28/07/2005

ACAB

ACAB est l’acronyme de l’anglais « All cops [plus anciennement: « coppers »] are bastards » (« Tous les flics sont des salauds »). Il a pour origine une chansonnette répandues dans les milieux populaires cockney, qui a connu un grand nombre de versions, et qui a été notamment chantée par les grévistes à partir de l’entre-deux guerres:
I’ll sing you a song that won’t take long /
All coppers are bastards /
I’ll sing you another just like the other /
All coppers are bastards /
Third verse, same as the first /
All coppers are bastards

Plusieurs histoires courent à propos de cette chanson très populaire. On raconte qu’à Glasgow, un policier ayant entendu un gamin l’entonner, l’amène au poste pour lui montrer tous l’appareillage de la police scientifique avant de lui demander ce qu’il en pense: réponse « all coppers are clever bastards » (tous les flics sont des salauds futés »). Autre histoire: une homme surpris en train de la chanter a été arrêté et inculpé, primo, pour offense aux forces de l’ordre, secundo, pour divulgation de secret d’état.

ACAB Tattoo

L’acronyme ACAB a souvent été utilisé en tant que tatouage dans les prisons au Royaume-Uni à partir des années ’40. Il peut apparaitre comme tel ou sous la forme d’une série de quatre points. Ce tatouage se portait sur la première phalange de l’index, du majeur, de l’annulaire et de l’auriculaire, de telle sorte que les lettres ou les points apparaissent alignés le poing fermé. Cet endroit était choisi parce que particulièrement douloureux, donc la marque des durs à cuire. Aux Etats-Unis, il est repris par la culture très codifiée des bikers à partir des années ’60: seul un hells angel qui a eu maille à partir avec la justice peut porter un badge ou un patch ACAB. En 1980, The 4-Skins, groupe britannique de Oi a définitivement popularisé l’acronyme dans une chanson du même nom.

Il a été massivement utilisé lors de la grève des mineurs britanniques de 1984-1985 et a adopté par les supporters de football Ultras (sur des tatouages, T-shirts, tifos, casquettes ou écharpes).

ACAB Tifo

Pour échapper à la répression et/ou pour jouer sur un effet de connivence, il apparait sous des formes déguisées : comme « 1.3.1.2 » (référence à la position des lettres ACAB dans l’alphabet), et cela de différentes manières : cartes à jouer (As-3-As-2), dés, calcul (« 32 X 41 =1312 »), dessins de quatre mains dont les doigts forment ces chiffres, etc. Le 13 décembre est donc l’ « ACAB Day »… On rapporte qu’un jeune britannique a été trainé au tribunal pour avoir porté un vêtement marqué ACAB et qu’il a été condamné malgré la plaidoirie de son avocat qui, de manière moyennement convaincante, soutenait qu’ACAB signifiait « All Canadians Are Bastards »…
Dans le même esprit, il apparait parfois dans des tags, des stickers, des motifs de vêtements inclus dans un autre mot, mais signalé par une nuance graphique (majuscule, couleur…), par exemple « copACABana », ou avec un pseudo contenu (« Acht Cola Acht Bier »)

Tag ACAB

L’acronyme « ACAB » sera popularisé hors de Grande-Bretagne surtout après les émeutes anti-G8 de Gênes de 2001 où la police blessa 600 manifestant et en tuant un, Carlo Giuliani. Dans l’espace francophone, il remplace le traditionnel « Mort aux vaches » (lui-même symbolisé le plus souvent, en tatouage, par trois points en triangles).
Il a été détourné, le plus souvent en gardant un double sens implicite en « All Communists Are Beautiful » (banderole autonomes en Allemagne), « Anti Cuts Action Bristol » (campagne locale contre une taxe d’austérité), « All Colors are Beautiful » (dans le cadre de manifestation anti-raciste). A ne pas confondre, en Angleterre, avec l’argotique « A-cab » qui désigne un chauffeur de taxi originaire des Caraïbes ou du Moyen-Orient. L’acronyme et/ou l’expression ont été repris dans plusieurs chansons, comme titre d’un film italien de 2012 sur une brigade de policiers, dans une série de pochoirs de Banksy et dans divers memes internet (« All Cats Are Beautifull »).

ACAB Polizei

ACAB Tattoo
ACAB Tifo
Tag ACAB
ACAB Polizei

28/07/2005

Le Bloody Sunday

À la fin des années 1960, dans le Nord de l’Irlande resté sous la domination britannique, la discrimination contre la minorité catholique amène l’Association nord-irlandaise pour les droits civiques à mettre en place une campagne non-violente pour l’égalité de droits entre catholiques et protestants. Cette campagne est réprimée par la police (presque exclusivement protestante) et par les paramilitaires unionistes protestants.

