Le 12 décembre 1969, à 16 h 37, une bombe éclate dans la Banque de l’Agriculture, piazza Fontana, dans le centre de Milan, faisant seize morts et une centaine de blessés. La responsabilité d’un réseau associant agents américaines, militants fascistes et services secrets italiens dans cet attentat-massacre ne fait plus guère de doute. Un membre de ce réseau a reconnu que l’attentat (qu’il fallait mettre sur le dos des anarchistes) visait à la proclamation de l’état d’urgence à l’image du coup d’état que l’OTAN avait organisé en Grèce deux ans avant. Plusieurs fascistes, un responsable des services secrets italiens et mêmes un officier américains ont été arrêtés, quinze ou vingt ans après les faits, mais ils ont tous échappé à la condamnation, soit en première instance, soit en appel, soit en fuyant en Amérique du sud.

L'attentat de la piazza fontana

L’attentat de la piazza fontana

En décembre 1969 donc, une campagne de presse assourdissante désigne les anarchistes comme responsables du massacre. 4.000 militants d’extrême-gauche sont arrêtés. Parmi eux, Giuseppe Pinelli. Né à Milan en 1928, dans le quartier populaire de la Porte du Tessin, il gagna sa vie comme garçon de cours puis comme magasinier. Autodidacte passionné il complétait les lacunes de son instruction par de nombreuses lectures et des travaux personnels.

Giuseppe Pinelli

Giuseppe Pinelli

Pendant les années de guerre, il est courrier de la « Brigade Bruzzi-Malatesta », qui comptait quelque 1.300 partisans anarchistes. Active à la fois à Milan et dans les vallées de Pavia et de Brescia, la Brigade a réalisés en 44-45 de nombreuses actions, dont certaines particulièrement audacieuses, ainsi la libération des antifascistes emprisonnés à la Villa Triste à Milan, un centre de torture de la Gestapo. C’est pendant cette période que Pinelli, âgé de 18 ans, devint anarchiste.
En 1954, il entre dans les chemins de fer italiens et se marie l’année suivante (deux enfants naîtront par la suite).
En 1963, tout en participant très activement aux travaux des Jeunes Libertaires, il assure les contacts avec les militants plus âgés. Étant un des rares représentants de la génération intermédiaire (35 ans) il assure ainsi avec succès la médiation entre les vieilles et les nouvelles générations du mouvement. En 1965, on le retrouve parmi les fondateurs du cercle « Sacco et Vanzetti », de la section milanaise du syndicat anarcho-syndicaliste U.S.I., et de la Croix-noire anarchiste.

Giuseppe Pinelli (à droite) au cercle anarchiste Ponte della Ghisolfa (Milan, 1968)

Giuseppe Pinelli (à droite) au cercle anarchiste Ponte della Ghisolfa (Milan, 1968)

Le 15 décembre 1969, Pinelli est dans les mains de l’équipe du commissaire Calabresi. Chef de la section responsable de la surveillance et des enquêtes sur la gauche extra-parlementaire à Milan en 1967, Calabresi était devenu commissaire principal chargé de diriger les services de police pour le maintien de l’ordre public pendant les affrontements des manifestations milanaises en 1968. Après l’attentat du 25 avril 1969 au stand Fiat de la Foire de Milan et la découverte de bombes encore intactes à la gare centrale de Milan, Calabresi désigna sans preuve les anarchistes comme responsables. Il fit emprisonner pendant plusieurs mois une quinzaine de personnes de la gauche extra-parlementaire qui durent être libérées pour manque de preuves et qui portèrent plainte auprès du tribunal de La Haye pour les traitements reçus.

Calabresi (à droite) arrêtant un manifestant à Milan en 1968

Calabresi (à droite) arrêtant un manifestant à Milan en 1968

Le 15 décembre 1969, alors qu’il était interrogé au siège de la police milanaise dans le bureau de Calabresi par un autre policier, Pinelli tombe de la fenêtre qui se trouvait au quatrième étage et meurt. Lors de la conférence de presse à laquelle assistait Calabresi, le policier déclara que Pinelli avait voulu se suicider, parce qu’il était impliqué dans les attentats, version déclarée fausse ultérieurement en raison de la solidité de l’alibi de Pinelli. Calabresi fut aussitôt désigné comme l’assassin de Pinelli, mais la justice italienne blanchira naturellement le commissaire.
Malgré le climat d’intimidation policière (la police et la presse le présentaient comme le coupable de l’attentat-massacre), un cortège de 3.000 personnes, précédé par les drapeaux noirs, suivit ses funérailles.

Les funérailles de Pinelli

Les funérailles de Pinelli

Le 17 mai 1972, Calabresi fut abattu par deux hommes, de deux balles dans la tête et dans le dos, devant son domicile à Milan. Le 18 mai, le journal de Lotta Continua titra: « Calabresi tué, le principal responsable de l’assassinat de Pinelli » et, dans l’article qui suivit, le journal décrivit l’exécution comme « un acte dans lequel les exploités reconnaissent leur propre désir de justice ». L’enquête piétina jusqu’en 1988, lorsqu’un repenti de Lotta Continua, Leonardo Marino, avoua avoir été le chauffeur du commando et dénonça trois de ses anciens camarades: Adriano Sofri et Giorgio Pietrostefani, dirigeants de la Lotta Continua, et Ovidio Bompressi. Le délateur ne fut condamné à une peine réduite, alors que les trois autres furent condamnés à vingt-deux ans de prison.

