagnée d’une menace grave (pas seulement contre celui qui riposte mais aussi contre d’autres personnes : votre ami-e se fait sauvagement frapper par un policier, vous avez le droit d’aller le défendre si toutes les présentes conditions sont réunies),
– 3. Actuelle ou imminente (on ne peut donc pas riposter dix minutes après l’attaque ; cela sera considéré comme des représailles et pas comme de la légitime défense)
– 4. Injuste (illégale, arbitraire : si les policiers utilisent la force en respectant scrupuleusement les conditions légales, légalement, vous n’avez pas le droit de réagir).
– 5. Dirigée contre des personnes et pas des biens (vous ne pouvez pas résister si le policier démoli votre appareil photo, mais bien s’il maltraite un autre manifestant).
– 6. Proportionnelle (on ne peut répondre à une bourrade par un coup de barre de fer).

4.4. La violence peut-elle être légalement excusée par une provocation policière ?

La provocation est un fait qui suscite la colère ou la crainte, qui entraîne une infraction par réaction spontanée. Pour que votre violence soit légalement excusée pour cause de provocation policière (physique ou verbale), cette dernière doit être :
– 1. Illégale
– 2. Exercée contre une ou des personnes
– 3. Actuelle
Ici aussi, veillez à rassembler preuves et témoignages.

4.5. L’arrestation illégale et arbitraire

Une arrestation est illégale si elle ne repose sur aucune base juridique, si elle est non-conforme à la loi. Elle devient arbitraire si le policier y procède par caprice, par représailles (« tu la fermes ou je t’embarque »), s’il commet une faute lourde, si le policier a une volonté de nuire et de ne pas respecter la loi. Le policier ne commet un délit que si l’arrestation est illégale ET arbitraire.

5. Espionnage policier

La loi du 20 juillet 2002 (modifiée par la loi du 6 janvier 2003) concernant les « méthodes particulières de recherches et d’enquête» autorise le placement secret de micros et de caméras dans les domiciles privés pour faciliter les enquêtes sur les infractions pouvant déboucher sur une condamnation de plus d’un an de prison — c’est-à-dire presque toutes les infractions prévues par le Code pénal à l’exception d’une poignée d’entre elles (comme la grivèlerie, l’abandon de famille, ou l’empoisonnement de chevaux…). Pour toutes les autres infractions, le seul fait qu’il existe des « indices sérieux » de faits punissables « portant atteinte au respect des lois » suffit à ce que soient appliquées les « méthodes particulières de recherches ». L’infraction ne doit même pas être commise car la loi est non seulement « réactive » mais « proactive » : elle peut s’appliquer dans le cas où une infraction pourrait être commise…
La loi prévoit une « cause d’excuse légale » pour toutes les infractions commises par les policiers appliquant ces « méthodes particulières de recherche » — le jeu de la rétroaction ayant même permis de couvrir les infractions commises par des policiers avant le vote de la loi… La loi prévoit que le Procureur peut ordonner une perquisition ou intercepter du courrier sans mandat du juge d’instruction non seulement du suspect mais aussi de tiers (une personne à qui le suspect a écrit par exemple)…
La loi prévoit l’organisation de « dossiers répressifs confidentiels » dont les pièces (par exemple les films des caméras cachées, les enregistrements des micros) ne seront accessibles qu’au procureur et au juge d’instruction. Ni l’accusé, ni son avocat, ni même le juge ne pourront accéder à ce dossier ! Ils devront se contenter de procès-verbaux rédigés par les policiers à partir de ces films et enregistrements.

5.1. L’analyse de risque

Le quotidien politique a été transformé considérablement par la technologie d’information. Des dates de réunions sont convenues par mail, messagerie ou SMS, des informations sont rapidement recherchées dans des sites web etc. Qu’il s’agisse du PC, de l’internet ou de la téléphonie mobile, chaque outil procure des possibilités qui peuvent et doivent être utilisées dans la militance. Toutefois, la sécurité ne doit pas être oubliée. Elle ne doit pas paralyser non plus. Nous devons nous adapter à la situation actuelle et à la contre-révolution par notre mode de travail en utilisant ces moyens techniques. Il peut être pertinent, par exemple, d’utiliser TAIL ou se rendre dans un cyber-café pour effectuer différents types de recherches.

5.1bis. Les méthodes particulières de recherches

Les méthodes particulières de recherche sont: l’observation, l’infiltration et le recours aux indicateurs. Ces méthodes de recherche, de collecte, d’enregistrement et de traitement des informations sont mise en oeuvre en vue de poursuivre les auteurs d’infractions sur la base d’indices sérieux que des faits punissables vont être commis ou ont déjà été commis, qu’ils soient connus ou non.

5.2. Les écoutes téléphoniques

Dans le cadre normal : les écoutes se font sur mandat du juge d’instruction. Elles peuvent porter sur le contenu des conversations, ou simplement sur le recensement des numéros appelés et des numéros appelants (appareils « Zoller » et « Malicieux » pour la téléphonie fixe, requêtes aux opérateurs). En vue de permettre l’écoute, la prise de connaissance ou l’enregistrement direct de communications ou de télécommunications privées à l’aide de moyens techniques, le juge d’instruction peut à l’insu ou sans le consentement de l’occupant ou du propriétaire, ordonner la pénétration à tout moment dans un lieu privé ou un domicile.

5.3. Les écoutes directes

Elles se font dans le même cadre légal que les écoutes téléphoniques. Partez de l’idée qu’aucune information n’est à l’abri de la police, mais que les techniques de celle-ci sont parfois très lourdes et parfois fragiles. Théoriquement, les flics peuvent écouter à travers une fenêtre, voire à travers une cloison. Ils peuvent y faire pénétrer un micro pas plus gros qu’un fil. Ils peuvent semer des micro-mouchards dans les cafés et lieux que vous fréquentez, etc. Les écoutes directes sont légales dès le moment où elles se font depuis l’espace public et sans intrusion dans le domicile de la personne visée, c’est-à-dire quand l’appareil d’écoute se trouve à l’extérieur. C’est le procès Varga (2007) qui fait jurisprudence.

5.4. Photographies et enregistrements vidéo

Il semblerait qu’elles se fassent dans le même cadre que les écoutes téléphoniques, mais nous n’avons pu confirmer cette information.

5.5. Comptes bancaires

Le procureur du roi peut requérir, s’il existe des indices sérieux que les infractions peuvent donner lieu à une peine d’un an ou plus, la liste des comptes bancaires et toutes les données à ce sujet: la liste des transactions bancaires réalisées sur une période déterminée y inclus les renseignements concernant tout compte émetteur ou récepteur.

5.6. Infiltrés et provocateurs

La loi déjà mentionnée sur les « méthodes particulières de recherches » autorise non seulement l’espionnage par micro et caméra, mais encadre aussi l’usage des infiltrés et des indicateurs. C’est aussi pour cela que la loi prévoit une « clause d’excuse légale » pour toutes les infractions commises par les policiers appliquant ces « méthodes particulières de recherche ». La loi autorise policiers à commettre des délits pour autant qu’ils ne soient pas légalement plus graves que le délit sur lequel ils enquêtent… Le procureur du roi peut autoriser l’indicateur à commettre les infractions qui sont absolument nécessaires au maintien de sa position d’informateur. Elles doivent être proportionnelles à l’intérêt de maintenir la position de l’indicateur et ne peuvent en aucun cas directement et gravement porter atteinte à l’intégrité physique des personnes.

5.7. Filature et géolocalisation téléphoniques

Elles se font dans le même cadre légal que les écoutes téléphoniques. Grâce à votre téléphone portable on peut non seulement écouter mais aussi vous suivre à la trace. La précision est de l’ordre de quelques mètres. Pour s’en prémunir, on peut par exemple, retirer la batterie de son téléphone portable (ce qui devient difficile avec les récents smartphones), le laisser à la maison ou le passer à quelqu’un d’autre. Ici aussi, les données que les opérateurs sont tenus de stocker constituent une réserve d’informations (qui s’est connecté à qui à partir de quel endroit) à disposition de la police et de la justice.

5.8. Espionnage des mails et de la circulation sur le net

Elles se font dans le même cadre légal que les écoutes téléphoniques. Vos mails peuvent être lus par la police, sur demande du juge d’instruction. Les fournisseurs d’accès internet ont l’obligation légale de garder plusieurs mois d’archives.