Le 12 août 1969, la quartier catholique du Bogside, à Derry [alors officiellement Londonderry], s’insurge suite à une provocation protestante: les habitants lèvent des barricades et font face à la police. Les affrontements, appelés la Bataille du Bogside, durent plusieurs jours, provoquant la mort de dix civils et cent cinquante blessés ainsi que l’incendie d’une centaine d’habitations. Le 14 août, elles s’étendent à Belfast, la capitale. La police est dépassée et l’armée britannique intervient; un premier bataillon est déployé à Derry puis un autre à Belfast. Au 1er septembre, il y a 6.000 soldats sur le territoire, 11.000 au printemps 1970. Le 30 mars 1970, une première manifestation catholique est organisée pendant trois jours contre l’armée. Du 3 au 5 juillet 1970, l’armée impose un couvre-feu et une fouille dans un secteur sensible de Belfast. Cinq civils sont tués dans cette opération et dix-huit militaires y sont blessés.

En 1971, l’IRA prend pour cible les troupes britanniques et le 6 février 1971, le premier soldat britannique est tué à Belfast. Le 8 juillet 1971, deux manifestants sont abattus dans le Bogside par des soldats. Le 9 août, l’emprisonnement sans procès (dit « internement administratif ») est établi, une immense rafle de suspects a lieu, et l’usage de la torture se répend. Cela provoque de nombreuses manifestations de masses, toutes interdites, qui tournent aux affrontements: trois manifestants sont tués. Les paramilitaires protestants ciblent les catholiques (quinze morts dans un bar catholique, le 4 décembre) tandis que la campagne de l’IRA s’intensifie: une trentaine de soldats britanniques tués dans les derniers mois de 1971. Des quartiers entiers de Derry sont alors barricadés, sous le contrôle de l’IRA, interdits à l’armée et à la police.

En janvier 1972, l’Association nord-irlandaise pour les droits civiques planifie, malgré l’interdiction de toute manifestation, un défilé pacifique à Derry le 30 janvier 1972 pour protester contre l’internement. Les autorités finissent par autoriser la manifestation. L’armée déploie un bataillon de parachutistes (SAS) à Derry avec pour mission d’arrêter les possibles émeutiers. Lors de la marche, quelques jeunes manifestants lancent des pierres contre un barrage de l’armée britannique qui réplique avec un canon à eau, des lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Deux civils sont blessés par balle par des soldats un peu plus tard.


Le commandement de l’armée, pensant qu’un sniper de l’IRA opérait dans la zone, donne la permission aux SAS d’aller dans le Bogside et de tirer à balles réelles. Plus de cent cartouches furent tirées contre les manifestants qui fuyaient. Treize manifestants et un passant furent tués, quatorze autres furent blessées, douze par des tirs de soldats et deux renversées par des blindés. Les militaires ont prétendu avoir vu des armes mais tous les témoignages et toutes les images le démente. Un manifestant sera abattu d’une balle dans l’arrière de la tête alors qu’il aidait un manifestant touché en agitant un mouchoir blanc. Un autre sera abattu alors qu’il levait les bras en criant « Ne tirez pas ! ».


Après le Bloody Sunday, l’IRA allait connaître une croissance spectaculaire, et les organisations pacifistes un discrédit durable. Une enquête bidon blanchit l’armée britannique en concluant qu’elle répondait aux tirs de l’IRA, alors qu’aucune arme n’a été retrouvée sur les lieux, et qu’aucun soldat n’a été tué ou blessé ce jour-là. Une nouvelle enquête ouverte en 29 janvier 1998 fera apparaitre que les militaires avaient menti lors de leurs dépositions. Le rapport final reconnaît la responsabilité des militaires qui, sans être menacé ont tiré sans avertissement sur une foule désarmée.

Le Bloody Sunday reste un événement majeur dans la conscience nationale irlandaise, et pas seulement dans les milieux républicains, comme en témoigne la chanson du groupe pacifiste sud-irlandais U2. En 2002, un film de Paul Greengrass restitue cette journée en se basant sur le rapport de la commission d’enquête de 1998.

Le Bloody Sunday
Le Bloody Sunday
Le Bloody Sunday
Le Bloody Sunday
Le Bloody Sunday
Le Bloody Sunday
Le Bloody Sunday
Le Bloody Sunday

Louis Auguste Blanqui naît dans les Alpes-Maritimes le 8 février 1805. Il monte à Paris à l’âge de treize ans pour étudié à l’école où enseignait son frère aîné. Il s’engagea très vite dans le républicanisme révolutionnaire opposé au pouvoir monarchique. A dix-sept ans, il milite contre le procès des quatre sergents de la Rochelle, condamnés à mort pour avoir adhéré à la société secrète révolutionnaire de la Charbonnerie. Blanqui est lui-même « carbonaro » depuis 1824. En 1827, il est blessé par trois fois lors des manifestations d’étudiants.

