Ce mercredi 21 novembre s’est tenu à la 50e chambre correctionnelle le procès en opposition de notre camarade Thierry Delforge, condamné en première instance et par défaut à un an de prison dont six mois avec sursis. Une grosse septantaine de personnes s’étaient rassemblées sur les marches du Palais de justice pour marquer leur solidarité avec Thierry. Plusieurs dizaines d’entre elles ont suivi l’audience, au visible déplaisir d’une cour peu habituée à siéger devant (pour reprendre l’expression du juge) des ‘supporters’. Les relations entre la cour et l’auditoire étaient tendues. La procureur s’est signalée par une attitude provocatrice, refusant ostensiblement d’employer son micro, s’arrangeant ainsi pour n’être comprise que de ses seuls comparses.

L’avocat de Thierry a traité séparément les deux préventions. Il a exposé que Thierry assumait totalement la première (le bombage de solidarité) et a replacé cette initiative dans son contexte, c’est-à-dire dans la lutte contre la directive européenne de régression sociale dérégularisant le travail des dockers. Remarquant que l’infraction était mineure et qu’elle ne valait jamais, d’ordinaire, de poursuites devant les tribunaux (sans quoi les tribunaux n’en finiraient pas de voir comparaître les taggeurs), il a demandé la suspension du prononcé.

Pour la deuxième prévention, il a demandé qu’elle soit tout bonnement tenue pour nulle et non avenue tant elle était risible. Rappelons qu’il s’agissait de ‘transport d’armes prohibées’. Thierry a rappelé que la machette et la serpette étaient dans le coffre de sa voiture (il ne se trimbalait pas en ville une machette à la main !) et qu’elles lui servaient sur la petite parcelle de bois qu’il possède en Ardennes. L’avocat a établi que la machette venait de la quincaillerie de Couvin et la serpette du Brico, et qu’ainsi, il suffisait à la police d’établir un contrôle à la sortie du Brico pour remplir les tribunaux de personnes poursuivies pour ‘transport d’armes prohibées’…

La procureur a tenté d’expliquer que Thierry avait été poursuivi par une sorte d’automatisme judiciaire, parce qu’il n’avait pas voulu renoncer à ce que la police avait saisi. La police avait besoin d’une condamnation pour détruire les ‘armes’ en question. Thierry et l’avocat ont clairement mis au point qu’à l’origine de cet ‘automatisme’, il y avait un geste hostile et politique des policiers qui ont saisi comme élément à charge du matériel politique (drapeau, affiche) et qui ont identifié comme ‘armes’ ce qui était clairement des outils (des copeaux de bois y adhéraient encore). La police avait non seulement saisi ces deux outils mais aussi un drapeau palestinien, une affiche du Bloc Marxiste-Léniniste, un jerrican d’essence deux-temps (pour tronçonneuse), une boite d’allumettes et les mémoires du maréchal Molotov. La saisie du livre de Molotov et de l’essence devait résulter, a suggéré Thierry, d’une sorte de réflexe pavlovien policier (essence + molotov + allumettes). Mais le tout met clairement en évidence que Thierry a été ‘chargé’ par les policiers qui avaient, de plus, été particulièrement agressifs lors de l’interpellation.

[rouge]Verdict le 12 décembre. Maintenons notre solidarité![/rouge]

Thierry Delforge à l’entrée du tribunal

Compte-rendu de Thierry – format doc

Manif devant le palais de justice pour Thierry Delforge

Rassemblement pour Thierry Delforge

Manif pour Thierry Delforge

[rouge]Rendez-vous. Soirée de solidarité[/rouge]

Ces poursuites ont déjà valu à Thierry plusieurs centaines d’euros de frais d’avocat. Acquittement ou condamnation, il ne faut pas que Thierry soit financièrement touché par cette affaire. Un repas de solidarité est organisé au Centre Garcia Lorca, rue des Foulons à 1000 Bruxelles, le vendredi 30 novembre à partir de 19h. Il s’agit simplement de manger ensemble, venez nombreux et amenez vos amis !

