1. Histoire et actualité du mouvement naxalite
Dès les années cinquante et les premières années de l’Inde indépendante, de nombreux mouvements paysans militants se sont développés contre le caractère féodal du pays. Ceux-ci n’ont jamais pu aboutir totalement, principalement en raison du manque d’organisation et de leur caractère spontané.
Le plus important fut le mouvement du Telengana de 1946, activement soutenu par le Communist Party of India. Sa nature insurrectionnelle et l’intention formelle de renverser les seigneurs féodaux par la force armée ont entraîné une répression terrible de la part des autorités indiennes. Des milliers de personnes furent assassinées, des dizaines de milliers emprisonnées et encore davantage de personnes furent torturées par les militaires. En 1951, le Communist Party of India, divisé en interne sur la question de ce soutien, l’arrêta officiellement. Cette décision entraîna une scission et la formation du Communist Party of India (Marxist).
C’est en 1967 que s’est déclenché la révolte de Naxalbari, au Bengale occidental, portée par des militants communistes à la tête d’un mouvement solidement structuré et dont l’objectif était une guerre populaire sur le modèle chinois. C’est soutenus par ces militants qu’au début de l’année 1967, trois cultivateurs appuyés de quelques travailleurs du CPI (Marxist) équipés d’armes rudimentaires, ont saisi tout le stock de paddy du grenier d’un propriétaire foncier. Au cours des mois suivants, les occupations de terre, saisies des stocks de grains et incendies de registres fonciers se sont multipliés.
Les propriétaires fonciers n’ont pas tardé à réagir, se débarrassant de ceux qui travaillaient dans « leurs » champs. Un jour, des paysans parti travailler dans les champs ne sont pas rentrés. Le lendemain, d’autres hommes sont allés dans les champs, mais ne sont pas revenus non plus. Des hommes et des femmes se sont alors cachés à proximité pour voir ce qu’il se passait. A peine un autre lot d’hommes avait-il commencé à labourer les terres occupées qu’une brigade de police est apparue et les a emmené. Mise devant le fait accompli, la police a déclaré agir pour le compte du propriétaire foncier, provoquant une colère énorme parmi les paysans, ceux-ci se constituant en brigades clandestines, sous la direction Charu Mazumdar, considéré comme le principal théoricien de mouvement révolutionnaire indien.
Bientôt devait suivre une guerre sanglante qui ferait de Naxalbari la première pierre du mouvement maoïste en Inde et qui lui donnerait aussi un nom: le mouvement naxal. Le 23 mai 1967, l’inspecteur de police qui dirigeait une brigade de police chargée d’arrêter les dirigeants à l’origine de l’agitation, fut blessé à mort par une flèche tirée dans un affrontement avec les tribaux en colère. Deux jours plus tard, un plus gros contingent fut dépêché sur place. Les hommes et les femmes, armés de tout ce qu’ils avaient pu trouver, sont sortis pour affronter la police. Le police a tiré, tuant neuf tribaux dont six femmes et deux enfants. La guerre était déclenchée.
Elle a duré 72 jours. 72 jours durant lesquels Naxalbari fut une « zone libérée ». En juillet 1967, les forces de répression envoyées par le gouvernement du Bengale occidental et de New Delhi ont repris le contrôle de la zone, par la force des armes. La majeure partie des dirigeants communistes sont arrêtés. Un des seuls à éviter l’arrestation fut Charu Mazumdar, qui s’est dès lors engagé à développer le mouvement et à déclencher d’autres insurrections pour avancer vers la prise du pouvoir révolutionnaire. De multiples mouvements paysans furent engagés dans diverses régions de l’Inde, notamment au Srikakulam et dans plusieurs districts de l’Andhra Pradesh.
De 1971 à 1972, la contre-révolution en Inde a volé d’un succès à l’autre, ouvrant des brèches dans les rangs révolutionnaires communistes par de violentes représailles, en terrorisant la population par des lois draconiennes et des actions de gangstérisme. Cette contre-révolution violente eut de fortes répercussions sur le CPI (M-L), faction dissidente du CPI(Marxist) et architecte de la continuité de l’insurrection après la révolte de Naxalbari. Le 16 juillet 1972, Charu Mazumdar fut arrêté par la police à Kolkata. L’arrestation avait été rendue possible par la révélation, arrachée sous la torture à un de ses camarades arrêtés, de la cachette de Charu Mazumdar. Une fois arrêté, il fut une victime condamnée d’avance par la vengeance de la classe dirigeante. Il n’a survécu que douze jours à arrestation. Il était atteint d’une affection cardiaque grave. Les rigueurs de la vie clandestine s’étaient fait sentir toutes ces années. En cellule, il fut soumis à des interrogatoires incessants, à des pressions et à la torture. Il dû être hospitalisé le 27 juillet. Privé du traitement médical adéquat, il est mort le lendemain.
En 1973, on compte 32.000 prisonniers naxalites, et à la moitié des années ’70, le mouvement était presque anéanti. Néanmoins, de nombreuses factions militantes ont continué à mener la guérilla dans plusieurs états, travaillant principalement dans les zones tribales, avec pour base principale les plus démunis.
A la formation du CPI (M-L), un des groupes a décidé de pas y adhéré et à formé le Dakshin Desh. En 1975, le groupe a pris le nom de MCC (Maoist Communist Center). Jusqu’en 1982 et la mort de son leader Kanhai Chaterjee, il fut particulièrement actif au Bengale occidental, prônant la constitution de mouvements de masse afin de permettre le développement de la lutte armée. En 1982, de nombreux militants rejoignirent le CPI (M-L), ceci n’empêchant pas le MCC de poursuivre son travail.
En 1979, le CPI (M-L) avait de nombreux cadres ‘publics’ et ‘clandestins’, principalement en Andhra Pradesh. L’un d’entre eux, Kondapalli Seetharamaiah, critiqua le mouvement en déclarant en 1979 que celui-ci n’avait pas encore pris la forme de la lutte armée. Selon lui, les actions isolées menées depuis des années ne pouvaient être qualifiées de lutte armée. Le 22 avril 1980, il annonce la création du CPI-ML (People’s War), un nouveau parti qui ferait avancer la ligne de la lutte armée.
En 2004, les deux partis, qui avaient entre-temps absorbés diverses fractions du CPI (M-L) d’origine, prirent la décision de fusionner, pour former le CPI(Maoist). Ils publient alors plusieurs documents fondateurs, parmi lesquels la Constitution du CPI (Maoist), la Résolution politique du CPI (Maoist), le Programme du CPI (Maoist), la Perspective urbaine du CPI (Maoist), Stratégie et tactiques de la révolution indienne et Porter haut la bannière rouge éclatante du marxisme-léninisme-maoïsme.
Le développement de la lutte armée basée parmi la paysannerie, avec pour but avoué la révolution agraire et la stratégie de la guerre populaire prolongée a eu lieu en parallèle du processus de mondialisation en cours en Inde depuis de nombreuses années. Cette lutte, menée d’abord par le CPI-ML (People’s War), le MCC et divers autres partis marginaux, s’est étendue dans les régions adivasis et y a trouvé un terrain fertile. Les conditions objectives dans ces régions, la pauvreté extrême et la marginalisation des population, le lien gouvernement-petits entrepreneurs-grosses sociétés-parti politique qui a maintenu le cycle d’exploitation et d’oppression et l’inaccessibilité et l’inhospitalité du terrain ont permis aux partis naxalites de gagner en influence. Les Adivasis, avec leur faible intérêt dans les systèmes économiques et politiques indiens, avec leur faible dépendance à l’égard de la terre agricole en propriété privée et leurs solides notions de propriété collective et communautaire, se sont révélés être une puissante force révolutionnaire. Le CPI(Maoist) a donc trouvé une base solide parmi les populations tribales du centre de l’Inde, où il a pu établir une zone libérée et développer le système de gouvernement populaire parmi les Adivasis de la région.