En 1830, il est membre de l’association républicaine connue sous le nom de « Conspiration La Fayette », qui joue un grand rôle dans la préparation de la Révolution de 1830, à laquelle Blanqui participe activement. Après la révolution, il adhère à la « Société des amis du peuple ». En janvier 1831, alors qu’il est étudiant en droit, au nom du « Comité des Écoles », il rédige une proclamation menaçante et à la suite de manifestations, il est emprisonné pendant trois semaines. Il est de nouveau arrêté et inculpé de complot contre la sûreté de l’État. Après un nouveau séjour en prison, il reprend ses activités révolutionnaires à la « Société des familles », que continue en 1837 la « Société des saisons ». Il devait désormais passer une grande partie de sa vie -36 ans au total!- en prison, et on l’appela: L’Enfermé.

Le 6 mars 1836, il est arrêté, fait huit mois de prison, puis est placé en liberté surveillée à Pontoise. Le 12 mai 1839, de retour à Paris, il participe avec Barbès à l’insurrection qui s’empare du Palais de justice, échoue à prendre la Préfecture de police, et occupe un instant l’Hôtel de ville. On comptera 50 tués et 190 blessés. Après l’échec de l’insurrection, il reste caché cinq mois, mais il est arrêté le 14 octobre. Le 14 janvier 1840, il est condamné à mort. Sa peine étant commuée en prison perpétuelle, il est enfermé au Mont-Saint-Michel. En 1844, son état de santé lui vaut d’être transféré à la prison-hôpital de Tours, où il reste jusqu’en avril 1847.

Une fois libéré, il s’associe à toutes les manifestations parisiennes de mars à mai pendant la Révolution de 1848. Le recours à la violence de la Société républicaine centrale, qu’il a fondée pour exiger un gouvernement populaire, le met en conflit avec la droite républicaine. Arrêté après le 26 mai 1848, il est enfermé à Vincennes et répond à une campagne de calomnie par un texte fameux : Réponse du citoyen Auguste Blanqui. La Haute Cour de justice de Bourges le condamne à dix ans de prison, et envoyé à Doullens. En octobre 1850, il est incarcéré à Belle-Île-en-Mer ; en décembre 1857, à Corte ; puis, en 1859, déporté à Mascara, en Algérie, jusqu’au 16 août 1859. Dès sa libération il reprend sa lutte contre l’Empire. Le 14 juin 1861, il est arrêté, condamné à quatre ans de prison, et enfermé à Sainte-Pélagie. Il s’évade en août 1865, et continue sa campagne de propagande contre le gouvernement depuis son exil en Belgique, jusqu’à ce que l’amnistie générale de 1869 lui permette de revenir en France.

C’est au cours de ces années qu’un parti blanquiste naît et s’organise en sections. Blanqui rédige alors son Instruction pour une prise d’arme (1866) doctrine militaire révolutionnaire étudiant les conditions, tactiques et mesures nécessaires à une insurrection victorieuse. Les blanquistes initient deux insurrections: le 12 janvier, lors des funérailles de Victor Noir (journaliste tué par le prince Pierre Bonaparte, cousin de Napoléon III) et le 14 août, lorsqu’un groupe d’insurgés tente de s’emparer d’un dépôt d’armes.

Son action se poursuit jusqu’à la chute de Napoléon III et après la proclamation de la Troisième République, le 4 septembre 1870. Blanqui crée alors un club et un journal, La patrie en danger, qui soutient la résistance de Gambetta. Blanqui fait partie du groupe insurrectionnel qui occupe l’Hôtel de ville le 31 octobre 1870. Le 9 mars, il est condamné à mort par contumace. Thiers, chef du gouvernement, conscient de l’influence de Blanqui sur le peuple parisien, le fait arrêter le 17 mars 1871 alors que, malade, il se repose chez un ami médecin dans le Lot. Il emmené à Morlaix où il est emprisonné au château du Taureau. Lors de la Commune de Paris, Blanqui, emprisonné loin de la ville, est élu dans de nombreux quartiers. Conscient de l’importance, Thiers refuse de le libérer en échange de 74 prisonniers de la Commune, dont un archevêque.

Une majorité de Communards se reconnaissaient en Blanqui. Blanqui incarne cette phase de transition où le prolétariat français s’affranchissait progressivement des tribuns et des théoriciens représentant la petite-bourgeoisie révolutionnaire républicaine – au mieux babouviste. Les ouvriers français étaient encore étroitement liés aux milieux des petits producteurs indépendants d’où ils étaient issus pour la plupart et qui, malgré l’essor de l’industrie, constituaient encore la majorité de la population laborieuse. Les théories marxistes, incarnant les intérêts de classe purement prolétariens, étaient alors marginales en France. Dans ce cadre et dans ces limites, Blanqui était hautement apprécié par Marx considéré par lui « comme la tête et le cœur du parti prolétaire en France »; Marx pensait que Blanqui était le dirigeant qui a fait défaut à la Commune.