5.9. Codage du disque dur et cryptage des communications

Il est possible de protéger la confidentialité de sa correspondance électronique et des données stockées sur votre ordinateur au moyen du cryptage. Le cryptage n’est pas interdit en Belgique. Il est d’ailleurs utilisé par les banques, des ONG comme Amnesty International, des bureaux d’avocats, etc. Le Secours Rouge international utilise les programmes classiques comme PGP pour les mails, Veracrypt pour les disques durs, « Signal » comme messagerie. Néanmoins, cette protection reste plus que relative dans la mesure où son emploi peut être peu sûr, par exemple s’ils placent un logiciel-espion sur le clavier,…

6. Au commissariat

6.1. Convoqué-e !

Vous avez reçu une convocation « pour une affaire vous concernant ». Inutile d’appeler la police: ils ne vous diront pas de quoi il s’agit. Il n’y a aucune obligation à se rendre à une convocation au commissariat. Mais vous prenez le risque d’en recevoir une deuxième, une troisième, et finalement de voir la police venir vous trouver. Il n’est pas clair si des refus successifs de répondre à une simple convocation peuvent déboucher sur un signalement, en pratique, cela semble varier selon la gravité supposée du dossier.

6.2. Embarqué-e !

La police peut vous amener au commissariat dans le cadre d’une « arrestation administrative », d’une « arrestation judiciaire avec mandat d’arrêt », ou d’une « arrestation judiciaire sans mandat d’arrêt » (cf. point 1.6, 1.7, 1.8).

6.3. Les fouilles

Avant la mise en cellule, la police procède à une fouille dite « fouille à corps ». Il s’agit d’une fouille plus approfondie que la simple fouille « de sécurité ». Elle peut impliquer que l’on vous demande d’enlever quelques vêtements. Elle ne requiert pas le déshabillage complet car la finalité de cette fouille est de trouver des objets dangereux. Elle doit être effectuée par un policier du même sexe.
Toute fouille plus approfondie relève de la « fouille judiciaire ». Elle ne peut se faire que si vous êtes sous le coup d’un mandat d’arrêt. Elle peut durer au maximum six heures. Tout examen de l’intérieur du corps (anus, vagin, bouche) ne peut se faire que par un médecin avec un mandat du juge d’instruction, ou du procureur du roi s’il y a flagrant délit. La « fouille judiciaire » doit en principe être faite par un policier du même sexe sauf en cas de manque d’effectif.

6.4. Empreintes digitales/photos/ADN

Les empreintes digitales peuvent être prises sur une personne âgée de plus de 14 ans qui est l’auteur d’un délit punissable en Belgique et qui est soit à disposition des autorités judiciaires soit entendu, et dont le lien avec un fait concret a été prouvé et pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un fait mineur. Toutes les personnes qui peuvent faire l’objet d’une prise d’empreintes peuvent aussi faire l’objet d’une photographie d’identification. C’est le cas également des personnes arrêtées administrativement dans le cadre du maintien et du rétablissement de l’ordre public si de sérieux incidents ont éclaté lors de l’événement, ainsi que pour toute personne arrêtée administrativement dont l’identité n’a pu être établie avec certitude dans les délais requis. Une directive ministérielle donne également le droit aux policiers de photographier les personnes en arrestation administrative ‘s’il y a soupçon qu’il y ait appartenance à un mouvement (directive notamment dirigées contre les groupes de hooligans, mais qui concerne aussi les manifestants). La finalité de ces prises de vue est l’identification ultérieure de la personne dans le cadre d’autres infractions ou troubles de l’ordre public. Notons ici que:
– si on a affaire à des personnes qui agissent conformément à la loi,
– si des magistrats compétents ont donné en ce sens des directives générales ou particulières,
– si les principes relatifs à l’usage de la contrainte ont été respectés,
– alors, la contrainte, dans le sens où le policier agit contre la volonté de la personne concernée, peut être utilisée pour relever les empreintes digitales et prendre des photos.
Un échantillon ADN ne peut être prélevé qu’en cas d’arrestation judiciaire et à la requête d’un juge d’instruction.

6.5. Sous traitement ?

Si vous souffrez d’une maladie antérieure à l’arrestation qui nécessite des soins particuliers ou réguliers, signalez-le le plus vite possible à un officier de police. Exigez de recevoir votre traitement (c’est le moment de produire vos prescriptions). Expliquez (si possible devant témoins) les conséquences néfastes que pourraient provoquer un manque de soins.

6.6. L’interrogatoire

Vous avez le droit de ne rien dire. Vous avez le droit de relire, de modifier, ou d’ajouter quelque chose à votre déclaration. Vous avez le droit d’en recevoir copie. Vous ne la recevrez pas toujours tout de suite, mais parfois plus tard, et sur votre demande. Il faut donc la demander, mais il n’est pas illégal de ne pas la recevoir tout de suite. Vous avez le droit de ne pas la signer. Il vaut mieux ne pas la signer, ce qui n’entraîne aucune sanction. La signature d’un PV erroné peut être très dommageable. On peut aussi signer par inadvertance un document autorisant les policiers à faire une perquisition sans mandat à son domicile. Vous pouvez demander une copie de l’audition gratuitement. Ces droits ne souffrent d’aucune exception.

6.7. Conseils aux militant-e-s concernant l’interrogatoire

Ne dites que vos noms et adresse. Pour le reste, répétez simplement : « je n’ai rien à déclarer », ou « je fais usage de mon droit au silence ». Ne vous laissez pas entraîner dans un enchaînement de questions d’abord anodines (« quel est le métier de vos parents ? »). Répétez calmement « je n’ai rien à déclarer », ou « je fais usage de mon droit au silence » cinquante fois s’ils posent cinquante questions. Les policiers connaissent cette attitude et, s’ils font les étonnés pour vous faire croire qu’elle est « exceptionnelle », ils savent que vous êtes dans votre droit. Si vous avez l’air suffisamment têtu-e ou déterminé-e, l’interrogatoire sera vite fini. Il est possible qu’on vous remette en cellule quelques heures pour vous « amollir » avant une nouvelle tentative. Gardez la même ligne de conduite. Les arguments des policiers selon lesquels cela « aggravera votre cas », « prolongera votre garde à vue », « indisposera la justice », etc. ne sont que des ruses éculées pour obtenir des informations. Vous n’êtes pas au café : n’essayez pas d’évangéliser les flics ! Vous êtes sur leur terrain : ne provoquez pas la confrontation. Ne racontez pas votre vie à vos éventuels compagnons de cellule, mais rappelez leur leurs droits, informez les des limites de la détention administrative, etc. N’en dites pas trop, il n’est pas exclu que des policiers en civil soient en cellule, que des micros soient placés dans la cellule ou qu’un de vos compagnons soit très bavard dans sa déclaration.
Ne signez rien ! Un banal document peut contenir votre acceptation d’une « visite de consentement » à votre domicile, c’est-à-dire une perquisition sans mandat et en votre absence. L’enjeu, c’est l’information. La police la veut, elle ne doit pas l’avoir. Ce n’est qu’en fonction de ce critère que vous sortirez vainqueur ou vaincu de cette épreuve.

6.8. Inculpé?

Vous pouvez être entendu comme témoin, comme suspect-e ou comme inculpé-e. Une inculpation n’implique pas forcément une privation de liberté, et vous pouvez traverser les étapes judiciaires successives (Chambre du Conseil, Chambre des mises, et finalement tribunal) sans forcément passer par la case prison. Mais le juge d’instruction peut néanmoins restreindre votre liberté (interdiction d’aller à l’étranger, de fréquenter certaines personnes, etc.) – restrictions qui devront être validées par la Chambre du conseil (cf. point 8.7.)

7. Chez le juge d’instruction

7.1. L’interrogatoire

Ici aussi, vous avez le droit de ne rien dire. Vous entendrez de la bouche du juge les mêmes arguments que de la bouche des flics en faveur de la collaboration. Il est de la plus élémentaire sagesse de ne faire une déclaration qu’après en avoir mesuré les éventuelles conséquences avec vos proches, vos camarades et votre avocat. Si vous êtes inculpé-e-, vous pouvez être mis-e sous mandat d’arrêt, c’est-à-dire emprisonné-e. Il s’agit alors dans tous les cas d’une procédure judiciaire et non plus administrative. Endéans les cinq jours, cette arrestation devra être confirmée ou infirmée par une chambre du conseil.