En août 2006, le magazine The Economist a publié un reportage sur l’État du Chhattisgarh où il a visité, dans la forêt de Bastar, au sud de la capitale Raipur, un maquis tenu par le CPI (Maoist). Ce maquis combattait contre les projets du capital financier d’exploiter les richesses minérales de la forêt. Quelques heures avant la rencontre, plusieurs centaines de combattants avaient attaqué un commissariat de police à Errabore, une base paramilitaire et un camp de personnes déplacées dans cette région sous-développée à 9 heures de route de la capitale, Raipur.
Les naxalites contrôlent un vaste territoire aux villages miséreux. Ici, il y a bien une pompe à eau mais le puits est à sec. Il n’y a pas de routes, pas de canalisations, pas d’électricité ni de téléphone. Là, il y a bien un instituteur, mais pas d’école. Il fait donc la classe en plein air. On ne voit jamais aucun policier, aucun travailleur de santé, aucun fonctionnaire. Les trois quarts des 1.220 villages de Dantewada sont habités par des aborigènes adivasis, 1.161 villages n’ont aucune installation médicale, 214 n’ont pas d’école primaire. La région a bien une ligne de chemin de fer mais elle est destinée au transport du minerai de fer exploité à la mine de Bailadilla, dont les déchets colorent, à la saison des pluies, la rivière en orange, rendant l’eau imbuvable…
Les aborigènes adivasis sont, avec les dalits, opprimés parmi les opprimés. Les dalits (ou ‘intouchables’) constituent une caste de 160 millions de personnes misérables et méprisées. La caste des brahmanes (dont le colonisateur britannique s’est acquis la complicité) truste les postes dirigeants et utilise le système de caste pour justifier l’exploitation des masses populaires. Les grands propriétaires brahmanes disposent de milices, les senas, qui brisent de manière barbare toute velléité de résistance des paysans pauvres à la surexploitation (43% des paysans indiens sont sans terre). L’image de l’Inde technologique, paradis de l’informatique, masque une réalité sociale épouvantable: 47% des enfants soufrent de dénutrition, 80% de la population vit avec moins de deux dollars par jour.
Dès 2006, le premier ministre Manmohan Singh avait qualifié la rébellion naxalite de « plus grand défi pour la sécurité intérieure qu’ait jamais dû relever notre pays ». Depuis, la situation n’a cessé d’empirer. A la mi-juillet 2009, le ministre de l’intérieur, M. Chidambaram a dû admettre que la menace avait été ‘sous-estimée’. Les naxalites agissent dans 14 des 28 Etats de l’Inde (Chhattisgarh, Jharkhand, Uttar Pradesh, Asma, Uttaranchal, Kerala, Tamil Nadu, Bengala Occidental, Gujarat, Andhra Pradesh, Madhya Pradesh, Orissa, Maharashtra y Bihar) et ce qui, en chiffres, signifie que dans 182 districts sur un total de 602 dans lesquels est divisé administrativement le pays, ce sont les maoïstes qui contrôlent la situation.
Cette influence est en progression non seulement dans les campagnes, mais dans les villes également, spécialement dans les zones ouvrières et industrielles de Dheli, de Mumbai, de Raipur, de Pune et de Jammu en alternant les actions de propagande avec les militaires. Le gouvernement indien lui-même considérait qu’en 2008 entre 30% et 35% du territoire de l’Inde était sous le contrôle des naxalites, pourcentage qui serait encore majoré aujourd’hui.
Carte des zones occupées par la guérilla en 2015
Les succès révolutionnaires dans les campagnes sont indiscutables: ni la police, ni les fonctionnaires de l’Etat n’osent entrer dans le Bastar, une zone étendue de l’état de Chhattisgarh d’environ 100.000 kilomètres carrés, et ses actions contre les paramilitaires de la Salwa Judum, des miliciens fascistes formés à la contre-guérilla, armés par les propriétaires fonciers et payés par l’État, provoquent démoralisation et désertions. Le périodique Indian Express relatait d’une manière crue comment après une attaque maoïste qui a causé 55 morts à une force composée de policiers et de paramilitaires en se faisant l’écho d’un rapport officiel qui rapportait les événements: « la lâcheté, la désertion, la dépendance excessive des employés de police par rapport à la Police Spéciale Locale [la Salwa Judum], l’absence d’un entraînement approprié et la consommation de substances toxiques ont été la cause de l’assassinat des 19 policiers et des 39 PEL [miliciens Salwa Judum] ». Dans les zones libérées, les naxalites interdisent l’usure, organisent des coopératives, des travaux collectifs d’irrigation, un système de médecine populaire et un système d’enseignement. Les comités de pouvoir populaire décident aussi de mesures de préservation de l’écosystème et veillent à imposer les droits de la femme (lutte contre les mariages forcés, etc.).
En février 2007, le parti organise son 9e Congrès, intitulé le « Unity Congress », dans les jungles de l’état du Bihar. De nombreuses décisions quant à la stratégie et aux tactiques du parti furent prises, tant au niveau des luttes dans les campagnes que de leur implantation dans les zones urbaines. Les naxalites sont passés de la guerre de guérillas à la guerre de mouvements. Les attaques contre des postes de police et des paramilitaires, des entreprises minières, des chemins de fer, des stations de télécommunications, des constructions électriques et, même, des attaques de prisons (en décembre 2007, ils ont attaqué la prison de Raipur, la capitale de Chhattisgarth, libérant 299 prisonniers, avec parmi eux une centaine de guérilleros) sont le fait de groupes d’environ 40 à 150 combattants qui parfois atteignent même 400.
Rassemblement de la guérilla
En 2007, les naxalites ont réalisé 8.488 attaques contre des établissements policiers dans 91 districts de 11 états, selon un rapport présenté par le Ministre de l’Intérieur devant le parlement indien. La guérilla commence à chercher la complicité des policiers. Depuis juin 2007, chaque fois qu’une attaque est réalisée contre un établissement policier, les guérilleros laissent sur place des pamphlets où l’on peut lire « Tu luttes pour empêcher le soulèvement du peuple, parce que ta vie est en jeu, parce que le peuple celui que tu tues appartient à ta propre classe. Lève-toi contre le système ».
La situation est arrivée à un tel paroxysme que le gouvernement a décidé de mettre en marche un plan pour contenir l’avancée de la guérilla: commencer un programme de développement des zones les plus pauvres de l’Inde, modernisation de la Police, création d’infrastructures routières qui servent aussi bien aux populations qu’à faciliter les mouvements de la police et la création de six écoles de guerre, c’est-à-dire la formation d’unités antiguérillas pour pouvoir attaquer et détruire les campements naxalites dans la jungle. L’idée du gouvernement est de créer quelques bataillons spéciaux pour la lutte contre la guérilla qui comprendraient des effectifs de 14.000 soldats. Actuellement, la Force Centrale de Réserve de la Police (CRPF), unie aux paramilitaires de la Salwa Judum, sont les principaux protagonistes de la lutte contre les maoïstes. Mais ils ont fait preuve d’une rare inefficacité et c’est pourquoi il a été décidé la création des bataillons antiguérilla.
Véhicule de contre-guérilla
Opération de contre-guérilla
Jusqu’à maintenant, la guérilla ne s’occupait pas des villes pour se concentrer sur les campagnes, en suivant la stratégie d’encerclement des villes à partir des campagnes. La stratégie est de pénétrer dans les aires rurales, de se consolider dans celles-ci et d’établir des coordinations efficaces entre différentes cellules dans d’autres États.