Blanqui est un vrai socialiste, favorable à la collectivisation des moyens de production, comme l’indique son texte Qui fait la soupe doit la boire (Sa principale publication, Critique sociale, est posthume), mais il se soucie davantage de la révolution que du devenir de la société après elle. Il ne décrit pas la société socialiste à venir et diffère en cela des socialistes utopiques comme Proudhon ou Fourrier. S’il reconnait dans les ouvriers parisiens la principale force capable d’établir la République égalitaire, Blanqui diffère des marxistes en ne se repose pas sur un parti de classe mais sur une organisation clandestine révolutionnaires, déclenchant l’insurrection lorsque les conditions sont réunies (préparatifs militaires de la société secrète et dispositions subjectives du peuple à l’insurrection). Blanqui n’est donc pas non plus un anarchiste: son organisation de révolutionnaires déclenche et dirige la révolution, établit le nouveau régime qui remet ensuite seulement le pouvoir au peuple.

Ramené à Paris après l’écrasement de la Commune, Blanqui est jugé le 15 février 1872, et condamné avec d’autres Communards, à la déportation, peine commuée en détention perpétuelle, eu égard à son état de santé. Il est interné à Clairvaux. En 1877, il est transféré au château d’If. Le 20 avril 1879, il est élu député de Bordeaux, mais son élection est invalidée. Bénéficiant d’une amnistie générale, Blanqui est libéré le 11. Il parcourt alors la France et fonde en 1880 un journal, Ni Dieu ni maître, qu’il dirige jusqu’à sa mort. Après avoir prononcé un discours au cours d’un meeting révolutionnaire, il meurt d’une crise d’apoplexie le 1er janvier 1881. Ses obsèques au cimetière du Père-Lachaise sont suivies par 100.000 personnes.

Deux textes de Blanqui:

Qui fait la soupe doit la manger (1834)
Qui fait la soupe doit la manger (1834)

Auguste Blanqui, « L’Enfermé »
Auguste Blanqui, « L’Enfermé »
Auguste Blanqui, « L’Enfermé »
Auguste Blanqui, « L’Enfermé »
Auguste Blanqui, « L’Enfermé »
Auguste Blanqui, « L’Enfermé »

Quinze ans après la fin de la guerre, les néo-fascistes du Mouvement Social Italien participent au gouvernement (en coalition avec les monarchistes et la Démocratie Chrétienne) et décident d’organiser leur sixième congrès le 2 juillet 1960 à Gênes. C’est une provocation: la ville de Gênes est la médaille d’or de la Résistance, les contre-manifestants se déchaînent et le Congrès doit être annulé. Les fascistes multiplient les attentats contre les locaux du PCI tandis que des manifestation antifascistes ont lieu dans tout le pays. Le 5 juillet, à Licata, dans le sud de la Sicile, la police tue un manifestant et en blesse quatre autres.

En réaction aux événements de Gênes et de Licata, une grève générale et une manifestation de masses sont organisées le 7 juillet à Reggio Emilia. 20.000 travailleurs défilent, 600 d’entre eux vont ensuite assister au meeting du syndicat CGIL à la Sala Verdi et 300 autres se rassemblent devant le monument aux morts pour chanter des chansons de lutte, malgré l’interdiction de rassemblements dans les lieux publics. Des centaines de policiers anti-émeutes interviennent et tirent à hauteur d’homme à balles de guerre.

Cinq manifestants, touts membres du PCI, dont un ancien partisan, sont tués: Lauro Farioli, Ovidio Franchi, Emilio Reverberi, Marino Serri, Afro Tondelli. Vingt autres manifestants sont blessés. Toute la région sera choquée par l’événement et le cortège funéraire sera immense. Après cet incident, le gouvernement DC-MSI Tambroni démissionne mais personne ne sera condamné pour ce massacre.

Les déceptions de l’après-guerre pour les partisans et la volonté du PCI de « ne pas envenimer les choses » (Le service d’ordre du PCI avait établi des barrages pour empêcher les militants et les anciens partisans de venir armé au cortège) ont créé en réaction une tendance de masse à la radicalisation, hors du contrôle du PCI . Si, quelques années plus tard, Les Brigades rouges pourront compter sur base sociale assez large à Reggio Emilia, c’est en bonne partie en raison de l’expérience qu’avait la ville de la répression de l’état et de la complicité passive du PCI.