7.2. L’avocat

Suite à l’arrêt «Salduz», vous pouvez disposer d’un avocat dès votre premier passage chez le juge d’instruction. Votre avocat est indiscutablement votre allié, mais il n’a pas forcément la même logique que vous. Certains avocats ne se préoccupent que de la liberté de leur client, quoiqu’il puisse en coûter aux co-inculpé-e-s. C’est une logique qui n’est pas acceptable pour un-e militant-e. Les avocats ont cet avantage et cet inconvénient de réfléchir en termes de droits. Sur ce terrain, ils sont de précieux conseil, mais ils ont tendance à « enfermer » votre situation sur le seul terrain du droit, sans en mesurer les autres enjeux (politiques, collectifs, etc.). Il est parfois utile de « perdre » un peu sur le terrain légal si c’est pour davantage gagner sur le terrain politique et collectif. Cette analyse là, votre avocat ne pourra pas la faire pour vous. Il pourra juste vous aider à la faire en vous donnant la mesure des risques légaux et pénaux.

7.3. Le mandat d’arrêt

Le mandat d’arrêt est un acte par lequel un juge d’instruction prive de liberté un individu pendant le déroulement de l’enquête qui le concerne, après l’avoir inculpé. Sous mandat d’arrêt, l’inculpé est en détention préventive. Le mandat d’arrêt doit être délivré dans les 24h de la privation de liberté de la personne, que le juge doit avoir entendue quant aux faits reprochés et à sa situation personnelle. Le mandat d’arrêt doit être motivé, ce qui signifie qu’il doit faire apparaître les raisons qui ont conduit le juge d’instruction à ordonner la privation de liberté de l’inculpé. Le degré de précision de cette motivation varie suivant l’importance de la peine à laquelle les faits suspectés pourraient donner lieu s’ils étaient établis. Si l’infraction suspectée est de nature à entraîner une peine de plus de 15 ans de prison, la motivation devra uniquement faire apparaître l’absolue nécessité d’un mandat d’arrêt pour les besoins de la sécurité publique. Si la peine susceptible d’être encourue est inférieure à 15 ans, le mandat d’arrêt devra exposer non seulement les considérations qui témoignent de cette absolue nécessité pour la sécurité publique, mais également les éléments qui autorisent à craindre certains risques. Le mandat d’arrêt peut être levé à tout moment par le juge d’instruction.

8. En prison

8.1. Introduction

Il ne sera question ici que des questions qui se posent les premiers jours de la détention.

8.2. Au secret/à l’isolement

La mise au secret (et sac durée) est décidée par le juge d’instruction, alors que l’isolement peut être décidé par l’administration pénitentiaire. Les procédures diffèrent suivant les établissements pénitentiaires. Ce qui suit est donc à considérer comme des ‘règles générales’ qui sont adaptées suivant les prisons et les situations.
L’isolement peut être imposé à la suite d’une mesure de sécurité particulière, d’un régime de sécurité individuel particulier ou d’une sanction particulière. Ces mesures ne peuvent être maintenues plus de 7 jours, et prolongées au maximum 3 fois. Lors de l’isolement en cellule, le détenu est privé d’activités communes, sauf celles qui ressortent du droit à la liberté de culte et de philosophie ainsi qu’au séjour en plein air. Le directeur peut autoriser le détenu à prendre part à des activités de formations communes. Le détenu à l’isolement conserve le droit à recevoir des visites de personnes extérieures dans un local équipé d’une séparation vitrée. Le téléphone est limité à un entretien par semaine, sans préjudice du droit à téléphoner à un avocat ou à une personne chargée de l’assistance judiciaire. La loi prévoit que le détenu à l’isolement puisse recevoir une visite régulière du directeur et d’un médecin-conseil pour s’assurer de l’état du détenu.

8.3. L’accès au dossier

L’accès au dossier est accordé au cas par cas. Mais toujours dans les 24h ou 48h qui précèdent la chambre du conseil. (voir point 8.7)

8.4. La visite des proches

Sauf raison impérative, la prison ne peut refuser la visite des parents proches, excepté lorsque le prisonnier se trouve à l’isolement. Les règlements varient de prison à prison sur ce que l’on peut apporter à la visite. Les prévenu-e-s n’ont généralement pas le droit de porter leurs propres vêtements, mais ils ont droit à leur linge (prévoir du linge blanc, certaines prisons refusent les t-shirts de couleur…). Un nombre limité de livres est généralement autorisé (attention, parfois les journaux sont comptés comme des livres).

8.5. La cantine

Le service social de la prison prévoit un petit minimum en arrivant : vous recevrez quelques timbres, du savon, et parfois même un bon d’achat immédiat pour la cantine. La détention coûte cher, et c’est dans les premiers jours que l’on a grand usage d’unités téléphoniques, de timbres, etc. Vos proches doivent au plus vite verser de l’argent à votre nom sur le compte de la prison (il faut téléphoner à la prison pour obtenir ce numéro).

8.6. Pour contacter une prison

Les adresses et numéros de téléphones de toutes les prisons de Belgique sont accessibles sur notre page ‘Prisons’

8.7. La Chambre du conseil

Dans les 5 jours de la délivrance du mandat d’arrêt par le juge d’instruction, l’inculpé devra comparaître devant la chambre du conseil assisté d’un avocat. La chambre du conseil est une juridiction d’instruction qui statue sur la régularité du mandat d’arrêt et sur le maintien en détention préventive de l’inculpé. Après avoir entendu l’inculpé et son avocat, la chambre du conseil peut décider de lever le mandat d’arrêt et d’ordonner la libération de l’inculpé. En cas de maintien en détention préventive, le mandat d’arrêt sera confirmé pour une durée d’un mois. L’inculpé devra ensuite comparaître de mois en mois.

9. La répression « administrative »

9.1. Généralités

Les communes peuvent se baser sur certaines de leurs prérogatives (lutter contre les troubles sur la voie publique, les entraves à la circulation, veiller à la propreté de l’espace public) pour prendre des mesures qui limitent directement l’activité politique. Il ne s’agit pas de mesures judiciaires mais administratives : le policier communal (ou l’auxiliaire de police) dresse un procès-verbal et le/la manifestant-e ou le/la colleur/euse d’affiche doit payer une amende. Ces mesures vont en s’élargissant et en s’amplifiant. Elles deviennent un vrai problème pour la militance. Il est à noter que la plupart de ces mesures violent des droits constitutionnels ou des droits politiques fondamentaux, et qu’il est techniquement possible d’aller en justice contre la commune pour violation de vos droits constitutionnels, et de gagner cette procédure. En effet, la Convention Européenne des Droits de l’Homme n’admet une dispersion des manifestants que dans les cas où des délits sont projetés ou a fortiori, commis. La dispersion d’une manifestation pacifique interdite par un règlement communal est par exemple abusive, car cela viole la Constitution et la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui garantissent la liberté de manifester, d’expression et de réunion. Il faut néanmoins préciser que ces démarches juridiques pour faire « valoir vos droits » devant le Conseil d’Etat ou à la Cour des Droits de l’Homme à Strasbourg prennent un temps fou et coûtent une fortune – pratiquement, elles sont hors de portée d’une initiative individuelle. D’autant qu’au mieux, la commune risque de devoir annuler l’acte administratif condamné… quitte à le revoter à l’identique la semaine suivante et attendre la prochaine condamnation…

9.2. L’affichage

Certains règlements communaux font payer pour affichage sauvage le/la colleur/euse surpris-e en train de coller, mais parfois aussi, à défaut, l’éditeur/trice responsable (pourtant légalement responsable du seul contenu de l’affiche), voire même le « bénéficiaire » de l’affichage. Le Secours Rouge a été confronté au cas d’une commune s’en prenant, faute de trouver l’éditeur responsable, à la graphiste qui avait signé l’image de l’affiche ! Et à défaut de paiement, ce sont les huissiers qui prennent le relais. Pratiquement, à moins de se limiter aux quelques rarissimes espaces d’affichage libre, la pression de ces communes est telle qu’elles font du choix de l’illégalité le meilleur choix : renoncer à mettre un éditeur responsable ou une signature collective trop identifiable, et ne pas se faire attraper en collant…

9.3. Les manifestations

Si, dans la situation actuelle, le choix de l’illégalité semble le plus opportun dans les communes qui répriment le plus largement (jusqu’à l’éditeur responsable inclusivement) l’affichage « libre » ou « sauvage », il semble qu’il reste de bon conseil de demander l’autorisation de manifester. Ces autorisations sont rarement refusées, et si c’est le cas, il est alors encore temps de réfléchir à l’organiser sans autorisation. La répression des manifestations non-autorisées obéit à des critères très variés, allant du caractère plus ou moins vindicatif du bourgmestre ou du chef de corps à des considérations de classe (on embarquera moins vite des étudiants belges que des réfugiés kurdes) en passant par des considérations « techniques » (plus ou moins d’embarras de circulation estimé, plus ou moins de policiers disponibles)…

– [fond rouge]Notice[/fond rouge]

This legal guide is not an invitation to respect the law.