Les maoïstes ne frappent pas les fonctionnaires locaux si le peuple considère qu’ils sont honnêtes, ni corrompus, ni répressifs. Ils taxent les entreprises qui sont installées sur leurs zones d’influence d’un impôt révolutionnaire, qui oscille entre 15 et 20% de leurs bénéfices, avec lequel ils financent leurs activités. Mais les naxalites sont implacables dans leur lutte contre les Zones Économiques Spéciales (ZES). En Inde, le gouvernement a prévu d’approuver 339 ZES où doivent travailler 800.000 personnes. Ce sont des aires où les entreprises ne payent aucun impôt, où elles jouissent d’avantages économique pour favoriser la productivité et où peuvent être aboli la législation normale du pays en matière du droit du travail, du respect de l’environnement. L’’objectif est d’attirer les investisseurs locaux et étrangers. Ces ZES sont en train de provoquer le déplacement de leurs foyers de dizaines de milliers de ruraux, qui par conséquent sont en train de perdre leurs moyens d’existence. L’énorme majorité des déplacés sont des métayers sans terre, des artisans et petits commerçants, issues des communautés défavorisées de dalits et adivasis et de minorités religieuses.
Le travail avec les dalits, les intouchables dans le système des castes et les parias en Inde, est au centre du travail politique de la guérilla naxalite, selon les décisions de son 9e Congrès. Ce Congrès a décidé, de surcroît, comme axe central du travail politique et militaire, l’extension de la guerre populaire à tout le pays, « l’appui aux luttes nationales contre l’expansionnisme indien » au Jammu et Cachemire, l’expansion du mouvement vers les villes pour avoir une présence dans les masses urbaines, appauvries, et la classe moyenne dans le but « d’obtenir un mouvement massif contre les politiques néolibérales » et, par conséquent, la lutte contre les Zones Économiques Spéciales qui ont été créées ces dernières années en Inde et qui ont provoqué en conséquence, « la dislocation des petites industries et des commerçants, qui ont été poussés à la banqueroute par l’offensive massive des compagnies impérialistes transnationales et des importateurs-bureaucrates-bourgeois » et qui sont qualifiées de « enclaves néocoloniales ».
Des cellules naxalites sont actives dans les zones ouvrières et industrielles de Delhi, Mumbai, Raipur, Pune et Jammu. Bien que pour le moment l’activité principale soit la propagande, dans quelques zones où le mouvement naxalite est spécialement fort, des actions militaires sont déjà menées. C’est le cas de Nayararh, l’une de villes les plus importantes de l’état d’Orissa, où un commando naxalite a réalisé l’une de ses actions les plus audacieuses jusqu’à présent: le 16 février 2009 s’est produit l’assaut d’une caserne de police et la réquisition de 1.069 armes qui s’y trouvaient.
La présence naxalite dans les cités et les centres industriels a apporté un saut qualitatif à la guerre populaire prolongée. Depuis la seconde moitié de 2007, les naxalites ont privilégiés leurs actions contre les ZES dans une frange qui comprend les villes de Bhilai-Ranchi-Dhanbad-Calcutta d’un côté, et de Mumbai-Pune-Surat-Ahmadabad de l’autre, dans le même temps où ils imposaient d’une manière inégale des blocus dans les zones où ils ont une force plus grande comme c’est le cas dans les états de Jharkhand, d’Orissa, de Chhattisgarh et du Bengale occidental et dans ceux où ils en ont moins comme en Haryana et dans le Punjab. Dans le Bengale occidental, un État gouverné par la gauche réformiste, la ZES prévue a du être suspendue après une révolte populaire, forte de l’appui maoïste, qui a été noyée dans le sang. Cela a provoqué un discrédit de la gauche traditionnelle, et favorisé l’insurrection naxalite qui a vu les paysans pauvres la rejoindre en masse.
Le CPI(Maoist) a mené plusieurs grandes attaques victorieuses contre les forces de sécurité. Le 6 avril 2010, des guérilleros ont tendu une embuscade à un convoi de la contre-guérilla, tuant 75 policiers militarisés (CRPF). Le 25 mai 2013, dans l’attaque contre un convoi du parti du Congrès dans le Bastar, 27 personnes ont été tuées dont Mahendra Karma, l’homme à l’origine de la création de la Salwa Judum. Le parti organise également des opérations visant à saisir des armes ou la destruction de matériel destiné à la construction d’équipements visant à faciliter la contre-insurrection. Le 14 mars, 200 guérilleros attaquent un convoi de la contre-guérilla : 11 policiers militarisés (CRPF) et quatre Salwa Judum sont tués dans l’état du Chattisgarh. Le 1er décembre 2014, toujours dans le Chattisgarh , 13 paramilitaires de la CRPF sont tués et 12 autres blessés dans un embuscade.
Les autorités ont effectué plusieurs opérations répressives tant dans le cadre de l’Opération Green Hunt qu’en marge de luttes populaires soutenues par le CPI (Maoist). Citons par exemple le meurtre de Kishenji, membre du Politburo et à la lutte du mouvement populaire de Jangal Mahal, au Bengale occidental. Selon les autorités, il aurait été abattu lors d’une fusillade entre des guérilleros et les forces de sécurité le 24 novembre 2011. Mais les rapports d’autopsie ainsi que différents témoignages révèlent qu’il aurait été capturé 24h avant sa mort et que son corps portait des traces de torture. Le 1er juillet 2010, les autorités ont annoncé avoir assassiné Azad, porte-parole du CPI (Maoist) et membre du Politburo, dépêché par le parti pour mener des pourparlers avec le gouvernement. Il a été abattu alors qu’il circulait en compagnie d’un journaliste afin de transmettre une note des autorités à la direction du parti en vue de poursuivre les négociations. Selon les chiffres officiels, 2.193 militants maoïstes auraient été abattus par les forces de sécurité entre 2005 et 2015, et la guérilla aurait abattu 1.753 membres des forces de sécurité au cours de la même période.
Les révolutionnaires indiens ont réussi, dans les zones rurales qu’ils contrôlent à améliorer le niveau de vie de la population, et où ils sont en situation d’offrir une alternative à la gauche traditionnelle et réformiste. Spécialement après le massacre de paysans ordonné par le gouvernement du Bengale occidental (gouverné par le Front de gauche réformiste) en mars 2007, quand ils s’opposaient à la ZES prévue dans Nandigram. .
Les maoïstes font dépendre le progrès de leur guerre populaire de la création d’une plate-forme culturelle et politiquement différente de celle qui a existé jusqu’à présent en Inde – et spécialement en ce qui concerne la séparation des castes, l’oppression féodale de la famille et des coutumes – et, surtout, loin des allées du pouvoir qu’affectionne la gauche traditionnelle. Ce qui amène certains secteurs des intellectuels indiens à afficher une certaine sympathie envers eux, comme Arundhati Roy, qui se refuse à qualifier leur lutte d’immorale ou terroriste, ou comme le célèbre musicien Ravi Shankar, qui a déclaré publiquement que les maoïstes sont « admirables ».
2. Les Adivasis ou peuples aborigènes de l’Inde
Les Adivasis, ou aborigènes de l’Inde forment une minorité substantielle de la population du pays. Ils sont particulièrement nombreux dans l’Orissa, le Bihar, le Jharkhand et dans les états du Nord-Est tels que le Mizoram. Ils sont officiellement reconnus, en vertu de la Constitution, comme Scheduled Tribes (‘tribus répertoriées’). Ils ne constituent en aucun cas un groupe homogène – plus de 200 tribus parlant plus de 100 langues différentes, qui varient énormément de par leur ethnicité, leur culture et leurs langues. Ils constituent environ 8% de la population de l’Inde, ce qui représente environ 68 millions de personnes selon le dernier recensement de 1991. Ils se répartissent géographiquement entre différentes régions du pays, mais ce sont les états du centre qui abritent les plus grandes tribus et quelques 75% de la totalité des aborigènes y vivent.