La chanson Fausto Amodei Pour les morts de Reggio Emilia perpétuera la mémoire du massacre et deviendra extrêmement populaire. Fausto Amodei est un auteur-compositeur-interprète né à Turin en 1934. En 1958, il est parmi les fondateurs du groupe des Cantacronache, premier vrai mouvement pour une chanson populaire et politique en Italie. Sa chanson, qui fait le lien avec la lutte partisane par plusieurs références bien connues à l’époque, connaîtra un grand nombre d’interprétations et servira de base à plusieurs autres chansons. Avec des paroles adaptées, elle sera chantée par les supporters de l’AC Milan et, après la mort de Carlo Guilliani, à Gênes, une nouvelle version circulera intitulée Per i morti di Reggio Emilia, e non solo (Pour les morts de Reggio Emilia et pas seulement).

Voici le texte original et sa traduction:

Compagno cittadino fratello partigiano

teniamoci per mano in questi giorni tristi

Di nuovo a reggio Emilia di nuovo la` in Sicilia

son morti dei compagni per mano dei fascisti

Di nuovo come un tempo sopra l’Italia intera

Fischia il vento infuria la bufera

A diciannove anni e` morto Ovidio Franchi

per quelli che son stanchi o sono ancora incerti

Lauro Farioli e` morto per riparare al torto

di chi si gia` scordato di Duccio Galimberti

Son morti sui vent’anni per il nostro domani

Son morti come vecchi partigiani

Marino Serri e` morto e` morto Afro Tondelli

ma gli occhi dei fratelli si son tenuti asciutti

Compagni sia ben chiaro che questo sangue amaro

versato a Reggio Emilia e` sangue di noi tutti

Sangue del nostro sangue nervi dei nostri nervi

Come fu quello dei Fratelli Cervi

Il solo vero amico che abbiamo al fianco adesso

e` sempre quello stesso che fu con noi in montagna

Ed il nemico attuale e` sempre ancora eguale

a quel che combattemmo sui nostri monti e in Spagna

Uguale la canzone che abbiamo da cantare

Scarpe rotte eppur bisogna andare

Compagno Ovidio Franchi, compagno Afro Tondelli

e voi Marino Serri, Reverberi e Farioli

Dovremo tutti quanti aver d’ora in avanti

voialtri al nostro fianco per non sentirci soli

Morti di Reggio Emilia uscite dalla fossa

fuori a cantar con noi Bandiera Rossa!

Camarades citoyens, frères partisans

Tenons-nous par la main en ces jours tristes

De nouveau à Reggio Emilia, de nouveau là-bas en Sicile

Des camarades sont morts, tués par des fascistes.

De nouveau comme autrefois, sur l’Italie tout entière

le vent hurle et la tempête fait rage.

Ovidio Franchi est mort à dix-neuf ans

Pour ceux qui se sont lassés où sont encore indécis

Lauro Farioli est mort pour réparer la faute

de ceux qui ont déjà oublié Ducio Galimberti

[résistant fusillé par les nazis en 1944]

Ils sont morts à vingt ans pour notre avenir

Ils sont morts comme de vieux partisans

Marino Serri est mort, et mort est Afro Tondelli

Mais les yeux des frères restent secs

Camarades, que ce soit bien clair, ce sang si amer

versé à Reggio Emilia c’est notre sang à tous

Sans de notre sang, nerfs de nos nerfs

Comme l’étaient ceux des frères Cervi

[une célèbre famille de cinq frères tous partisans]

L’ennemi actuel, c’est toujours et encore le même

C’est celui que nous combattions dans nos montagnes et en Espagne.

C’est toujours la même chanson que nous devons chanter

Les chaussures déchirées, il faut pourtant avancer

[ce dernier vers est d’un célèbre chant partisan: Fischia el vento]

Camarade Ovidio Franchi, camarade Afro Tondelli

Et vous Marino Serri, Reverberi et Farili

Nous devrons tous ensemble dorénavant

vous voir à nos côtés pour ne pas nous sentir seuls

Morts de Reggio Emilia! Sortez de la tombe!

Sortez avec nous pour chanter Bandiera Rossa.

« Per i morti di Reggio Emilia »
« Per i morti di Reggio Emilia »
« Per i morti di Reggio Emilia »

La Pinkerton National Detective Agency est une agence américaine privée de détectives créée par Allan Pinkerton en 1850 qui fait régner la loi, faute de police, au Far West. Dès 1877, elle se met au service du patronat pour briser le mouvement syndical naissant dans tout le pays. Ses agents sont payés pour infiltrer les syndicats et les usines, pour briser les piquets de grève, pour faire entrer de force les jaunes dans les usines en grève, etc. Les Pinkertons jouèrent un rôle de provocateur en 1886 dans le massacre de Haymarket, à Chicago, qui est à l’origine de la journée de grève internationale du 1er mai (voir ici l’épisode du feuilleton consacré à cet épisode).