The anti-repression work of the Secours Rouge is part and parcel of the anti-capitalis revolutionary struggle. We think that legal means should be used, bu we also know that they won’t be sufficient to overthrow the established order. How could it be otherwise as the law fortifies a social power struggle and makes the reproduction of the established order easier. Acting within the bourgeois laws while fighting against the authority of the bourgeoisie is just like cutting your foot to get it inside your shoe.

This legal guide just helps to make choices (is it legal or illegal?) to find out when you cross the line where legal repression begins, and thus to make the customary arrangements against repression necessray, starting with anonymity.

– [fond rouge]Demonstrations: allowed, tolerated, prohibited[/fond rouge]

The constitution guarantees the right to hold a demonstration. But this right is swamped by a mass of different rules and laws. The municipalities demand a preliminary application which is accepted after a telephone conversation in most cases. Prohibited demonstrations may be nipped in the bud, but can also sometimes be tolerated.

Tolerance is inexistent in two zones (punished by a fine of 250€): at less than 50 meters away from any embassy/consulate (this is however possible with a permission). In Brussels, there won’t be any permission for a demonstration in the ‘neutral zone’ (this zone consists of the rue Ducale, rue de Louvain (from the rue du Nord to the rue Royale), rue Royale (from the crossroads between the rue de la Croix de Fer, de l’Enseignement and du Treurenberg to the Place Royale), place des Palais, place du Trône, rue Bréderode et inside the zone delimited by these streets).

– [fond rouge]Anonymity[/fond rouge]

The police films the demonstrators for the purpose of collecting information via plain-clothes photographers, permanent cameras or even helicopters. In some countries, the militant tradition is to prevent them from doing this effectively: masks, hoods, ejection of the photographers from the demonstration are used to hamper their work.
In Belgium, masks, hoods and making-up are prohibited.

– [fond rouge]Prohibited[/fond rouge]

Rebellion: Policemen do not hesitate to use this offence. It is resistance towards the police who are taking action to enforce the law. Be the resistance with violence (even light violence), or threats (the policeman fears a real and imminent danger).
This includes cases when: you struggle while you are held by a policeman, you hit a policeman excluding cases of self-defense, you charge into a police cordon. If you are in a group (two or more) and if you are armed (a placard is enough), it is an aggravation. Refusing to obey an order is not rebellion: you can lie down on the floor and let them drag you away, run away to escape from being arrested,…

Slander, insult, calumny

Calumny is punished by a prison sentence from eight days up to one year and a fine. Slanderous denunciation is punished by a prison sentence from fifteen days up to six months and a fine. The courts assesses what a calumny is.

– [fond rouge]The police in public places[/fond rouge]

The police has the right to:
– Ask you to prove your identity. In theory, you can do it anyway you wish (driving licence, student card,…). In practice, not showing your ID card often leads to a preventive custody. If you don’t have any papers with you, you may be given a fine.
– Carry out a ‘security body search’, superficial and without undressing you, in cases when the law and order could be threatened: people, bags, cars,.. can be searched. It has to be done within an hour, the police cannot force you into the police van to do it.
– Carry out a deeper body search if it has a warrant for arrest. The searching can last six hours, they are allowed to undress you. An internal body search can only be carried out by an appointed doctor.

– [fond rouge]Different types of arrests[/fond rouge]

Preventive custody: in cases of absolute necessity, of threat towards law and order or if the police thinks that you are going to break the law. There is no warrant of arrest, yet you are deprived of your freedom for maximum 12 hours. You don’t have the right to have a lawyer, neither to call someone to tell that you are there, except if you are a minor. The police has the right to take pictures of you ‘if they suspect you of belonging to a movement’, which applies to demonstrators. Foreigners can be kept in jail for maximum 24 hours.

Judicial arrest without warrant: likewewise to the precedent, but the prosecutor is informed, and the loss of liberty is increased up to 48 hours. You don’t have the right to have a lawyer. This type of arrest occurs when you are caught in the act of something illegal.

Judicial arrest with warrant: The prosecutor or the examining magistrate decides to go for it, you are heard within 48 hours by an examining magistrate, who can decide to issue a warrant of arrest and to send you to jail. In this case, demand for a laywer, even if the police will unlikely respect your right. You have the right to call someone so long as there is no risk that your call will spoil the possible judicial enquiry.

– [fond rouge]Force[/fond rouge]

The police’s use of strength: A policeman can resort to force according to three principles: legality (purpose and scope of the law), necessity (he has to have no other way to accomplish his purpose), proportionality (he cannot use more strength than needed). He also has to warn that he is going to use force, unless it makes his action ineffective.

A policeman can use his weapon in three cases: self-defence, against one (or more) armed person(s) or very likely armed person(s), or if absolutely necessary to defend persons/properties/places under his protection.

Resistance: If a policeman commits a serious and blatant illegality, you can prevent him of doing it, even with violence. This violence must be strictly necessary and proportional (you can shut the door in his face, form a cordon, but not punch him, unless he punches you,…)
This is theoretical, in case of trial, le police will have a watertight case, you will have to be able to prove that using violence was justified.

Plead self-defence: The legal conditions are very strict, you can respond to an attack: if it is violent, accompagnied by a serious threat (you have the right to defend a friend), present or imminent (a few minutes later, it is considered as reprisals and not self-defence), unfair (if the policemen uses strength scrupulously respecting legal conditions, you cannot react legally), directed against persons (but not your camera) and proportional (you are not allowed to throw a grenade in response to a hustle)

Violence excused by provocation. Provocation is defined as an event which gives rise to anger ou fear and leads to an offence by spontaneous reaction. It can be excused according to the following conditions: illegal, exerted against one or several persons, and in the present. Make sure to gather evidences.
Photos, fingerprints, DNA: a ministerial directive allows the policemen to take pictures of people under preventive custody ‘if they suspect them of belonging to a movement’, which of course applies to demonstrators.

– [fond rouge]Questionning[/fond rouge]

A questionning usually means that they don’t have enough evidence. Don’t be scared, the real danger is that they are gathering evidences. Do not help them. You don’t have anything to declare. The police may ask you anything, but you are not compelled to answer. Don’t do it. You can refuse to answer, keep silent and explain that you have nothing to say. This refusal can not be considered as a confession.
If, despite everything, you declare something, you have the right to reread it, to change it, to add something and to get a copy. You are not compelled to sign your declaration. There is no exceptions to these rights.
The rules are the same in front of the investigating magistrate. Inform you inmates about this fact. Don’t talk too much: it is not impossible that a plain-clothes policeman is in the cell, that microphones have been hidden or that one of you cellman will be very talkative during is questionning. 



– [fond rouge]Lawyer[/fond rouge]

You are allowed to get one if you’re accused. Your lawyer is your ally within the law: he wants your release. But don’t lose sight of the political and collective stakes. It’s better to lose on the legal ground than to charge your inmates or to loose your political principles.

1. Introduction

L’activité militante a été transformée considérablement par les technologies de l’information (IT). Des dates de réunions sont convenues par mail ou par SMS, des informations sont recherchées ou postées sur internet etc. Qu’il s’agisse de l’informatique, de l’internet ou de la téléphonie mobile, chaque outil a des possibilités qui facilitent ou augmentent l’efficacité du travail politique.

Toutefois, ces outils offrent des prises à l’espionnage policier. Les fournisseurs d’accès Internet gardent soigneusement les traces de vos connexions dans des fichiers appelés “logs”. C’est depuis peu une obligation légale pour les fournisseurs d’accès, sous peine d’être sanctionnés au cas où ils ne pourraient pas fournir ces données dans le cadre d’une enquête policière. Il en va de même pour la téléphonie où les traces des communications sont archivées.