Une autre concentration d’aborigènes vit sur le plateau de l’Inde centrale; dans cette zone bordée par la Narmada au nord et la Godavari au sud-est, les peuples tribaux occupent les pentes montagneuses de la région. Le groupe le plus large, les Santâls, habitent le Jharkhand, au Bengale occidental. Les États indiens du centre abritent les plus grandes tribus du pays et quelque 75% de la totalité des aborigènes vivent là, et forment à peu près 10% de la population de la région. On rencontre de plus petits nombres d’aborigènes au Karnataka, au Tamil Nadu et au Kerala, dans les contreforts de l’Himalaya ainsi que plus au nord, au Goujerat et au Rajasthan, et bien évidemment dans les territoires des Laquedives et des îles Andaman et Nicobar.
Carte des populations aborigènes
Les tribus aborigènes tendent à former des unités économiques autosuffisantes. Elles pratiquent souvent la culture sur brûlis plutôt que l’agriculture intensive typique de la majeure partie de l’Inde rurale. Pour la plupart des aborigènes, les droits d’utilisation du sol dérivent simplement et traditionnellement de leur appartenance tribale. La société tribale tend à être égalitaire, la position de chef est légitimée plutôt par des considérations de valeurs personnelles que par l’hérédité. Les religions tribales n’identifient aucune autorité en dehors de la tribu. La plupart des tribus aborigènes sont concentrées dans des secteurs très forestiers qui combinent inaccessibilité et intérêt politique ou économique limité. De tous temps, l’économie de la plupart des tribus était caractérisée par une agriculture de subsistance, la chasse et la cueillette. Traditionnellement, les aborigènes cantonnaient leur contact avec l’extérieur à quelques produits de première nécessité qui leur manquaient comme le sel et le fer, et dépendaient d’artisans locaux pour la fourniture d’articles comme les ustensiles de cuisine.
Vers 1900, beaucoup de régions autrefois isolées sont ouvertes à l’implantation de cultivateurs par le gouvernement colonial, les migrants (des Indiens non aborigènes) recevant un titre de propriété en échange pour la mise en culture. Pour les aborigènes comme pour les Indiens de manière générale, cependant, la terre était, la plupart du temps, considérée comme une ressource commune, libre d’utilisation pour celui qui avait besoin d’elle pour sa subsistance contre le paiement d’une taxe au souverain (‘mode de production asiatique’). L’introduction par les Britanniques de la notion de propriété de la terre va provoquer la spoliation en masse des aborigènes et faire émerger une classe de riches propriétaires terriens (landlords) et d’une autre d’usuriers qui vont être la source d’un appauvrissement effroyable des campagnes indiennes.
L’amélioration des communications, la construction de routes et une intervention plus fréquente des gouvernements ont entraîné un contact accru des aborigènes qui étaient encore protégés par leur isolement dans les années 1950, très isolés. Au cours des années 1960 et 1970, l’installation de commerçants non aborigènes était très courante dans les villages tribaux. Celui-ci vendant souvent ses marchandises à crédit, avec un taux d’intérêt élevé, beaucoup d’aborigènes se sont fortement endettés ou ont hypothéqué leur terre. Ces négociants encouragent également les aborigènes à abandonner les cultures vivrières pour des cultures industrielles comme le coton ou le ricin, ce qui augmente leur dépendance à l’égard du marché pour les fournitures de base. L’endettement est si étendu que, bien que de telles transactions soient illégales, les commerçants vendent parfois leurs débiteurs à d’autres négociants, les abaissant ainsi quasiment au statut d’esclaves.
Au cours des années 1970, la pression sur les terres tribales a connu une augmentation, particulièrement en Inde centrale. Les migrations sur les terres tribales ont augmenté considérablement au fur et à mesure des spoliations de celles-ci au moyen de nombreuses méthodes telles que le remboursement de dettes ou la corruption des fonctionnaires cadastraux. Nombre d’aborigènes sont ainsi devenus des ouvriers agricoles sans terre au cours des années 1960 et 1970 et des régions qui étaient, quelques années plus tôt, le domaine exclusif des tribus possèdent maintenant une population de plus en plus mélangée.
Les politiques gouvernementales sur les réserves forestières ont profondément affecté la vie des aborigènes, les poussant parfois à une résistance armée. L’exploitation intensive des forêts, rendue possible par la corruption de fonctionnaires locaux, a souvent autorisé des étrangers à faire des coupes importantes, alors que les prélèvements des aborigènes étaient fortement réglementés, et a entraîné le remplacement de forêts à la flore riche qui permettaient la perpétuation de la vie tribale en plantations de monoculture. Les peuples aborigènes sont les premières victimes de la pollution des eaux par les sociétés minières, par l’industrie.
Chaque progrès de l’Inde capitaliste a représenté un drame pour les communautés aborigènes. Dans les années 60, un gisement d’uranium est découvert à Jadugoda, un village d’indigènes situé dans l’état du Bihar. En 1967, l’UCIL, l’Uranium Corporation of India Limited y ouvre une mine. Au début, l’exploitation se composait d’un puits et d’un étang. Au fil des années, la société s’agrandit. Aujourd’hui, elle compte trois mines et trois étangs sur un périmètre d’environ dix kilomètres. Depuis trois générations, les aborigènes qui vivent à l’ombre de la compagnie ont eu 35% de leurs nouveaux-nés marqués par des malformations. Le taux de radioactivité de l’air, du sol et des eaux atteint 50 fois la limite de sécurité préconisée par les normes internationales. Les villages de Chatikocha et de Dungriddih, les plus proches des étangs de retenue des rejets miniers, 50% des habitants sont atteints d’une infection ou d’une infirmité. Aucune des 130 familles qui peuplent ces deux villages n’est épargnée. On estime que les couples sont tous stériles car pas un enfant n’y est né depuis près de quatre ans.
Enfant victime de malformation
Enfant victime de malformation
Les Adivasis ont payé un prix disproportionné pour les grands projets de développement pour la modernisation de l’Inde, des projets qui ont fourni des minéraux, de l’eau et de l’électricité pour l’évolution d’une société urbaine et industrielle dans le pays. La libéralisation et la mondialisation au début des années 1990 ont ajouté une nouvelle dimension au problème en ouvrant les vastes ressources minérales dans les régions adivasis, jusqu’alors uniquement accessible principalement aux compagnies du secteur public, pour l’exploitation rapace des diverses multinationales indiennes et étrangères. Pour ces sociétés, de plus en plus soutenue par le capital mondialisé et financialisé, il s’agissait de la dernière frontière en Inde. Et alors que leurs ravages augmentaient dans les régions adivasis, la résistance des masses adivasis augmentait aussi. Partout dans le monde, quand ils sont poussés au mur par le capitalisme, les peuples se défendent et résistent. Les Adivasis, avec leur longue histoire de résistance et de rébellion, n’y ont pas manqué.
3. Le mouvement de Lalgarh
Dans la région du Jangalmahal, au Bengale occidental, les populations tribales sont également touchées par ces bouillonnements, bien qu’ils prennent une trajectoire différente en raison des différences dans la géographie et l’économie sociale de la région.