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La mort de Pinelli a eu un impact énorme sur la gauche révolutionnaire en Italie. Deux chansons consacrée à l’événement sont devenues populaire et Dario Fo, membre à l’époque du Secours rouge italien, lui consacra une pièce: Mort accidentelle d’un anarchiste.

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En 1938, Ho Chi Minh, futur président du Vietnam, est envoyé par l’Internationale Communiste en Chine en 1938 où il sert comme commissaire politique à la 8° armée communiste basée dans le Guanxi. En février 1941, après la défaite française face à l’Allemagne, il rejoint le Vietnam et fonde, en juin, la « Ligue pour l’Indépendance du Viêt Nam », le Viêt Minh qui combat à la fois les occupants japonais et les colonisateurs français.

Le 27 août 1942, lors d’un passage à Zurong (Tienpao, province chinoise du Guangxi), Hô Chi Minh est arrêté faute de papiers en règle. Il est emprisonné durant plus d’une année dans plus de 30 prisons de 13 districts du Guangxi, souffrant des mauvais traitements, des conditions de détention déplorables, et de maladies. Il est libéré en 1943.
Il en sort avec un petit calepin, avec une couverture bleue sur laquelle figurent 4 idéogrammes chinois signifiant Carnet de prison, agrémentés de 4 vers et d’un dessin montrant deux poignets enchaînés… Dedans, 133 poèmes en chinois composés entre le 29 août 1942 et le 10 septembre 1943, plus quelques notes : le témoignage de son emprisonnement.

La couverture du

La couverture du

Cette autobiographie en vers, Ho Chi Minh en est à la fois l’auteur et le principal protagoniste. En préface, il a écrit: «La poésie, ce n’est pas ma passion; mais que faire en prison? Je compose des vers pour passer les longues journées; en attendant le jour de la liberté».

Le Carnet de prison de Ho Chi Minh est un auto-portrait sincère, sensible et profonds. De poème en poème, Ho Chi Minh apparaît sous plusieurs facettes: le révolutionnaire, le prisonnier qui souffre, l’homme compatissant envers les plus vulnérables, le poète sensible à la nature :
Dans la prison, il n’y a ni alcool ni fleurs;
mais la beauté de la nuit ne peut laisser indifférent;
l’homme contemple la lune à la fenêtre;
la lune s’immisce à travers l’interstice pour admirer le poète

De l’humour aussi, caustique. Dans Gale ulcéreuse, il décrit ainsi l’épidémie dont souffre les prisonniers:
Nos corps sont pourpres comme s’ils étaient vêtus de brocart;
Nos mains grattent sans cesse comme sur une cithare;
Vêtus de brocart, tous les prisonniers sont des invités distingués;
Jouant de la cithare, tous sont des amis mélomanes.

En 1960, le Carnet de prison a été traduit en vietnamien. Aujourd’hui, il est accessible en plus de 25 langues. Une édition en français, partielle (72 poèmes et 3 illustrations), a été publiée en 1983 par les Éditions en langues étrangères à Hanoï.

Une édition disponible du

Une édition disponible du

Je descends vers Yong Ming par la route des eaux
Les pieds pendus au toit, supplicié d’un autre âge
Sur les rives, partout, denses sont les villages
Et légers, les sampans des pêcheurs sur les flots

Jusqu’au fleuve jadis vous m’accompagniez
A bientôt, vous disais-je, à la moisson prochaine
De nouveau la charrue a passé sur la plaine
Et moi, loin du pays, je suis un prisonnier

Ho Chi Minh en 1932, au moment de son emprisonnement par les Anglais à Hong Kong)

Ho Chi Minh en 1932, au moment de son emprisonnement par les Anglais à Hong Kong)

Vaste est la région, mais ingrate la terre
L’homme aime le labeur comme l’économie.
Ce printemps, parait-il, n’a pas reçu de pluie ;
Deux, trois gerbes rentrées sur les dix qu’on espère.

La rose s’ouvre et la rose se fâne
Sans savoir ce que la rose fait.
Il suffit qu’un parfum de rose
S’égare dans une maison d’arrêt
Pour que hurlent au coeur de l’enfermé
Toutes les injustices du monde.

Sous le choc du pilon souffre le grain de riz
Mais l’épreuve passée, admirez sa blancheur
Pareils sont les humains dans le siècle où l’on vit
Pour être homme, il faut subir le pilon du malheur.

Une veille…
une veille…
une troisième veille…
Pas moyen de dormir…
Je me tourne, angoissé…
Quatre, cinquième veille…
Est-ce un rêve ?
Est-ce une veille ?
Cinq branches d’une étoile enroulent mes pensées.

Livres neufs, bouquins anciens, grossièrement assemblés…
Couverture de papier vaut mieux que sans couverture,
Dormeurs des beaux lits princiers, à l’abri de la froidure,
Beaucoup d’hommes en prison passent la nuit éveillés !

L’équilibre au départ rend l’issue incertaine ;
La victoire finit par pencher d’un côté.
Bien préparer tes coups, garde ton plan secret
Et tu mériteras d’être un grand capitaine.

Je suis un homme honnête et mon âme est tranquille.
On me soupçonne d’être un chinois ténébreux !
Le chemin de la vie est toujours dangereux,
Mais vivre sa vie est moins que jamais facile.


Dix heures. La Grande Ourse effleure les sommets.
C’est l’automne. Un grillon chante son allégresse.
Qu’importe au prisonnier l’automne et ses ivresses ?
Le seul chant de son coeur : Revoir sa liberté.