Mais le progrès technologique joue pour les deux camps. Et si les instances de la répression ont l’avantage de leurs immenses budgets, de leurs milliers de spécialistes payés à plein temps, les forces de la résistance et de la révolution peuvent se donner les moyens de la réactivité, de la souplesse, de l’imagination, de la capacité à rapidement identifier et exploiter les possibilités d’attaques et de défenses.

2. Proportionnalité

Le risque « zéro » n’existe pas. Des super-ordinateurs peuvent déchiffrer des cryptages très puissants, des satellites peuvent intercepter des e-mails et se faire passer pour le receveur du mail, faisant échec à toute tentative de cryptage, un virus ou une puce peut enregistrer toutes les frappes de clavier d’un ordinateur rendant un mot de passe inefficace, un laboratoire peut trouver les traces d’un fichier (très) bien effacé avant que celui-ci n’ait été transféré sur un disque-dur crypté, des chiffrements très évolués deviennent obsolètes du jour au lendemain.

Dans l’utilisation d’ordinateurs, de téléphones portables etc., les moyens d’espionnages de hautes-technologies ont des capacités infinies. Mais si la CIA peut disposer d’un satellite lisant votre journal par dessus votre épaule, il est évident que l’usage de ce matériel est réservé à des opérations d’une importance cruciale pour les Etats-Unis. Le prise en compte des capacités techniques des forces de répression n’est qu’un premier stade de l’analyse de risque. Il faut encore apprécier les limites à l’utilisation efficiente de ces technologies.

On ne sollicitera pas les moyens de la CIA pour un tag, une vitre brisée ou une poubelle brulée, mais suivre une personne géographiquement avec son gsm (sans que celui-ci ne soit équipé d’un gps) est une pratique courante : les données sont d’ailleurs conservées quelques temps par les opérateurs. C’est pourquoi il s’agit de trouver un chemin qui se situe entre la sécurité absolue et notre liberté d’action.

La complexité des situations des différents groupes et des différents pays ne permet pas d’établir de directives générales. Chaque groupe doit donc analyser correctement les risques, sans sous-estimer le danger, ce qui rendrait vulnérable à la répression, ni le sur-estimer, ce qui amènerait à renoncer à des outils efficaces, où à développer des contre-mesures ou des procédure de protection épuisantes et paralysantes.

3. L’analyse de risque

L’analyse de risque porte sur une situation objective. Il ne doit pas y avoir de place pour les angoisses technophobes ou les enthousiasmes technophiles. L’analyse de risque doit être faite par des spécialistes, tout en incluant des non-spécialistes. Nous entendons le terme “spécialistes” non pas dans le sens de techniciens hautement qualifiés, mais bien dans le sens de camarades qui peuvent objectivement juger la situation en ayant recours à des spécialistes de l’informatique, de l’Internet ou de la téléphonie.

Les paramètres de l’analyse de risque pour l’activité militante sont :

-1. Les moyens des instances de la répression (en qualité et en quantité, techniques et humains) et le type d’usage qu’ils en font (se contentent-t-elles provisoirement d’accumuler les informations? ou au contraire les utilisent-t-elles directement dès que possible dans des poursuites judiciaires?);
-2. La menace que nous représentons pour les instances de la répression et aux yeux de celles-ci. En effet c’est la façon dont la répression nous perçoit qui détermine son action contre nous : la répression ne va pas surveiller ce que nous faisons, mais ce qu’elle pense que nous faisons (c’est parfois plus ou parfois moins, mais cela ne coïncide jamais parfaitement).
-3. Nos pratiques habituelles et nos besoins (utilisation d’internet, de téléphonie mobile, etc.)
-4. Les degré de compétence de nos « spécialistes » (par exemple: choix et installation d’un logiciel de cryptage suffisant)
-5. Le degré de compétence de tous nos camarades (par exemple: capacité d’utilisation du logiciel de cryptage) et aussi leur fiabilité quand au respect des procédures de sécurité.

Cette énumération est largement incomplète, mais elle montre dans quelle direction peut aller une telle analyse. Cette analyse doit être menée même si l’on n’a pas les réponses précises à chacune des questions. Une analyse insuffisante vaut mieux que pas d’analyse du tout. L’analyse des réponses à ces questions donne une image de la situation de menace par rapport à notre activité et par là, des possibilités de protection de l’activité.

4. Champ du domaine à protéger

Dans le domaine de l’IT, il y a plusieurs éléments à protéger :

1. Le contenu des communications (nous entendons par ’communications’ tout ce qui transite par le réseau internet à l’exception des données sauvegardées et stockées en ligne: les e-mails, communiqués postés sur des sites d’infos comme Indymedia, les sites fréquentés, etc…).

2. Les liens que révèlent les communications (même si le message est correctement crypté, le fait que X a envoyé un message à Y, la fréquence à laquelle X et Y communiquent, etc., sont déjà utiles à la répression). Comme le cryptage des mails est entré dans les moeurs dans plusieurs pays, les forces de répression ont appris à tirer des informations des flux de mails plutôt que de leur contenu. Les métadonnées recueillies par les services de renseignements permettent de dessiner d’immenses graphes de liaisons entre personnes à partir de leur activité numérique (appels gsm, sms, mails). Voilà à quoi ressemble un graphe de liaisons:


La taille des cercles est fonctions du nombre des communications, les couleurs révèlent des groupes (famille, travail, militance, …). Appliqué aux recherches policières, cette technique permet d’identifier des équipes et leur leader. En outre, de gros cercles sans liens vers les autres points révèlent des relations qu’on pourrait vouloir cacher. Le fait que ces points importants n’interagissent avec personne d’autre paraîtra forcément louche, et ce sont ces connections qui, tout chose égale ailleurs, feront en premier lieu l’objet d’enquête, de filature.

3. Les données. Nous entendons par ‘données’ tout ce qui est ‘stocké’ sur votre ordinateur ou sur un site de stockage en ligne (cloud), mais également tout ce qui ‘transite’ par votre ordinateur. Un document téléchargé, non-enregistré, effacé, ouvert depuis une clé-usb, laisse des traces sur votre ordinateur.

4. Les informations que révèlent l’activité IT (identification de votre ordinateur, carte SIM, téléphone, géo-localisation, etc.),

5. Risque humain

Comme le dit la déjà vieille plaisanterie: en informatique, le principal risque est entre le fauteuil et le clavier. La plupart du temps, la répression n’a pas besoin de virus ou de puce électronique pour surveiller quelqu’un et elle n’a pas besoin d’utiliser des techniques avancées pour analyser du matériel saisi. Elle n’en a pas besoin, parce que des erreurs humaines sont faites, par ignorance ou par négligence. Un mot de passe trop simple est très rapidement cassable, un document simplement effacé de la corbeille est récupérable en quelques secondes, le mot de passe d’un ordinateur ne protège rien, un indicateur peut vous demander votre mot de passe en se faisant passer pour un ami, un ordinateur dont le disque dur est entièrement crypté peut avoir été laissé ouvert et allumé lors d’une perquisition, etc.

6. Risque matériel

Le second plus grand risque, c’est le risque matériel : le clavier d’un ordinateur non-connecté à internet peut-être mis sur écoute à l’aide d’un appareil, un ordinateur ou une clé USB peuvent être saisis et servir de preuve à un futur procès.

7. Risque logiciel

Le troisième risque est celui des attaques informatiques effectuées à l’aide de logiciels espions. Protéger des données qui pourraient être saisies est primordial. Les moyens de se protéger existent.

8. Les mots de passe

Le choix du mot de passe est très crucial. En effet, des mots de passe trop simples sont identifiés rapidement, tandis qu’il n’est pas facile de retenir un mot de passe compliqué. Il ne sert à rien de choisir un mot de passe compliqué que l’on doit ensuite noter quelque part pour ne pas l’oublier. Par ailleurs, des mots de passe qui sont des citations de livres etc. doivent aussi être considérés comme des mots de passe simples. En principe, les mots de passe doivent comporter 25 signes au minimum, doivent comporter des caractères majuscules et minuscules, ainsi que des chiffres et des caractères spéciaux. Pour retenir le mot de passe, un moyen mnémotechnique peut aider.
Exemple : “consciEnce_dE_la_sociEté!6e”
Ici, nous devons par exemple retenir que le texte comporte 6 e, dont les premiers de chaque mot en majuscule.