Le Jangalmahal n’est pas la cible directe des sociétés en recherche de richesses minérales, mais cela ne diminue en rien la misère des populations. Là, les habitants sont victimes du lien entre les fonctionnaires forestiers, des marchants de feuilles de tendu et de bois de construction, des entrepreneurs et des politiciens corrompus maintenant les gens dans le bourbier de la pauvreté, de l’exploitation et de l’indignité. Les habitants possèdent peu de terre, en l’absence d’équipements d’irrigation, les rendements de l’agriculture sont maigres. Ceci a conduit à une migration de masse de la force de travail pour le travail agricole dans d’autres régions de l’état, ou même dans d’autres états, particulièrement durant la saison des récoltes. Les revenus de ceci ne sont pas suffisants pour faire vivre les familles durant toute l’année, et au cours de la période maigre, la famine et même les morts de faim prennent une ampleur sans précédent. Les habitants sont donc totalement dépendant de revenus supplémentaires issus des produits forestiers, mais là aussi, ils sont grandement exploités par les gardes forestiers et la mafia. Les prix des produits forestiers tels que les feuilles de tendus, par exemples, sont atrocement bas. L’accès même aux produits forestiers est livré aux caprices des gardes forestiers, et les cas d’histoires d’hommes battus ou de femmes harcelées alors qu’ils tentent de ramasser du bois de chauffage sont quotidiennes dans la région. L’absence de mesures de développement telles que des écoles, des centres de santé, des routes, l’électricité et des équipements d’irrigation est une norme. Les gouvernements locaux, quels que soit le parti au pouvoir, ont toujours été corrompus et une large section des dirigeants politiques se sont allègrement servi dans les budgets de développement alloués par le gouvernement central pour leur enrichissement personnel.
C’est dans ce contexte que sont apparus les maoïstes à la fin des années 1990. Ils ont mobilisé les habitants sur des questions de développement, exigeant de l’eau, de l’électricité et des équipements sanitaires, mais également des prix rémunérateurs pour les produits forestiers et la fin du harcèlement aux mains des gardes forestiers et de la police. Les modes de lutte étaient publics et constitutionnels, avec l’envoi de délégations aux fonctionnaires locaux et des manifestations autour des bâtiments officiels. Mais le gouvernement, au lieu de tenir compte de ces revendications, a répliqué avec une brutale répression. La police du Bengale occidental a organisé des raids en force dans les villages du Jangalmahal, déclenchant un règne de terreur sous la forme de passages à tabac, torture, brutalités à l’encontre des femmes et des milliers de poursuites sur des motifs montés de toutes pièces. Les maoïstes ont résisté à cette terreur d’état, et ont organisé la population pour qu’elle puisse résister. Les habitants ont également obtenu des victoires significatives comme les maoïstes ont pu faire imposer une augmentation substantielle du prix des petits produits forestiers tels que la feuille de tendu. Il y a même eu des fonctionnaires locaux pour reconnaître, en privé, qu’il s’agissait d’une des contributions majeures pour l’amélioration du sort des Adivasis dans toute la région forestières du centre-Est de l’Inde. Les maoïstes en ont tiré un soutien populaire de plus en plus grand et ont développé une base solide dans la région.
Manifestation de paysan au Lalgarh
Ce schéma de terreur d’état a continué tout au long des années 2000. La police a commencé à occuper les écoles de manière permanente, et les habitants faisaient quotidiennement face aux indignités des passages à tabac, harcèlement et autres raids policiers. Les affaires montées de toutes pièces à leur encontre sont devenues un fléau dans les vies des gens, salariés à la journée qui ne pouvaient pas se permettre de gaspiller des journées de travail pour se présenter au tribunal ou aller porter plainte au commissariat.
En novembre 2008, une mine visant le convoi de Buddhabed Bhattacharjee, qui revenait de l’inauguration d’une aciérie de la société Jindal et de la mise en place d’une ZES à Salboni, a explosé, blessant six policiers de son escorte. Suite à cette attaque que la police a mené des raids de représailles autour du village de Lalgarh, dans le Jangalmahal. Les atrocités policières, les raids indiscriminés et les tabassages brutaux se sont multipliés, principalement à l’égard des femmes. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.
Les habitants se sont soulevés en masse, allant beaucoup plus loin que leurs prédécesseurs dans d’autres régions du pays. En effet, ils défiaient la fondation même de l’état en contestant le droit de l’état à administrer un peuple duquel il n’était pas prêt à reconnaître l’humanité. La violence de masse a éclaté en juin 2009, à Dharampur, suite à une attaque du CPI (Marxist), alors au pouvoir au Bengale occidental, contre un rassemblement dirigé par des femmes. La population s’est soulevée et a détruit le palais d’Anuj Pandey, le chef local du CPI (Marxist), tuant ses hommes de main armés qui terrorisaient la région. Dans ce soulèvement de masse, les maoïstes, qui avaient été l’épine dorsale organisationnelle du mouvement en raison de leur présence de longue date et leur travail organisationnel dans la région, se sont manifestés. C’est alors que fut déclenchée l’Opération Lalgarh, à l’initiative du gouvernement Left Front du Bengale occidental, de connivence avec le gouvernement UPA dirigé par le Congrès à Delhi. Ils ont envoyé de manière conjointe des forces de sécurité centrales et locales dans la région pour « réoccuper » le Jangalmahal. Ces soldats furent rejoints par des miliciens armés du CPI (Marxist). Comme par hasard, Jangalmahal s’est retrouvé dans le cadre de l’Opération Green Hunt (cf notre chapitre suivant) qui avait cours depuis un certain temps dans les régions forestières voisines du centre de l’Inde. La réoccupation de la zone indispensable pour les autorités s’explique ainsi: la région du Jangalmahal est voisine des régions forestières du Jharkhand. Or, avec le Chhattisgarh, le Maharashtra et l’Orissa, le Jharkhand est depuis 2008 visé par l’Opération Green Hunt et constitue une partie capitale de la zone sous influence maoïste. Comment l’état pourrait-il permettre qu’une région si cruciale soit déstabilisée par une zone ‘libérée’ de facto? Il était donc inévitable d’écraser le mouvement de Lalgarh.
Intervention policière au Lalgarh
Jusqu’en 2011, les opérations des forces de sécurité se sont poursuivies, faisant toujours plus de victimes parmi les Adivasis et les sympathisants au mouvement. Après les élections locales de 2011 et la perte du pouvoir du CPI (Marxist) après 34 ans de pouvoir dans l’état, les habitants ont eu une lueur d’espoir. Mamata Banerjee, durant sa campagne, avait promis l’arrêt des opérations ainsi que la libération de tous les prisonniers politiques. La promesse a tenu quinze jours, entre le 15 mai et le 1 juin 2011. Puis, les atrocités ont continué, les rapports de passages à tabac, de villages assiégés, de maisons mises à sac et d’arrestations indiscriminées sont revenus en force. De plus, un renforcement des restrictions contre les activités démocratiques telles que les meetings et les rassemblements populaires. Durant cette période, des étudiants appartenant à diverses organisations estudiantines adivasis furent arrêtés et battus en cellule, les maisons de plusieurs prisonniers politiques furent pillées, etc. Durant les six mois qui ont suivi les élections, plus de 300 personnes furent arrêtées, et le gouvernement a constitué une milice d’autodéfense, la Jan Jagran Manch. Elle a lâché un règne d’intimidation, forçant les gens à y adhérer et à faire office d’informateur. Ces personnes sont donc devenues les yeux et les oreilles des forces de l’état.