Les Pinkertons escortent des briseurs de grève à Buchtel (1884)

Pinkerton s’illustra lamentablement en 1892, dans la deuxième plus grande bataille de l’histoire du syndicalisme aux États-Unis (après celle de Blair Mountain) : la grève de Homestead. Cette lutte opposait la Amalgamated Association of Iron and Steel Workers (AA) à la Carnegie Steel Company.
L’AA, forte de 25.000 membres, était à l’époque l’organisation syndicale la plus puissante du mouvement ouvrier américain. Au cours des années 1880, l’AA s’implique dans les aciéries de Homestead. Le directeur de l’une d’elle, l’usine Carnegie Steel, Henry Clay Frick, s’était donné pour but de briser le syndicat.
Le 1er juillet 1889, l’échec des négociations d’une nouvelle convention collective entraîne une grève de l’AA. Les grévistes s’emparent de la ville et le 10 juillet, avec l’aide de milliers d’habitants, repoussent des briseurs de grèves engagés par la compagnie.
La convention collective négociée suite à cette grève prit fin le 30 juin 1892. L’industrie de l’acier se portant bien, l’AA demande une augmentation de salaire pour ses membres. A l’inverse, Frick propose une baisse de salaire ainsi que la coupure de postes prévus par la convention précédente.
Frick avait préparé la lutte : il avait accumulé des stocks de marchandises. Dès janvier, il avait fait construire autour de l’usine une clôture surmontée de barbelés. Des tours de gardes avec des phares étaient construites près de chaque bâtiments. En avril, il charge l’agence Pinkerton d’assurer la sécurité des installations.
Le 29 juin, Frick lock-oute toute l’usine.
Dans l’assemblée générale tenue le lendemain 3000 ouvriers sur 3500 votent la grève (alors que seuls 800 étaient affiliés à l’AA). Tandis que la compagnie publie des annonces pour trouver des briseurs de grève dans les journaux, jusqu’à Boston, Saint-Louis et même en Europe, les grévistes décident de garder l’usine fermée. Il s’emparent de plusieurs embarcations afin de patrouiller sur la rivière Monongahela qui longe les installations. Ils établissent des piquets de grève et effectuent des tours de garde 24 heures sur 24. Les ferry et trains sont surveillés pour prévenir l’arrivée de jaunes. Les étrangers sont interrogés sur leur présence en ville et ceux qui n’étaient pas attendus sont escortés hors des limites de la ville.
Le 4 juillet, Frick demande formellement l’intervention du shérif, qui ordonne en vain aux lockoutés de laisser entrer les briseurs de grève dans l’usine.
La nuit du 5 juillet, à 22h30, 300 Pinkertons armés de Winchester, recrutés par Frick avec l’aval du shérif, remontent la rivière dans deux embarcations pour chasser les grévistes de l’usine. L’AA est mise au courant. Une petite flotte d’embarcations de grévistes descend la rivière à la rencontre des agents. Ils tirent quelques coups au hasards vers les embarcations des agents, puis alertent les autres. Les grévistes font hurler la sirène de l’usine à 2h30. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants accourent sur les lieux.
Les agents, voulant bénéficier du couvert de l’obscurité, tentent de mettre pied à terre aux environs de 4 heures du matin. Des coups de feu sont échangés. Les deux premiers blessés sont le chef des Pinkerton et un travailleur. À ce moment, les Pinkertons ouvrent le feu sur la foule, tuant deux personnes et en blessant 11 autres. La foule riposte, tue également 2 personnes et en blesse 12. Les grévistes se cachent derrière des installations et les agents percent des trous à travers les côtés des embarcations afin de pouvoir tirer sur tout ce qui peut les approcher. Les grévistes se mettent à construire un rempart plus haut sur la rive à l’aide de poutres d’acier. Les Pinkertons rembarquèrent mais, attaqués de tous côtés, ils durent se rendre. La foule furieuse les roua de coups, les ramena en ville et ils quittèrent la ville ignominieusement, par train spécial, le lendemain.

Un des postes de tir des grévistes


Les Pinkertons après leur reddition

Les grévistes gardant le contrôle des environs, l’Etat finit par s’en mêler : le gouverneur (qui avait été élu avec l’appui de Carnegie) dépêcha la milice : 6000 hommes équipés des armes les plus récentes. Les principaux responsables de la grève furent accusés de meurtre. 160 autres grévistes furent jugés pour divers crimes. Tous furent acquittés par des jurys compréhensifs.
Cependant, les miliciens avaient permis l’entrée des jaunes dans l’usine. Ils y arrivaient souvent dans des wagons blindés en ignorant pour la plupart leur destination. L’usine produisait de l’acier tandis que les grévistes épuisaient leurs ressources. Après quatre mois, ils acceptèrent de retourner au travail et les meneurs furent mis sur liste noire… L’AA ne se remis jamais de cette défaite, le nombre de ses affiliés passa en un an de 25.000 à 8.000.
Au cours de la grève, Alexander Berkman, un jeune anarchiste de New York décida en accord avec quelques anarchistes, dont sa compagne Emma Goldman, de se rendre à Pittsburgh pour abattre Henry Clay Frick. Il réussit à pénétrer dans son bureau mais il ne fit que le blesser. Berkman fut capturé, emprisonné et finalement jugé pour tentative de meurtre. Il passa quatorze ans au pénitencier de l’Etat.