9. Formation

La formation produit la sécurité. Beaucoup de camarades ne sont pas conscients des dangers mais aussi des possibilités des nouvelles techniques. De ce fait, certaines formations sont indispensables. L’ignorance peut nuire à la sécurité d’un groupe, tout comme elle peut paralyser les activités d’un groupe. Un groupe doit décider ce qu’il exige de ses membres pour assurer la sécurité collective. Plusieurs niveaux peuvent co-exister dans un même groupe. Les exigences sont donc à définir clairement.
Le choix des thèmes à apprendre dépend de l’analyse de risque. Néanmoins il y a des connaissances de base que tous devraient avoir :
-1. Comment chiffrer les informations sur un disque dur
-2. Comment chiffrer les mails
-3. Comment supprimer correctement des documents
-4. Comment anomymiser correctement des documents, des photos…
-5. Comment anonymiser les visites sur Internet
-6. Quels sont les risques de la téléphonie mobile

Les dossiers que nous présentons ci-dessous représentent la formation de base du Secours Rouge. Nous pouvons envoyer co-organiser une formation publique ou privée avec tous les collectifs militants qui le souhaite. il peut s’agit d’une simple formation théorique ou une formation assortie d’ateliers pratiques (installation de logiciel, démonstration d’emploi, etc.).

Principes généraux de sécurité IT

28/07/2005

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1. La persécution des militants ouvriers en Iran

La République islamique, qui exécute un programme économique néo-‎libéralisme, a entamé une attaque tout azimuts contre les travailleurs ‎iraniens : diminution du salaire et retard de leur paiement, ‎fermetures d’entreprises, suppression des subventions des produits alimentaires de base (pain, riz, sucre…), dégradation des conditions de travail, création de zones économiques spéciales où les ouvriers ne sont pas couverts par le code du travail, etc. Cette politique a ‎provoqué les protestations des ouvriers (notamment dans la pétrochimie), des ‎infirmières, des employés, des ‎enseignants, etc.

manifestation en iran

Le régime répond par une répression brutale : En Iran, des travailleurs sont régulièrement arrêtés pour s’être mis en grève, pour avoir fondé un syndicat. C’est ce qui est arrivé aux chauffeurs des bus de Téhéran : plus de 700 d’entre eux ont été arrêtés suite à une grève, aux travailleurs de la canne à sucre lorsqu’ils ont protesté pour leurs salaires impayés, ou aux enseignants qui se sont mis en grève pour leurs salaires et leurs conditions de travail.

Les manifestations du 1er mai sont également réprimées : Des centaines de personnes s’étaient rassemblées cette années devant le parlement à Téhéran pour défendre les revendications portées dans une pétition signée par 30.000 travailleurs réclamant entre autre la hausse du salaire minimum. Les forces de répression du régime sont rapidement intervenues pour disperser ce rassemblement ouvrier, des arrestations ont eu lieu les jours suivants notamment chez les travailleur de l’entreprise automobile Iran Khodro, située dans la banlieue de Téhéran.

Tous les moyens sont bons pour briser le mouvement ouvrier : licenciements, intimidations, arrestations et détentions arbitraires, coups, harcèlement permanent par des convocations au tribunal, fortes cautions, longues peines de prison.

La prison est particulièrement dure pour les prisonniers politiques : ils souffrent du manque de soin aux prisonniers (le 22 juin 2013, Afshin Osanloo du syndicat des chauffeurs de bus de Téhéran, emprisonné à Rejai Shahr, est mort d’une crise cardiaque), de l’enfermement avec des prisonniers sociaux mentalement instables et violents dressés contre eux par les gardiens, et jusqu’aux exécutions : en mai 2010, l’instituteur et syndicaliste enseignant Farzad Kamangar a été exécuté comme « ennemi de dieu » avec quatre autres prisonniers politiques, malgré une campagne de protestation de syndicats du monde entier. Il avait été torturé (‘fouetté et électrocuté) parce qu’il refusait de signer les aveux écrit par les forces de sécurité selon lesquels il était membre de la guérilla du PJAK.

2. Quelques syndicalistes aujourd’hui emprisonnés

Reza Shahabi est un conducteur de bus et membre de la direction du Syndicat des Travailleurs de la
Régie du Transport de Téhéran et sa Banlieue – Vahèd. Il a été condamné par un tribunal de Téhéran à une peine d’un an de prison pour « propagande contre le gouvernement », assortie d’une peine supplémentaire de 5 ans de prison pour « action contre la sécurité nationale ». Il est aussi sous le coup d’une interdiction de 5 ans de toutes ses activités syndicales qui sera effective à sa sortie de prison et d’une amende de 70 millions de tomans que ni lui ni les camarades de son syndicat ne peuvent payer. Sa peine d’emprisonnement a été réduite à 4 ans en appel.
Gravement malade, Reza Shahabi avait mené une une grève de la faim en décembre 2012 pour protester contre ses conditions de détention et le refus des autorités pénitentiaires de lui accorder une sortie une sortie provisoire de prison en liberté conditionnelle pour qu’il puisse se faire soigner dans un hôpital public. Les autorités pénitentiaires d’Evin avaient finalement cédé à ses demandes légitimes, mais après quelques semaines, Reza a été réincarcéré, toujours à la prison d’Evin.

Reza Shahabi

Behnam As’ad Ibrahimzadeh est militant syndical, membre du Comité de Coordination pour Aider à la Formation d’Organisations Ouvrières. Il est aussi membre du Groupe de défense des enfants des rues. Il a été arrêté le 12 juin 2010 et condamné à 20 ans de prison en première instance dans un procès à huis clos, et à 10 ans d’emprisonnement en appel. Après une brève sortie en liberté conditionnelle provisoire pour assister son fils qui souffre d’un cancer du sang, Beharn a été réincarcéré à la prison d’Evin.

Behnam Ibrahimzadeh

Mohammad Jarahi est militant du Syndicat des Travailleurs de la Peinture et de la Décoration
du Bâtiment de Téhéran et également membre du Comité de Suivi pour la Formation d’Organisations Ouvrières Libres, a été condamné à cinq ans de prison. Il souffre aujourd’hui atteint d’un cancer de la thyroïde. Il a subi une intervention chirurgicale le 16 février dernier. Malgré les efforts de sa famille pour qu’il soit correctement traité dans un hôpital public, Jarahi continue d’être emprisonné à Tabriz.

Mohammad Jarahi

Shahrokh Zamani, membre du Comité de Suivi pour la Formation d’Organisations Ouvrières Libres en Iran et du Syndicat des Peintres de Téhéran. Il a été arête le 5 juin 2011 et a été condamné à onze ans de prison au même procès anti-syndical à huis clos que Jarahi Mohammad. Il est actuellement détenu à la célèbre prison Rajaei-Shahr et risque 15 ans supplémentaires dans un nouveau procès.

Shahrokh Zamani

Bodaghi Rasoul est un militant syndical, membre de l’Association des enseignants. Il a été arrêté en septembre 2009 et condamné à six ans de prison pour «propagande contre le régime» et «rassemblement et collusion contre la sécurité nationale ». En janvier 2011, une cour d’appel a confirmé la condamnation de Rasoul et lui a interdit de prendre part à des activités de la société civile pendant cinq ans après sa libération.