En juillet 2011, Mamata Banerjee lance un appel à la guérilla maoïste, demandant son retour dans le courant dominant et le dépôt des armes. Les dirigeants du parti réagissent en proposant des pourparlers de paix avec le gouvernement, mettant quelques exigences en avant. Afin que ces pourparlers puissent avoir lieu, les maoïstes exigent le retrait des troupes du Jangalmahal ainsi que la libération de plusieurs de leurs dirigeants haut placés détenus dans diverses prisons du Bengale occidental (A noter que leur libération faisait partie du programme électoral de Mamata Banerjee). Durant plusieurs mois, les deux camps établissent des contacts. Les autorités rencontrent des prisonniers maoïstes, elles prennent également contact avec diverses organisations de soutien à la lutte populaire au Jangalmahal. Mais le 24 novembre, Kishenji, un des dirigeants maoïste à la tête de la lutte de Lalgarh, est abattu dans une zone forestière reculée du Bengale occidental. Les autorités affirment qu’il a été tué au cours d’une intense fusillade, ce qui est rapidement mis en cause par le CPI (Maoist) et ses sympathisants. Cet assassinat intervient alors que durant le mois d’octobre, Kishenji était entré en contact avec les dirigeants politiques du Jungalmahal et qu’il oeuvrait à la mise en place d’une trêve avec le gouvernement. En réaction, le CPI (Maoist) a déclaré bloquer tout processus de négociation et a exigé que soit menée une enquête indépendante sur la mort de son dirigeant. Du côté des négociateurs du gouvernement, le timing de ces assassinat fut longuement dénoncé également.
La mort de Kishenji, ainsi que l’arrestation de la plupart des dirigeants régionaux du CPI (Maoist) ont entrainé un sérieux revers pour le parti dans la région. De leur côté, les autorités se targuent d’une paix revenue. Les Adivasis, quant à eux, ont gardé les acquis de la lutte populaire menée de front par la population et les maoïste, mais dans le fond, rien n’a changé, le harcèlement, la corruption, les manque d’infrastructure et d’intérêts des autorités pour un développement durable de la région sont toujours de mise. Depuis 2013, le CPI (Maoist) tente de se regrouper dans le Jangalmahal, plusieurs escouades y ont mené diverses actions ces deux dernières années.
4. L’Opération Green Hunt
A la mi-octobre 2014, les médias indiens relataient un nouveau « combat » et une « fusillade féroce » dans les zones forestières du district de Bijarpur, dans le Chhattisgarh. Trois « femmes maoïstes » auraient été abattues durant l’échange de coups de feu avec les forces de sécurité composées de centaines de policiers militarisés de la CRPF et de la police locale, quant à eux tous indemnes.
Il est toujours délicat de discerner le vrai du faux dans ce genre de reportage, mais ce nouvel ‘incident’ rappelle les horreurs des « combats » factices de villageois adivasis de Sarkeguda en 2012 et de Ekakmetta en 2013 dans le même district de Bijapur. Ces massacres aussi avaient été présentés par les forces de sécurité comme des « fusillades intenses avec les Naxalites ». Et les médias avaient alors répété ces informations. Malgré les tentatives désespérées de la police, de la CRPF et du ministère de l’Intérieur pour colmater les fuites, il fut vite évident que durant cette soirée du 28 juin 2012, plus de 600 membres de la CRPF, de la force spéciale anti-guérilla CoBRA et de la police locale avaient encerclé le hameau de Sarkeguda et avaient ouvert le feu de manière indiscriminée sur des centaines d’Adivasis des villages voisins qui s’étaient réunis pour discuter des préparatifs leur festival annuel des semences. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, P. Chidambaram avaient alors prétendu que ses hommes avaient pourchassé des « maoïstes déterminés », mais du propre aveux du ministre des Affaires Tribales, parmi la vingtaine de personnes abattues figuraient au moins dix adolescents; un enfant grièvement blessé n’avait pas quatre ans; ils n’avaient pas d’armes; et aucun n’avait de casier criminel.
Un massacre semblable a eu lieu un an plus tard dans le village de Edakmetta, dans le même district de Bijapur. Le 20 mai 2013, au milieu de la nuit, les forces de sécurité ont encerclé des villageois rassemblés pour célébrer le festival des semences et une volée de balles furent tirées à leur encontre, tuant huit villageois dont trois enfants, tous non armés.
Telle est l’histoire des brutalités et « combats » factices au cours des cinq dernières années de guerre contre le peuple menée par le gouvernement au nom de l’Opération Green Hunt. Le terme « Opération Green Hunt » fut créé par les médias indiens pour décrire l’offensive totale déclenchée contre les maoïstes en 2009 dans le Chhattisgarh. Celui-ci fut rapidement repris pour qualifier toutes les opérations menées à travers le pays contre l’insurrection maoïste.
Les cinq états essentiellement visés par Green Hunt sont principalement habités par des tribaux et particulièrement riches en ressources naturelles. Ces dernières années, le gouvernement indien a signé des centaines de protocoles d’accord avec de grosses sociétés indiennes telles que Tata, Birlas, Ambani, Mittal mais aussi des multinationale afin de permettre le pillage de ces ressources. Et les tribaux, habitants ancestraux des terres sous lesquelles se trouvent ces ressources, sont déterminés à défendre leur moyen d’existence, leur vie et leur dignité contre le modèle de destruction et de déplacement mis en place par le gouvernement au nom du progrès et du développement.
Dès lors, les autorités qui se sont engagées vis à vis de ces grands groupes capitalistes, sont déterminées à réprimer tout mouvement de résistance visant à empêcher la construction d’usine, l’érection de grands barrages ou l’extraction industrielle dans les collines. Et la résistance des tribaux est organisée et armée par les maoïstes Cette guerre contre le peuple a donc également été déclarée pour faciliter la vente de ressources naturelles pour des milliards de dollars.
Et les autorités se sont donné les moyens. En 2009, au moment du lancement de l’Opération Green Hunt, le gouvernement a décidé de déployer 80.000 membres des forces paramilitaires dans l’offensive contre les maoïstes. Ceux-ci étaient soutenus par 10 hélicoptères armés de l’Indian Air Force. A la mi-2012, selon certaines sources, plus de 100.000 soldats issus de la CRPF, de la Border Security Force, de l’Indo-Tibetan Border Police et des forces CoBRA étaient mobilisés dans les opérations anti-maoïstes. Le 3 janvier 2013, le gouvernement autorisait le déploiement de 10.000 hommes supplémentaires dans le Bastar, l’Odisha et certaines régions du Jharkhand. En mai 2013, près de 84.000 hommes de la CRPF avaient été positionnés dans les états touchés par la guérilla maoïste pour renforcer l’offensive. En mars 2014, le chiffre de 286.200 hommes de la CRPF et de 100.000 hommes d’autres forces paramilitaires engagés dans 10 états du pays était avancé par diverses organisations. Le 8 juin 2014, le ministre de l’Intérieur approuvait le déploiement de 10.000 paramilitaires supplémentaire rien que pour l’état du Chhattisgarh. En août 2014, 2000 hommes des Nagaland’s Indian Reserve Battalions étaient dépêchés dans le Bastar, faisant de la région la zone la plus militarisée de l’Inde. Les autorités ont déployé des drones pour les opérations anti-maoïstes dans le Bihar, le Chhattisgarh et le Jharkhand. Insatisfaites par la qualité des résultats, la Defence Research and Development Organisation a pris l’initiative de développer des drones disposant de radars de plus basse fréquence pour faciliter la traquer des guérilleros dans les jungles. L’Inde a également récemment importé douze drones en provenance d’Israël pour la surveillance aérienne des activités maoïstes dans les régions forestières et peu accessibles à la frontière entre l’Andhra Pradesh, l’Orissa et le Chhattisgarh.