Alexander Berkman tire sur Henry Clay Frick

La débacle des Pinkertons à Homestead n’empêcha pas l’agence de rester le fer de lance des luttes anti-syndicales. C’est ainsi que l’été 1917 à Butte, dans le Montana, ils brisent la grève des mineurs de l’Anaconda Copper Company. Il est probable que le commando qui enleva et assassinat (en le pendant à un pont) le dirigeant de la grève, Frank Little, était composé de Pinkertons. C’est d’ailleurs pour ne pas collaborer aux campagnes anti-grèves que Dashiell Hammett démissionna de l’agence Pinkerton. Aujourd’hui, l’agence Pinkerton emploie 48 000 détectives. Elle a été rachetée en 2003 par la multinationale suédoise de la sécurité : le groupe Securitas AB (320.000 salariés).

Les Pinkertons escortent des briseurs de grève à Buchtel (1884)
Un des postes de tir des grévistes
Les Pinkertons après leur reddition
Alexander Berkman tire sur Henry Clay Frick

1. Apparition et action

Le groupe Rouvikonas (« Rubicon ») a été créé à la fin 2013.
Il appartient à une tradition anarchiste athénienne qui remonte aux années 1970 et a eu pour première base le Vox, un bar squatté situé au coeur du quartier d’Exarchia, plusieurs fois attaqué (par la police, par les fascistes, par les mafias) mais toujours au centre de la scène anarchiste athénienne.
«Au départ, nous étions un collectif de soutien aux prisonniers politiques, on se concentrait avant tout sur les émeutes», raconte l’un des fondateurs. «Mais on a vite pris conscience des limites de cette forme de manifs de masse. On s’est dit qu’il fallait attaquer l’État différemment, avec des frappes plus chirurgicales.» Exemple : l’attaque contre « Tiresias ».

En décembre 2015, au nord d’Athènes, 14 membres de Rouvikonas arrivent casqués sur des motos et dévastent rapidement les bureaux de « Tiresias ». Cette administration recense, dans une immense base de données, la liste des emprunteurs insolvables de façon à les expulser de leur logement et à saisir leurs biens, notamment depuis la récente réforme du code civil accordée par Tsipras à la Troïka. Aucun ordinateur ou imprimante n’aurait échappé aux coups de marteau.

Les bureaux de Tiresias

Profitant du chômage de masse, des conditions de vie misérables et de la casse du droit du travail, les conditions de travail deviennent insupportables en Grèce, le stress quotidien, les cas de harcèlement moral et sexuel se multiplient et les salaires sont parfois payés après trois mois, six mois, voire un an à des personnes qui ont déjà énormément de mal à se loger, à se soigner et à nourrir leur famille. Le nombre des suicides de travailleurs et travailleuses augmente, ainsi que celui des décès directement liés au stress, à la prise de risque ou à la fatigue. Après la mort au travail, d’épuisement, d’une employée au ramassage des ordures de la municipalité de Zografou, dans l’est d’Athènes, Rouvikonas attaque en juillet 2017, à coups de massue et de peinture, la Mairie de Zografou.

La mairie de Zografou

En septembre 2017, le notaire athénien Nikos Papatheou, spécialisé dans la saisies d’appartements appartenant à des grecs qui ne sont plus en mesure de payer leurs taxes d’habitation, sera la cible de Rouvikonas. Il venait de rentrer de la Cour de cassation dans son étude quand six personnes cagoulées y pénètrent et la dévastent, détruisant dossiers et ordinateurs.
Toujours en septembre, le groupe attaque les bureaux de Turkish Airlines en solidarité avec les opposant.e.s persécuté.e.s en Turquie, et particulièrement les enseignant.e.s Nuriye et Semih en grève de la faim.