3. Témoignage 

Lettre de prison de Shahrokh Zamani

A toutes les organisations syndicales et de défense des droits
Ecoutez le son de ma plainte !
Je suis Shahrokh Zamani, membre du Syndicat des Peintres de Téhéran et du Comité de Suivi pour la Formation d’Organisations Ouvrières Libres en Iran. Je suis résident de Téhéran depuis trente ans. Le 5 juin 2011, alors que je me rendais dans la ville de Tabriz pour visiter mes parents, j’ai été arrêté en toute illégalité par des agents du Ministère des Renseignements, sans aucune charge contre moi, ni preuve ou mandats. Après quarante jours de violentes tortures à la fois psychologiques et physiques, j’ai été emmené à la prison centrale de Tabriz. Pendant ces 40 jours de détention illégale, je me suis mis en grève de la faim afin de protester contre cette situation. J’ai perdu 27 kilos et je n’ai jamais signé d’aveux. Bien qu’il n’y ait eu aucune preuve contre moi et que je n’ai jamais donné la moindre ligne d’aveux lors des interrogatoires, la première branche du Tribunal Révolutionnaire de Tabriz m’a de façon vicieuse accusé de « propagande contre le régime et de formation de groupes socialistes » accusation passible de 11 ans de prison ferme. Il est clair que lors du procès j’ai nié toutes les accusations depuis le début et montré la nature fausse et monté de toute pièce des accusations. J’ai demandé au président du tribunal les preuves contre moi, et la justification d’une telle longue peine, ce à quoi il a répondu « Qui croyez vous que je suis Monsieur ? Je ne suis rien de plus qu’un subordonné dans un système hiérarchique ».
La prison de Tabriz est une des plus célèbres prisons, connue pour ses gardiens violents et meurtriers. Les gardiens sont infâmes par leur inhumanité, et leurs méthodes meurtrières et illégales. Les prisonniers ne disposent pas de droits comme des permissions ou des libérations conditionnelles. Même l’emprunt de livres à la bibliothèque est complètement sous le contrôle des fonctionnaires de la prison qui placent les détenus sous une myriade des pires tortures physiques et psychologiques. Une des pires de ces tortures est le déchaînement de prisonniers violents (de droit commun) contre les prisonniers politiques. Comme il n’y a aucune loi, cela se passe quotidiennement et il n’y a pas un jour sans affrontement ou problème entre ces deux groupes de prisonniers.
Dans une pièce, longue de 20 mètres, il y a 21 lits, et il est fréquent d’y trouver plus de quarante prisonniers. Il y a toujours sept prisonniers de droit commun violents parmi nous pour nous intimider et nous espionner.
Les prisonniers politiques sont placés en contact étroit avec les détenus atteints du sida et de l’hépatite, ce qui, avec les exactions des gardiens, est le plus stressant. En 2011, ils m’ont transféré de ma cellule, qui par rapport à celle où ils m’ont envoyé été un paradis, à la section 12 du bureau des renseignements afin de me torturer. C’était une zone de quarantaine réservé aux criminels dangereux. Cela ne pouvait être supporté au plus que trois journées. Puis, avec Jomhour Azgoch du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), j’ai été emmené à la section 15, la section de la méthadone, dans une cellule avec 50 personnes malades du sida et de l’hépatite. Pour protester, nous avons fait une grève de la faim pendant plusieurs jours.
A l’automne 2012, bien que je n’aie pas commis la moindre infraction, les fonctionnaires ont falsifié des documents disant que je demandais mon transfert et j’ai été déplacé à Yazd. Là, les conditions de détention étaient meilleures, mais j’ai été accusé de diffusé des informations sur les conditions de détention à l’extérieur de la prison, et j’ai été ramené à Tabriz, à la section de soin 8. Là, nous, prisonniers politiques, avons écris 14 articles mettant en lumière l’absence de droits dans la prison comme les permissions, les libérations conditionnelles, l’accès à du matériel sportif, à des classes techniques ou professionnelles, etc.
Aussi, les fonctionnaires de la prison ont force les prisonniers de droit commun a porter plainte contre moi et d’autres. Ils ont dit que nous avions insulté le leader [de la République Islamique, NdT], injurié les prisonniers de droit commun et encouragé les autres syndicalistes ouvriers emprisonnés à se mettre en grève. Cette plainte à été instruite et par conséquent j’ai été transféré à la prison Rajaei-Shahr à côté de Karaj.

Shahrokh Zamani
Prisonnier à Rajai Shahr, Iran
20 octobre 2012

affiche iran

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4. Bref historique du mouvement ouvrier en Iran

Formation des luttes et premiers syndicats ouvriers

Les premiers embryons du mouvement indépendant de la classe ouvrière d’Iran se formèrent au début du vingtième siècle. Les ouvriers des imprimeries fondèrent le premier syndicat en 1905. A cette époque-là, les journées de travail étaient très longues et les salaires très bas. Le salaire de 14 heures de travail par jour satisfaisait à peine les besoins journaliers des ouvriers. Les femmes ouvrières recevaient 2/3 du salaire des hommes et les enfants la moitié de celui des femmes à travail égal. Les ouvriers demandaient l’augmentation des salaires et la baisse du temps du travail au cours de leurs premières luttes. Les ouvriers imprimeurs organisèrent leur première grève la même année et obtinrent 10 heures de travail par jour au lieu de 14. En cette même année, les ouvriers des industries de la pêche participèrent à une grève pour l’augmentation des salaires. Un an plus tard les ouvriers des wagons de Téhéran appelèrent à une grève contre le licenciement des ouvriers et pour l’augmentation des salaires. Leur grève fut victorieuse.

Développement du mouvement syndical

Les activités syndicales se réduisirent après l’échec de la Révolution Constitutionnelle d’Iran (1905-1911). Mais la Grande Révolution d’Octobre 1917 en Russie eut beaucoup d’influence en Iran. En 1928 les ouvriers imprimeurs se remirent en grève et obtinrent toutes leurs revendications : 8 heures de travail par jour, l’augmentation des salaires et le droit à la convention collective. A ce moment-là une dizaine de syndicats de diverses branches d’activités furent créés. En 1920 les différents syndicats de la ville de Téhéran se rassemblèrent en un « Conseil Central des Syndicats », lequel fut joint par d’autres syndicats des autres villes. Le C.C.S. adhéra à l’internationale des syndicats ouvriers (PROFINTERN).

Le 1er Mai fut fêté par des manifestations de rue pour la première fois en 1922. A cette époque-là environ 100.000 ouvriers travaillaient dans les industries pétrolières et d’extraction, de textile, de soie, de fabrication de tapis, de cuir, de pêche, d’imprimerie etc. 30.000 de ces ouvriers s’étaient syndiqués dans 20 centrales ouvrières. Mais une grande partie du prolétariat du pays, celle du pétrole, ne pouvaient pas se syndiquer, car la compagnie anglaise qui avait la concession de l’exploitation du pétrole iranien au Sud du pays, imposait ses politiques répressives aux ouvriers de cette branche industrielle très importante. Durant ces années-là les ouvriers firent grève plusieurs fois pour les revendications économiques et gagnèrent souvent. Mais au fur et à mesure les revendications politiques furent aussi exigées, parmi lesquelles celles des ouvriers du livre qui demandèrent la levée de l’interdiction de la publication de certains journaux et magazines et qui firent reculer le gouvernement de l’époque.

Dissolution des syndicats

Le début du règne de la dynastie monarchique des Pahlavi marqua la fin des libertés politiques et la pression sur les syndicats commença. Le C.C.S. fut déclaré illégal en 1925 et les ouvriers délégués furent arrêtés. Les syndicats ouvriers continuaient cependant leurs activités clandestinement et même en 1928 le syndicat des ouvriers des industries pétrolières fut créé au cours d’une conférence dans laquelle les statuts et règlements intérieurs furent votés par les ouvriers. La formation de ce syndicat était d’une importance primordiale pour la prise de conscience et l’organisation des ouvriers, car à ce moment-là presque la moitié des ouvriers industriels d’Iran travaillaient dans cette branche économique.

Le syndicat des ouvriers du pétrole prépara, dès sa constitution, une grève pour l’amélioration des conditions ouvrières et contre le renouvellement du contrat injuste avec l’Angleterre. La grève devait commencer le 1er Mai 1929, mais quelques jours auparavant certains dirigeants et membres du syndicat furent arrêtés. Le régime et la compagnie pétrolière commirent des actes répressifs afin d’empêcher cette grève. Les répressions et les arrestations n’influencèrent guère la détermination des ouvriers et la grève débuta le 3 mai. Les ouvriers exigèrent les points suivants : augmentation des salaires de 15%, légalité des syndicats, officialisation du 1er Mai, 7 heures de travail par jour pour les jeunes de moins de 18 ans, baisse des heures de travail pendant l’été à 7 heures par jour, un mois de congé payé annuel, abolition des licenciements arbitraires, participation des délégués ouvriers pour les recrutements et licenciements, assurance des accidents du travail et de vieillesse etc. Les forces de répression du régime et de la compagnie pétrolière anglaise arrêtèrent 300 ouvriers, licencièrent certains autres et ainsi étouffèrent la grève.