Vous pouvez également contribuer à son soutien en versant quelque argent au compte ‘solidarité communiste’ avec la mention ‘procès Thierry’. Compte solidarité communiste : 034-1827469-51

Thierry Delforge à l'entrée du tribunal
Manif devant le palais de justice pour Thierry Delforge
Rassemblement pour Thierry Delforge
Manif pour Thierry Delforge

Tract pour Thierry Delforge

Rappel des faits

Début 2006, les dockers et les travailleurs de toute l’Europe se mobilisent contre une directive européenne qui autorise leur remplacement par les marins, sous-payés et doublement exploités, pour les travaux de charge et décharge dans les ports. Cette directive visait uniquement à augmenter encore les profits des grands armateurs, sans même fournir un bénéfice quelconque pour les travailleurs embarqués de pays non européens, avec lesquels les dockers déclarent d’ailleurs leur solidarité. Dix mille dockers étaient venus à Strasbourg de tous les ports de l’Europe pour protester, le 16 janviers 2006, contre cette directive. Ils avaient dispersé les policiers français et démoli la façade vitrée du parlement européen. Treize dockers, dont neuf belges, seront alors arrêtés. Un Comité pour la défense des dockers est rapidement mis sur pied à Bruxelles. La campagne de solidarité commence par plusieurs distributions de tracts. Elle se poursuit, le 6 février, par une soirée de soutien et, le 9 février, par un rassemblement devant la résidence de l’ambassadeur de France. Le Secours rouge/APAPC était parmi les forces fondatrices de ce Comité.

Le 21 janvier, la police de Bruxelles arrêtait notre camarade Thierry Delforge (alias ‘le professeur’) en compagnie de deux autres membres du Secours Rouge. Thierry est un militant politique et syndical bien connu. Membre actif du Secours Rouge depuis de nombreuses années, il est présent sur tous les fronts de la solidarité, de l’aide aux sans-papiers à la campagne pour l’acquittement des militants et sympathisants du DHKC poursuivis en Belgique. La police l’a accusé d’avoir participé au bombage du mur d’un entrepôt de la ville de Bruxelles, et a trouvé dans le coffre de sa voiture des couteaux d’abattage dont il usait pour des travaux de débroussaillage.

Le 28 mars 2007, au tribunal de première instance de Bruxelles, cela est devenu ‘destruction partielle’ du mur et ‘transport d’armes prohibées’. Le tribunal condamne Thierry (en son absence) à un an d’emprisonnement auquel il en sera sursis pendant cinq ans pour la moitié. Cela signifiait qu’il devait purger six mois de prison fermes. Thierry a fait opposition à ce jugement et doit repasser en procès.

Bombage en soutien aux dockers

Attendus du tribunal contre Thierry – format pdf

Tract pour Thierry Delforge
Bombage en soutien aux dockers

« Je suis ici pour accuser, non pour me défendre ! »
Karl Liebknecht à son procès (Berlin, 1916)

Lors d’un procès, une « défense de rupture » (appelée aussi « stratégie de rupture ») implique que l’accusé se fait accusateur, considère que le tribunal n’a pas la légitimité, prend l’opinion à témoin ou s’adresse à la société par dessus la tête du tribunal. La « défense de rupture » s’oppose à la « défense de connivence », qui est classiquement plaidée, et qui suppose une reconnaissance de la justesse et de la validité des lois, de la légitimité des tribunaux.