En novembre 2017, Rouvikonas attaque l’ambassade d’Arabie Saoudite dans la zone de Paleo Psychiko à Athènes. La vidéo de revendication dénonce le régime monarchiste saoudien et la guerre qu’il mène au Yemen, et dénonce l’hypocrisie du gouvernement de Syriza qui d’un côté vote un embargo d’arme et de l’autre en fait le commerce avec ce pays.
Le groupe se développe et rassemble bientôt une soixantaine personnes. Les actions « coup de poing », qui étaient naguère organisées une fois par mois, sont désormais presque hebdomadaires. Ses actions sont souvent filmées et montées sur fond de My Favorite Mutiny (du groupe The Coup), mis en ligne moins d’une heure après les faits.

Rouvikonas s’en est pris à des cabines de péage dans le Péloponnèse, au ministère de la Défense, au palais de justice de Larissa, à l’ambassade d’Espagne, au comptoir d’enregistrement de la compagnie El Al à l’aéroport international Elefthérios-Venizélos, à ceux du FMI et de la Banque centrale européenne, le bureau d’OXFAM, le siège de Novartis, etc. En mars dernier, quelques militants se sont rendus dans la municipalité de Peristeri, jusqu’au siège d’ADMIE, le fournisseur national d’électricité, qui coupait depuis peu les compteurs des foyers en retard de paiement. Ils vont y casser les pare-brise des voitures de l’entreprise et quatre ou cinq fenêtres du bâtiment.

Attaque contre les voitures d’ADMIE

Le 22 avril, des membres du groupe Rouvikonas ont mené une action en plein jour devant l’ambassade et le consulat de France à Athènes. Ils ont notamment aspergé de peinture rouge les façades sur toute leur longueur pour protester contre la répression subie par les grévistes en France, les zadistes, les étudiant.e.s, les migrant.e.s, les solidaires, les précaires, les retraité.e.s, ainsi que pour protester contre les bombardements en Syrie.
En mai ils s’introduissent chez un notaire qui pratique les ventes aux enchères des saisies. Leurs bureaux sont saccagés. Toujours en mai, une trentaine de membres du groupe forcent l’entrée de la radio-télévision grecque ERT pour y faire lire une déclaration.

Rouvikonas forçant l’entrée des studios de l’ERT (archive)

70 militants, membres de trois collectifs (Rouvikonas, Neas Philadelfia et Free Initiative de Thessalonique), envahissent le siège du Conseil d’état dans la banlieue d’Athènes, brisent portes et fenêtres, jettent des bouteilles de peinture sur la façade, détruisent les portiques de sécurité et d’autres choses, et repartent avant l’arrivée de la police. Le Conseil d’État venait d’approuver des mesures d’austérité amputant les pensions et retraites…

Le Conseil d’État

2. Autres activités

Les raids destructeurs ne sont pas la seule activité de Rouvikonas.
Le groupe a réalisé des manifestations (intrusion au Parlement grec) et des occupations spectaculaires, comme celle du grand bâtiment interministériel à Thessalonique, alors que le premier-ministe Tsipras allait s’y rendre pour annoncer une nouvelle série de mesures antisociales (occupation réalisée avec le groupe Initiative libertaire de Thessalonique).

Rouvikonas cherche également des lieux d’hébergement pour les réfugié.e.s au sein des bâtiments abandonnés du centre d’Athènes, et empêche la police et les fascistes d’accéder à ces squats. C’est ainsi qu’en novembre 2016 des affrontements violents ont eu lieu autour de l’avenue Alexandras, entre Exarchia et Ambelokipi. Quelques dizaines de néo-nazis étaient venus, sur le chemin du tribunal, comme à leur habitude, harceler des réfugié.e.s occupant des immeubles abandonnés. Rouvikonas avait préparé un tel comité d’accueil que la police a dû voler à leur secours. Tout le quartier a été noyé de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogène à tel point qu’il a fallu évacuer des malades de l’hôpital voisin.

Rouvikonas a utilisé les bénéfices du Vox pour envoyer, à moto, trois de ses membres dans la ville assiégée de Raqqa où ils y ont aidé les Kurdes syriens à chasser l’État islamique de la ville.

Tag à Raqqa : “Rouvikonas, Raqqa, 2017”

Le groupe distribue aussi des médicaments et aide les associations du secteur sanitaire et social à mettre en place des dispensaires pour les malades.

3. Répression et solidarité

Suite à toutes ces actions le collectif Rouvikonas croule sous les procès. En 2015 déjà, sept personnes avaient été arrêtées suite à l’attaque contre « Tiresias ». 17 personnes ont été arrêtées après l’invasion des studios de l’ERT, deux ont été arrêtées et emprisonnées après l’attaque contre l’ambassade de France et un autre après l’attaque contre le notaire.

Ces poursuites s’ajoutent à celles consécutives à des manifestations, occupations, intrusion au Parlement etc. Les membres de Rouvikonas sont écrasés par d’importants frais de justice.
Une large solidarité se développe, passant en France par une récolte de fonds via cette adresse :

https://www.lepotcommun.fr/pot/mjj83sy2

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