Reformation des syndicats et des luttes ouvrières

De cette époque-là jusque septembre 1941,date à laquelle les forces des Alliés entrèrent en Iran et Réza Chah Pahlavi fut renversé, les syndicats ouvriers n’existaient pratiquement pas. Réza Chah pratiquait des politiques de répression. Il faisait arrêter les militants ouvriers et syndicaux, les assassinait sous des tortures barbares et ainsi étouffait la moindre protestation ouvrière. Malgré les répressions de cette période les ouvriers faisaient grève de temps à autre, mais le mouvement ouvrier n’était pas vraiment actif et les ouvriers étaient dans une situation absolument injuste et exploités d’une manière effroyable. La chute de Réza Chah entraîna une reprise des activités licites et la réapparition relative des libertés politiques. Les syndicats ouvriers se reformèrent. A cette époque-ci le nombre d’ouvriers industriels d’Iran avait accru considérablement et atteignait 650.000 ouvriers. Un an après la chute de Réza Chah deux centrales ouvrières étaient formées, le « Conseil des Syndicats Ouvriers » et « l’Union des Ouvriers et des Paysans ». En 1944 de différentes centrales se sont fusionnées pour fonder le « Conseil Central Unifié des Syndicats des Ouvriers et des Travailleurs ». Ce Conseil comptait deux ans plus tard plus de 200.000 membres. Ce fut alors une des périodes d’importantes luttes ouvrières. De nombreuses grèves eurent lieu. Les plus importantes de ces grèves furent celle de 9 usines de textile d’Ispahan en 1942 qui fit baisser le temps du travail de 10 à 8 heures par jour. Trois mois plus tard les ouvriers de ces usines fondèrent le « Syndicat des Ouvriers d’Ispahan ». Ce syndicat se joignit plus tard au Conseil Central Unifié avec ses 15.000 adhérents. En 1946 plusieurs grèves s’effectuèrent dans l’industrie pétrolière parmi lesquelles celle du 14 juillet 1946 qui fut réprimée par les forces gouvernementales.
L’évolution du mouvement ouvrier et syndical d’Iran à ce moment-là entraîna son adhésion à la Fédération Mondiale des Syndicats Ouvriers (W.F.T.U.). La croissance du mouvement syndical en Iran inquiéta beaucoup l’État et malgré les répressions, ce dernier décida de mettre en place ses propres syndicats. Sous le gouvernement du Premier ministre Ghavam, « l’Union des Syndicats Ouvriers d’Iran » (E.S.K.I.) fut alors organisée qui n’a pas eu beaucoup d’influence sur les ouvriers. Un autre syndicat fut fondé de la même manière qui n’a pas joué de rôle important non plus. L’objectif de ce genre de syndicats gouvernementaux était bien sûr de contrecarrer le mouvement indépendant de la classe ouvrière et de ses organisations. En 1946 le gouvernement de Ghavam fit voter le premier code du travail en Iran et cela à cause des luttes ouvrières. Dans la deuxième moitié des années 1940 les syndicats étaient de plus en plus sous pression et ont choisi davantage les formes semi-clandestines d’activités. L’un des plus grands événements de ces années-là fut la grande grève des ouvriers de l’industrie pétrolière en mars 1951 qui toucha pratiquement les 30.000 ouvriers de la raffinerie.

Répression du régime du Chah

Le coup d’Etat du 19 août 1953 de la C.I.A. américaine contre le gouvernement de Mossadegh mit pratiquement fin aux activités indépendantes des syndicats ouvriers. Les syndicats d’Etat dirigés quelques années plus tard par la SAVAK (police politique du Chah), ne défendaient évidemment pas les intérêts des ouvriers. A ce moment-là les peuples d’Iran ont été complètement privés des libertés et des droits démocratiques. Les organisations syndicales ouvrières ont été déclarées illégales et les ouvriers étaient sauvagement exploités. Le régime du Chah réprimait toute protestation ouvrière. Les militants ouvriers étaient emprisonnés et quelquefois les mitraillettes répondaient aux ouvriers comme la fusillade des ouvriers de l’usine de textile de Djahan-e-Tchit au cours de laquelle 4 ouvriers furent tués et plusieurs autres blessés. (…) Après ce coup d’État et jusqu’au renversement du régime du Chah en 1979, les ouvriers n’ont jamais baissé les bras et ont lutté pour leurs justes revendications sous la dictature. Durant les années 1957-58 plusieurs grèves se sont produites dans les industries du pétrole et du textile des villes de Chahi et d’Ispahan au cours desquelles des augmentations de salaires étaient demandées. Au début de l’année 1971 quelques grèves furent déclenchées dans des usines de textile. Dans la deuxième moitié des années 1970 les protestations ouvrières prirent des allures considérables. Les ouvriers contestaient l’inexistence des droits, la dictature et l’exploitation sauvage. Le rôle principal des ouvriers dans la Révolution de 1979 qui renversa le régime du Chah n’est pas négligeable. En septembre 1978 les ouvriers pétroliers de la raffinerie de Téhéran se sont mis en grève. Tout de suite les ouvriers des raffineries des villes d’Abadan, de Chiraz, de Tabriz et d’Ispahan se sont joints à eux. La grève générale des ouvriers de l’industrie pétrolière assomma le régime du Chah alors qu’il se trouvait dans une crise profonde à cause du mouvement protestataire populaire grandissant. La grève des ouvriers du pétrole entraîna celle des autres branches comme le textile, la métallurgie, des mines de charbon et de cuivre etc. A ce stade-là dans les usines et les établissements de services les comités de grèves se sont formés et les coordinations des grèves s’effectuaient contre le régime monarchique. La grève générale et nationale de tous les ouvriers assommait le régime et l’insurrection armée des 21 et 22 février 1979 renversa le régime dictatorial du Chah.
De cette situation révolutionnaire et du cœur des comités de grèves sont nés les conseils ouvriers. Les ouvriers organisèrent alors ces conseils dans les plus grandes unités de productions. Ces conseils instauraient le contrôle ouvrier dans les établissements où les patrons s’étaient enfuis. Ainsi les ouvriers continuaient à lutter pour leurs revendications. Le niveau des connaissances politiques des ouvriers augmentait considérablement à ce moment-là.

Dissolution des conseils ouvriers par la République islamique

Cette période des libertés relatives et des conseils ouvriers n’a pas duré longtemps. Deux ans après le renversement du Chah, la République islamique priva les gens de toutes les libertés et de tous les droits démocratiques par une campagne éhontée de répressions. Elle recommença alors la répression et l’exploitation sauvage des ouvriers. Depuis 1981 à nos jours des centaines d’ouvriers et de militants du mouvement ouvrier ont été exécutés par le régime islamique. Des centaines d’autres ont été condamnés à de lourdes peines de prison. Beaucoup ont été licenciés et certains autres sont recherchés. Certains se sont réfugiés dans de différents pays. Les ouvriers d’Iran sont frustrés de toute organisation indépendante. Les conseils et associations islamiques que l’on trouve dans les établissements et usines ne défendent non seulement pas les intérêts des ouvriers mais en plus sont des organes d’espionnage du régime contre les ouvriers. Malgré toutes les pressions du régime islamique, ces dernières années, les ouvriers luttent sous diverses manières et obtiennent de temps en temps quelques victoires. Il est évident que rien ne pourra arrêter le mouvement ouvrier bien qu’il soit sous les pressions les plus sauvages. Mais il ne faut pas oublier que les pressions économiques et politiques qui pèsent sur la classe ouvrière d’Iran entraîna l’inexistence de toute organisation indépendante ouvrière qui cause à son tour l’affreuse exploitation et la répression moyenâgeuse. La classe ouvrière d’Iran continuera sa lutte. Elle demande à ses camarades ouvriers du monde entier de l’y aider et leur demande de faire pression sur le régime de la République islamique en dénonçant ses crimes dans le monde entier au sein des organisations internationales ouvrières.

(historique emprunté au site de l’Organisation des Fedayin)

5. Pour en savoir plus

Pour l’actualité des luttes ouvrières en Iran (deux sites trotskisants) :

http://iranenlutte.wordpress.com

http://www.iran-echo.com

Pour mémoire : le massacre des prisonniers politiques iranien de 1988

Le rapport d’Amnesty 2013 pour l’Iran

Et deux sites en anglais sur les droits de l’homme en Iran:

https://hra-news.org/en

http://www.iranhumanrights.org

manifestation en iran
Reza Shahabi
Behnam Ibrahimzadeh
Mohammad Jarahi
Shahrokh Zamani
affiche iran