Cinq années après le début de cette vaste offensive, les bénéficiaires restent les même. Et le gouvernement continue à soutenir ses forces de sécurité bec et ongles, malgré toutes les enquêtes et contre-enquêtes en marge de chaque « combat » meurtrier. Après le ‘combat’ factice de Sarkeguda, le ministre de l’Intérieur Chidambaram a déclaré « Le combat, pour je ne sais quelles raisons, est qualifié de combat factice. Le directeur de la CRPF a dit qu’il n’avait rien à cacher, rien à craindre. Je suis le ministre de l’Intérieur, et la CRPF est sous mes ordres. Nous avons été parfaitement sincères, francs et honnête ». Quelques mois plus tard, Rajnath Singh est allé un pas plus loin disant que durant son mandat en tant que ministre en chef de l’Uttar Pradesh, il donnait carte blanche aux policiers pour gérer les maoïstes et il leur a assuré qu’ils ne seraient pas « embêtés » par la Commission pour les Droits de l’Homme. Avec ces déclarations, il prépare ouvertement le terrain pour d’autres « combats » factices, pour d’autres massacres, pillages, viols, tortures par les forces de sécurité qui disposent du soutien total du gouvernement.
4. Quelques prisonniers célèbres
Chhatradhar Mahato, président et membre fondateur du People’s Committee Against Police Atrocities, a été arrêté le 26 septembre 2009 dans une opération menée par la police du Bengale occidental dans le village de Birkar, à proximité de Lalgarh. Cette arrestation s’est déroulée en violation des lois indiennes, l’homme ayant été interpellé par des policiers déguisés en journalistes et dépourvus de mandat d’arrêt. Chhatradhar Mahato, militant pour la défense des Adivasis, a créé le PCAPA en novembre 2008 suite à l’attaque de Salboni. A la tête de ce mouvement populaire, Mahato, qui n’est pas lui-même issu d’une population tribale, entendait lutter contre les violence de la police et des paramilitaires à l’encontre de la population principalement aborigène de la région. Dès sa création, l’organisation fut cataloguée par les autorités comme étant une organisation de front de la guérilla maoïste, entraînant une répression de ses membres et de toutes ses actions. L’arrestation de son dirigeant est utilisée par les autorités pour terroriser tous ceux qui tentent de soutenir le mouvement des peuples minoritaires dans le Lalgarh, en alléguant qu’il sympathisent avec la guérilla maoïste. Depuis 2009, Mahato a été inculpé dans 38 affaires distinctes, toutes en vertu du Unlawful Activities Prevention Act. Cette législation anti-terroriste laisse les mains totalement au gouvernement pour arrêter arbitrairement et de placer en détention des personnes sans que ne soient clairement définies les infractions qui leur sont attribuées. Depuis, il s’est vu accordé une mise en libération sous caution pour 37 d’entre elles, mais reste incarcéré pour la dernière, qui a été entamée peu après qu’il ait été acquitté dans la 37e. Celle-ci concerne le meurtre de deux policiers à Purulia. La stratégie mise en place par le gouvernement pour maintenir les prisonniers politiques en détention est assez claire, et de toute évidence illégale, non-démocratique et vindicative. Dès qu’un prisonnier se voit libéré (même sous caution) dans le cadre d’une affaire, il se voit impliqué dans une autre par les autorités. De cette manière, le gouvernement maintient continuellement ces militants en prison, généralement sous de fausses allégations. Dans le cadre de l’affaire du meurtre de Purulia, à la mi-février 2015, la défense de Mahato a annoncé qu’il devrait cette fois encore être acquitté. Finalement, le juge s’est prononcé en mai 2015, et Mahalo, ainsi que cinq autres personnes, a été condamné à la prison à perpétuité. Ses avocats ont immédiatement fait appel.
Kobad Ghandy est issu d’une famille aisée, son père étant le directeur financier du géant pharmaceutique Glaxo. Après avoir étudié dans les plus grands collèges de Mumbia, il est allé suivre des cours de comptabilité à Londres. C’est là qu’il se confronte pour la première fois à la politique, purgeant même une peine de deux mois de prison après s’être retrouvé dans une vague de violence en marge d’un meeting anti-racisme. De retour à Mumbai, il s’engage dans divers mouvements estudiantins populaires avant de se rapprocher des naxalites. A la fin des années 1970, il fonde le Committee for the Protection of Democratic Rights avant d’entrer dans la clandestinité au milieu des années 1980. Membre du Comité Central du CPI(Maoist) et de son Politburo, Kobad Ghandy est notamment en charge de certaines publications du parti. Il fut arrêté à Delhi le 20 septembre 2009 alors qu’il était en ville pour suivre un traitement médical. Les autorités l’accusent, entre autre, d’avoir été dépêché par le parti dans la capitale afin de mener des activités de propagande et de recrutement dans le milieu urbain. Après 14 jours de détention provisoire, durant lesquels il a été interrogé et torturé, Ghandy a été transféré à la Tihar Jail de Delhi, où il se trouve toujours détenu en 2015. Souffrant d’un cancer, ainsi que de diverses affections, il est régulièrement transféré d’un quartier à l’autre, passant du quartier à haut risque à celui réservé aux personnes âgées au gré de la volonté des autorités pénitentiaires. Depuis sa cellule, Ghandy continue sa lutte, produisant régulièrement des écrits publiés par de multiples journaux et participant à toutes les actions et autres grèves de la faim organisées par les prisonniers maoïstes. Poursuivi en vertu du Unlawful Activities Prevention Act, les autorités l’accusent d’avoir propagé et disséminé l’idéologie maoïste à Delhi et d’avoir oeuvré à la création d’un réseau urbain du parti. Son procès a début en septembre 2012 et est toujours en cours à la mi-2015, alors que la santé du prisonnier se dégrade et qu’il ne reçoit toujours que des soins sporadiques.
Binayak Sen est un cas emblématique de l’histoire militante indienne. Il s’agit d’un cas célèbre, défendu par toutes les grandes organisations humanistes bourgeoises telles qu’Amnesty, parce que visiblement sans aucun lien avec l’insurrection maoïste. Médecin, Sen s’employait à rendre accessibles les soins médicaux aux populations reculées des jungles dans le centre du pays. Vice-président du People’s Union for Civil Liberties, il dénonçait régulièrement les violences commises par les milices à la solde du gouvernement et les paramilitaires à l’encontre des populations aborigènes sous prétexte de la lutte contre les maoïstes. Son simple engagement humanitaire a suffi aux autorités pour l’arrêter le 14 mai 2007 pour violation du Chhattisgarh Special Public Security Act et du Unlawful Activities Prevention Act. Il est accusé d’avoir soutenu et encouragé la violence maoïste. En vertu de ces lois anti-terroristes permettant au gouvernement de le maintenir en détention, Binayak Sen restera enfermé durant sept mois sans inculpation. En mars 2008, il passe plusieurs semaines à l’isolement, pour sa propre sécurité, selon les autorités pénitentiaires. Le 25 mai 2009, Sen est libéré sous caution principalement pour des raisons de santé, mais probablement aussi en raison de l’intense mobilisation internationale. Depuis, il est toujours dans l’attente d’un éventuel procès. Lors de la condamnation à perpétuité de plusieurs de ses co-accusés dans le cadre d’autres affaires en 2010, le gouvernement a révoqué sa libération conditionnelle et Binayak Sen a été réincarcéré. Mais il fut une nouvelle fois libéré. La persécution d’un humaniste bourgeois aussi notoirement inoffensif que le docteur Sen en dit long sur la férocité de la politique de répression du gouvernement indien.