La défense de rutpure est aussi ancienne que le procès politique. C’était déjà la position adoptée par Socrate. Lors du débat sur la peine, les juges devaient, non pas déterminer leur propre sentence, mais choisir parmi les propositions des deux parties du procès. L’accusateur Mélétos demanda la mort. Socrate aurait pu proposer une peine qui pût être acceptée par les juges, par exemple une forte amende. Mais il déclara qu’avec ce qu’il avait fait pour la Cité, il méritait d’être hébergé et nourri à ses frais pour le reste de ses jours …

La mort de Socrate, par David

Le procès de rupture le plus célèbre fut celui de l’incendie du Reichstag, siège du parlement allemand à Berlin, qui brûla la nuit du 27 au 28 février 1933. Immédiatement exploité par les nazis, il est suivi par la proclamation d’état d’exception et des dizaines de milliers d’arrestations (principalement de communistes allemands), le nazi Hermann Göring (alors ministre de la justice de la Prusse), le présentant que le signal du début de l’insurrection communiste.
Le principal accusé Dimitrov, un des dirigeants de l’insurrection communiste bulgare de 1923 et condamné à mort par contumace, quitte la Bulgarie pour l’Union soviétique où il devient responsable de l’internationale Communiste. Le 9 mars 1933, il est arrêté en Allemagne alors qu’il voyageait clandestinement, sous le prétexte de complicité dans l’incendie du Reichstag. Devant la presse internationale, Dimitrov tient tête à Goebbels et à Göring à qui il fait perdre son calme en pleine audience, il accuse les nazis d’avoir eux-mêmes fait incendier le Reichstag, fait voler en éclat la thèse officielle et transforme le procès en tribune antinazie. Ce procès lui vaudra une renommée mondiale et dissuadera les nazis de faire d’autres grands procès publics contre des dirigeants communistes. Acquitté après une année d’incarcération, il est expulsé en URSS qui lui a conféré la citoyenneté soviétique.

Une première théorisation avait été faite par Marcel Willard, un avocat communiste, dans son livre La Défense accuse (Editions sociales, 1938, réédité en 1951). Lénine, rapporte-t-il, avait fixé cette ligne de conduite dès 1905, à tous les Bolcheviks traduits en justice : « Défendre sa cause et non sa personne, assurer soi-même sa défense politique, attaquer le régime accusateur, s’adresser aux masses par dessus la tête du juge… »

Dès son premier dossier que Jacques Vergès a géré en tant qu’avocat (celui de la société qui logeait les travailleurs imigreés), Vergès s’engage dans une « défense de rupture ». Vergès milite ensuite pour le FLN et défend leurs combattants. Il est notamment l’avocat de Djamila Bouhired, militante du FLN capturée par les paras français, torturée puis jugée pour attentat à la bombe durant la bataille d’Alger, notamment au Milk-Bar (cinq morts et 60 blessés). Cette défense lui vaut un an de suspension du barreau, en 1961.

Djamila Bouhired

Ce n’est qu’après l’avoir ainsi pratiquée que Jacques Vergès la théorisa, dans son fameux De la stratégie judiciaire (Éditions de Minuit, 1968, réédité en 1981) qui expose que « Le but de la défense n’est pas tant de faire acquitter l’accusé que de mettre en lumière ses idées ». Ce livre-culte inspira des générations d’avocats,
Selon lui (et en cela consiste son apport théorique par rapport à Marcel Willard), dans les situations de confrontations extrêmes, la stratégie de la rupture est en définitive la plus efficace pénalement. Alors que précédemment dans les procès politique, la défense de connivence sauvait les têtes et les procès de rupture gagnaient la cause. Vergès faisait remarquer que si ses clients, qui étaient devenu des symboles par leurs positions de rupture, par le fait qu’ils incarnaient leur cause, avaient été condamnés à mort (à commencer Djamila Bouhired), les autorités françaises n’avaient oser exécuter aucun d’entre eux (à la différence d’autres militants, défendus classiquement).

De la stratégie judiciaire

Le procès de rupture se distingue du procès de « présence offensive » ou d’autres tactiques de procès politiques. Le Secours Rouge International a publié en novembre 2010 une brochure sur ces différentes tactiques et stratégies intitulée : Le procès politique théorie et pratique, principes et tactiques.

Le procès politique : théorie et pratique, principes et tactiques

Le contenu de ce numéro

La mort de Socrate, par David
La défense « de rupture »
Djamila Bouhired
De la stratégie judiciaire