La torture en Inde
Publiée chaque année par le Asian Center for Human Rights (ACHR), une organisation démocratique-bourgeoise de défense des Droits de l’Homme basé à New Delhi, l’étude consacrée à la torture en Inde est accablante. Du 1er avril 2001 au 31 mars 2009, 1.184 personnes sont morte alors qu’elles étaient aux mains de la police – et ceci est le chiffre officiel de la National Human Rights Commission. La plupart de ces morts ont eu lieu dans les premières 48 heures de la détention, et une majorité écrasante a succombé suite à des sévices corporels. Un nombre équivalent de personnes serait quotidiennement torturé à mort par l’armée et les paramilitaires dans les zones insurgées du pays, où des législations spéciales donnent quasiment les pleins pouvoirs aux soldats. ‘Des centaines sont tués, des dizaines obtiennent une compensation financière, mais seuls trois à quatre policiers sont condamnés chaque année‘, résume le directeur de l’ONG. A cela s’ajoute les sévices commis par les milices des grands propriétaires. La pratique de la torture au service du ‘maintien de l’ordre’ est généralisée à travers le pays.
Il s’agit d’un système institutionnalisé. Seule une poignée de policiers ont été condamnés ces dernières années. Le ministre de l’Intérieur attribue ces milliers de morts en garde à vue ‘à la maladie, à des accidents, à des tentatives d’évasion ou à des suicides‘. Les textes de lois indiens ne reconnaissent d’ailleurs pas la torture comme un crime à part entière. Les agents des forces de l’ordre sont de plus soumis à un régime juridique spécial qui leur assure une relative impunité puisque c’est au pouvoir exécutif que revient la décision de poursuivre ou non un officier en justice. Et lorsqu’une affaire est effectivement portée devant un tribunal, les délais sont aberrants: il faut entre 25 et 30 ans pour aboutir à un procès contre un policier responsable, ce qui nourri la culture de l’impunité. Tentant de renvoyer les belligérants dos-à-dos, le rapport de la ACHR rapporte également cinq cas de sévices corporels commis par les naxalites en 2008: quatre contre des indicateurs de police, un contre un déserteur de la guérilla.
Un organisme national de défense des Droits de l’Homme à été mis en place en 1993. Mais la National Human Rights Commission (NHRC) préfère dédommager les victimes plutôt que de les encourager à porter plainte. Cet organisme vise finalement à dédouaner l’état de la généralisation de la torture et à éclipser l’ampleur du problème. Le gouvernement indien n’a d’ailleurs toujours pas ratifié la convention de l’ONU contre la torture, pourtant signée en 1997.
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Un témoignage
Linga est un jeune homme d’une famille aisée de la tribu Muriya, de Sameli, village du Dantewada. Comme chaque membre de tribu sur sa terre, la police l’a sommé de choisir: servir l’Etat ou être considéré comme naxalite. Un gouvernement paranoïaque exige d’avoir chaque membre de tribu de son côté, comme informateurs, comme guide durant leurs opérations dans la jungle, comme auxiliaires de police spéciale… Ceux d’entre eux qui sont tués dans un engagement sont finalement toujours comptés comme des naxalites morts. Dans cette lutte, le même mot ne signifie pas la même chose pour tout le monde.
Dans la matinée du 31 août, Linga est enlevé de chez lui, à Sameli, par des policiers en civil, mais armés. Les policiers l’ont emmené dans le camp de la Force Centrale de Réserve de la Police sur le chemin du commissariat de Dantewada. A Dantewada, il est amené dans le bureau du commissaire Amresh Mishra. ‘Il m’a fait asseoir par terre et m’a frappé. Il m’a demandé si j’étais le fils d’un naxalite. J’ai répondu que j’étais fils de fermier, que mon père avait été membre du conseil du village. Ensuite, ils m’ont enfermé dans une pièce minuscule. Je devais chier, uriner et manger dans cette pièce… il y avait un autre garçon avec moi. Il était là depuis un mois. On nous autorisait à nous laver moins d’une fois par semaine. Ils nous torturaient constamment. Si tu ne nous aide pas, nous dirons que tu es naxalite et nous te tuerons.‘
Quand on lui demande pourquoi les policiers l’appelaient naxalite, si les naxalites venaient dans son village, s’il en avait rencontré. Il répond: ‘Les naxalites ont des armes, quand ils viennent dans ton village, tu dois les rencontrer. Mais ce n’est pas un crime de se contenter de les écouter. La police aussi a des armes, quand ils nous veulent, nous devons y aller aussi. La différence, c’est que les naxalites ne nous frappent pas, mais la police n’épargne personne.‘
Durant la détention de Linga, son frère a introduit un habeas corpus à la Haute Cour de Bilaspur. Le commissariat de police de Dantewada a reçu un avis de la Haute Cour. Cela a obligé la police à modifier sa stratégie. Linga affirme: ‘mes cheveux étaient devenus très longs… j’avais une barbe… j’étais sale… pas lavé… ils m’ont donné du savon, de l’eau, des vêtements… m’ont emmené à Bilaspur, m’ont fait errer dans tous les marchés. Les policiers me suivaient à distance. Si j’avais essayé de m’échapper, ils m’auraient abattu.‘ Un Linga bien habillé, bien nourri et rasé de près errant sur les places des marchés avec des officiers de la police spéciale, cela sèmerait le doute dans les esprits naxalites. Ils se demanderaient s’il a rejoint la police, ou s’il est devenu leur informateur. Cela pourrait provoquer de brutales représailles. Et c’est en effet exactement ce que la police souhaitait, afin de fermer toutes les portes de sortie à Linga.
Bien qu’il ai été torturé durant toute sa garde à vue, Linga a affirmé au tribunal qu’il ne l’avait pas été. Le tribunal ordonne à la police de le relâcher. Il est resté en détention illégale du 31 août au 6 octobre. On lui a demandé pourquoi il avait menti au tribunal. ‘J’avais peur pour ma vie. Je n’ai jamais su si je m’en sortirais vivant.‘ Durant sa garde à vue, Linga a donc accepté le deal de la police: il ne parlerait pas des tortures et en retour, la police n’insisterait pas pour qu’il devienne officier de la police spéciale et le laisserait partir. Il savait qu’il n’était pas en sécurité en garde à vue. Il savait qu’il n’était pas non plus en sécurité à l’extérieur. Il n’y avait aucune charge, aucune affaire, pas de preuve, pas encore… Il pense que la police de Dantewada va essayer de se venger. Mais que s’il survit, et qu’il n’obtient pas justice, il deviendra naxalite. La famille de Linga est riche et pourrait faire une démarche au tribunal de Bilaspur.
Forces de sécurité en action
Pour en savoir plus
En Inde, expansion de la guérilla naxalite, un article de Cédric Gouverneur, Le Monde Diplomatique, décembre 2007
Entretien avec Ganapathy, secrétaire général du CPI(Maoist) en février 2010
Communiqué du 1er septembre 2014 à l’occasion du dixième anniversaire du CPI(Maoist)
Dans le sillage de Naxalbari retrace la grande insurrection maoïste en Inde de sa naissance en 1967 jusqu’à son effroyable répression au début des années ’70. Sumanta Banerjee en détaille et contextualise les épisodes, avec un remarquable mélange de proximité et de distance. Proximité, parce que l’auteur a été directement impliqué dans les événements ; distance, parce que ce livre a été écrit puis réécrit avec le recul nécessaire. Il en résulte un ouvrage riche de sources et d’expériences directes mais aussi de documents officiels rendus accessible ultérieurement, à la fois rigoureux et empathique, qui apporte le meilleur éclairage sur cet épisode majeur de l’histoire de l’Inde. Cette parution (éditions Academia, traduction de J. Adarshini) est d’autant mieux venue que les héritiers des Naxalites d’aujourd’hui une lutte armée au coeur de l’Inde d’une telle ampleur que le Premier ministre indien a qualifié cette nouvelle insurrection comme « la plus grande des menaces » pour la sécurité nationale.
Pour davantage d’information: www.jadarshini.be